Séance du jeudi 7 juin 2012 à 17h
57e législature - 3e année - 9e session - 47e séance

M 2019-A
Rapport de la commission des affaires communales, régionales et internationales chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Christian Bavarel, François Lefort, Lydia Schneider Hausser, Mathilde Captyn, Jacqueline Roiz, Eric Leyvraz, Jean-Louis Fazio, Antoine Droin, Brigitte Schneider-Bidaux : L'Etat de Genève ne doit pas être complice de l'accaparement des terres dans les pays du sud
Rapport de majorité de M. Sandro Pistis (MCG)
Rapport de minorité de Mme Catherine Baud (Ve)

Débat

Le président. Nous sommes maintenant au point 23 de notre ordre du jour, traité en catégorie II: quarante minutes. Je donne la parole au rapporteur de majorité, M. le député Sandro Pistis.

M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion, qui part de bonnes intentions, enfonce des portes ouvertes. De quoi s'agit-il ? Il nous est demandé de surveiller les caisses de pension publiques genevoises, en particulier leurs investissements, et de nous méfier de certains fonds de pension communément appelés hedge funds. Les craintes des motionnaires sont les suivantes. Si l'on en croit la première invite, le Conseil d'Etat serait tenté de soutenir des fonds d'investissement qui participent à l'accaparement des terres dans les pays du sud. Ce n'est bien évidemment pas le cas, comme cela a été indiqué sans ambiguïté durant les travaux de la commission par le président du Conseil d'Etat. Même les plus farouches opposants au gouvernement genevois ne peuvent pas imaginer qu'il soutienne l'accaparement des terres du sud. Ce serait absurde. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Faut-il néanmoins un préposé à l'accaparement des terres du sud ? Ce serait sans nul doute de l'argent que l'on pourrait mieux investir ailleurs, de façon plus utile en tout cas.

Un autre point est soulevé par les motionnaires: les caisses de pension publiques CIA et CEH pourraient être aujourd'hui ou demain impliquées dans l'accaparement des terres agricoles dans les pays du sud. Sur cette inquiétude, les représentants des caisses de pension publiques CIA et CEH ont été très clairs. Pour des raisons éthiques, ces caisses de pension n'investissent pas dans des fonds d'investissement et hedge funds qui font ce genre de placements problématiques.

Suivre cette proposition de motion implique des conséquences très précises. Il nous faudrait alors instaurer un contrôle externe supplémentaire sur les caisses de pension. Cela aurait donc un coût supplémentaire que devraient supporter, payer, les cotisants des caisses de pension CIA et CEH, soit les contribuables. Contrôler un problème qui n'existe pas relève de l'absurdité. Nous avons d'autres défis plus importants. L'avenir financier de nos caisses de pension et l'avenir des retraités devraient retenir notre attention plutôt qu'un problème certes très médiatisé, mais qui n'existe pas à Genève.

Aujourd'hui, la prise de conscience pour des placements éthiques a déjà été largement faite. On donnera raison aux motionnaires, qui ont exprimé leur inquiétude. Mais il aurait été plus sage, vu les éclaircissements, qu'ils retirent leur texte. Au vu des explications données, et au nom de la majorité de la commission, je vous demande de ne pas donner suite à un problème qui n'existe pas et à ne pas soutenir la présente proposition de motion.

Mme Catherine Baud (Ve), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, en mars 2012, la délégation suisse auprès du Conseil des droits de l'Homme s'est distinguée en ne votant pas la déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans, qui aurait fixé des règles sur le droit à la terre, le droit à des revenus et à des salaires équitables et la reconnaissance des droits des paysans sur les semences notamment. Ce refus a choqué, car on observe clairement un manque d'éthique dans la gestion du vivant au niveau mondial. Plusieurs résolutions ont d'ailleurs été votées dans les cantons, condamnant ce refus, notamment la résolution 694 de François Lefort tout récemment, le mois dernier, qui a été renvoyée, quasiment à l'unanimité, au Conseil fédéral. Alors bien sûr, il va m'être rétorqué: «ce n'est pas tout à fait la même chose» ou «la motion porte sur les investissements des caisses de pension publiques», ou encore «nous avons reçu des réponses à toutes nos questions.»

Alors, comme je l'ai écrit dans mon rapport, tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Eh bien non. L'accaparement se fait sournois et habile, travesti de bonnes intentions et souvent habillé de développement durable. Mais les faits sont là. Il progresse. Ce n'est certes pas au Grand Conseil d'intervenir dans le domaine du commerce international, bien sûr, mais, à notre niveau local, nous devons rester très attentifs à ce qui se passe dans notre canton et à ce qui passe par Genève, car je vous rappelle que Genève est une plateforme extrêmement importante de trading. Cette excellente proposition de motion doit donc être renvoyée au Conseil d'Etat afin que ce dernier, comme tout organisme public, favorise un développement respectueux de l'agriculture des terres du sud.

M. Eric Leyvraz (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, lorsque j'ai vu dans un journal le logo de l'Etat, qui semblait soutenir le cycle de conférences Jetfin Agro de juin 2011, proposant des achats de terres, principalement en Afrique, comme placements juteux, j'ai immédiatement utilisé l'IUE pour obtenir une réponse à mon interrogation. Y a-t-il un lien entre ces promoteurs et l'Etat ? Le Conseil d'Etat a été très clair dans sa réponse à mon IUE 1202. Ce logo n'avait pas à être employé par les conférenciers, car il n'y avait pas de lien entre l'Etat et ces réunions, et le Conseil d'Etat sera à l'avenir plus attentif à l'utilisation de ses armoiries.

La proposition de motion est venue ensuite, et les différentes auditions nous ont prouvé que les institutions étaient attentives à respecter des règles éthiques et que les caisses de pension publiques ne rentraient pas dans ce genre d'investissements d'achats de terres dans le tiers-monde, qui trop souvent se font au détriment de la population locale.

Cette proposition de motion comme mon IUE d'ailleurs ont rempli leur mission, et les réponses données par les autorités ont paru convaincantes à l'UDC, qui estime qu'il n'y a pas lieu de renvoyer cette proposition de motion au Conseil d'Etat, celui-ci ayant déjà répondu aux invites. Il s'agit dans le fond d'un vote négatif pour une proposition de motion positive. L'UDC suit d'ailleurs la majorité de la commission en refusant cette proposition de motion et vous demande de faire de même.

M. Bertrand Buchs (PDC). Le groupe démocrate-chrétien ne votera pas cette proposition de motion, pour les raisons qui viennent d'être expliquées par M. Leyvraz et par le rapporteur de majorité. Le problème des terres du sud est important, on ne le nie pas, au PDC, mais ce n'est pas un problème qui doit être débattu ici au niveau de notre Grand Conseil.

Nous avons eu les réponses à toutes les questions que nous avions posées au niveau des institutions genevoises, et nous sommes sûr qu'il n'y a pas, au niveau des caisses de retraites et d'autres institutions, de problèmes ou d'investissements dans les terres agricoles du sud. C'est pour cela que nous demandons que l'on rejette cette proposition de motion, parce que le Conseil d'Etat devra refaire le même travail que l'on a fait pour nous donner les mêmes réponses que l'on a eues.

M. Antoine Droin (S). Mesdames et Messieurs, le groupe socialiste, lui, soutiendra cette motion, car elle est importante. Certes, c'est à cause d'un malentendu, finalement, d'une utilisation abusive, peut-être, des logos de l'Etat que tout cela est apparu, avec raison, et je remercie les motionnaires. Je remercie aussi Mme Baud de son bon rapport de minorité, qui fait ressortir un certain nombre d'exemples tout à fait révélateurs pour ceux qui l'ont lu. Je pense que cela vaut la peine de le relever.

J'aimerais ici attirer l'attention du public en disant qu'il faut quand même que l'on maintienne des valeurs éthiques, des valeurs humaines, surtout quand on est dans une Genève internationale. Il faut aussi relever que nous sommes rassurés que les caisses de pension n'ont effectivement pas fait ce genre d'investissements, cela en est heureux, et on espère qu'elles ne le feront pas à l'avenir. Elles n'avaient en tout cas pas l'intention de le faire. Mais il est toujours important de relever que deux tiers des habitants de la planète vivent quand même dans des conditions inacceptables, que des millions de personnes vivent avec moins d'un dollar par jour et que leur voler leur terre, d'une certaine façon, en les achetant pour nos propres intérêts est indigne et inacceptable.

Au jour où, chez nous, chacun prône l'agriculture de proximité, le consommer local, la nature et le bien-être, nous devons être cohérents et reconnaître notre chance d'avoir le choix. Ce sont des choix de riches, puisque nous avons la chance de pouvoir les opérer. Alors pour ne pas oublier et pour éviter de nouveaux dérapages, notamment dans les questions d'accaparement des terres, l'Etat doit maintenir une sensibilisation et une pression. Il est donc important pour nous que cette proposition de motion, qui va dans ce sens, puisse être renvoyée au Conseil d'Etat, afin que l'on puisse valoriser l'ouverture de notre Genève, qui est attentive aux problèmes des pays du sud.

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, si nous avons proposé cette motion, c'est parce qu'il y a des faits. Les faits sont simples. Il y a bel et bien eu une conférence à Genève de gens qui ont, comme principale activité, l'achat de terres dans les pays du sud. Ces gens-là ont organisé cette conférence. Nous ne contestons pas le fait que certaines conférences puissent avoir lieu à Genève, et nous ne contestons même pas l'existence de cette conférence-là. Mais ils l'ont fait avec le logo du soutien de l'Etat de Genève. Alors on apprend par la suite que ce n'était pas voulu, que l'on avait bel et bien financé ou aidé à mettre en place la conférence précédente, mais pas tout à fait celle-là, etc.

Ce que nous demandons, c'est que des règles claires soient édictées sur l'utilisation des armoiries du canton de Genève; lorsqu'il est marqué «avec le soutien de l'Etat de Genève», qu'il y ait un contrôle, que l'on sache; et, lorsque l'Etat de Genève s'implique, qu'il s'implique sur des conférences qu'il entend réellement soutenir. Voilà une première chose: cette utilisation des armoiries de l'Etat de Genève a été faite, et il a été bien mis que cette conférence avait lieu avec l'Etat de Genève.

Nous savons par ailleurs que les caisses de pension de l'Etat de Genève et des communes sont au sein de Ethos, qui garantit des conditions éthiques lors d'investissements et qui fait un travail remarquable, entre autres en travaillant avec la banque Pictet, et qui place l'argent des caisses de pension d'une manière éthique. Néanmoins, à Genève, vous avez peut-être oublié, il y a d'autres caisses de pension publiques, qui sont celles des organisations internationales, de différentes organisations internationales. Or nous avions entendu des échos selon lesquels l'une de ces organisations internationales aurait été invitée à cette conférence.

La motion avait été proposée pour demander - on avait mis exprès «caisse publique» pour n'accuser personne et pour être certain qu'il n'y ait pas d'accusation malveillante - simplement que ce soit vérifié et que l'on puisse rendre attentives les différentes organisations qui sont là sur notre territoire de l'implication qu'il pouvait y avoir autour de ces types d'investissements. Nous avons effectivement aujourd'hui une très haute qualité dans l'investissement et dans le respect éthique de la part de nos caisses de pension, qui appartiennent soit à l'Etat soit aux communes, c'est évident. Mais nous demandons que différents critères puissent aussi être définis pour les autres organisations publiques qui sont sur le territoire de l'Etat de Genève.

Vous connaissez les lois sur l'agriculture en Suisse qui font que seul un agriculteur peut acheter du terrain agricole, ce qui permet aujourd'hui d'avoir du terrain agricole à un prix qui permette de rentabiliser l'investissement. On a vécu une époque, que j'ai connue, où les terres agricoles pouvaient être acquises par d'autres personnes, et ce n'était pas par le travail sur la terre agricole que vous pouviez avoir un rendement suffisant pour amortir votre investissement. Cela pose un problème, sur l'accès à la nourriture et surtout l'accès à la nourriture pour les plus faibles. Nous entendons simplement que les règles qui peuvent être appliquées ici en Suisse puissent également être appliquées ailleurs, de sorte que les populations du sud puissent aussi se nourrir et avoir aussi des activités d'exportation et de commerce avec leur terres agricoles, et que ces dernières ne soient pas accaparées par des entreprises du nord, qui, elles, vont essayer de faire d'autres types de produits sur ces terrains-là.

C'est pour cela que nous vous recommandons d'accepter cette proposition de motion. Nous regrettons simplement que la commission n'ait pas pris la peine d'aller un peu plus loin dans ses enquêtes, parce qu'elle aurait découvert ce que je venais de dire et qui était largement public, étant donné que le syndicat Uniterre, qui est un syndicat minoritaire de petits patrons agricoles, avait largement décrit la question et avait largement soutenu l'idée.

Mme Christiane Favre (L). Les inquiétudes exprimées dans cette proposition de motion n'ont pas été prises à la légère par la commission, bien au contraire. Elles ont été présentées au Conseil d'Etat et aux responsables des divisions financières des deux caisses de pension étatiques, la CEH et la CIA, que nous avons auditionnées, et nous avons reçu des réponses satisfaisantes et rassurantes. L'Etat ne soutient en aucune manière les fonds incriminés, les caisses de pension non plus; elles sont extrêmement attentives à cette problématique. C'est donc très rassurée que la majorité des membres de la commission a renoncé à renvoyer cette proposition de motion au Conseil d'Etat.

La minorité, comme indiqué dans le rapport, est aussi rassurée que nous, mais elle demande quand même le renvoi de cette proposition de motion au même Conseil d'Etat. Pourquoi ? Pour que l'on ne fasse pas plus tard ce que l'on ne fait déjà pas aujourd'hui. Pour être sûr d'être sûr ! Afin d'obtenir, finalement, un rapport du Conseil d'Etat qui fera un rapport sur notre rapport pour nous confirmer ce qu'il vient de nous dire.

Mesdames et Messieurs les députés, soyons raisonnables. Générer des textes et de l'impression de papiers pour des problèmes importants qui n'ont pas trouvé de solution ? Nous sommes partants. Mais mobiliser des fonctionnaires et abattre ne serait-ce qu'un seul arbre pour être rassurés sur des soucis dont nous sommes certains qu'ils ne nous inquiètent plus nous paraît déraisonnable. Voilà pourquoi nous ne soutiendrons pas cette proposition de motion.

M. Patrick Saudan (R). Comme l'a dit ma préopinante, la commission a été totalement rassurée par les auditions. Nos caisses de pension ne participent en rien à l'investissement de l'un de ces fonds, qui seraient censés accaparer les terres du sud. Nous avons également reçu une réponse du CERN, qui avait été incriminé. Le CERN, par écrit, a également déclaré et certifié que la caisse de pension du CERN n'investissait en rien dans l'achat de terres des pays du sud. Donc je n'ajouterai rien de plus, la deuxième et la troisième invite de cette proposition de motion étant obsolètes.

La première invite est quand même un petit peu manichéenne, même si nous comprenons cette problématique, puisqu'elle invite le Conseil d'Etat «à ne soutenir d'aucune manière les fonds d'investissement qui visent à s'accaparer les terres agricoles des pays du sud.» Certains de mes préopinants ont évoqué le problème de la famine. La famine aussi est réglée par le développement de l'agriculture, et ces pays du sud ont besoin d'investissements. Tous les fonds d'investissement ne sont pas des capitalistes rapaces qui veulent affamer les populations. Donc cet aspect un peu manichéen de cette première invite nous avait également un peu dérangés.

Pour toutes ces raisons, le groupe radical va se joindre au groupe précédent et ne soutiendra pas le renvoi au Conseil d'Etat.

M. Bernhard Riedweg (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai siégé pendant quatre ans à la commission des finances de la CIA et je peux vous confirmer que cette caisse de pension importante n'investit pas dans le nucléaire, l'armement, les OGM, le tabac, le jeu ni la pornographie. Et on lui demande maintenant de ne pas investir dans les terres du sud. A un moment donné, il faudra bien s'arrêter de limiter les postes d'investissement à ces caisses de pension, parce que, finalement, il ne restera bientôt plus rien.

Il faut savoir que, pour faire de la performance, Mesdames et Messieurs, les investisseurs doivent investir là où il y a du potentiel de performance. Vous savez très bien que, actuellement, en Europe, en Asie et en Amérique du Nord, les bourses ne marchent pas très bien, et il faut trouver des opportunités pour obtenir de la performance et ainsi payer les retraites.

A notre avis, ce n'est pas à l'Etat de s'immiscer dans la gestion financière des caisses de pension. C'est pour cela que nous refuserons cette proposition de motion.

M. Thierry Cerutti (MCG). Comme l'ont dit mes préopinants, le groupe MCG prendra également la même direction, c'est-à-dire que l'on ne soutiendra pas la proposition de motion du parti écologiste. Les auditions auxquelles nous avons procédé au sein de la commission étaient extrêmement intéressantes et pragmatiques. Cela nous a rassurés et convaincus que la proposition de motion du parti des Verts était une fois de plus une grosse plaisanterie, complètement en dehors de la réalité.

Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, la parole n'étant plus demandée, je vous soumets la proposition du rapport de majorité de la commission, à savoir le refus de cette proposition de motion 2019. Celles et ceux qui acceptent les conclusions de ce rapport votent oui, les autres non ou s'abstiennent. (Remarque.) Veuillez m'excuser: le rapport de la commission conclut au refus de la proposition de motion. Celles et ceux qui acceptent cette proposition de motion votent oui, les autres non ou s'abstiennent.

Mise aux voix, la proposition de motion 2019 est rejetée par 57 non contre 26 oui et 3 abstentions.