Séance du
vendredi 10 juin 2011 à
20h45
57e
législature -
2e
année -
9e
session -
53e
séance
M 1976
Débat
M. Patrick Lussi (UDC). Décidément, vais-je entendre une nouvelle fois le MCG me dire que je parle pour rien, dans le vide, et que l'on ne sert à rien ? Mon Dieu, pourquoi pas ! Je suis prêt à l'entendre.
Mesdames et Messieurs, de quoi s'agit-il ? A nouveau, nous sommes en octobre 2010: une époque où la densité de population carcérale est élevée, une époque d'échauffourées, une époque où les gardiens sont blessés. On est à une époque où beaucoup de choses se passent. On est surtout à une époque où peut-être pas la hiérarchie, ni le Conseil d'Etat, mais en tout cas les gardiens vivent très mal cette surpopulation, cette confrontation, et peut-être aussi - ceci vous déplaira davantage, mais j'ose le dire - ce mélange de cultures entre détenus, qui viennent souvent de pays n'ayant pas du tout les mêmes principes, les mêmes lois, les mêmes usages et la même conception que nous avons du respect.
Il est vrai que, face à cela - et face à un cas précis - nous avions relevé qu'aux Etablissements de Bellechasse, par rapport à ce que l'on appelle la «mise au mitard», la peine disciplinaire au sein de la prison était plus élevée. D'où cette motion.
Mais, à la base, Mesdames et Messieurs les députés, c'est bien d'essayer de soutenir - et je sais que vous le faites mais, par le biais de cette motion, nous verrons votre réaction - c'est bien de soutenir ces honnêtes citoyens qui, tous les jours, travaillent à Champ-Dollon. Ce n'est pas simple, avec des détenus qui n'ont pas les mêmes usages que vous, qui n'ont pas la même famille que vous, qui n'ont pas la même envie de travailler que vous. Et ce n'est pas simple à supporter ! Ces employés se font agresser - on le dit peu ! - ils se font cracher au visage, ils se font insulter. Alors, heureusement, les punitions corporelles sont terminées mais, de grâce, lorsque des événements assez importants se produisent, essayons de prendre des mesures ! Peut-être que Mme la conseillère d'Etat répondra pertinemment à cela. En conclusion, nous vous demandons simplement de transmettre cette motion au Conseil d'Etat.
Présidence de M. Renaud Gautier, président
M. Fabien Delaloye (MCG). La proposition de motion 1976 de l'UDC a été déposée alors que des détenus en surnombre peuplaient la prison de Champ-Dollon. Le fait qu'actuellement cette pression a quasiment disparu favorise un retour au calme et un respect entre gardiens et détenus. Au passage, le Mouvement Citoyens Genevois souhaite saluer le personnel de la prison pour son engagement de tous les instants, ainsi que pour son professionnalisme. (Commentaires. Le président agite la cloche.)
Le règlement actuel, F 1 50.04, est largement suffisant au niveau de l'application de la discipline intérieure; modifier celui-ci en se calquant sur les Etablissements de Bellechasse, comme le souhaite l'UDC, serait techniquement difficile. Le fait qu'il n'y a que neuf cellules d'isolement disponibles pour toute la prison ne permet pas d'augmenter de dix à trente jours, au maximum, les arrêts disciplinaires. (Brouhaha.) Il faut ajouter qu'une trop forte répression intérieure pourrait favoriser un climat insurrectionnel, sachant que les détenus sont solidaires. Le remède serait pire que la maladie. (Commentaires.) Le MCG est pour une stricte application du règlement existant et ne soutiendra pas le projet de motion UDC afin de ne pas cautionner ce nouveau règlement, digne des barons du Moyen-Age.
Une voix. Bravo !
M. Bertrand Buchs (PDC). Le groupe PDC va refuser cette motion, en se posant la question suivante: est-ce que mettre quelqu'un au mitard pendant trente jours ou plus va régler le problème de la violence dans les prisons ? Nous pensons plutôt que c'est le contraire. Dans les pays où les gens sont à l'isolement pendant longtemps, il y a une violence énorme et davantage qu'à Genève ou dans d'autres cantons. Et puis, on peut se demander - je laisserai parler ensuite les membres de la commission des visiteurs officiels - si, vraiment, tout est si bien à Bellechasse. Est-ce que tout fonctionne réellement bien avec le règlement que cette prison a ?
Cette motion n'apporte strictement rien. Le personnel de la prison de Champ-Dollon a parfaitement bien agi, malgré des situations très difficiles, et le règlement est tout à fait suffisant.
Mme Christiane Favre (L). Mesdames et Messieurs les députés, je ne sais pas ce qui m'a le plus surprise en lisant cette motion. Je crois que cela a commencé par le titre: «Pour le retour du respect mutuel entre détenus et agents de détention». Quand on demande le retour du respect mutuel, c'est qu'on pense qu'il n'y en a plus de part et d'autre, c'est-à-dire du côté des gardiens et de celui des détenus. Ce n'est sûrement pas ce que vous avez voulu dire, mais c'est écrit.
Ensuite, on lit que «les gardiens sont devenus des domestiques au service des délinquants» et qu'ils sont «au bord du gouffre». Même pour le bon motif, je peine à comprendre qu'on puisse exprimer une idée aussi réductrice de la profession et de la qualité des gardiens de Champ-Dollon.
Je passe rapidement sur l'invite où l'on voudrait calquer le règlement de Champ-Dollon sur celui de Bellechasse, sans indiquer nulle part, ne serait-ce que pour la réflexion, que le premier établissement est une prison préventive, de détention avant jugement - pour relever ce qu'a dit ma collègue tout à l'heure - alors que le second est destiné à l'exécution de peines. Cette petite précision aurait pourtant permis de comprendre que les buts, le choix et la durée des sanctions peuvent être assez différents. Mais quand on a envie d'exagérer, on ne fait pas dans le détail ! Et le pompon tient dans une phrase de l'exposé des motifs. Je cite: «En définitive, les agents de détention sont devenus les serfs de détenus chouchoutés par nos autorités et entourés d'une cohorte d'avocats à leur service, alors que les gardiens ne peuvent compter que sur les bons soins prodigués par les HUG pour les coups qu'ils reçoivent !» C'est une phrase, Mesdames et Messieurs les députés, pour faire pleurer dans les chaumières ! Mais alors là, j'invite l'UDC - navrée de le redire - à être un peu plus présente aux séances de la commission des visiteurs officiels. (Brouhaha.) Parce qu'au travers des nombreuses visites annoncées, mais surtout inopinées, on a l'occasion d'observer la réalité du terrain: les conditions de détention, mais aussi les préoccupations et les souffrances du personnel quand il y en a.
L'avis d'experts que nous avons demandé récemment pour La Clairière montre assez bien que nous nous préoccupons des deux aspects du problème et qu'ils sont souvent liés. Alors que cette motion, déposée pour réagir à l'actualité, s'empare d'un problème en le caricaturant, à chaud, dans l'émotionnel, sans recul. C'est un peu dommage. Nous vous invitons donc à la refuser. (Applaudissements. Exclamations.)
Mme Loly Bolay (S). Je voudrais dire deux choses: tout d'abord que le parti socialiste ne soutient évidemment pas cette motion. Ensuite - et ce n'est pas M. le président du Grand Conseil, éminent membre et ancien président de la commission des visiteurs officiels, qui me contredira - la prison de Champ-Dollon est parfaitement bien gérée ! S'il y avait eu des problèmes, la commission l'aurait su, puisque nous nous y sommes souvent rendus lorsque se sont produites des tentatives de mutinerie, etc.
Et prendre Bellechasse comme exemple, Mesdames et Messieurs de l'UDC, c'est un peu fort de café ! En effet, l'année dernière, la commission des visiteurs officiels a dû intervenir, après une visite à Bellechasse, parce que des dysfonctionnements plus que discutables de la part de sa direction ont été relevés. Nous avons ainsi dû rédiger un courrier, parce que figurez-vous que les détenus étaient catalogués par des couleurs correspondant à leur appartenance. Et en fonction de cette dernière, ils étaient traités de telle ou telle manière. Evidemment, la commission des visiteurs s'est interrogée en entendant les détenus, raison pour laquelle nous avons écrit à la direction de Bellechasse. Je tiens à dire que M. Ischi, alors président de la commission - lui aussi, pourtant membre de l'UDC - était très circonspect sur la façon dont le directeur de Bellechasse gérait l'institution.
Donc, encore une fois, je crois que cette motion ne sert à rien. De plus, avant de la déposer, vous auriez dû parler à celui qui vous représente à la commission des visiteurs, afin qu'il vous tienne au courant de la problématique. Je tiens à dire que la commission des visiteurs officiels, l'une des plus anciennes de Suisse, est un exemple, puisque le canton de Vaud veut en créer une à l'instar de ce qui existe à Genève. Donc vous pouvez lui faire confiance. Je vous demande par conséquent de refuser cette motion.
M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je n'ai pas écrit mon texte, comme d'habitude, mais j'ai préparé quelques notes. (Exclamations.)
Une voix. Ça va être drôle !
M. Christian Bavarel. Non, cela ne va pas être drôle. Parce que la situation est dramatique dans les prisons, lorsque l'on est en surpopulation. Et effectivement, ces périodes-là sont... (Commentaires. Le président agite la cloche.) Monsieur le député Barrillier, je vais vous faire une confidence. J'ai déjà eu l'occasion de le dire dans cette salle, oui, j'ai été en prison, car je suis objecteur de conscience et, oui, j'ai vu de l'intérieur comment cela se passait. Ce qui m'a toujours surpris - surtout en tant qu'objecteur - c'est la violence qui règne dans ce genre d'endroit ! C'est la loi du plus fort ! Celui qui est capable de casser la figure à un gardien a le dessus, vis-à-vis de ses collègues et des gardiens. C'est extrêmement surprenant, lorsque vous avez l'habitude d'un monde normal, de voir celui des détenus, qui n'est pas tout à fait le même. (Remarque.) Oui, c'est un monde très brutal et, Mesdames et Messieurs les députés, le travail de gardien est très difficile. Lorsque l'on est en surpopulation, c'est pire encore.
Néanmoins, la proposition de l'UDC, qui voudrait mettre plus de gens au mitard, impliquerait de se retrouver également très vite en surpopulation dans les mitards et de devoir en construire de nouveaux. Je rappelle simplement que, dans une prison préventive, les gens sont présumés innocents. Certains seront jugés coupables, seront condamnés et iront dans une prison d'exécution de peine, mais, jusque-là, ils sont innocents ! De plus, vous avez des personnes réellement innocentes qui vont faire un temps de prison préventive. Les règles que vous souhaitez instaurer pour des personnes présumées innocentes me semblent donc quelque peu particulières.
Oui, les conditions de détention qui ont prévalu à Champ-Dollon étaient inacceptables, et pour les détenus et pour les gardiens. La commission des visiteurs officiels a tiré la sonnette d'alarme, dans ce parlement, plus d'une fois. Non, il ne faut jamais retrouver une situation de ce type, car elle est inadmissible, c'est certain. Le travail de gardien, dans ces conditions, devient épouvantable, la vie de détenu également. Je rappelle à nouveau que, dans une prison préventive, certaines personnes sont innocentes ! Donc il faut que l'on soit très clair là-dessus, et je suis toujours surpris par ce genre de règle qui veut que, dès qu'il y a un problème, la seule solution consiste à taper, à serrer, à compresser, etc. Quand vous connaissez un peu ce milieu-là et que vous vous rendez compte qu'il y a une «violence mère» et une «violence fille», eh bien vous savez que plus vous ferez monter la pression, plus cela deviendra dangereux et plus les gens vont sortir de prison révoltés ! Je me souviens d'un bouquin écrit à l'époque par Guy Gilbert, intitulé: «Des jeunes y entrent, des fauves en sortent». Il faut que nous fassions attention à ce que nos prisons soient capables de remettre ces gens - parce qu'ils retournent un jour dans la société...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !
M. Christian Bavarel. Oui, Monsieur le président, bien évidemment ! Les gens qui se trouvent en prison vont sortir un jour, et ils seront des citoyens, avec nous. Il faut donc que nous ayons une prison qui permette d'éloigner les gens dangereux de la société et, en même temps, qui leur permette de réintégrer cette dernière par la suite. Or les solutions que vous proposez ne permettent pas aux gens de retourner dans la société comme étant des gens normaux.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). Je ne vais pas m'exprimer au sujet de cette motion, mais je pourrais tout à fait rejoindre mon préopinant dans ses propos. Cependant, j'ai une remarque à faire, car nous avons vécu une situation extrêmement désobligeante, et ceux qui sont concernés vont s'y reconnaître. Je trouve que la moquerie, la suffisance, la surenchère pseudo-intellectuelle de certains députés au sein de cet hémicycle sont totalement inacceptables ! Cela vous fait sourire, cela vous fait rire, mais c'est comme une histoire de gardiens... On demande le respect, un respect mutuel, et certains ont vraiment du culot ! Chaque fois que quelqu'un prend la parole ici et que vous n'êtes pas habitués soit au langage, soit à la manière de s'exprimer, vous faites des remarques totalement désobligeantes ! C'est tout à fait inacceptable ! Ce que j'apprends ce soir - et par vous, Monsieur Weiss, en particulier - c'est que l'université, si elle forme parfois à l'excellence, ne forme en tout cas pas tout le monde à l'élégance ! (Applaudissements. Exclamations.)
M. Michel Ducret (R). J'en viendrai à l'essentiel de la proposition, et j'inviterai Mme et MM. les proposants à se renseigner auprès de leur délégué à la commission des visiteurs officiels. Tous les détenus genevois que nous rencontrons dans les établissements d'exécution des peines de l'ensemble de la Suisse nous font généralement part de leur souhait de retourner à Champ-Dollon, bien que ce soit une prison préventive, avec un régime moins favorable. Pourquoi, Mesdames et Messieurs ? Parce que les relations entre les détenus et les gardiens y sont les meilleures ! L'excellent - l'excellent ! - travail de nos gardiens de prison à Champ-Dollon se répercute sur la vie en prison de la manière la plus favorable, malgré les conditions de travail déplorables découlant de la surpopulation. Et l'on peut affirmer que la situation est meilleure à Champ-Dollon que dans bien d'autres établissements de Suisse, Bellechasse compris. Il faut saluer le travail de ces personnes, Mesdames et Messieurs, et donner les moyens à la justice, afin que l'accomplissement des peines puisse s'effectuer dans les meilleures conditions, notamment en parant aux problèmes de surpopulation. Mais en aucun cas cette motion ne pourra contribuer à quoi que ce soit, sinon à durcir les relations dans le monde carcéral entre détenus et gardiens.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Patrick Lussi, pour quarante secondes.
M. Patrick Lussi (UDC). Merci, Monsieur le président. J'ajouterai deux choses. M. Bavarel n'est plus là, mais peut-être a-t-il confondu différents éléments, car nous ne parlons pas de mettre au mitard les personnes innocentes. Il s'agit bien de questions disciplinaires, suite à de graves problèmes.
Ensuite, Madame Bolay, il est vrai qu'avant de prendre la parole ce soir par rapport à cette motion qui, on l'a vu, n'est pas tout à fait récente, j'ai lu avec intérêt l'excellent rapport de la commission des visiteurs officiels, rédigé, je crois, par M. Ducret. Bien sûr, vous pouvez vous gausser ou dire qu'il y a peut-être une mauvaise communication... Eh bien je me permets de rappeler que - souvenez-vous, Madame - il y a environ un an et demi, un gardien avait été choqué de ce que la commission des visiteurs officiels était, lors de ses visites de Champ-Dollon, tout attentive aux détenus et qu'elle n'avait même pas salué les gardiens. Souvenez-vous de cela ! En outre, nous avons quelques contacts, aussi, avec ce que l'on appelle les «gens masqués», peut-être ceux qui, face à leur hiérarchie, ne préfèrent pas parler avec l'oligarchie.
Le président. Vous devez conclure, Monsieur le député.
M. Patrick Lussi. Eh bien, je conclurai simplement: nous maintenons cette motion. Nous sommes persuadés qu'elle est pertinente et nous demandons son renvoi au Conseil d'Etat.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je donne la parole à M. Weiss, qui dispose de quarante secondes.
M. Pierre Weiss (L). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je pourrais vous parler de la paille et de la poutre, mais je veux juste vous demander si le Grand Conseil forme à l'humour. Je vous remercie.
Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'aime bien ces propositions de motions qui permettent de faire l'éloge de votre magnifique commission des visiteurs officiels, qui, une fois de plus - il est temps de le rappeler - fait un travail fantastique ! Je vous soupçonne de susciter ces motions de façon que l'on puisse à nouveau saluer le travail remarquable accompli... Plus sérieusement, je crois que cette motion n'a pas de sens, et je vous donnerai deux chiffres. Seulement deux chiffres ! Pour 2010, il y a eu 493 mises en cellule forte pour une moyenne de 564 détenus, soit moins d'une mise en cellule forte par détenu: 0,9 exactement. Je crois que d'avoir précisé cela, c'est une réponse.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous sommes en procédure de vote.
Mise aux voix, la proposition de motion 1976 est rejetée par 64 non contre 8 oui et 2 abstentions.