Séance du
vendredi 29 novembre 2013 à
14h
1re
législature -
1re
année -
2e
session -
7e
séance
PL 11254-A
Premier débat
Le président. Le rapport est de M. Jacques Béné, à qui je passe la parole.
M. Jacques Béné (PLR), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Comme nous avons déjà eu le débat sur La Brenaz, on ne va pas prolonger. J'interviens juste pour mentionner quand même un point: s'il n'est pas très sexy de construire une prison et qu'on préférerait construire une HES, une école ou même un hôpital, cela est encore moins sexy quand on est obligé de voter des crédits d'études de 19,5 millions. En commission, un long débat a eu lieu au sujet de ce crédit d'étude, notamment en rapport avec l'objectif de l'Etat, qui vise à construire en entreprise totale.
Nous ne sommes pas convaincus quant à la méthode, on espère effectivement que ce sera la bonne. On aurait préféré une construction de style traditionnel avec un concours, un architecte et des entreprises qui sont mandatées par l'Etat.
On nous dit que ce sera plus simple de cette manière-là, on sait effectivement qu'au niveau du département de l'urbanisme les forces en présence ne permettraient pas de gérer un tel chantier, sans avoir recours à des forces supplémentaires. On restera donc très, très attentifs au suivi de ce dossier. On a quand même réussi à faire passer ce crédit de 19,5 millions à 16,5 millions, on a donc déjà gagné 3 millions. On espère que l'enveloppe globale, qui se monte à 289,5 millions telle que prévue aujourd'hui, ne sera pas dépassée. On y sera en tout cas très attentifs.
M. François Lefort (Ve). «Les emplacements sur les lieux-dits Pré-Marquis et vers la Seymaz seront étudiés»: voilà les termes d'un amendement qui a été refusé en commission, et pourtant ce projet de loi concerne un crédit d'étude ! Il sert donc à financer des études et les alternatives devraient être étudiées. Nous attirons par conséquent l'attention du Conseil d'Etat sur cette demande, qui était déjà présente au rapport de ce projet de loi, mais qui rencontre maintenant le soutien de la population, matérialisé hier par la pétition 1889 que vous avez reçue ici de l'Association Bien Vivre à Puplinge qui demande plusieurs mesures d'accompagnement de ce projet, s'il n'était pas changé lors de l'étude.
Sur le fond, les Verts ne s'opposent pas à la création de places pour l'exécution de peines, nous l'avons dit le mois dernier à propos du projet Brenaz II. Nous ne nous y opposons pas, mais nous pensons que ce projet pharaonique aurait pu et aurait dû être fait ailleurs, en collaboration avec les autres cantons romands, afin d'économiser en investissements, mais surtout en fonctionnement pour le futur.
Economiser quoi ? Economiser les ressources financières publiques, mais aussi économiser le sol, puisque ce projet de construction d'une prison de 450 places va nous coûter 20 hectares de zone agricole, en particulier et principalement de la surface d'assolement.
Il serait donc bien que la densification, dans le futur, ne s'applique pas seulement aux projets de construction de logements, mais aussi aux prisons. Pour le moment, les Verts s'abstiendront sur ce crédit d'étude et je dirai au rapporteur de majorité, qui disait «Espérons que l'enveloppe globale ne soit pas dépassée», eh bien, Monsieur le rapporteur de majorité - vous transmettrez, Monsieur le président - cette enveloppe est bien sûr déjà dépassée, puisqu'il existe une ligne budgétaire au budget 2014 et au budget 2015 pour les frais de surveillance du chantier de La Brenaz, qui vont se monter à 2,5 millions.
Alors, on n'a pas encore vu les lignes budgétaires pour la surveillance du projet pharaonique, mais si pour le petit projet de La Brenaz cela va déjà coûter 2,5 millions en frais de surveillance, on s'attend au pire pour ce gigantesque chantier !
Les Verts vous l'ont dit, ils s'abstiendront en attendant de voir et il n'est pas sûr qu'ils reviennent à de meilleurs sentiments sur le projet de déclassement de ces 20 hectares et sur le projet de loi de construction.
Mme Christina Meissner (UDC). Si le rapporteur a dit qu'il y aurait à être très attentif sur le financement - parce qu'il ne s'agit là que d'un crédit d'étude et on peut craindre le pire pour la construction, à 19 millions le crédit d'étude ! - d'un autre côté, les Verts ont mentionné aussi l'étalement de cette prison sur la zone agricole et notamment en direction du village de Puplinge.
Pour nous, il est important que, vraiment, ce crédit d'étude arrive à concentrer un maximum cet établissement pénitentiaire plutôt que de l'étaler; il est important de tenir compte des demandes des Puplingeois, qui sont tout à fait justifiées, notamment, en matière de participation, leur demande d'être partie prenante dans cette étude et non pas délaissés pour ensuite subir les conséquences de cette augmentation des établissements pénitentiaires dans leur région.
A ce propos, l'UDC sera, comme nous l'avons d'ailleurs déjà fait remarquer dans un précédent traitement de La Brenaz, extrêmement attentive à ce qu'il y ait à présent une meilleure répartition entre les différents cantons des questions liées aux établissements pénitentiaires, notamment en matière d'exécution des peines. Il n'y a aucune raison que ces établissements restent juste à côté, dans un canton qui est déjà surpeuplé et surdensifié. Nous nous abstiendrons donc sur ce crédit d'étude.
M. Renaud Gautier (PLR). Monsieur le président de séance, somme toute, un crédit d'étude a ceci d'intéressant qu'il permet de voir émerger quelques idées auxquelles personne n'avait songé. Ainsi, les Verts nous proposent les prisons hors sol. C'est un nouveau concept, quoique à Genève, Mme la conseillère d'Etat s'en rappellera, nous avons l'année dernière voté un crédit pour l'agriculture hors sol. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Je vois avec plaisir que, dorénavant, nous aurons les tomates hors sol et les prisonniers hors sol !
Subsidiairement à cela, nos amis de l'UDC sont eux pour une densification des prisonniers. Il s'agit dorénavant de les densifier. On devrait peut-être arriver à une solution de quelques dizaines de prisonniers au mètre carré et probablement les entasser les uns par-dessus les autres. Alors entasser des prisonniers hors sol, c'est un concept qui me paraît intéressant. (Brouhaha.)
Je voudrais juste faire une petite remarque sur le principe du crédit d'étude. Chacun dans cette salle, j'imagine, serait ravi d'avoir une fois dans sa vie à mener un crédit d'étude à 19,5 millions ! Il existait la Loterie romande, il existe l'Euro-loto - je crois - il existe aussi peut-être certaines fois les crédits d'étude.
J'aimerais juste rendre attentifs les uns et les autres à un point: une fois que nous aurons dépensé 16,5 millions ou 19,5 millions, nous n'aurons pas encore le début du commencement d'une prison. Ce qui veut dire que c'est comme au poker, il faut payer 20 millions pour voir.
Convenez, Monsieur le président, que les enchères sont élevées: 20 millions pour savoir si on va construire un projet de prison ou pas. Il y a là, me semble-t-il, une réflexion que ce parlement devrait avoir sur le sens des crédits d'étude quand ils s'élèvent à un montant de cette hauteur.
Une voix. Bravo !
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, vous avez entendu préalablement le représentant des Verts qui disait: «Eh bien, attendons de voir !»
Moi, j'ai envie de lui répondre - vous transmettrez, Monsieur le président: bien vu l'aveugle qui dit au sourd que ceci n'est pas le cas !
Mesdames et Messieurs, il est vrai que ce n'est pas la panacée... (Rires.) ...un crédit d'étude de 19,5 millions, mais nous n'avons pas d'autre choix. (Brouhaha.) Le Conseil d'Etat n'a pas proposé la construction directe d'une prison; il faut passer par un crédit d'étude. Nous allons le voter, c'est la règle et il faut s'y adapter. La criminalité est là, la surpopulation carcérale est là, l'augmentation de la criminalité est extrêmement présente et nous sommes en retard !
Donc, oui, le MCG va voter ce crédit d'étude sans état d'âme, en espérant - non pas comme à la Loterie romande, signalée par M. Gautier - mais en espérant qu'à l'issue de ce crédit d'étude, le terrain sera déclassé. Cependant, puisqu'il nous revient de le voter, il n'y a pas de raison qu'on vote un crédit d'étude et qu'on ne vote pas le déclassement du terrain pour que cette prison soit construite.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, les socialistes ne sont pas définitivement convaincus par la nécessité de construire une prison d'une telle capacité. La question de la surpopulation actuelle de Champ-Dollon est un véritable problème et il convient d'offrir des conditions de détention acceptables tant pour les détenus que pour les gardiens, et il est donc vrai que cela nécessite la création de places de prison supplémentaires.
En même temps, on assiste depuis, ma foi, quelques années à une surenchère entre le Conseil d'Etat et le procureur général pour incarcérer à tout va des personnes qui n'ont pas forcément vocation à se trouver en milieu pénitentiaire fermé, parce que leurs délits ne sont pas forcément d'une gravité telle qu'elles doivent être enfermées.
Il y a donc une question de proportionnalité et j'aimerais quand même rappeler à cette noble assemblée qu'un pays... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...démocratique peu lointain, qui s'appelle la Suède, vient de fermer quatre prisons par manque de détenus.
Alors, on pourrait quand même se poser des questions: qu'est-ce qui explique qu'un pays qui ne me semble pas très différent de la Suisse en termes de niveau de vie, en termes d'attrait pour des populations étrangères... Qu'est-ce qui fait qu'un pays si peu lointain ferme des prisons aujourd'hui ?
Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, ces questions me semblent nécessiter des réponses précises, parce que nous, socialistes, ne serons pas d'accord de construire des places de prison pour enfermer des gens qui n'ont rien à faire en prison. Cela n'est pas possible !
Et dans ce sens-là, l'augmentation raisonnable du nombre de places, oui, nous l'acceptons, mais la surenchère pénitentiaire... Parce qu'on voit très bien ce qui va se passer: la surenchère pénitentiaire, c'est ce qui se passe dans les pays comme les Etats-Unis ou maintenant la France, où en fait on met sur pied des partenariats public-privé et on organise un business de la détention !
Evidemment, les prétextes sont tout trouvés: on a un frein à l'endettement; les investissements sont limités; on ne peut plus financer; nous sommes des pauvres; il faut demander au privé de le faire... Mais ce business, nous, les socialistes, ne l'acceptons pas ! On voit les dérives que certains pays comme les Etats-Unis connaissent, on voit aussi les conséquences financières, par exemple pour la Californie, qui est au bord de la faillite, simplement parce qu'elle n'arrive plus à payer ses prisons privées.
Eh bien, nous ne voulons pas de cela à Genève, nous ne voulons pas de cela en Suisse, nous ne voulons pas de cette surenchère démagogique qui ne garantit d'ailleurs absolument pas la sécurité de nos concitoyennes et concitoyens. Nous nous abstiendrons en partie sur ce crédit d'étude et nous attendrons de voir quel est le contenu définitif de la proposition, tant en termes de places qu'en termes de population qu'il est prévu d'y trouver.
M. Bertrand Buchs (PDC). Je vous ferai part de deux remarques du parti démocrate-chrétien. La première remarque concerne le fait qu'une entreprise totale fera les travaux, ce qui ne nous plaît pas beaucoup. On l'a dit probablement en commission, on le redit ici. Cela signifie quand même que les entreprises locales ne pourront peut-être pas participer au projet. Or, il est important de soutenir les PME, surtout avec un projet aussi cher que celui-ci.
Nous voterons donc quand même ce crédit d'étude, mais en demandant au Conseil d'Etat que cette exception ne devienne pas la règle et que cela reste une exception, une seule fois. On peut comprendre le souci qu'a le Conseil d'Etat avec le nombre de prisonniers à Champ-Dollon, le souci qu'a le Conseil d'Etat avec les prochains étés où il risque, si la température est très élevée, d'y avoir des problèmes de sécurité à Champ-Dollon.
Il faut aller de l'avant, mais il s'agit d'une exception, nous ne voulons pas d'autre projet prévoyant des entreprises totales.
Deuxième remarque et quelques chiffres: en EMS, la chambre coûte 350 000 F et, dans une prison, on arrive à 600 000 F. Je peux comprendre qu'il y ait des aspects de sécurité, mais il faut quand même se poser la question des coûts. Vraiment, les coûts deviennent beaucoup trop élevés.
M. Rémy Pagani (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, j'interviens sur le sujet de l'entreprise totale. Je trouve qu'on est déjà dans la dérive hyper-sécuritaire. Je le constate d'ailleurs au niveau des musées, où on nous fait inclure toute une série de mesures de sécurité, notamment d'entrer des camions avec des sas ou un double sas.
On va confier cette entreprise générale à celles et ceux qui sont soi-disant des spécialistes et, au final, on n'aura aucun contrôle sur les normes de sécurité et le curseur sur lequel on peut se déterminer pour rendre une prison conforme aux normes de sécurité. Toujours est-il que, dans cette logique-là, on se donne tous les moyens pour non seulement verser 190 millions, mais également pour arriver à des dépassements extrêmement importants.
J'enjoins donc la personne et l'ensemble de mes collègues députés qui seront chargés de mettre en route ce crédit d'étude de ne pas prendre ce chemin de traverse qui vise, soi-disant pour faciliter les opérations, parce que nous ne sommes pas spécialistes, à donner ce marché à une seule entreprise.
On va se retrouver dans un système comme le CEVA, où non seulement on attribue un marché à une seule entreprise, mais où de plus celle-ci va le sous-traiter à des entreprises qui ne seront pas locales et qui profiteront du double mandat qu'on leur attribue, c'est-à-dire le mandat d'entreprise générale et le mandat d'attribution des travaux.
Donc, en tout cas en ce qui nous concerne, nous nous abstiendrons sur cette problématique, mais nous serons très attentifs à ce que les dépassements qui sont programmés - Mesdames et Messieurs, dans ce que j'ai pu lire, ils sont programmés ! - n'aient pas lieu. Je vous remercie de votre attention.
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Quand bien même il s'agit là d'un dossier suivi par le département de l'urbanisme, il concerne évidemment au premier chef le département de la sécurité. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, à l'heure où je vous parle, ce sont près de 850 détenus - 846 pour être exact - qui se trouvent dans la prison préventive de Champ-Dollon, là où 376 places sont prévues. C'est en réalité non pas une surpopulation carcérale contre laquelle nous devons lutter, mais une sous-dotation carcérale !
Il s'agit, Mesdames et Messieurs, avec cette prison, à l'image d'infrastructures de mobilité qui sont dépassées, à l'image du dossier du logement, d'un retard considérable que notre canton a pris et qu'il s'agit aujourd'hui de rattraper. Il faut le rattraper parce que - et je rejoins M. Deneys - nous sommes la ville des droits de l'Homme et que nous devons nous montrer exemplaires sur les conditions de détention dans lesquelles nous accueillons des détenus.
Il faut rattraper ce retard, parce que nous sommes également, Mesdames et Messieurs, des employeurs tributaires d'employés qui aujourd'hui travaillent dans des conditions extraordinairement difficiles et je leur rends hommage. Je pense ici aux gardiens de prison, aux agents de surveillance, mais également aux travailleurs sociaux, qui évoluent dans cet environnement extrêmement compliqué, où il s'agit de jongler avec des ethnies, avec des hommes, des femmes, avec des personnes en préventive, des personnes en exécution de peine. Tous les jours, c'est un petit miracle que cela n'aille pas plus loin que les incidents que l'on peut connaître, qui sont malheureusement de plus en plus graves et qui se caractérisent également par un taux d'absentéisme qui évolue.
C'est alors une question de responsabilité, Mesdames et Messieurs, non pas d'une logique de fuite en avant carcérale, parce que nous parlons ici de rejoindre simplement les standards européens qui prévoient au minimum une place pour mille habitants. On est loin de la Californie, Monsieur le député Deneys, où on est à 6,5 places pour mille habitants, on en est encore très loin ! Et si d'aventure le procureur général et moi-même souhaitions aller dans cette direction, c'est six ou sept fois ces crédits-là qu'il faudrait voter ! Nous n'en sommes, Dieu merci, pas là.
Mais il s'agit ici de dignité, de droits de l'Homme, de la capacité aussi comme employeur de donner un outil correct de séparation entre l'exécution de peine et la préventive. Ce sont des notions de base et il s'agit simplement de se donner les moyens, dans un canton de 500 000 habitants et une région de près d'un million d'habitants, d'assurer ce pour quoi l'Etat existe aussi, à savoir assurer la sécurité de la population et la crédibilité de l'Etat de droit. C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs, je ne saurais trop vous inciter à voter de façon unanime au minimum ce crédit d'étude qui doit nous permettre d'envisager de sortir de cette crise chronique insupportable qui, à chaque législature malheureusement, émaille la chronique. Jusqu'à quand ? Je vous le demande ! Le moins longtemps possible, parce que un jour ce sera vraiment très sérieux.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons donc au vote sur le projet de loi 11254.
Mis aux voix, le projet de loi 11254 est adopté en premier débat par 42 oui et 36 abstentions.
La loi 11254 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 11254 (nouvel intitulé) est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 40 oui et 36 abstentions.