Séance du
jeudi 27 mars 2014 à
10h
1re
législature -
1re
année -
6e
session -
34e
séance
PL 10669-A
Premier débat
Le président. Nous abordons le point 56 de notre ordre du jour. Le rapport de majorité est de M. Broggini, qui est remplacé par Mme Lisa Mazzone, et le rapport de minorité est de M. Jean-Marie Voumard. Je passe la parole à Mme le rapporteur de majorité, Mme Mazzone.
Mme Lisa Mazzone (Ve), rapporteuse de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la volonté d'augmenter le taux de recouvrement des amendes d'ordres est parfaitement louable, et il faut reconnaître que ne compter que 30% d'amendes d'ordre payées lorsqu'elles sont attribuées aux personnes qui résident en France est tout à fait insatisfaisant et relève d'un dysfonctionnement patent. Toutefois, cette situation a changé depuis 2010, ce qui rend ce projet de loi caduc. En effet, un élément est venu augmenter de manière notable le taux de recouvrement de ces amendes d'ordre. En 2010 est entré en vigueur l'accord de Paris, qui a eu pour effet de permettre l'identification des contrevenants résidant en France et en Allemagne. Concrètement, alors que le recouvrement était jusqu'alors relativement aléatoire en raison, justement, de la difficulté de savoir quelle était la personne en infraction, aujourd'hui ce manque est pallié grâce à une bonne collaboration avec l'Office fédéral des routes, qui notifie l'amende par pli recommandé et permet d'identifier la personne qui contrevient à la loi. Cela permet également de poursuivre les démarches en cas de non-paiement, notamment en contactant le contrevenant sur son lieu de travail ou en procédant à un séquestre sur salaire. D'autre part, le nouveau système informatique a permis d'améliorer sensiblement l'efficacité des démarches, pour aboutir à un meilleur taux de recouvrement de ces amendes d'ordre. Par conséquent, ce projet de loi n'est plus d'actualité et impliquerait, s'il était appliqué, une différence de traitement entre Genevois et personnes résidant en France, ce qui n'est pas acceptable. En conclusion, la majorité de la commission vous invite vivement à refuser ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Jean-Marie Voumard (MCG), rapporteur de minorité. Effectivement, sur certains points je peux rejoindre Mme Mazzone. Simplement, il faut souligner que le projet de loi ne concerne pas uniquement des frontaliers, mais des résidents étrangers. Et je veux dire par là que ça peut être des Espagnols, des Belges ou des Allemands, comme c'est le cas actuellement puisque beaucoup d'euro-frontaliers viennent à Genève. Et pour une fois que le MCG défend les frontaliers, je suis un peu surpris de l'attitude des Verts quant à l'équité entre les Genevois et les frontaliers.
J'aimerais aussi expliquer que les accords de Paris sont rentrés en vigueur en 2010, et qu'en 2005 le MCG avait déposé la motion 1659 concernant 120 000 amendes de frontaliers qui avaient été annulées. Et là, c'était bien eux. Je prends le cas de cette année, Mesdames et Messieurs: 238 000 amendes n'ont pas été payées, et l'Etat a annulé ces contraventions. Pour quels motifs ? Il faudrait peut-être qu'on obtienne des explications de ce côté-là. Dès lors, pour une équité entre les Genevois et les frontaliers - français, j'entends bien - et tant que d'autres accords n'ont pas été signés avec les pays européens, je pense qu'il est utile que, si on trouve trois fois la même voiture en stationnement illicite, on puisse la mettre à disposition, récupérer les frais. Cela évitera des gabegies comme il y en a actuellement au service des contraventions.
M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le vice-président, Mesdames et Messieurs les députés, une chatte n'y retrouverait pas ses petits ! Nous comprenons bien les intentions des dépositaires, car il n'est pas normal, en effet, qu'il y ait deux poids et deux mesures en la matière. Mais force est de constater qu'entre la mise en oeuvre des accords de Paris, la pose aléatoire de sabots et le dépôt à la fourrière, ce projet de loi est totalement obsolète et tout bonnement inapplicable. Nous relevons que les auteurs du projet, entraînés par leur logique, instituent un traitement discriminatoire à l'endroit de la population étrangère, en mettant à la fourrière les véhicules mal garés ou amendés des frontaliers alors que cette mesure ne serait pas appliquée aux résidents genevois ! L'équité revendiquée par ces députés ne serait donc pas réalisée et c'est la raison pour laquelle notre groupe n'entrera pas en matière ou refusera ce projet de loi discriminatoire !
Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve), députée suppléante. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi, déposé le 25 mai 2010, fait référence à la problématique de recouvrement des amendes des personnes frontalières en 2009, année où le taux de recouvrement - alors de 30% - était en effet inacceptable. Ce projet eût été salutaire si la situation n'avait pas évolué entre-temps. En effet, grâce aux accords passés avec la France et l'Allemagne - on va donc au-delà de la France voisine - on a atteint, en 2011, un taux de 80% d'amendes payées. Ce nouveau résultat prouve bien que les accords de Paris fonctionnent. Ce projet de loi est donc aujourd'hui caduc; le maintenir et le voter reviendrait à stigmatiser les personnes frontalières. Les mesures proposées, au-delà du fait qu'elles n'ont plus de raison d'être, relèvent de l'inégalité de traitement, et nous ne souhaitons pas voter ce projet de loi. Les Verts vous invitent donc à le refuser. Merci ! (Applaudissements.)
M. Frédéric Hohl (PLR). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je ne vais pas répéter ce qui a été dit. Effectivement, à l'époque, en 2010, ce projet avait une certaine utilité. Nous avons eu six séances à la commission judiciaire, au cours desquelles on nous a clairement expliqué que des accords avaient été signés avec la France, l'Allemagne, et que cela fonctionnait très bien. J'invite donc vraiment le MCG à retirer ce projet de loi parce qu'il n'est plus du tout d'actualité, et bien évidemment le PLR vous invite également à suivre le rapport de majorité et à refuser ce projet.
Présidence de M. Antoine Droin, président
M. Vincent Maitre (PDC). Le PDC en fera de même, notamment pour les raisons qui ont été expliquées et suite aux accords de Paris qui ont été ratifiés en 2009 et qui déploient aujourd'hui leurs pleins effets. Ce projet de loi est donc obsolète, mais il est également, de notre point de vue, illégal, parce qu'il ne remplit pas le principe de la légalité, cela a été expliqué en commission. Les bases juridiques, les bases légales fédérales ne sont pas suffisamment précises pour autoriser le séquestre de véhicules dans le cadre prévu par ce projet de loi. Je tiens à préciser, à ce titre, que le séquestre est une mesure pénale extrêmement lourde, souvent de dernier recours, qui s'inscrit dans une procédure judiciaire déjà fortement avancée et qui nous paraît - c'est là mon deuxième point - totalement disproportionnée. La question de la proportionnalité est donc également un principe violé par ce projet de loi, puisque l'étranger qui aurait quelques amendes se verrait contraint à un séquestre à partir d'un arriéré de seulement trois contraventions et infractions à la LCR, soit, en d'autres termes, potentiellement pour une valeur litigieuse de 120 F, ce qui nous paraît à tout le moins démesuré, a fortiori lorsqu'on sait que 90% des amendes d'ordre sont recouvrées par l'Etat.
En outre, il y a un problème - cela a été soulevé - d'égalité de traitement. Ce projet de loi nous paraît contraire à l'égalité de traitement, puisqu'il vise à sanctionner plus lourdement les étrangers que les citoyens suisses, ou en particulier genevois. (Brouhaha.) C'est donc encore un problème d'illicéité qui se pose à cet égard-là.
Enfin, ce projet de loi nous paraît encore une fois disproportionné ou peu adéquat, puisque aujourd'hui l'on peut pratiquer de manière tout à fait satisfaisante la saisie sur salaire d'une personne étrangère qui montrerait un retard dans le paiement d'amendes, et que cette mesure est bien plus efficace, plus facile à appliquer, et moins lourde économiquement que tout un arsenal qui devrait être mis en place en cas de séquestre. Raison pour laquelle nous vous invitons également à refuser ce projet de loi.
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, c'est toujours avec beaucoup d'intérêt qu'on observe les gens qui perdent de vue la raison, qui perdent de vue le raisonnable, qui perdent de vue le pragmatisme, pour invoquer des lois et autres. Mesdames et Messieurs les députés, ceux qui sont réellement prétérités, dans cette affaire, ce sont les citoyens genevois, ceux qui ont la faiblesse d'avoir un véhicule immatriculé à Genève et une adresse à Genève, ce qui fait que quand rien ne va plus, tout vous tombe dessus ! Mesdames et Messieurs les députés, oui, je sais, c'est la mode aujourd'hui: l'UDC et le MCG sont contre les frontaliers, contre les étrangers. En l'occurrence, on est en train de parler d'un véhicule immatriculé peut-être en France ou ailleurs à l'étranger, qui est régulièrement sur notre territoire, et qui, par le fait de son immatriculation étrangère, tente de se soustraire aux règles en vigueur dans notre canton sur les contraventions, quand il en a déjà plus de trois ! Alors chers collègues, j'ai de la peine à croire qu'il s'agit là d'un bon citoyen étranger qui va être poursuivi en raison de la hargne xénophobe de deux partis. Non, Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas juste que quelqu'un utilise une voiture immatriculée à l'étranger pour venir stationner plusieurs fois illégalement. Donc en ce qui concerne l'Union démocratique du centre, et par rapport à tout cela, nous estimons que si le bon sens doit régner, si l'équité doit régner, surtout face à l'immense majorité des citoyens genevois qui sont quand même de plus en plus pourchassés par tel ou tel service de l'Etat par rapport à leur stationnement - nous l'avons voulu, nous ne reviendrons pas là-dessus - venir nous dire que tant l'UDC que le MCG font une discrimination parce qu'un véhicule immatriculé à l'étranger se moque de nos lois, ce n'est pas juste. L'Union démocratique du centre acceptera l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Des voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Bernhard Riedweg, pour deux minutes.
M. Bernhard Riedweg (UDC). Merci, Monsieur le président, ce sera suffisant. Ce projet de loi a pour but d'assurer l'égalité de traitement entre les résidents genevois et les résidents français pour les amendes d'ordre et les contraventions, on l'a dit tout à l'heure. Pour les résidents suisses, le système d'encaissement des amendes et contraventions s'est amélioré grâce à un nouveau programme informatique; le pourcentage de recouvrement a augmenté à 88% pour l'année 2011, ce que nous estimons être une bonne progression. Pour les résidents immatriculés en France, le taux d'encaissement est de 59% au niveau des montants payés, mais seuls 42% des amendes sont réglées. Cela veut dire que les résidents français qui ont de petites amendes ont moins tendance à les payer que ceux qui écopent d'amendes dont le montant est plus important. Il est vrai que les frais de recouvrement pour réclamer les petites amendes dues par les résidents français sont plus élevés que l'amende en elle-même, qui est de 40 F en moyenne. Mais c'est sans compter l'accumulation de petites amendes non payées, qui forment un montant important de l'ordre de 300 F à 400 F. Selon les derniers chiffres à disposition, il y a 50 700 amendes d'ordre non payées par des propriétaires de véhicules immatriculés en France dont les montants sont petits. L'UDC insiste pour qu'il y ait une équité dans l'encaissement des amendes et des contraventions, que ce soit pour les petits ou les gros montants ou qu'il s'agisse d'une accumulation de petits montants pour un même véhicule. Avec ce projet de loi, on vise à instaurer de la discipline dans l'utilisation du domaine public par tous les véhicules. Plusieurs commissaires estiment que ce projet de loi n'a plus lieu d'être, suite à l'entrée en vigueur des accords de Paris, mais il faut savoir que ces accords ne concernent que les résidents français alors que ce projet de loi concerne tous les véhicules immatriculés...
Le président. Il vous reste vingt secondes, Monsieur le député.
M. Bernhard Riedweg. ...à l'étranger ! L'UDC vous demande donc d'accepter ce projet de loi. Merci, Monsieur le président.
Mme Irène Buche (S). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi du MCG visait essentiellement les conducteurs frontaliers domiciliés en France, cela vient d'être admis. Or, si la question posée par ce projet de loi était pertinente au moment de son dépôt en 2010, ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui; à l'époque, effectivement, il y avait un très faible taux de recouvrement des amendes infligées à des conducteurs domiciliés en France ou à l'étranger en général. Mais ce n'est plus d'actualité. Le taux progresse, essentiellement grâce au système mis en place par l'accord de Paris. Et si vous regardez les chiffres, vous verrez que le taux de recouvrement augmente sans cesse. Donc pour nous, ce projet de loi est caduc car il prévoit des mesures complètement inadéquates et disproportionnées, et nous estimons que le MCG aurait été bien inspiré de retirer ce projet de loi. Nous vous invitons donc à ne pas entrer en matière. Je vous remercie.
M. Jean-François Girardet (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, j'entends bien qu'on critique ce projet de loi en disant qu'il est caduc. Or, le rapporteur de minorité nous a sorti un chiffre - j'imagine que le conseiller d'Etat en charge du département de la justice et de la sécurité nous le confirmera: 238 000 amendes non payées actuellement. On est donc largement en dessous des chiffres qui sont avancés, même dans le rapport de 2011.
Il ne suffit pas seulement de dire que ce projet de loi crée une inégalité de traitement; non, au contraire, comme l'ont dit successivement les deux députés UDC, on veut obtenir une égalité de traitement avec un citoyen genevois ou un résident de Genève, qui doit payer ses amendes et à qui on confisquera sa voiture jusqu'à ce qu'il les paie s'il ne le fait pas. Aujourd'hui, ce projet de loi ne vise pas seulement les conducteurs frontaliers domiciliés à l'étranger, il vise surtout ceux qui ne paient pas leurs amendes ! Parce qu'il existe des conducteurs frontaliers qui les paient ! Donc on ne va pas généraliser à tous les conducteurs frontaliers; non, ce projet de loi vise surtout ceux qui ne respectent pas la loi et qui ne s'acquittent pas de leurs amendes.
Quant à la séquestration, Monsieur Maitre, je regrette, la police a aujourd'hui les moyens de faire enlever un véhicule qui est mal stationné... (Commentaires.) ...ou qui dérange la circulation. On voit très régulièrement des véhicules emportés par un garage parce qu'ils sont mal garés ou perturbent la circulation. Pour toutes ces raisons, et bien d'autres encore - ne serait-ce que pour être logique avec le code civil - nous demandons que ce projet de loi soit largement soutenu, pour que nous puissions faire respecter l'égalité de traitement entre les citoyens genevois, les citoyens habitant et résidant sur le canton, et les bénéficiaires des voies de circulation qui sont étrangers.
M. Jean-Marie Voumard (MCG), rapporteur de minorité. Je voudrais quand même préciser qu'à aucun moment je n'ai parlé de véhicules frontaliers, je parle de véhicules étrangers; j'entends par là qu'il peut y avoir des véhicules belges, espagnols, allemands, comme je l'ai expliqué tout à l'heure. Cette loi peut s'appliquer de cette manière-là. (Remarque.)
D'autre part, j'ai entendu certains parler - vous transmettrez à mes préopinants, Monsieur le président - de sabots. Effectivement, on en a discuté en commission, mais dans le projet de loi il n'est nullement fait mention de cela puisqu'on parle de mise à disposition d'un véhicule. Cela peut se faire par une dépanneuse, comme c'est couramment le cas actuellement.
Par ailleurs, j'ai entendu un de mes préopinants - avocat - parler de mise sous séquestre, et dire que c'était totalement illégal. Je l'invite à lire correctement la loi sur la circulation routière: la mise sous séquestre, c'est une autre affaire, je parle de mise à disposition d'un véhicule. Cela se fait déjà actuellement pour les cas graves, que ce soit des véhicules genevois, frontaliers ou étrangers. Les véhicules se mettent à disposition d'office lorsqu'ils sont sur des cases handicapés ou sur des passages pour piétons. Donc de ce côté-là, je ne peux pas comprendre cette position.
Enfin, je vous rappelle quand même qu'il y a beaucoup trop d'argent qui est perdu par le Service des contraventions pour récupérer le montant des amendes d'ordre, et que ce projet de loi ne peut qu'améliorer les recettes de Genève. Je vous remercie.
Mme Lisa Mazzone (Ve), rapporteuse de majorité ad interim. Je crois que cela a été dit assez largement: ce projet de loi répondait effectivement à une vraie problématique, qui a été, depuis, résolue par l'accord de Paris et grâce aux effets que celui-ci a déployés, à savoir qu'aujourd'hui l'identité des contrevenants est déterminée et qu'on peut les atteindre et poursuivre les démarches visant à ce que leurs amendes soient recouvrées. Il y a visiblement, de la part de certains groupes, une difficulté d'admettre que certains projets de lois sont dépassés et aujourd'hui obsolètes; devant ce constat, la seule démarche raisonnable serait de retirer le projet de loi en question. Si auparavant on avait effectivement une forme d'iniquité entre les résidents du canton de Genève et les résidents français, ce projet de loi implique un retournement de cette iniquité en imposant un régime d'exception pour les personnes qui résident à l'étranger, puisque seules celles-ci, avec un arriéré d'au moins trois contraventions, seraient concernées par la saisie du véhicule et la mise en fourrière.
Vous avez parlé d'argent perdu pour la collectivité; il faut toutefois noter que la proportionnalité implique de mesurer l'envergure des démarches qu'on va prendre pour la somme qui sera recouvrée par ailleurs.
Pour toutes ces raisons, et en particulier simplement parce qu'aujourd'hui ce projet de loi n'a plus raison d'être, je vous invite à le refuser. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame la rapporteure de majorité. Je vais mettre aux voix l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 10669 est rejeté en premier débat par 55 non contre 29 oui.