Séance du
jeudi 15 mars 2012 à
17h
57e
législature -
3e
année -
6e
session -
28e
séance
R 686
Débat
Le président. Il s'agit du point 25 de notre ordre du jour. Nous sommes en catégorie II: trois minutes de parole par groupe. La parole est à M. le député Roger Deneys.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, vous savez certainement que la multinationale Nestlé, dont le siège est en Suisse, a une situation économique florissante, un chiffre d'affaires de l'ordre de 110 milliards de francs et des bénéfices annuels de l'ordre de 10 milliards. En même temps, ce succès économique se fait malheureusement parfois aussi en ne respectant pas les droits des collaboratrices et collaborateurs de cette entreprise. Les socialistes ont été alertés par le syndicat Union internationale des travailleurs de l'alimentaire, qui mène une campagne internationale pour rapporter les graves violations des droits des travailleuses et travailleurs de Nestlé dans les usines au Pakistan et en Indonésie. Ces violations sont particulièrement graves, car elles sont en contradiction avec les conventions internationales, notamment la Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, aussi ratifiée par la Suisse. Et il semble particulièrement judicieux que notre Grand Conseil exprime son soutien au respect des conventions internationales en matière de libertés syndicales. La croissance économique, le succès économique, ne peut pas se faire en excluant les plus faibles et les plus démunis. Il semble simplement... (Brouhaha.) ...inadmissible aujourd'hui de voir que Nestlé bafoue les droits syndicaux les plus élémentaires, licencie des syndicalistes, refuse d'engager des travailleurs précaires, alors qu'elle connaît une situation économique aussi florissante.
Donc, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous demandons de soutenir cette proposition de résolution, qui demande au Conseil d'Etat d'exprimer son appui aux revendications des travailleuses et travailleurs de ces usines à Panjang et à Kabirwala. Nous demandons aussi au Conseil d'Etat d'exprimer auprès de la direction de Nestlé son souci du respect des conventions syndicales, des conventions internationales sur la liberté syndicale, parce que nous pensons que c'est l'un des ferments essentiels de la paix sur notre planète. C'est simplement l'un des ferments essentiels, aussi, de la réussite économique bien comprise et partagée par toutes et tous sur cette Terre. Donc, Mesdames et Messieurs, nous vous demandons de soutenir cette proposition de résolution. (Applaudissements.)
M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, vous le savez tous, en matière de droits syndicaux, le MCG s'est toujours exprimé pour qu'ils soient en tout cas maintenus voire renforcés. Mais je suis désolé, aujourd'hui, par rapport à la proposition de résolution que les socialistes nous présentent, que vient faire le parlement genevois dans les affaires d'une filiale de Nestlé à Kabirwala, au Pakistan, et à Panjang, en Indonésie ? Non. Il convient tout au plus, éventuellement, de demander à Unia d'intervenir sur le plan national - ou à une autre grande association syndicale - mais pas au parlement genevois. Ou voyez cela éventuellement, s'il y a lieu, avec vos députés socialistes aux Chambres fédérales. Mais je ne vois pas en quoi Genève aurait à venir dire son mot, malgré le fait que la Suisse ait signé, ait ratifié la Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Cela ne donne pas le droit au parlement genevois de se muer en tribunal arbitral ou en je ne sais quel tribunal pour transformer en procès les intentions du parlement vis-à-vis de notre multinationale Nestlé. On sait bien que Nestlé a des filiales à travers le monde entier; si l'on commence, sans avoir plus d'éléments, à juger les droits syndicaux qui s'exercent, on se transformera en tribunal d'exception, ce qui n'est en tout cas pas la vocation du Grand Conseil genevois. Aussi, j'invite tout le monde à refuser cette proposition de résolution.
M. Pierre Weiss (L). M. Deneys a prétendu que Nestlé bafouait les droits des travailleurs. Il se base pour ce faire sur la propagande menée sur le plan international par le syndicat de l'alimentation. M. le député Golay vient de rappeler que notre parlement n'avait pas à s'occuper de ce qui se passe dans des pays étrangers au seul motif que l'OIT a son siège à Genève - parce qu'alors, de combien de conflits du travail devrions-nous nous occuper ? - ou encore au motif qu'une multinationale suisse, qui n'a pas son siège à Genève, est impliquée; de combien de conflits du travail devrions-nous nous occuper ? Donc il y a d'abord le champ de compétence. Mais ce n'est pas le plus important en la matière.
Le plus important en la matière est l'information, mauvaise, de M. Deneys et des auteurs de la proposition de résolution, qui ne se sont pas renseignés. J'en veux pour preuve les deux situations décrites. S'agissant tout d'abord du Pakistan, des négociations sont en cours entre le syndicat et la multinationale Nestlé dans sa filiale pakistanaise. Surtout, au début 2012, 250 engagements de travailleurs avec des contrats saisonniers ont été effectués pour une durée déterminée, mettant fin, dans les faits, à la raison principale du conflit. Voilà pour le Pakistan.
En ce qui concerne l'Indonésie, des dates importantes sont sautées. Elles sont importantes parce qu'elles montrent qu'il y a eu... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...une occupation sauvage du site, laquelle se passe entre le 21 septembre et les 5 et 6 octobre; elles montrent que la grève, qui était finie, bien qu'illégale - il est dit qu'elle était légale... La grève, bien qu'illégale, avait permis dans les faits de trouver un accord. Les travailleurs qui ont accepté de réintégrer leur poste de travail n'ont pas été licenciés; ont été licenciés les travailleurs qui n'ont pas voulu reprendre le travail. Au surplus, je dirai que, de façon générale, Nestlé, pour ses 328 000 travailleurs dans le monde, respecte deux conventions internationales du travail, la Convention 87 et la Convention 98.
J'ai terminé, Monsieur le président, je vous remercie. Je pense simplement que le groupe socialiste aurait mieux fait de s'occuper de la femme pakistanaise - chrétienne - qui a été condamnée à mort parce qu'elle a bu l'eau d'un puits musulman. Ç'aurait été faire oeuvre humanitaire plus importante.
M. Philippe Morel (PDC). Je ne reviens pas sur les commentaires que M. le député Weiss vient de faire et qui sont, bien sûr, troublants dans cette affaire. Il est vrai que, si l'on ne respecte pas les accords qui sont passés, si l'on bafoue les droits individuels et les droits syndicaux, on ne peut l'accepter. Cependant, ces incidents se produisent des centaines ou des milliers de fois par jour sur notre planète et il est difficile de vouloir intervenir dans chacun d'eux, surtout si, comme il semble être le cas ici, la documentation prouve que l'on n'est pas exactement dans la vérité.
Nous proposons donc de ne pas entrer en matière. En effet, si, sur le fond, on peut être sensibilisés à tous ces problèmes, sur la forme, ce n'est pas à notre parlement ni à notre république d'intervenir. Eventuellement, le parlement vaudois le pourrait, ou les autorités fédérales. Mais ce n'est en tout cas pas notre rôle. Donc nous proposons de ne pas entrer en matière.
Le président. Merci, Monsieur le député. J'invite les personnes qui sont au balcon de la tribune à bien vouloir s'asseoir. Je vous remercie. La parole est à Mme la députée Christina Meissner.
Mme Christina Meissner (UDC). Vous avez raison, l'exploitation de nos semblables est inacceptable, ici comme ailleurs. Elle ternit l'image de nos produits, surtout quand il s'agit de produits typiquement helvétiques. Mais que dire alors de notre cervelas ? Lui aussi inflige des ravages incroyables, non pas aux travailleurs sociaux, mais à l'environnement, qui est tout aussi précieux. Eh oui, nos habitudes carnées détruisent la forêt tropicale ! Mais pour en revenir à nos pâturages et à nos alpages, et au lait et au chocolat, pour nourrir nos vaches, on détruit encore la même forêt avec des cultures de soja; et pour éviter le beurre de cacao, trop cher, on détruit encore la forêt tropicale avec des cultures de palmiers à huile. Le monde est rempli d'entreprises qui ne respectent ni les travailleurs sociaux, ni les droits de l'environnement - qui est si précieux. (Brouhaha.)
Cependant, au lieu de regarder la tuile qui est ailleurs, regardons celle que nous avons chez nous ! Que dire de toutes ces entreprises que nous hébergeons en Suisse ? Il y a Monsanto, sur la Côte. Et, plus près de chez nous - d'ailleurs tout près des citernes de Vernier - il y a Transocean, qui a fait parler d'elle, et il y a encore tous ces traders qui trafiquent sur les matières premières, les matières alimentaires. Nous les abritons tous, oui, chez nous, à Genève ! (Brouhaha.) Alors s'attaquer à Nestlé est insuffisant. Il faudrait aussi s'attaquer à toutes celles qui sont déjà chez nous et que nous pourrions certainement mieux surveiller et critiquer que celles, nombreuses, ailleurs dans le monde.
Alors je suis désolée, mais comme disait un préopinant, vous avez certainement des moyens d'action qui se trouvent sur place et seront certainement plus efficaces pour résoudre les problèmes se présentant ailleurs. La Suisse, hélas, est trop petite pour s'occuper des problèmes, malheureusement énormes, dans le monde entier. Nous refuserons cette proposition de motion.
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Qui eût dit, il y a cinq ans, que le secret bancaire allait être contrôlé voire normé ? Dans le même sens, cette proposition de motion - Monsieur Weiss, vous pouvez entrer dans les détails; si l'on entre dans les détails, parlons-en trente secondes. C'est vrai qu'il y a peut-être eu des négociations. Le résultat est qu'il y a quand même eu de forts taux de licenciements chez les personnes qui s'étaient engagées dans ces luttes - j'ai des chiffres, mais je pense que l'important ne réside pas dans les chiffres. Je pense que l'essentiel est de savoir jusqu'où nous pourrons, en tant que parlement, accepter qu'une multinationale suisse propose ou donne des conditions de travail inacceptables, jusqu'où un travail et les conditions dans lequel il est effectué sont acceptables, et depuis quand cela devient de l'exploitation voire, peut-être, du servage. Dans des tribus, par exemple en Amazonie, si le travail n'est pas rémunéré, on peut admettre que cela a trait à un mode de vie et que, ethnologiquement, c'est peut-être une solution cohérente. Dans des pays en voie de développement aussi, si les conditions de travail sont difficiles pour une grande partie de la population, quand il s'agit de travail chez des artisans locaux, là des discussions peuvent être menées, et des pressions, au rythme du développement du pays, vont s'exercer.
Lorsqu'il s'agit d'une multinationale qui joue, une entreprise d'avant la révolution industrielle, et en plus quand elle s'appelle Nestlé, cela fait frissonner et c'est indécent: qu'une entreprise possédant des fabriques ici, en Europe, ait des conditions de travail normales, dira-t-on - nous pourrons encore regarder dans le détail, comme l'a indiqué la députée UDC - que cette entreprise évolue - ou plutôt qu'elle régresse - dans les pays en voie de développement et qu'elle considère les employés de manière inhumaine... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...voire comme des personnes que l'on peut exploiter, ce n'est pas acceptable ! Que le travail fourni n'ait plus aucune mesure avec le gain produit, mais serve uniquement et simplement à rémunérer des actionnaires, à rémunérer des capitaux, cela a des limites ! Et ce n'est pas à notre parlement de dire que nous ne pouvons pas mettre de limites à de telles choses, vu que l'entreprise a son siège en Suisse et que, jusqu'à nouvel ordre, nous sommes un parlement suisse et faisons partie de la Suisse.
Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée.
Mme Lydia Schneider Hausser. Donc, pour ne pas avoir à rougir, que ce soit aujourd'hui ou dans les années à venir, des conditions de travail qu'offrent Nestlé ainsi que d'autres multinationales suisses dans les pays en voie de développement, nous vous prions d'accepter cette proposition de motion. (Applaudissements.)
Mme Esther Hartmann (Ve). Vous ne serez pas surpris d'apprendre que les Verts vont soutenir cette proposition de résolution et demander que le Conseil d'Etat effectue des démarches auprès de Nestlé. Effectivement, l'Indonésie, c'est loin, ce n'est pas si important... Surtout, ne regardons pas ce qui se passe ailleurs, restons concentrés sur Genève... Et restons bien, en quelque sorte, indifférents à la situation des travailleurs et travailleuses dans le monde... Et même à la violation de certaines règles de sécurité... Et de règles relatives à la pollution... Et à la violation de règles !
Donc les Verts vont soutenir cette proposition de résolution. On est bien conscients qu'elle risque de ne produire que très peu d'effets, mais il faut bien commencer quelque part. Et nous commençons par cela !
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Eric Stauffer, pour une minute et quinze secondes.
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, et Mesdames et Messieurs qui nous regardez, voilà tout le problème du parlement genevois... Nous avons donc le parti socialiste qui, en lieu et place de s'occuper des problèmes genevois - du chômage, de l'insécurité, des pauvres gens qui restent sur le carreau via les aides sociales - vient faire perdre à peu près vingt minutes au parlement cantonal pour nous parler d'un problème se situant à peu près à 10 000 km de Genève. (Brouhaha.) En cela, il est soutenu par le parti libéral, par le député Weiss qui, lui, vient faire toute une étude très sérieuse, avec les deniers publics, pour nous expliquer combien d'employés ont été engagés et combien ont été licenciés... Vous nous excuserez, Mesdames et Messieurs, on vous laisse à vos débats. Pour nous, MCG, c'est Genève qui est important, ce sont les problèmes de Genevois: le chômage, l'insécurité et le logement à Genève !
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, nous allons nous prononcer sur le renvoi de cette proposition de résolution au Conseil d'Etat.
Mise aux voix, la proposition de résolution 686 est rejetée par 56 non contre 25 oui et 1 abstention.