Séance du vendredi 11 mai 2012 à 17h
57e législature - 3e année - 8e session - 45e séance

R 694
Proposition de résolution de Mmes et MM. François Lefort, Anne Mahrer, Mathilde Captyn, Melik Özden, Christian Bavarel, Sophie Forster Carbonnier, René Desbaillets, Patricia Läser, Alain Meylan, Catherine Baud, Esther Hartmann, Lydia Schneider Hausser, Hugo Zbinden, Brigitte Schneider-Bidaux, Olivier Norer, François Haldemann, Christina Meissner, Roberto Broggini, Eric Leyvraz, Christine Serdaly Morgan, Patrick Lussi, Marc Falquet pour la défense des droits des paysans

Débat

Le président. Nous traitons la dernière de nos urgences. Catégorie II: trois minutes. Monsieur le premier résolutionnaire, vous avez la parole.

M. François Lefort (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous avez bien voulu voter ajout et urgence hier soir, et cet objet mérite quelques explications. Le contexte, d'abord, c'est la crise alimentaire mondiale et les famines récurrentes, bien réelles, même si nous ne les voyons ici qu'à la télévision. Le contexte est une crise alimentaire qui résulte en de massives violations des droits des populations paysannes, au nombre desquelles l'accaparement des terres agricoles, sujet d'une autre motion. Pourtant, la moitié de la population humaine est précisément constituée de paysans - 46% de la population sur cette planète sont des paysans. De plus, cette population paysanne mondiale est constituée de petits et de moyens paysans... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Or cette population représente justement les forces nécessaires pour combattre la faim dans le monde et promouvoir une agriculture durable. Par conséquent, la protection - par un outil juridique - de ces populations devient une nécessité.

Cet outil juridique, c'est la déclaration des Nations Unies sur les droits paysans. C'est un outil légitime, soutenu par de nombreux pays, par de nombreuses associations paysannes mondiales et par les experts de l'ONU. C'est un outil demandé depuis de nombreuses années par les associations paysannes mondiales. Et que demandent-elles ? Elles demandent le droit à la terre, le droit à des revenus et à des salaires équitables, et que le droit des paysans sur les semences soit reconnu et garanti. Pourtant, la Suisse fut, en mars 2012, le seul pays au Conseil des droits de l'homme de l'ONU à s'opposer à ce projet de déclaration des Nations Unies sur les droits paysans, sous le prétexte que les textes internationaux existants seraient suffisants. S'ils étaient suffisants, pourquoi ces associations demanderaient-elles une déclaration des Nations Unies à leur sujet ?

Voilà donc la matière de cette proposition de résolution, que je viens de vous expliquer, par laquelle nous demanderons au Conseil fédéral de revoir sa position sur le projet de déclaration des Nations Unies sur les droits paysans et donc, en juin 2012, lorsque ce projet sera remis à l'ordre du jour du Conseil des droits de l'homme, de soutenir le projet de déclaration des droits paysans. La deuxième chose que nous demandons, c'est d'affirmer la volonté de la population genevoise, que nous représentons, de défendre les droits paysans dans le monde. Si vous votez cette proposition de résolution, c'est cette volonté que vous demanderez au Conseil fédéral d'affirmer, comme le feront les Zurichois, les Bâlois, les Bernois, les Jurassiens et les Vaudois - dont les parlements sont actuellement saisis de motions similaires - comme les Fribourgeois viennent de le faire récemment, et comme le Conseil national, saisi d'une motion de quarante députés de tous les partis, va le faire bientôt ! Il y a urgence, parce que le Conseil des droits de l'homme se réunit début juin, et c'est la dernière occasion pour nous de manifester cette volonté du parlement genevois.

M. Eric Leyvraz (UDC). Il y a des débats qui dépassent les clivages habituels. Dans ce monde déséquilibré, où la moitié des habitants de la planète se compose de paysans pauvres, exploités dans de nombreux cas, sans droits sur la terre qu'ils cultivent ou chassés de ces dernières, sans espoirs pour leurs enfants, il est indécent de refuser le principe de protéger cette population défavorisée, ces exclus de la modernité. Il est totalement contradictoire pour la Suisse de soutenir avec force lois - et sagement, d'ailleurs - ses propres paysans, étant consciente de l'importance de l'agriculture de proximité, qui nourrit et entretient le paysage, puis, d'un autre côté, de refuser les principes minimaux de survie à 3,5 milliards de damnés de la terre. Si tout cela est lié à la protection et au brevet du vivant, eh bien c'est grave !

L'idée d'une humanité durable passera par le respect de la terre et de ses paysans, sinon nous courons lentement mais sûrement à notre ruine. Si nous voulons assurer des générations futures, c'est maintenant déjà qu'il faut agir - c'est la dernière qui sonne.

Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes des privilégiés. N'oublions pas le milliard de personnes qui ont faim, les 2 milliards de plus qui survivent et qui sont en majorité des paysans. Nous n'avons pas le droit de rester insensibles face à cette situation incontestable. Nous sommes loin des problèmes entre gauche et droite: ici, c'est une affaire de dignité ! L'UDC soutient cette résolution et vous demande de faire de même.

Mme Patricia Läser (R). Mesdames et Messieurs les députés, les droits des paysans concernent plusieurs rubriques; je me cantonnerai à ne vous parler que d'une seule rubrique. Aujourd'hui, le monde agricole se démène ici, dans notre pays, pour sauver la diversité de notre nourriture, de votre nourriture à tous. Les grands groupes, dont certains sont suisses, se battent, eux, pour avoir l'exclusivité sur des semences hybrides et, ainsi, asservir les agriculteurs en les mettant à leur merci, en ne proposant qu'une seule sorte de semences, domptant ainsi toute la production. Ces magnats industriels enlèvent toute diversité à la nature et rendent votre nourriture complètement uniforme et sans attrait !

La Suisse, patrie des droits de l'Homme, s'est refusée à l'établissement d'une convention garantissant les droits paysans, la Suisse s'est opposée à cet instrument juridique... Ce droit qui garantit la diversité des paysages et de la nourriture - le droit, pour des millions de paysans, de vivre du produit de la terre - la Suisse l'a refusé ! Ce problème ne concerne pas seulement le tiers-monde, aujourd'hui il commence à toucher l'Europe - nous voyons déjà des problèmes similaires en Espagne. Et la Suisse se refuse à défendre le monde rural... Quelle incohérence ! Pourtant, en avril de cette année, la Suisse, par la voix du Conseil fédéral, a accepté la stratégie de la biodiversité, en dix objectifs à atteindre d'ici à 2020. Il faut sauver les espèces et s'engager au niveau international. A Genève également, nous travaillons sur un projet de loi de la biodiversité et tentons de sauver les biotopes et les espèces rares... Mais où sont les hommes, dans ces stratégies qui nous donnent bonne conscience ?

Aujourd'hui, le Conseil consultatif des droits de l'homme, qui réunit dix-huit experts des différentes régions du globe, a confirmé la nécessité de cette déclaration. Une motion parlementaire à Berne a été signée par des représentants de tous les partis; une résolution semblable a été acceptée à l'unanimité par le Grand Conseil fribourgeois; les cantons de Neuchâtel, du Jura, de Berne, de Zurich et de Bâle s'apprêtent à faire de même. Alors, Mesdames et Messieurs les députés, à Genève, canton-ville, canton qui soutient son agriculture et ses paysans, montrons-nous solidaires envers nos confrères de toutes les contrées qui n'ont pas notre chance et renvoyons cette résolution à Berne, afin que des directives claires soient données à notre délégation pour le mois de juin. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Jean-François Girardet (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe MCG soutiendra cette résolution, parce qu'il estime qu'il est important aujourd'hui de pouvoir se référer à des textes juridiques pour défendre le droit à l'accès à la terre, ainsi qu'à des revenus ou à des salaires équitables pour les paysans. La souveraineté alimentaire est également reconnue par une telle déclaration, et c'est avec étonnement que nous avons vu que la Suisse n'y avait pas adhéré. C'est-à-dire que nous voulons définir dans nos régions quel type de politique agricole et alimentaire nous souhaitons mener. Il est pour nous capital, si nous souhaitons faire changer d'avis le Conseil fédéral, que plusieurs cantons s'expriment en faveur de cette déclaration internationale sur les droits des paysans. Aussi, après tout ce qui a été déjà dit à ce sujet, le MCG tient à remercier l'auteur de cette proposition de résolution et vous prie de la soutenir par un vote unanime.

M. Melik Özden (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, le groupe socialiste soutiendra également la proposition de résolution 694 sur les droits des paysans. De nos jours, les paysans sont victimes de violations massives et systématiques des droits humains tels que le droit à la vie, à l'alimentation, au logement, à la santé, à l'éducation, le droit d'association, etc. De plus, dans le contexte de la mondialisation et du monopole des sociétés transnationales sur de nombreux secteurs économiques, dont l'agriculture, les paysans ne maîtrisent plus ni les processus ni les outils de leur production; ils sont dépouillés de leurs ressources et une grande majorité d'entre eux sont réduits à la misère; ils sont systématiquement exclus de la prise de décision les concernant. Aujourd'hui, un milliard de personnes souffrent de la faim et de la malnutrition dans le monde: 80% d'entre elles vivent dans les zones rurales et 50% parmi ces personnes sont de petits agriculteurs.

Comme cela a déjà été rappelé, en mars dernier la Suisse a été le seul Etat à s'être opposé à l'élaboration d'une déclaration internationale sur les droits des paysans au sein du Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Pour justifier son opposition, le gouvernement suisse a argué que les droits humains déjà reconnus au niveau international suffisent à la protection des paysans: cette position n'est pas défendable, au moins pour trois raisons. Premièrement, les droits humains déjà reconnus ne couvrent pas les besoins spécifiques des paysans, tels que l'accès à la terre et aux semences. Ils ne suffisent malheureusement pas pour empêcher les graves violations des droits humains des paysans. Deuxièmement, la Suisse refuse depuis 2008 de signer un protocole qui permettrait la mise en place, au sein de l'ONU, d'un mécanisme de surveillance de la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et culturels. Troisièmement, la position du gouvernement suisse discrédite sa politique étrangère basée sur la promotion de la paix et le respect des droits humains, ainsi que son engagement humanitaire et sa politique en matière de coopération au développement.

L'adoption d'une déclaration sur les droits des paysans contribuerait à une meilleure protection des paysans. Dans un monde où, chaque année, des dizaines de millions de petits agriculteurs sont expropriés, déplacés de force ou contraints de quitter leurs terres parce qu'ils ne peuvent pas vivre de leur labeur, il est urgent de prendre des mesures pour protéger une population devenue extrêmement vulnérable...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Melik Özden. Je conclus, Monsieur le président. ...une population qui, faut-il le rappeler, assure l'alimentation de l'écrasante majorité de l'humanité. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste appelle cette assemblée à envoyer un message clair au Conseil fédéral en adoptant la résolution 694. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Je demande à la personne qui est debout à la tribune de bien vouloir s'asseoir: merci. La parole est à M. Bertrand Buchs.

M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Le groupe démocrate-chrétien va, bien sûr, soutenir cette proposition de résolution et voter son renvoi au Conseil fédéral. Il est très important que le canton de Genève, qui est le siège du Conseil des droits de l'homme, donne un signal fort sur les droits des paysans. En effet, on se rend compte actuellement que la pression sur les terres des paysans, dans les pays du Sud ou les pays émergents, est énorme et que plusieurs pays rachètent des milliers et des milliers de mètres carrés de terres. Ainsi, on dépossède ces gens de leurs terrains, puisqu'ils n'ont pas de droits, et ils doivent s'exiler, partir, parce qu'ils n'ont plus de terrains. Ce problème est vraiment aigu actuellement, dans des pays d'Amérique latine ou d'Afrique, où des surfaces bien plus grandes que le canton de Genève disparaissent et sont rachetées par certains pays comme la Chine. Je vous remercie donc de soutenir cette proposition de résolution.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. François Gillet, à qui il reste deux minutes.

M. François Gillet (PDC). Merci, Monsieur le président. Cela a été dit par M. Bertrand Buchs, le groupe démocrate-chrétien va soutenir le renvoi de cette proposition de résolution à Berne. Cela a été relevé par plusieurs d'entre vous, il y a réellement des problèmes dans les pays du Sud, en particulier avec les petits paysans, qui sont de plus en plus de petits paysans sans terres.

Mais on oublie de rappeler que s'attaquer à cette problématique, c'est aussi, indirectement, s'attaquer à d'autres difficultés majeures de ces pays, notamment dans les villes. En effet, les difficultés des petits paysans entraînent le fléau de l'exode rural: aujourd'hui, de plus en plus de familles s'exilent en direction des villes, ce qui présente la difficulté quasiment insoluble de faire face à cet afflux massif de populations qui quittent les campagnes pour les villes, avec la problématique des bidonvilles et des enfants de la rue. Ainsi, s'attaquer à cette problématique des paysans sans terres, c'est aussi, indirectement, travailler à améliorer la situation dans les villes de nombreux pays de la planète. Pour toutes ces raisons, le groupe démocrate-chrétien vous encourage à adopter massivement cette proposition de résolution. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Stéphane Florey, à qui il reste une minute et vingt secondes.

M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Tout d'abord, j'aimerais que vous transmettiez un message, à votre groupe en particulier. Il se plaît souvent à nous dire: «Vous avez des représentants à Berne: pourquoi ne les avez-vous pas interpellés, comme il aurait été logique de le faire ?» Alors, j'ai pris contact avec un conseiller national bien connu du monde agricole. Il relève principalement deux problèmes à cette résolution: nous ne connaissons pas les implications exactes d'une déclaration devant l'ONU, ni même les raisons qui ont poussé les représentants suisses à refuser de soutenir le projet de déclaration internationale.

Voici ce que je veux dire par là, à la lecture de cette proposition de résolution. D'abord, je précise que l'UDC a toujours soutenu les paysans, et elle continuera à le faire. (Remarque.) Simplement, le problème est que votre proposition de résolution est beaucoup trop vague. Vous évoquez effectivement le projet de déclaration, mais vous n'en faites même pas textuellement mention. Personnellement, cette proposition de résolution ne me parle pas, parce que je ne vois pas vraiment de quoi il retourne, et je m'abstiendrai sur ce texte.

Mme Michèle Künzler, conseillère d'Etat. C'est donc à la quasi-unanimité des intervenants qu'on s'intéresse à ce sujet; il dépasse les clivages politiques. Contrairement à ce qui a été dit, cela ne nous concerne pas à la marge, cela concerne tous les habitants de cette planète ! C'est vraiment tous les habitants de notre planète qui survivent grâce à l'agriculture. C'est même la base de notre vie ! Et c'est bien cette base-là qu'il faut protéger à long terme: tant au niveau des terres que de la biodiversité des semences et de la possession de ces dernières, ce qui inclut la souveraineté alimentaire.

Nous sommes intervenus au moment de la consultation fédérale, afin d'ajouter ce point-là à la consultation pour le canton de Genève. Nous avons promu cette agriculture à la fois sociale et économique, mais aussi écologique. Cette agriculture, il faut la préserver aussi ailleurs sur la planète. C'est notre survie d'êtres humains qui en dépend ! Cela paraît basique, mais telle est la vérité.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous nous prononçons maintenant sur le renvoi de cette résolution au Conseil fédéral.

Mise aux voix, la résolution 694 est adoptée et renvoyée Conseil fédéral par 78 oui et 1 abstention. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Résolution 694

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je salue à la tribune la présence de notre ancien collègue député, M. Patrick Schmied. (Applaudissements.)