Séance du jeudi 29 août 2013 à 17h
57e législature - 4e année - 10e session - 65e séance

M 2127
Proposition de motion de Mme et MM. Marc Falquet, Patrick Lussi, Bernhard Riedweg, Christina Meissner, Christo Ivanov : Le Service de protection des mineurs au centre d'un système bureaucratique dépassé : pour le bien des familles et des collaborateurs, une réforme s'impose !

Débat

Le président. Nous sommes maintenant au point 24 de l'ordre du jour, la motion 2127. Il s'agit d'un débat de catégorie II, trois minutes par groupe. La parole est à M. le motionnaire Marc Falquet.

M. Marc Falquet (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, tout d'abord je dédie cette motion aux victimes de l'administration... (Brouhaha.) ...qui n'arrivent pas à se faire entendre dans de nombreux cas, ainsi qu'aux victimes de la justice civile qui se reconnaîtront.

Si j'ai déposé cette motion, c'est parce que pendant vingt-cinq ans j'étais à la police judiciaire et à la gendarmerie, et que souvent j'étais pris en otage par le service de protection des mineurs dans des affaires qui m'ont révolté quant aux méthodes utilisées face aux familles. Suite au cas de la petite fille décédée dans sa chambre il y a quelques années, des directives ont été données au service de protection des mineurs pour leur dire qu'on ne voulait plus aucune bavure, que ce serait la tolérance zéro ! Donc on agit par préventionnisme aigu sur les familles, et aujourd'hui le SPMi ne veut prendre aucun risque pour éviter de se retrouver dans des situations délicates où on pourrait lui reprocher des manquements, comme dans le cas de cette petite fille. Relevons quand même que si la maman n'avait pas avisé le SPMi à l'époque, c'était parce qu'elle craignait déjà ce service et qu'elle avait peur qu'on lui enlève son enfant. C'est donc déjà une responsabilité du service de protection des mineurs.

On se rappelle, Mesdames et Messieurs, que la Suisse s'est excusée pour des enlèvements abusifs d'enfants entre 1940 et 1980. Cette époque est bien entendu terminée, mais je me demande si l'état d'esprit qui prévalait alors n'est pas toujours vivant, et si ses racines ne sont toujours pas actives ! Cette tendance est manifeste au service de protection des mineurs; il s'avère que ce service a, en fait, tous les droits. Il a plus de droits que la police... (Brouhaha.) ...il a plus de droits que la justice, puisqu'il suggère des mesures à la justice civile - c'est comme si la police suggérait à la justice de mettre trois mois de prison à quelqu'un - et la justice civile, généralement, acquiesce, puisqu'elle n'a pas les moyens d'aller contrôler si ce que le service de protection des mineurs affirme est vrai. Lorsque des familles en situation précaire demandent de l'aide au service de protection des mineurs, en général, tout se passe officiellement - entre guillemets - bien parce que ces familles sont très dociles, de peur qu'on leur enlève leur enfant. Elles se voient coller l'administration durant des années, avec des va-et-vient à n'en pas finir dans différents services, avec des rendez-vous le samedi et des tracasseries immenses. Par contre, lorsqu'une famille qui peut avoir des moyens remarque qu'on s'immisce dans ses affaires privées de manière disproportionnée et décide de se défendre, alors là c'est l'enfer qui commence pour elle. La première chose que le service de protection des mineurs fait, en général, c'est évidemment de judiciariser l'affaire, d'en référer au tribunal dit de protection de l'adulte et de l'enfant qui pourtant comprend des psychiatres et des psychologues, et souvent de suggérer des mesures de contrainte qui vont parfois...

Le président. Monsieur le député, excusez-moi ! Juste pour vous dire que vous prenez actuellement sur le temps de votre groupe.

M. Marc Falquet. Je peux le faire ? (Brouhaha.)

Le président. Vous pouvez, mais vos collègues ne pourront plus rien dire ! Poursuivez, Monsieur le député.

M. Marc Falquet. Bien, je continue. Donc on judiciarise les affaires de manière inutile, alors que ces familles ont souvent juste besoin d'une aide, peut-être d'une aide à la maison. Mais parce que ces gens ne veulent pas collaborer avec l'administration - de façon justifiée, car il n'y a pas de raison que l'administration vienne s'immiscer dans leurs affaires - il suffit que ça soit des ouï-dire et elles sont punies. Des expertises psychiatriques sont effectuées, donc non seulement on soumet les gens à la justice mais on les psychiatrise ! Ça, c'est le sommet ! Des gens qui n'ont jamais eu affaire à la psychiatrie se voient créer un dossier psychiatrique, on nomme un expert-psychiatre, qui va psychiatriser ces gens, leur trouver toutes sortes de tares. Rien de constructif, rien de positif dans ces expertises, qui sont uniquement à charge des familles et servent à corroborer les décisions... (Brouhaha.) ...et le bon vouloir du service de protection des mineurs. Tout ce que je dis je l'ai vécu, donc je me sens à l'aise pour en parler.

Donc, ce que je demande...

Le président. Monsieur le député, je suis désolé. Normalement vous aviez trois minutes, et vous avez pris quasiment tout le temps de votre groupe...

M. Marc Falquet. Déjà !

Le président. ...donc j'aimerais vous demander de conclure, maintenant. Mais vraiment de conclure !

M. Marc Falquet. Alors je termine, Monsieur le président. Face à ces nombreux dysfonctionnements, je demande tout simplement qu'on transmette cette motion à la commission des Droits de l'Homme pour qu'on évalue si ce que je dis est vrai.

Le président. Vous demandez donc le renvoi à la commission des Droits de l'Homme ?

M. Marc Falquet. Oui, renvoi à la commission des Droits de l'Homme pour évaluer le contenu de cette motion. Je vous remercie beaucoup !

Mme Esther Hartmann (Ve). A titre personnel, ayant eu dans ma famille des personnes qui ont fait partie des enfants arrachés à leur famille d'origine pour des raisons plutôt politiques qu'autre chose - je pense par exemple à la situation des Yéniches ou à d'autres situations - je pourrais, à première vue, soutenir cette motion. Mais il ne faut pas jeter l'eau du bain... (Commentaires.) Le bébé avec l'eau du bain ! Le SPMi...

Le président. Vous vous adressez à moi, Madame la députée.

Mme Esther Hartmann. Le SPMi a une vraie utilité, et il est extrêmement important que l'on puisse retirer des enfants de leur famille quand ils sont mis en danger. Mais le SPMi ne fait pas seulement ça; il y a les mesures en milieu ouvert, grâce auxquelles on aide les familles avec des mesures éducatives, il y a des propositions d'accompagnement, il y a des mesures qui s'arrêtent. Retirer un enfant à une famille c'est la dernière des mesures qui est prise, et c'est généralement un constat d'échec. Nous ne pouvons accepter cette motion telle qu'elle est formulée; nous aurions pu éventuellement accepter la demande d'amélioration des conditions de travail du personnel du SPMi, mais la suite, qui met en doute la compétence d'une hiérarchie, nous ne pouvons pas l'accepter. Je vous remercie pour votre écoute.

M. Renaud Gautier (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, ce parlement est habitué à parler de tout et de n'importe quoi - on en a eu différents exemples aujourd'hui - mais là, je crois que nous avons franchi des limites que nous ne devons pas franchir. Nous parlons de cas très particuliers, qui sont en règle générale traités par des professionnels de la question. Je n'entends pas revenir sur le flot d'accusations contenu dans cette motion, mais je voudrais juste relever un point: dans la très fameuse et très triste histoire dite du bébé de Meyrin, la commission des visiteurs s'est trouvée au centre d'un ensemble de problèmes concernant cette question bien particulière. Il s'est avéré, après différentes enquêtes faites soit par l'Etat soit par différentes entités, que l'on ne pouvait pas accuser particulièrement celui-ci ou celui-là, mais qu'il s'agissait de ce qu'on appelle les chaînes de causalité, à savoir un ensemble de petits dysfonctionnements qui créent une catastrophe. Je me refuse, dans ce parlement, à qualifier le travail professionnel de gens qui ont par définition à traiter les problèmes de la douleur, des problèmes qui relèvent effectivement de situations particulièrement compliquées. Et je ne suis pas d'accord, ici, que l'on condamne l'entier d'un service au prétexte que l'on a pu entendre ici ou là quelque histoire qui ne va pas. D'une manière générale le SPMi fait un travail compliqué et difficile, il nous casse régulièrement les pieds quand il ne veut pas déménager mais indépendamment de cela, nous devons être fiers du travail qu'effectue ce service pour le bien des enfants dont il s'occupe. Je vous recommande donc très vivement de renvoyer cette motion là d'où elle n'aurait jamais dû sortir, à savoir la poubelle.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Cette motion touche à une problématique cruciale et délicate: comment documenter et gérer le bien de l'enfant dans des situations de crise, et quand le bien de l'enfant est-il mis en danger ? Où mettre le curseur de l'intervention de l'Etat pour sauvegarder l'enfant ? Quels critères appliquer ? Mesdames et Messieurs les députés, ce Grand Conseil, cette république, se sont dotés il y a déjà longtemps d'un service de la protection des mineurs, à qui nous attribuons cette mission difficile. Et je tiens ici à réitérer notre confiance, en tout cas celle des socialistes, à ce service. Certainement, Monsieur Falquet, avez-vous vécu et entendu, dans votre vie, des choses difficiles; ce n'est pas une raison pour en faire une généralité. Et j'aimerais apporter quelques considérations ici: contrairement à ce que vous dites, il y a de nombreux parents, dans cette république, qui n'entrent pas dans les exemples que vous donnez. Ceux-ci trouvent auprès du SPMi un soutien lors d'un moment difficile de l'éducation de leurs enfants. La totalité des professionnels du SPMi sont compétents et s'impliquent de manière importante dans leur travail, souvent d'ailleurs à y laisser leur santé. On peut en discuter, mais j'estime que les moyens mis à disposition, outre les locaux, sont insuffisants; il n'y a pas assez de places dans les foyers - et ce ne sont pas les foyers qu'il faut condamner ! - en particulier pour les petits; les places disponibles au niveau du service itinérant et éducatif pour des prises en charge et des aides dans les familles sont également insuffisantes, il y a une liste d'attente de plusieurs mois. Chaque retrait d'enfant de sa famille est un acte douloureux, un acte difficile, et je crois qu'il faut avoir du courage, en tant qu'assistant social, pour oser le faire. Et ils le font non pas parce que la famille fait ci ou ça, mais juste parce que l'enfant, à un moment donné, est en danger. Il y a des situations où des enfants le sont, c'est pour cela que le SPMi a des prérogatives au-dessus de la police, avec des clauses de sauvegarde, des clauses de crises, et nous considérons que c'est indispensable si nous voulons mener une politique de bien de l'enfant. La priorité des professionnels, dans ce domaine d'intervention sociale, devrait être sans aucun doute le sens de leur travail, et la question de savoir où est la limite de ce qui est acceptable dans une famille, en termes éducatifs, et à partir de quel moment l'enfant doit être retiré. Et ce service devrait être axé principalement, voire dans sa grande majorité, sur un travail dans ce sens...

Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée.

Mme Lydia Schneider Hausser. ...plutôt que sur des procédures administratives qui deviennent de plus en plus lourdes. Pour conclure, j'aimerais dire que quelquefois il est vrai que l'enfant ne peut pas retourner à son domicile parce que le logement n'est pas acceptable. Mais ce qui n'est pas acceptable, ce n'est donc pas la décision de l'assistant social de refuser que l'enfant retourne chez lui !

Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée, vous ne m'avez pas entendu !

Mme Lydia Schneider Hausser. Oui ! Ce qui est inacceptable, c'est qu'on ne puisse pas faire en sorte, au moment où l'enfant pourrait retourner à son domicile, que le SPMI ait une priorité pour pouvoir attribuer un logement plus grand à certaines familles. Voilà, je voulais conclure là-dessus, et quoi qu'il en soit nous gardons toute notre confiance dans le travail fait par le SPMi.

Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, lorsque les émotions personnelles l'emportent sur le rôle des institutions, le politique sort de sa fonction. Je ne mets pas en doute la sincérité des émotions des motionnaires, mais ce n'est vraiment pas notre rôle que de juger du travail des institutions et des professionnels qui les incarnent. Je peux aussi dire que depuis vingt-cinq ans, vingt-huit ans, que je collabore avec le SPMi, dans 99% des cas je peux amener la preuve du contraire de ce qu'évoquait le motionnaire. Nous devons continuer à faire confiance à ce service, parce que dans 99% des cas ils ont raison de retirer des enfants de leur famille; dans certains cas ils ont raison de faire intervenir des psys, ils ont raison de mettre en place ce qu'ils mettent en place pour la sécurité des enfants et pour permettre à ces derniers de continuer à se développer. La famille, c'est quelque chose d'exceptionnel, d'extraordinaire; vous pensez bien, Monsieur le président, qu'en tant que membre du parti démocrate-chrétien, je ne vais pas vous dire le contraire ! Eh oui, mais il y a quand même des familles dangereuses. Et le SPMi est là pour protéger les enfants, pour soutenir les familles, pour leur permettre de pouvoir redevenir compétentes si, à un moment donné, elles ne l'ont pas été. Et c'est dans ce sens-là que nous devons continuer à assurer ces institutions essentielles pour notre république de notre confiance et de notre soutien.

M. Pierre Conne (R). Les motionnaires ont rédigé ce texte en des termes inacceptables, pour ne pas dire diffamatoires. Plus simplement dit, ils tirent sur l'ambulance, ou ils caillassent les pompiers. Je pense qu'il faut faire la part des choses: le problème de fond, c'est qu'il existe des familles malades ! Et ces familles malades, malheureusement, se retrouvent à un moment donné dans des situations telles que le SPMi, dont c'est la tâche, doit intervenir avec les moyens qui sont les siens. Et des interventions, dans ce genre de cas, sont extrêmement douloureuses pour les familles, qui effectivement sont déjà dans des situations difficiles. Donc ce qu'il faut lire entre les lignes, même si c'est exprimé à travers des propos absolument inacceptables, c'est la traduction de la souffrance de ces familles. Le PLR, comme cela a déjà été dit par mon préopinant le député Renaud, veut soutenir et saluer le travail du SPMi, pouvoir si nécessaire renforcer ses moyens, mais ne veut en aucun cas aller dans le sens proposé par les motionnaires, c'est-à-dire d'édicter un acte d'accusation contre le SPMi.

M. Jean-Marie Voumard (MCG). Tout d'abord je tenais à féliciter la ténacité du motionnaire: nous avons eu droit à la question 55-A sur les dérapages et les abus du service de protection des mineurs, nous avons eu droit à la question 3696 de nouveau au sujet du SPMi, et maintenant nous avons la motion 2127. Le MCG ne peut simplement pas tolérer cette motion et ne va pas la suivre, pour toutes les raisons qui ont été évoquées précédemment. Effectivement, il peut y avoir des problèmes qui surgissent, mais on ne peut pas mettre toutes les fautes sur le SPMi. Je pense notamment aux foyers: il y a des foyers non mixtes, il y a des foyers où il y a un élargissement de l'âge des pensionnaires, donc il est clair que les familles, les fratries, ne peuvent pas toujours être ensemble. De plus, concernant les considérants de la motion, j'invite le motionnaire M. Marc Falquet - vous transmettrez, Monsieur le président - à se référer à sa question 3696, à laquelle le Conseil d'Etat a donné une réponse claire.

M. Charles Beer, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais en tout premier lieu remercier l'ensemble du Grand Conseil pour les moyens qui ont été octroyés au service de protection des mineurs dans le cadre du budget 2013. Je pense non seulement à la création de quatre nouveaux postes, mais à la régularisation de quatorze postes qui étaient sur une ligne en francs, ce qui fait au total dix-huit nouveaux postes pour le service de protection des mineurs.

Le deuxième élément, comme vous le savez, vous avez pris des décisions au cours de l'année précédente qui concernent les assistances en milieu éducatif ouvert; c'est un point extrêmement important qui complète le dispositif d'aide. Ce que j'aimerais dire aussi, c'est que vous nous avez soutenus - pour la majorité d'entre vous - à l'occasion d'un déménagement qui a fait couler beaucoup d'encre. Il est réalisé cette semaine, et je tiens évidemment à vous en donner la nouvelle. C'est un aspect qui est important du point du vue du fonctionnement du SPMi.

Nous sommes très loin, bien évidemment, de la motion qui nous est proposée, qui jette de façon inacceptable le discrédit sur un service, sur des professionnels, et en tant que chef du département je tiens à dire mon exaspération quand se produit ce type de manifestation. Tout particulièrement dans un esprit qui est celui de voir cesser régulièrement les mises en cause des travailleurs sociaux, qui ont une mission extrêmement difficile à réaliser dans le cas de la protection des mineurs. Parce que chaque fois qu'un enfant est battu, chaque fois qu'un enfant, finalement, manque de protection, ces travailleurs peuvent être mis en cause, et chaque fois qu'un parent conteste les mauvais traitements ils le sont également, y compris de façon diffamatoire par quelque personne égarée dans ce parlement. Je tenais à le dire, pour que nous pussions manifester une grande confiance dans le service de protection des mineurs en renvoyant cette motion effectivement là d'où elle n'aurait jamais dû sortir, c'est-à-dire du néant.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Monsieur Falquet, est-ce que vous maintenez votre demande de renvoi à la commission des Droits de l'Homme ? (Le député Falquet acquiesce). Bien. Mesdames et Messieurs les députés, je vous fais donc voter le renvoi à la commission des Droits de l'Homme.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2127 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est rejeté par 51 non contre 6 oui et 6 abstentions.

Le président. Je mets maintenant aux voix la prise en considération de cette motion.

Mise aux voix, la proposition de motion 2127 est rejetée par 52 non contre 3 oui et 8 abstentions.