Séance du vendredi 12 mai 2017 à 18h25
1re législature - 4e année - 3e session - 16e séance

R 804
Proposition de résolution de Mme et MM. Patrick Lussi, Bernhard Riedweg, Stéphane Florey, Marc Falquet, Michel Baud, Christo Ivanov, Norbert Maendly, Christina Meissner, Thomas Bläsi, Eric Leyvraz, André Pfeffer demandant que la gestion des volumes et le prix du lait soient réorganisés et redéfinis avec force obligatoire (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XIII des 28, 29 janvier et 4 février 2016.

Débat

Le président. Nous abordons notre dernier objet, soit la proposition de résolution 804, en catégorie II, trente minutes. Je laisse la parole à son auteur, M. Lussi.

M. Patrick Lussi (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, quand on lit ce texte, on constate que son dépôt date du 15 décembre 2015. La rapidité avec laquelle le Grand Conseil traite son ordre du jour est extraordinaire ! Avant toute chose, il faut donc se demander si ce texte est devenu caduc...

Une voix. Oui !

M. Patrick Lussi. Malheureusement, je dirais que non, voire pire: le problème s'accentue. Pourquoi ? Je vous invite à aller consulter le rapport agricole 2016 de l'Office fédéral de l'agriculture. Le problème s'aggrave en raison d'un terme très UDC - qui, du moins, crée souvent la polémique autour de l'UDC: les quotas laitiers ont été supprimés le 1er avril 2015 au sein de l'Union européenne, ce qui a généré une chute des prix incroyable.

Tout à l'heure, nous avons eu une discussion assez musclée quant à la protection de la nature et de la faune sur un très beau site de notre canton; eh bien, Mesdames et Messieurs, regardez ce qui se passe s'agissant du prix du lait. J'imagine que vous avez tous suivi les reportages télévisés sur ces sortes de fermes usines circulaires où l'on place je ne sais combien de vaches laitières pour les traire. Pourquoi ? Simplement pour des questions de rentabilité. Nous avons déjà connu cette situation avec les poulets en cage, c'est maintenant presque pareil avec les vaches.

Mesdames et Messieurs les députés, il est dommage que ce soit un membre de l'UDC qui vous fasse cette proposition, parce que vous allez dire: «Il cherche encore à fermer nos frontières, même pour ce qui concerne le lait !» Non, ce n'est pas le cas, j'estime simplement qu'on doit laisser travailler nos agriculteurs. D'ailleurs, au-delà de ça, pour ceux qui aiment tant l'Union européenne, eh bien sachez que le problème agricole est loin d'y être résolu - même si nous n'en sommes pas encore au mouvement des Bonnets rouges et autres. Je rappelle à ceux qui cherchent la rentabilité à tout prix ce qui se passe en Bretagne, où l'élevage du porc s'est développé au-delà de toute mesure: le lisier non seulement n'est plus absorbé par le terrain, mais va dans la mer. Voyez seulement: il est pratiquement impossible de se baigner en Bretagne à l'heure actuelle, vous risqueriez de mourir parce que des tonnes d'algues sont amassées le long des plages.

Nous nous trouvons donc face à un vrai problème: est-ce qu'on veut de l'efficience ou protéger notre nature ? Pour protéger notre nature, Mesdames et Messieurs les députés... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...il faut passer par une case que beaucoup désapprouvent à l'UDC - j'en fais d'ailleurs partie - à savoir les subventions. Si nous ne subventionnons pas le monde agricole, il va mourir, il est déjà en train de mourir ! Qu'ont généré les quotas laitiers ? Aujourd'hui, sur le marché européen, on trouve du lait à 42 centimes le litre, allez voir les prix ! Or il faudrait un minimum de 50 centimes le litre pour qu'un paysan suisse puisse survivre. Qu'est-ce que nous demandons ? Que la Confédération, que l'Etat régule...

Le président. Concluez, Monsieur.

M. Patrick Lussi. ...le prix du lait de manière que nos agriculteurs puissent s'en sortir - je vous rappelle que de nombreux paysans fabriquent des produits laitiers à Genève. Nous vous demandons très sincèrement d'accepter cette proposition de résolution.

M. Roger Deneys (S). Monsieur le président, est-ce que vous m'accordez trente secondes hors du temps du groupe pour une annonce d'ordre privé ? Chers collègues, pourriez-vous éviter d'utiliser le bouton «Répondre à tous» pour l'ensemble des courriers électroniques ? (Rires.) Il existe une fonction dans votre messagerie pour ne pas écrire aux cent députés quand vous répondez à un message, ça fera économiser de l'énergie à tout le monde ! (Applaudissements.) Merci beaucoup.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Depuis la suppression des contingents en 2009, le marché suisse du lait a subi une libéralisation sans nom. L'industrie a joué sur les différences de prix entre les importations et la production intérieure, c'est sûr, mais également sur celles entre producteurs - petits, grands, industriels. Avant, nous avions les contingents; maintenant, il nous reste les quotas. Mais les quotas, c'est un peu n'importe quoi: il y a les quotas B, les quotas C, les quotas traditionnels gruyère, les quotas UHT - non, là j'exagère un peu !

En résumé, quand un industriel trouve un gros agriculteur ou quelques petits paysans organisés, il décide d'un prix, souvent le plus bas possible, et ça fonctionne comme ça. Cela implique que les organisations de producteurs, les coopératives doivent se fédérer, ce qui est plutôt bien parce que, sinon, vous ne faites que courir après vos traites - c'est le cas de le dire ! Comme dans toute bonne libéralisation, les coûts de production doivent être réduits au minimum. Il y a des aberrations en Suisse, de grosses exploitations qui vendent du lait à des prix incroyables.

Mais, vous l'avez noté, on relève aussi d'autres paradoxes comme en Nouvelle-Zélande, où les paysans font venir des tribus entières du Zimbabwe pour s'occuper de leurs vaches laitières; la contrepartie, pour ces gens-là, c'est juste de manger et d'être à peu près abrités. Aux Etats-Unis, de nombreuses fermes doivent cesser leur activité parce que même les Mexicains coûtent trop cher, et cette surexploitation de quotas à l'étranger fait que le lait en poudre inonde le marché mondial, y compris chez nous mais surtout dans les pays du Sud, ce qui nous conduit à des situations incroyables à l'échelle internationale.

Mais revenons à la Suisse: nous pensons qu'il est intéressant qu'un canton-ville comme Genève, où nous sommes d'une certaine façon contraints à être consommateurs - mais peut-être bientôt «consommacteurs» ! - envoie une telle résolution à Berne. Nous pourrons ainsi discuter à nouveau et déterminer comment préserver les paysans en Suisse.

Mme Simone de Montmollin (PLR). Chers collègues, cette résolution fait écho à un constat dramatique observé depuis de nombreuses années, celui de la baisse chronique du prix du lait qui a commencé à chuter bien avant 2005, bien avant 2009, ainsi que mes préopinants l'ont dit: il était de 92 centimes en 1999, il est de moins de 50 centimes aujourd'hui, un prix évidemment tout à fait insuffisant pour couvrir les coûts de production eu égard aux conditions strictes de production auxquelles nous nous soumettons. Sur ce marché parfaitement ouvert et international, le prix dépend fortement de ceux pratiqués dans les pays voisins, de la politique européenne tout autant que de facteurs exogènes comme les taux de change, par exemple. Il est donc évident qu'à titre individuel, le producteur ne peut rien pour gérer cette question, qui est véritablement du ressort des interprofessions.

En Suisse, l'interprofession du lait est compétente pour amener des solutions quant à la gestion des volumes et des prix. Or, depuis le dépôt de cette résolution en décembre 2015, de nombreuses étapes ont été franchies: lors d'une assemblée extraordinaire en novembre 2016, elle a adopté des dispositions relatives au négoce afin d'améliorer la transparence sur les volumes et les prix, et ainsi permettre une meilleure adaptation des quantités. Pour garantir une stricte application de ces mesures aux acheteurs et aux vendeurs, et en vertu de l'article 37 de la loi fédérale sur l'agriculture, elle a sollicité le Conseil fédéral pour que ce dernier déclare de force obligatoire le règlement sur le contrat-type et sur les modalités pour l'achat de lait. Cette demande a été reçue par le Conseil fédéral qui l'a publiée officiellement en février, elle est donc en vigueur depuis deux mois.

Si le PLR partage l'inquiétude de l'auteur de cette résolution quant aux difficultés auxquelles fait face ce secteur d'activité et admet qu'il faut absolument tout mettre en oeuvre pour maintenir les productions laitières en Suisse, il constate aussi que l'objectif de la résolution a pour l'instant trouvé une issue positive... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...ce dont on peut se réjouir. Voilà pourquoi il laissera la liberté de vote à ses membres; cela dit, pour soutenir les agriculteurs et les producteurs de notre pays, une partie du groupe acceptera cette résolution.

En conclusion, j'aimerais rappeler que si on veut préserver notre agriculture et nos producteurs, la meilleure chose à faire est encore d'acheter et de consommer du lait suisse...

Une voix. Tout à fait d'accord !

Mme Simone de Montmollin. Le lait GRTA, par exemple, certifié 100% genevois...

Le président. Merci, Madame, c'est terminé.

Mme Simone de Montmollin. ...constitue la réponse à l'une de ces problématiques. Je vous remercie.

M. Jean-François Girardet (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, Mme Simone de Montmollin, en tant que spécialiste de la question, a passablement de choses à dire et nous aurions beaucoup à apprendre de ses compétences, nous pourrions l'entendre encore un moment nous expliquer le contexte actuel du lait et son écoulement dans le canton de Genève. Nous serions prêts à soutenir cette résolution en l'état, mais nous ne voudrions pas le faire sans connaître tous les tenants et aboutissants, puisqu'ils changent pratiquement de semaine en semaine et sont souvent adaptés à la situation.

Les Laiteries réunies de Genève représentent un fleuron de notre économie; cette coopérative se trouve parfois en difficulté, demande des efforts considérables aux producteurs de lait mais arrive aussi à recréer de la richesse, des dividendes. Nous sommes bien conscients qu'à Genève, nous sommes confrontés à l'ensemble du commerce de détail, notamment la concurrence frontalière, et que 50% du lait traité par les Laiteries réunies, des produits GRTA qui ont obtenu le label Swissness, proviennent précisément de la zone franche, l'autre moitié étant en grande partie issue du canton le plus proche, soit celui de Vaud, et une toute petite partie des quatre derniers producteurs de lait dans le canton.

Nous pensons que nous ne pourrons pas résoudre la question laitière ce soir, nous n'avons pas le temps d'analyser tous les éléments en jeu; nous souhaiterions plutôt renvoyer ce texte à la commission de l'environnement et de l'agriculture afin d'aborder ce problème à fond, d'auditionner les représentants des milieux et de prendre une décision de soutien de cette résolution à l'unanimité, si c'est possible. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Vanek.

M. Pierre Vanek (EAG). Mais... il a demandé un renvoi en commission, non ?

Une voix. Oui, il a demandé un renvoi en commission !

Le président. Il s'agit d'une proposition de résolution, Mesdames et Messieurs, donc je lancerai le vote sur la demande de renvoi à la fin du débat.

M. Pierre Vanek. Ah, d'accord, excusez-moi ! Je suis un débutant et je méconnaissais le règlement, je pensais qu'on ne débattait que du renvoi en commission. Mesdames et Messieurs, nous étions prêts à soutenir cette résolution sur le siège, mais je ne m'opposerai pas au renvoi en commission. En effet, la situation dans le secteur laitier est dramatique: les seules à profiter de la libéralisation sont les plus grandes exploitations, c'est-à-dire l'agrobusiness, on observe une disparition systématique d'exploitations paysannes de petite ou moyenne dimension, même le prix minimum du lait évoqué de 50 centimes le litre me paraît incroyablement bas.

Aussi, cette résolution portant initiative à l'attention de l'Assemblée fédérale va dans le bon sens, dans le sens antilibéral qui empêche le PLR de la soutenir, comme il était empêché tout à l'heure, malgré son statut bien connu de défenseur du service public, de soutenir les réseaux postaux en raison de ses convictions libérales. Même si sa porte-parole s'est exprimée pour dire les difficultés existant dans ce secteur, le PLR est empêché de soutenir cette résolution en raison de ses convictions libérales !

Il est indiqué ici que les producteurs plaident pour une gestion nationale de la production de lait et, en effet, il faut une gestion nationale de la production de lait - comme de bien d'autres denrées - qui tienne compte de critères écologiques, sociaux et de souveraineté alimentaire dans ce pays; on ne peut pas être dépendant d'importations de produits alimentaires venant de l'autre côté de la planète. Mesdames et Messieurs, il y aurait bien sûr beaucoup de choses à dire sur le détail de cette proposition mais, sur le fond, elle va dans un sens que nous soutenons absolument. En conséquence, Monsieur le président, si elle n'est pas renvoyée à la commission de l'agriculture, nous la voterons; si elle y est renvoyée, nous en discuterons avec intérêt.

Mme Geneviève Arnold (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, voici à priori une proposition qui pourrait recueillir tout notre intérêt. Nous souhaitons évidemment soutenir les paysans et exploitants de structures productrices de lait dans notre région et plus particulièrement à Genève, nous souhaitons qu'ils soient reconnus pour leur juste travail et correctement rémunérés. Mes propos sont ceux des démocrates-chrétiens, mais j'ose espérer qu'ils reflètent aussi ceux de toutes les fractions ici présentes...

Une voix. Bravo !

Mme Geneviève Arnold. Il est vrai qu'il ne reste que peu de propriétaires de bétail produisant ce lait nourricier, remis au goût du jour si l'on en croit les diététiciens, ce que nous entendons avec plaisir. Le travail est rude, les conditions financières sont difficiles pour ces fermiers, les fermetures d'exploitations le démontrent malheureusement d'année en année.

Pourtant, constatant que le groupe faîtier - je pense à la structure très dynamique des Laiteries réunies de Genève, située à Plan-les-Ouates, qui se bat pour être en adéquation avec les modes de production que défendent les producteurs - n'est pas intéressé par ce texte, je m'interroge. Au final, je préfère suivre les professionnels et porter ma confiance à ceux qui oeuvrent depuis plus d'un siècle à la défense des producteurs. Par conséquent, le parti démocrate-chrétien s'abstiendra sur cette proposition de résolution.

Une voix. Très bien !

Le président. Merci, Madame. Monsieur Dimier, il vous reste quarante-quatre secondes.

M. Patrick Dimier (MCG), député suppléant. Merci, Monsieur le président. Le renvoi en commission est une bonne chose puisque le lait constitue l'un des produits principaux du panier de la ménagère ! Pour être un tout petit peu plus sérieux, on a ici les effets de la mondialisation sauvage: aujourd'hui, les producteurs ne sont pas ceux qui encaissent le produit de leur travail, c'est la grande distribution. Or la logique veut que l'on confie le calcul de pi aux agriculteurs, pas à la grande distribution ! (Rires.)

M. Luc Barthassat, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, large débat que celui du prix du lait payé aux producteurs ! Nous en avons déjà parlé plusieurs fois. Cette résolution propose la réintroduction des contingentements laitiers, c'est-à-dire une maîtrise des quantités de lait produites et prises en charge. Pour mémoire, le contingent fédéral a été abandonné en 2009 dans le cadre des accords internationaux avec l'OMC et bilatéraux avec l'Union européenne.

Mesdames et Messieurs, la réintroduction de contingents n'aurait malheureusement aucune influence sur le marché suisse du lait, il faut en être conscient, car celui-ci est dorénavant réglé selon un marché ouvert aux importations, sans limitations concernant les fromages. Ainsi, une réduction de la production suisse serait automatiquement compensée par des importations supplémentaires qui réduiraient à néant l'effet sur la mesure et le prix du lait payé au producteur.

Contactées de manière informelle par mes services, les Laiteries réunies de Genève estiment qu'une telle proposition ne mène à rien; les producteurs genevois ne devraient donc pas du tout s'offusquer d'un rejet de cette résolution par votre parlement. Concernant ce qui se passe à Berne, puisqu'il s'agit d'agir à ce niveau-là, la motion du conseiller national UDC zurichois Ernst Schibli, qui posait la même question au Conseil fédéral, a été récemment rejetée par l'Assemblée fédérale. Mes services et moi-même vous proposons donc de ne pas entrer en matière sur ce texte. Merci.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, je lance tout d'abord le vote sur la demande de renvoi à la commission de l'agriculture; si celle-ci est refusée, je vous soumettrai la prise en considération de la résolution.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 804 à la commission de l'environnement et de l'agriculture est rejeté par 47 non contre 36 oui et 4 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote.)

Mise aux voix, la résolution 804 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale par 74 oui contre 1 non et 10 abstentions.

Résolution 804