Séance du
jeudi 15 novembre 2012 à
17h
57e
législature -
4e
année -
1re
session -
1re
séance
E 2012
Le président. Madame la députée Mathilde Captyn, vous avez la parole.
Mme Mathilde Captyn (Ve). Monsieur le président - pour la dernière fois ! - à l'heure de changer de président, je me dois, au nom des Verts, de te remercier, cher Pierre Losio. Ta présidence de ce parlement a commencé directement dans un contexte difficile, avec une première session où nous avons traité la loi sur la gouvernance pour laquelle plus de cinquante amendements ont été déposés; bref, ce fut une tentative de blocus parlementaire qui n'a pas été simple à gérer.
Mais ce n'est pas sur ces épreuves que je voudrais me concentrer ce soir. C'est en revanche sur ton côté artistique, que je souhaite relever. Cette année, chaque manifestation que tu as menée a été accompagnée de musique. Tu as su profiter de chaque possibilité pour donner la place à des artistes à l'Hôtel de Ville et aux endroits où la présidence s'est rendue. Tu nous as montré aussi tes goûts en la matière, jusque dans les nouvelles peintures des salles de commissions. Parce que tu as su tenir le cap, parce que tu as coloré d'art ton passage à la présidence, au nom de tous, cher Pierrot, je te remercie. (Applaudissements.) J'aimerais tout de même ajouter une dernière chose: je te souhaite, avec un jour de retard, un très joyeux anniversaire ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Pour l'élection d'une ou d'un président du Grand Conseil, la parole est à M. Charles Selleger.
M. Charles Selleger (R). Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de vous remercier à mon tour de tout le travail que vous avez effectué au cours d'une année de législature qui ne fut pas des plus calmes.
Mesdames et Messieurs les députés, au nom du groupe radical, j'ai l'honneur de vous présenter la candidature de notre ami Gabriel Barrillier à la présidence du Grand Conseil. Gabriel Barrillier, élu en 2001, a notamment présidé les commissions des travaux, d'aménagement, ainsi que la commission législative. C'est un homme de consensus qui est apprécié de tous, et c'est surtout un homme d'une grande culture politique. Il s'est notoirement engagé sur les thèmes de la formation professionnelle, de l'enseignement, de la petite enfance et du logement. Je vous recommande donc vivement la candidature de M. Gabriel Barrillier à la présidence du Grand Conseil.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous allons procéder au vote, je vous prie donc de regagner vos places, Mesdames et Messieurs les députés. Je demande aux huissiers de distribuer les bulletins de vote. Pendant toute la procédure de vote, les photographes sont invités à ne pas prendre de clichés. (Les députés remplissent leur bulletin de vote.)
Les votes sont terminés. Les huissiers vont récolter les bulletins. Le scrutin est clos. Je prie M. Droin ainsi que les scrutateurs de bien vouloir se rendre à la salle Nicolas-Bogueret pour procéder au dépouillement. En attendant le résultat de l'élection, je suspends la séance.
La séance est suspendue à 17h54.
La séance est reprise à 17h59.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous prie de regagner vos places. (Un instant s'écoule.) Veuillez vous asseoir, s'il vous plaît !
Résultats de l'élection du président du Grand Conseil:
Bulletins distribués: 96
Bulletins retrouvés: 96
Bulletin blanc: 1
Bulletins nuls: 6
Bulletins valables: 89
Majorité absolue: 45
Est élu: M. Gabriel Barrillier (R), avec 89 voix. (Exclamations. Longs applaudissements. L'assemblée se lève. Mme le sautier embrasse M. Gabriel Barrillier et lui offre un bouquet de fleurs.)
Discours de M. Pierre Losio, président sortant
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas sans émotion que je quitte la fonction que vous m'avez confiée, car si j'ai vécu une année parfois animée et tumultueuse, j'ai aussi vécu une année passionnante au service de notre parlement.
Un coup d'oeil rétrospectif me permet de répéter ce que je disais dans mon allocution d'investiture à l'intention de celles et ceux qui se gaussent de la longueur de nos débats: les députés et députées travaillent et ils travaillent beaucoup. A fin avril, par exemple, il ne restait que 11 objets anciens reportés, le plus bas niveau atteint depuis dix ans.
Quelques chiffres illustrant votre travail, notre travail. Nous avons traité pendant cette année pas moins de 1105 objets: 16 initiatives populaires, 303 projets de lois, 41 résolutions, 186 motions, 84 pétitions, 68 rapports divers et 7 rapports de grâce. En outre, 219 interpellations urgentes écrites ainsi que 49 questions écrites ont été déposées. Parmi tous ces textes, je voudrais mettre en évidence des sujets importants tels que l'organisation des institutions de droit public, l'aide sociale individuelle, la loi sur le chômage et la fusion des caisses de pension. Nous avons également procédé à 81 élections et 51 prestations de serment.
Je tiens aussi à relever la mise au point d'une nouvelle procédure concernant l'étude en plénière des comptes consolidés de l'Etat liée à l'examen des politiques publiques. On peut sans forfanterie affirmer que l'exercice fut réussi: chaque groupe politique s'est exprimé dans le respect d'une attribution forfaitaire du temps de parole et le recours à la motion d'ordre n'a pas été invoqué comme ce fut souvent le cas les années précédentes.
Autre constat statistique moins réjouissant: la tendance à la judiciarisation de la vie politique se confirme; actuellement, 16 recours contre des décisions du Grand Conseil sont en traitement et, fait nouveau, on trouve parmi les recourants des entités de l'Etat. Cela entraîne un surcroît de travail pour notre secrétariat général et des coûts assez élevés en consultations juridiques et divers avis de droit.
Année passionnante, disais-je, année de rencontres, notamment avec la communauté internationale à l'occasion d'une soirée musicale fort prisée par nos invités - une tradition désormais bien ancrée. Pour marquer notre attachement au lien confédéral nous avons reçu, également en musique, les membres du Bureau du parlement de Bâle-Ville. Nous avons participé en terre fribourgeoise à l'annuelle réunion des Bureaux de la Suisse romande et du Tessin, sur le thème «Grand Conseil et médias».
Sur proposition d'un membre du Bureau, M. le député Eric Bertinat, nous avons effectué une visite d'étude à Lyon pour découvrir un quartier en pleine mutation, Lyon Confluence, ainsi que les aménagements des berges du Rhône; nous avons pu à cette occasion nous entretenir et questionner les responsables de l'Office de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire du Grand Lyon ainsi que les responsables des transports publics. Deux jours de riches réflexions sur la problématique du développement d'une agglomération.
En ce qui concerne nos locaux de réunion, je tiens à mentionner l'installation d'oeuvres d'artistes genevois dans les salles de commissions du Grand Conseil ainsi qu'à la salle Petitot.
J'ai également été associé à la programmation de la journée des Portes Ouvertes de l'Hôtel de Ville qui fut, malgré le temps maussade, une manifestation appréciée, bien fréquentée et remarquablement organisée par la chancellerie et notre secrétariat général. On a pu notamment revoir ou découvrir la maquette de ce que sera la nouvelle salle du Grand Conseil. A ce propos, les travaux préparatoires à la rénovation de la salle du Grand Conseil et des accès publics à l'Hôtel de Ville ont fait l'objet d'un suivi constant tout au long de l'année: les délais ont été tenus et ont abouti, fin septembre, avec le dépôt de la requête en autorisation de construire. Je tiens à relever l'excellente et efficace collaboration du service des bâtiments du département de l'urbanisme avec le groupe de suivi piloté par Mme le sautier. Des incertitudes planent encore actuellement sur le calendrier des travaux de l'ouvrage. Elles devraient être clarifiées et, souhaitons-le, probablement levées au printemps prochain. La constitution que le peuple genevois vient d'accepter prévoit expressément à son article 16 que «l'accès des personnes handicapées aux bâtiments, installations et équipements, ainsi qu'aux prestations destinées au public, est garanti». Le bon sens voudrait donc que le bâtiment le plus emblématique des autorités exécutives et législatives fût valorisé dans les crédits de programme et devienne ainsi l'exemplarité de l'attention que nous porterons aux personnes à mobilité réduite, en parfaite conformité avec l'esprit et la lettre de notre constitution.
Mon prédécesseur, le président Gautier, avait fait entrer la société civile dans notre parlement. Ce fut un succès. J'ai choisi pour ma part d'aller à la rencontre de la démocratie locale en rendant visite à une bonne douzaine de Conseils municipaux. Tous m'ont réservé un accueil chaleureux. Je souhaitais apporter à ces élus communaux le message de reconnaissance qu'ils méritent pour leur engagement. Au cours de ces séances, j'ai pris la mesure de leurs préoccupations, du relais démocratique immédiat et désintéressé qu'ils entretiennent avec leurs communiers et surtout de l'indispensable service républicain de proximité qu'ils assument avec une constante qualité d'écoute et de disponibilité.
Une année de présidence passe aussi par des moments de grande solennité: la prestation de serment du procureur général, d'un conseiller d'Etat et, surtout, l'accueil de celles et ceux qui ont fait le choix de devenir nos compatriotes. J'ai ressenti lors de ces cérémonies l'invisible mais forte présence symbolique de nos institutions et surtout le respect qu'on se doit de leur témoigner. Elles représentent le socle dur de notre «vivre ensemble» et garantissent le bien le plus précieux que nous avons la chance de pouvoir partager: la démocratie. Ces institutions ont été passablement chahutées au cours des mois écoulés. Tous les pouvoirs en ont été secoués: secret de fonction écorné à maintes reprises, rapports ou procès-verbaux divulgués, dérapage en séance plénière du parlement entraînant des sanctions, démissions de magistrats, agressivité et dénigrement à l'égard de conseillères d'Etat, incidents répétés à la Cour des comptes.
Si j'ai eu beaucoup de plaisir à présider les séances plénières, bel exercice de tension et de concentration qui permet de voir mûrir une décision, se profiler une improbable et étonnante majorité ou de déguster discrètement d'élégantes envolées, je dois cependant avouer que, face à certains propos excessifs, violents et même insultants, un doute teinté d'amertume s'est parfois insinué en moi et qu'il a pu entamer ma détermination impartiale à mener nos copieux ordres du jour à bon port.
La tonalité du débat politique a pris trop souvent dans cette enceinte une tournure inquiétante. La pérennité de nos institutions n'est certes pas remise en cause, mais l'image en est sévèrement ternie auprès de celles et ceux qui nous élisent, qui travaillent, qui entreprennent à Genève, qui cherchent désespérément un emploi, un logement.
L'unité citoyenne qui doit nous rassembler autour de valeurs fondamentales laisse apparaître des fissures. Un sursaut de civilité s'impose; non pas une civilité consensuelle et bêlante mais une civilité responsable qui, dans l'affirmation de la diversité de nos opinions, redonne lustre, crédibilité et dignité à notre travail politique. L'indispensable et vitale confrontation des idées peut et doit s'exercer dans des formes qui prennent avec considération et respect l'altérité de l'adversaire, car elle est une source d'enrichissement dans la contradiction.
Avant de reprendre ma place parmi vous, je tiens à saluer mes collègues du Bureau pour leur disponibilité et la contribution qu'ils ont apportée à l'élaboration de nos décisions dans des moments parfois difficiles. Antoine et Antoine, Eric et Eric, Fabiano et Gabriel, un grand merci d'avoir parcouru ce chemin avec moi; il a tissé des liens et des complicités qui ne s'oublient pas.
Je voudrais enfin mettre à l'honneur le magnifique travail de tous les collaborateurs et collaboratrices du secrétariat général du Grand Conseil. Passe le temps, sonnent les heures, passent les présidences, le sautier demeure ! (Rires.) Chère Madame, vous avez été une référence de tous les instants; votre compétence, votre expérience, votre aplomb, votre patience, votre bonne humeur et surtout cette compréhension instinctive de la vie parlementaire m'ont été précieux. Vous avez su tempérer mes emportements, apaiser mes moments de dépit et alimenter mes réflexions par vos conseils d'une clarté visant toujours à l'essentiel: servir le parlement, ses intérêts, faciliter son travail, améliorer son fonctionnement. C'est avec reconnaissance que je vous adresse mes remerciements les plus chaleureux. J'associe à ces remerciements M. Koelliker, votre directeur général adjoint, dont la qualité de plume, l'expertise en procédure parlementaire et la pertinence des avis n'ont d'égal que sa discrétion.
Mesdames et Messieurs les députés, dans le respect des institutions et des élus de la république, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées. Vive Genève ! Vive la République ! (Longs applaudissements. L'assemblée se lève.)
Des voix. Bravo !
Le président. Cher Gabriel, je te remets la clé du bureau et je te prie de procéder ! (M. Pierre Losio remet une clé à M. Gabriel Barrillier et quitte le perchoir.)
Présidence de M. Gabriel Barrillier, président
Discours de M. Gabriel Barrillier, nouveau président
Le président. Monsieur le président sortant, cher Pierre Losio, Mesdames et Messieurs les députés, en premier lieu j'adresse mes félicitations et ma gratitude à Pierre Losio, qui a accumulé durant son année de présidence la plupart des embûches, chausse-trapes, incidents, voire dysfonctionnements institutionnels pouvant s'abattre, telles les sauterelles, sur la république et son premier pouvoir. Pierre et moi avons cheminé ensemble à deux reprises: la première s'est déroulée pendant l'année de la «matu» à l'école de commerce de St-Jean; la seconde s'achève maintenant au perchoir. Entre-temps nous nous étions complètement perdus de vue. Ainsi va la vie... Il a fait front et tenu le navire, ou plutôt la barre, en évitant que le navire ne sombre. (Exclamations.) Je suis très ému et vous remercie de cette magnifique élection, j'ai oublié de vous le dire au début de mon intervention ! (Rires.)
Pierre, ton objectif était de restaurer le respect des institutions. Tu as martelé ce message en toutes occasions, en particulier en assistant aux séances des Conseils municipaux d'une douzaine de communes. Ton initiative - à laquelle j'ai participé également - a été fort appréciée et a contribué à mieux faire connaître et respecter le Grand Conseil tout en revalorisant le rôle des élus communaux.
Tu as accompli ta mission et ton mandat au plus près de ta conscience, même si durant ces dernières semaines quelques soucis de santé ne t'ont pas facilité la tâche. Tu as tenu bon le gouvernail. Nous t'en sommes très reconnaissants. Merci Pierrot !
Le 14 octobre dernier, le peuple a accepté une nouvelle constitution qui entrera en vigueur le 1er juin 2013. Au crépuscule de cette 57e législature de la constitution fazyste ou radicale de 1847, vous venez d'élire un 127e et dernier président, lui-même élu en 2009 sur une liste... radicale ! La boucle est ainsi bouclée ! (Rires.)
Le 1er juin prochain, en même temps que la commémoration du débarquement des Suisses au Port Noir, je deviendrai aussi le premier président du Grand Conseil de la VIe République, selon une généalogie que je n'ai pas pris soin de soumettre à Bernard Lescaze ! (Rires.) La voici:
- Ire République: par les Ordonnances civiles de Jean Calvin en 1543;
- IIe République: imposée par la France par un «acte de médiation» en 1738;
- IIIe République: constitution de 1794 issue des troubles révolutionnaires et abrogée durant l'annexion de Genève à la France;
- IVe République: en vertu de la constitution dite «réactionnaire» entrée en vigueur en 1814 à la Restauration mais qui marque le retour de l'indépendance puis l'adhésion fort heureuse à la Confédération suisse;
- Ve République: depuis le 25 mai 1847, date de l'entrée en vigueur de la constitution actuelle, fondée sur «la liberté humaine et la justice sociale».
Ce petit exercice d'archéologie historique m'a aussi permis de mettre le doigt sur deux similitudes entre notre époque et celle du milieu du XIXe siècle. L'absentéisme d'abord: je ne sais pas si nos illustres prédécesseurs étaient tous à la buvette, mais figurez-vous que seuls trente-six députés sur cent ont voté en 1848 la nouvelle Constitution fédérale. En général, environ 40% des députés prenaient part aux votes; parfois une quinzaine seulement. Et pourtant les «extraits» n'existaient pas à l'époque... L'autre similitude: les débats-fleuves. La loi sur l'instruction publique, Monsieur Beer, première du genre, a mobilisé en 1872 trois sessions, soit 37 séances. Mais il est vrai que cet objet était d'importance.
Autre constat: chaque nouvelle étape constitutionnelle a en principe marqué un élargissement de la participation démocratique et renforcé les pouvoirs du Grand Conseil par rapport au Conseil d'Etat. Je ne sais pas et ne me hasarderai pas à prédire ce qui va se passer sous l'empire du nouveau texte.
S'agissant du travail gouvernemental de l'époque et sur la base du compte rendu administratif pour l'année 1848 du Conseil d'Etat, je ne peux m'empêcher de citer l'extrait suivant, en précisant que toute ressemblance avec l'actualité ne serait que fortuite: «On dit que ce qui a été employé à combler les déficits et les nouvelles dépenses prescrites par la Constitution était de l'argent perdu et qui grevait inutilement l'avenir. Quant aux sommes dépensées ou à dépenser encore en travaux publics, celles-là sont bien placées, et le pays en retire plus qu'il ne paye pour elles, surtout si l'on a pu le faire, comme on l'a fait à Genève, sans augmenter les impôts.» Fin de citation. (Rires. Applaudissements.)
Mesdames et Messieurs les députés, l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution nous imposera un surcroît de travail durant plusieurs années. Il s'agira de reporter dans le corpus législatif les nouveautés et adaptations que renferme ce texte. Ce travail viendra s'ajouter aux affaires courantes déjà fort nombreuses et vitales pour notre avenir, et ce durant une année électorale. Il s'agira de voter très vite les modalités d'application des dispositions sur les députés suppléants et de redéfinir l'exercice de la haute surveillance, objet d'une brûlante actualité... En ce sens, Mesdames et Messieurs les députés, le Grand Conseil est bien le premier pouvoir. Y siéger exigera de nous, de vous, davantage d'engagement, davantage d'efforts, de travail, de tenue et surtout de respect mutuel dans l'accomplissement du mandat qui prendra fin en octobre 2013. Je sais pouvoir compter sur des parlementaires ayant conscience de leur mission qui découle de la haute autorité du peuple «qui nous a confié ses destinées».
Privilège du discours d'investiture, j'aimerais encore vous livrer quelques considérations plus personnelles. A de rares exceptions près, Genève est toujours parvenue, et parfois non sans soubresauts assez violents, à trouver son équilibre et une place de choix dans le monde en accueillant des populations et des personnalités fort diverses. Cette capacité d'intégration dans le corps social a principalement reposé jusqu'ici sur le respect de la personne en toutes occasions et sur la nécessité de garantir l'égalité des chances par un effort soutenu et prioritaire en matière de formation. Je souhaite vivement que notre république, patrie de l'auteur du «Contrat social», poursuive dans cette voie d'équilibre et d'harmonie malgré la malice des temps, mais je crains parfois que cette vision et cette conviction ne soient plus tout à fait partagées et soutenues par une large majorité.
J'ai personnellement bénéficié de cette approche ouverte et généreuse: en décembre 1958, petit Vaudois fils de paysan à l'accent prononcé, je découvrais esbaudi la grande ville, ses lumières, marmites, cortège de l'Escalade, Mère Royaume et autres tirs aux canons. Si, tout au début, je dus faire face à quelques quolibets du genre «liberté et vacherie» ou «cul terreux» et mettre les points sur les i à la récréation, très vite mes camarades se bousculèrent pour venir le jeudi à la ferme que gérait mon père et goûter aux plaisirs de la terre, humer l'odeur des animaux et les parfums du fenil. De son côté, le prof de français cessa vite de me faire réciter la poésie du samedi matin car je «chopais» rapidement un terrible accent genevois. (Rires.)
La république a également intégré mes quatre frères et soeurs. Seul mon père resta abonné toute sa vie à la «Feuille d'avis de Lausanne»... (Rires.) ...et persista à se considérer comme Vaudois, et non comme Confédéré au sens du contrôle de l'habitant. Chacun put trouver sa voie grâce notamment à un système de formation, dont l'accès à tous les niveaux d'enseignement fut grandement facilité par la démocratisation des études.
En ce jour particulier, je tiens à remercier la république et mes parents aujourd'hui disparus de m'avoir mis le pied à l'étrier et donné le bagage et les convictions indispensables pour promouvoir le travail, dans un premier temps des paysans, puis des artisans et des PME de la construction. Bâtiment, paysans: même combat pour la proximité, la valeur ajoutée par des gestes, des postures et des atavismes, le parler vrai, le concret et la transmission directe des savoir-faire par la pratique et l'exemple entre le maître et l'apprenti !
Face au risque avéré de dévalorisation des institutions de la république, dont nous portons toutes et tous une part de responsabilité, j'appelle à un sursaut général. En ce qui me concerne, je n'entends pas prôner une politique de confrontation avec quelque pouvoir que ce soit, mais plutôt rechercher les solutions les plus efficaces en observant un strict équilibre des pouvoirs, tout en ayant conscience du rôle particulier du législatif. Nous devons nous épauler car, telle une cathédrale, que l'une des voûtes s'affaisse, qu'un arc-boutant lâche, et c'est l'ensemble de l'édifice qui s'écroule. Il en va de même de nos institutions...
Enfin, surmontant une certaine pudeur, j'adresse un clin d'oeil rayonnant d'affection aux membres de ma famille qui m'accompagnent ce soir, aux amis de l'Amicale des grenadiers de chars de la I/12... (Rires.) ...et d'autres sociétés patriotiques qui témoignent de mon engagement dans la cité.
Maintenant, je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, à vous retrousser les manches et à nous mettre au travail sans tarder, non sans au préalable partager le verre de l'amitié à la salle des Pas-Perdus dans quelques instants !
Vive Genève et vive la Confédération suisse !
Des voix. Bravo ! (Longs applaudissements. L'assemblée se lève. Manifestations à la tribune.)
Le président. Merci ! Je rappelle aux grenadiers de chars de la tribune que l'on ne doit pas manifester en séance publique ! (Rires.)