Séance du
jeudi 18 septembre 2014 à
20h30
1re
législature -
1re
année -
11e
session -
71e
séance
IN 155 et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous abordons l'IN 155-A. Nous sommes dans un débat classé en catégorie II - trente minutes de débat. Je donne la parole à M. Pierre Vanek.
M. Pierre Vanek (EAG). Merci, Monsieur le président. Nous sommes saisis d'une initiative qui englobe divers aspects. Il y a d'abord un aspect de fond, qui relève de la volonté résolue des initiants, l'ensemble du mouvement syndical genevois, les partis de la gauche, notamment - mais je pense que les milieux concernés sont encore plus étendus: ils veulent défendre le dimanche comme jour libre, comme seul jour de la semaine qui permet à la population de se retrouver. C'est un jour qui constitue une oasis dans le désert de la marchandisation constante, du consumérisme rampant, un moment de détente et de repos bienvenu pour l'ensemble de la population, pour l'ensemble des travailleurs. Et encore, j'insiste sur ce point, c'est un jour où on peut faire une rupture avec le reste de la semaine et se retrouver pour profiter de quelque chose dans un registre différent de celui de la vie courante et de l'activité économique.
De ce point de vue là, le dimanche est aussi un jour de calme. Il y a des endroits de notre canton et de notre ville où, on le répète assez, les rues sont engorgées et les normes en matière de pollution de l'air et de bruit ne sont pas respectées: eh bien, le dimanche est un moment de calme dont bénéficient les habitants dans certains quartiers grâce au respect retrouvé d'un certain nombre de normes.
Maintenant, il ne s'agit pas de renforcer la situation actuelle du dimanche telle que je l'ai décrite. Aujourd'hui déjà, les magasins peuvent ouvrir près de quatre-vingts heures par semaine; dans les gares, dans les aéroports, dans les stations-service, sur les grands axes routiers, on peut ouvrir les magasins le dimanche. (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît !
M. Pierre Vanek. L'initiative ne vise pas à durcir la situation - vous connaissez mon caractère conservateur - elle vise simplement à maintenir le statu quo. Pourquoi avons-nous été obligés de lancer une initiative dont la récolte de signatures a été fort bien suivie par la population ? Parce que - c'est le deuxième aspect - le Conseil fédéral a entrepris une manoeuvre anti-démocratique de modification par voie réglementaire de quelque chose qui aurait dû être modifié dans la loi sur le travail...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Pierre Vanek. ...ce qui aurait permis, le cas échéant, de lancer un référendum. L'initiative vise très simplement à maintenir le statu quo en ce qui concerne les dimanches. De l'autre côté, elle fait oeuvre de salubrité démocratique, elle vise à empêcher le Conseil fédéral de nous enfiler par la porte de derrière, via un règlement, quelque chose qui relève d'un réel choix de société.
M. Romain de Sainte Marie (S). Ah, je suis heureux, mon micro fonctionne à nouveau !
Le président. Vous voyez, on fait des miracles ! (Commentaires.)
M. Romain de Sainte Marie. C'est magnifique, les dépenses reviennent enfin !
Je serai assez bref pour vous inciter - vous inviter - à voter la recevabilité de cette initiative et pour vous rappeler également les fondements de celle-ci et son importance, pour les familles notamment. Aujourd'hui, en Suisse comme ailleurs, nous connaissons une libéralisation accrue des horaires d'ouverture des magasins, cela au détriment des salariés. Cette initiative proposée par les syndicats et les partis de gauche permet, comme l'a expliqué M. Vanek, d'éviter ce subterfuge du Conseil fédéral souhaitant appliquer l'ouverture du dimanche aux zones touristiques. On sait que le canton de Genève serait concerné par cette mesure, alors que, on l'a vu, l'extension des horaires d'ouverture des magasins a été refusée il y a trois ans. C'est pourquoi la volonté des syndicats et des partis de gauche est de demander à la population de s'exprimer pour ne pas laisser le Conseil fédéral décider depuis Berne par voie réglementaire d'une telle mesure, antisociale et qui nuirait aux conditions de travail des salariés.
Je tiens encore à indiquer que cette extension des horaires d'ouverture des magasins va à l'encontre de l'engagement associatif. Avec ce changement, les personnes qui s'occupent de clubs de foot, comme entraîneurs par exemple, tout cela bénévolement, ne pourraient plus s'engager en cas de matches le dimanche. Cette volonté d'ouvrir les magasins le dimanche tue à petit feu le monde associatif, cette façon de vivre qui implique encore le bénévolat.
Je terminerai sur l'aspect familial puisque le dimanche, c'est le jour du Seigneur, même si nous sommes dans un Etat laïc ! (Commentaires.)
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Romain de Sainte Marie. Le dimanche est un jour de repos pour toutes et tous, en effet. C'est un moment où les familles se retrouvent: supprimer cette possibilité-là, c'est aussi détruire une vie familiale parfois précaire. La volonté du Conseil fédéral...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Romain de Sainte Marie. ...va à l'encontre des familles, des salariés et cette initiative ne demande qu'une seule chose: aux Genevois de déterminer s'ils veulent oui ou non ouvrir les magasins le dimanche !
M. Carlos Medeiros (MCG). Chers collègues, encore une fois, les milieux de la gauche parlent, entre guillemets, au nom de tous les salariés, au nom de tous les travailleuses et travailleurs. Ça fait un peu slogan de la gauche socialiste française, et on a vu où elle a conduit le pays.
Au MCG, nous sommes pour une économie forte, pour faire du social efficace. Ce qui veut dire que je ne comprends pas, aujourd'hui déjà, qu'en ville de Genève, vous avez ce qu'on appelle les commerces de dépannage qui sont devenus des supermarchés. Je prends comme exemple un établissement qui existe à Plainpalais, qui fait à peu près 600 mètres carrés et qui est ouvert nuit et jour. Or, au même moment, cette initiative 155 est prétendument contre l'ouverture et l'extension des commerces au nom du repos des travailleurs, au nom des mères de famille, au nom de je ne sais pas quoi. Je me demande même s'ils ne vont pas nous sortir que c'est le jour du Seigneur et que tout le monde doit aller à la messe ! (Commentaires.)
Mesdames et Messieurs, nous évoluons dans une société qui change. Aujourd'hui, vous le savez très bien, nous avons de plus en plus de métiers, dans les hôpitaux, dans les transports, qui travaillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Or, je ne comprends pas pourquoi et au nom de quel principe et de quel dogme nous allons coincer aujourd'hui l'économie pour ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus. Je vous donne comme exemple la Migros de l'aéroport, considérée comme le deuxième établissement le plus rentable après celui de Zurich. Les gens qui y travaillent, la plupart, sont des étudiants: ça fait un revenu supplémentaire pour ceux qui veulent travailler les dimanches.
Bien sûr, nous considérons aussi - c'est le côté social du MCG, vous le savez très bien - que nous sommes pour protéger les gens les plus défavorisés. Il doit y avoir des négociations avec les syndicats, il doit y avoir des compensations. C'est normal.
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Carlos Medeiros. Le travail du dimanche doit être payé plus qu'un travail normal, mais n'interdisons pas aux gens de travailler, surtout dans les commerces genevois, parce que je vous rappelle qu'en France voisine, tous les dimanches, les commerces sont ouverts jusqu'à midi !
M. Jacques Béné (PLR). En fait, ce soir, il ne s'agira pas de traiter de la recevabilité, comme M. de Sainte Marie l'a dit, mais de savoir si on est d'accord ou non avec cette initiative, tout simplement, puisque la validité a été admise par le Conseil d'Etat, ainsi que le veut notre législation actuellement. En fait, il ne s'agit pas de savoir si oui ou non on veut ouvrir les dimanches: il s'agit de savoir si on veut garder la possibilité de mener une réflexion un jour ou l'autre, si on a l'intention d'ouvrir le dimanche.
Mesdames et Messieurs les députés, la société évolue et elle évolue grâce au partenariat social qu'on souhaite voir cesser de s'exprimer avec ce genre d'initiative. Car à partir du moment où l'on intègre dans la loi qu'il est exclu d'ouvrir le dimanche, il n'y a plus de discussion possible. Alors qu'aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés - et je pense que la gauche ne m'en tiendra pas rigueur - dans le commerce de détail et à partir du 1er octobre, la convention collective de travail a été étendue. Si elle a été étendue, c'est bien parce qu'on a réussi à signer une convention collective, entre partenaires sociaux, et que le Conseil d'Etat, avec les partenaires sociaux, a effectivement admis qu'il y avait lieu d'étendre cette convention.
Mesdames et Messieurs les députés, cette initiative a donc été déposée, avec 9000 signatures: très bien. Je le regrette cependant, son message est un peu démagogique: «Touche pas à mes dimanches !» Moi aussi, je ne veux pas qu'on touche à mes dimanches, mais c'est un peu regrettable que cette pensée unique vise à dire qu'à Genève le dimanche, dorénavant, c'est détente. Pour moi, le dimanche n'est pas un jour de détente ! Pour moi, le dimanche à Genève, c'est un jour de deuil. Genève est morte le dimanche, Mesdames et Messieurs les députés ! Si vous vous promenez dans les Rues-Basses ou même en Vieille-Ville, il n'y a rien, aucune animation. Il faudra peut-être, un jour, qu'on se demande si on veut que les gens restent à Genève le dimanche, consomment à Genève, ou aillent en France voisine. Parce que si vous allez en France voisine, sur les parkings des supermarchés, qui sont un petit peu moins ludiques que les quais de Genève, que la Vieille-Ville ou même que les Rues-Basses, eh bien vous verrez qu'il y a là pléthore de gens.
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Jacques Béné. Ma conclusion à moi, c'est donc qu'il y a des gens qui ne veulent pas forcément la détente préconisée par M. Vanek, mais pour qui le dimanche, c'est aussi un jour de consommation et de shopping; ils ne souhaitent pas se détendre, mais aller faire du shopping. J'espère qu'en commission, nous arriverons à un consensus pour ne pas entrer en matière sur cette initiative, essentiellement pour préserver le partenariat social qui a fait ses preuves dans ce canton. (Applaudissements.)
M. Boris Calame (Ve). Chères et chers collègues, l'initiative 155 dite «Touche pas à mes dimanches !» a été validée par le Conseil d'Etat le 28 juillet 2014, ce qui nous évitera, fort heureusement, de nous écharper sur sa validité. Nous pourrions alors décider de voter sur le siège car, de toute façon, que notre Grand Conseil choisisse ou pas de lui opposer un contreprojet, il est plus que probable qu'elle sera présentée en l'état au vote populaire.
Nous pouvons aussi la renvoyer à la commission de l'économie pour traitement en parallèle avec les projets de lois proposant la modification de l'article 18 de la loi sur les horaires d'ouverture des magasins, soit les projets de lois 11422 et 11427 issus respectivement des groupes UDC-MCG et PLR-PDC. Ceux-ci traitent de l'ouverture des magasins le 31 décembre qui, comme vous le savez, peut aussi tomber un dimanche.
Si le Conseil d'Etat souhaite véritablement étudier la possibilité de définir des zones touristiques à Genève, comme mentionné dans son rapport, selon le droit fédéral, qu'il se mette immédiatement au travail avec les partenaires sociaux. Le cas échéant, ces réflexions pourront être intégrées aux travaux parlementaires.
Au vu de ce qui précède, nous recommandons, chères et chers collègues, un renvoi à la commission de l'économie.
M. Stéphane Florey (UDC). Cette initiative provoque un faux débat. Pour le groupe UDC, ce débat n'a pas lieu d'être puisqu'il est indiqué dans l'exposé du rapport du Conseil d'Etat que cette initiative est partie du fait qu'il y aurait une possibilité pour la Confédération de déclarer Genève zone touristique, ce qui permettrait une possible ouverture des magasins le dimanche; je dis bien une possible ouverture, parce que rien n'est encore fait. Il faudrait donc d'abord savoir ce que veut la Confédération pour le plan de zone de ce qu'elle appelle zone touristique et, après, décider si Genève doit ou ne doit pas ouvrir ses magasins le dimanche. C'est donc vraiment un faux débat.
Par contre, j'ai entendu des énormités en ce qui concerne le bénévolat, les activités sportives et culturelles. Laissez-moi rire ! Aujourd'hui, une bonne partie de la population travaille le dimanche. On n'est plus au Moyen Age, quand le dimanche était sacro-saint et que tout le monde allait à l'église, que tout le monde faisait un voeu pieux et mangeait en famille. Ce temps est largement révolu, nous sommes en 2014, je me permets de le rappeler. Comme je le disais, une bonne partie de la population travaille et une autre partie de la population, heureusement pour elle, a congé et profite du travail d'une autre partie de la population, à savoir que si vous voulez prendre le bus, vous prenez le bus, si vous devez vous faire soigner, vous vous faites soigner. Vous allez me dire que ce sont des services publics et que c'est normal. Mais si vous voulez aller au cinéma le dimanche, ce n'est pas un service public; si vous voulez aller manger au restaurant, vous allez manger au restaurant.
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. Stéphane Florey. On voit bien que de toute façon, pour les commerces ou les activités, il y a une réelle demande. L'UDC estime donc qu'il y a véritablement un besoin et une demande de la population. Laissons faire les choses: si le Conseil fédéral décide que Genève est une zone touristique et qu'il faut travailler en conséquence, laissons-le faire et revenons avec un véritable débat au moment voulu.
Le président. Il vous faut conclure.
M. Stéphane Florey. Mais pour le moment, l'UDC vous recommande de rejeter cette initiative.
M. Bertrand Buchs (PDC). Pour le parti démocrate-chrétien, il n'y a pas de faux débat; il y a un débat qui doit être tenu. De par ses origines, le parti démocrate-chrétien est un parti attaché aux dimanches, pour des raisons religieuses. Nous tenons à cela, même si ça a l'air un peu vieux jeu de se réclamer de notions religieuses. (Commentaires.)
Il y a quand même une chose à faire: il faut qu'il y ait une discussion en commission, la plus ouverte possible, parce qu'on ne doit surtout pas oublier que les gens ont besoin d'une journée par semaine pour être avec leur famille, pour être avec leurs enfants, pour faire des choses qu'ils ne font pas le reste de la semaine. Il faut vraiment réfléchir à l'équilibre psychologique des gens et à leur santé. Le dimanche, c'est quelque chose d'important et, pour le parti démocrate-chrétien, c'est un jour essentiel.
Le président. Merci, Monsieur le député.
L'initiative 155 et le rapport du Conseil d'Etat IN 155-A sont renvoyés à la commission de l'économie.