Séance du vendredi 10 juin 2011 à 20h45
57e législature - 2e année - 9e session - 53e séance

M 1973
Proposition de motion de Mme et MM. Patrick Lussi, Christo Ivanov, Christina Meissner, Eric Bertinat, Marc Falquet : Transférons de la prison préventive de Champ-Dollon vers d'autres prisons les détenus en exécution de peine !

Débat

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, cette motion a été déposée en date du 28 septembre 2010. L'actualité nous a montré les errances de la conception du nouveau code de procédure pénale suisse, avec l'énorme difficulté rencontrée - mentionnée par la presse - par rapport aux détentions préventives. Le nouveau code a amené une baisse de 36% des détenus à Champ-Dollon. Certes, c'est un premier pas, mais tout le monde dit - même certains procureurs - qu'il faudrait revoir ceci, car l'actualité nous indique aussi que les cambriolages sont loin d'être en baisse - 1000 par mois - et que Genève est devenu une plaque tournante du trafic de drogue, puisque les petits délinquants sont difficiles à incarcérer. Nous le verrons, mais revenons à la motion.

Il faut avoir à l'esprit que la prison de Champ-Dollon a été initialement bâtie pour 270 détenus. Et, bien que des constructions soient en cours pour obtenir 100 places supplémentaires, elle reste, à la base, un établissement de détention préventive ! (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Lorsque l'on est condamné et que l'on purge des peines, notre système prévoit d'être enfermé dans un établissement pénitentiaire, ce qui est défini dans un concordat. On s'aperçoit malgré tout que Champ-Dollon a servi bien souvent comme établissement pénitentiaire, et non comme établissement préventif.

Les invites de la motion demandent donc que soient davantage étudiées les possibilités de transférer les détenus condamnés - et on ne parle que des détenus condamnés - dans d'autres établissements pénitentiaires, de même que soit intensifié le dialogue, voire modifié - cela s'adresse à la conseillère d'Etat - avec les autres cantons quant au concordat latin, de manière à augmenter le nombre de places d'accueil.

Cette motion ne vise pas autre chose, Mesdames et Messieurs les députés, raison pour laquelle le groupe UDC vous demande de la renvoyer au Conseil d'Etat.

Présidence de M. Pierre Losio, premier vice-président

Le président. Il en est pris note, Monsieur le député. La parole est à M. Eric Stauffer.

M. Eric Stauffer (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, comment encombrer l'ordre du jour avec des motions qui ne servent à rien ? (Commentaires.)

Une voix. Il y a des spécialistes ! (Rires.)

M. Eric Stauffer. Eh bien voilà, on a exactement une motion qui ne sert à rien ! Ce n'est pas leur faute, à l'UDC, je vais vous expliquer pourquoi. Nous avons une commission appelée «commission des visiteurs officiels», mais puisque son commissaire manque 80% des séances, il ne connaît pas tout ! Donc je vous propose de refuser cette motion et de passer à autre chose.

En quelques mots, il y a ce que l'on appelle le «concordat latin», qui prévoit que les détenus en prison préventive soient placés ensuite dans des établissements pénitentiaires. Sauf que la loi indique qu'il y a un détenu pour une place de travail. Donc on ne peut pas les inventer ! Quand les pénitenciers sont pleins, on attend qu'une place se libère. Et dès que c'est le cas, les détenus en détention préventive partent pour exécuter leur peine.

Maintenant, si la motion avait mis en évidence le manque de vision cruel de ce gouvernement qui n'a pas su anticiper la montée de la criminalité et construire plus de prisons d'exécution de peine, on aurait pu y adhérer ! Par exemple, dans le concordat latin, Genève est à la traîne depuis quarante ans avec Curabilis ! Par exemple ! Cela fait quarante ans qu'on devait construire Curabilis... Vous savez - c'est l'ex-article 43 - pour les criminels extrêmement violents, ceux qui ne sont plus sujets à une libération du pouvoir judiciaire, mais qui relèvent du corps de médecine - ceux que l'on appelle un peu «les dérangés de la carafe». Donc on a fait Curabilis, finalement. Mais au lieu de réaliser en même temps l'agrandissement de Champ-Dollon, on a construit huit pavillons de vacances pour accueillir 65 détenus dans Curabilis... Coût des travaux, je ne m'en souviens plus - vous me pardonnerez l'inexactitude des chiffres - mais il doit s'agir de 40 ou 50 millions environ... Pour construire huit pavillons ! Alors que l'on manquait cruellement de places, surtout des places de détention administrative. Donc voilà, s'il y a quelqu'un à blâmer dans cette histoire, c'est bien les gouvernements précédents et, pour une fois, pas notre actuelle conseillère d'Etat, puisque c'est le manque de vision antérieur qui a fait qu'aujourd'hui, eh bien, on paie cette carence ! On a vu une réelle volonté d'effectuer un effort pour parer à ce manque avec «Cento pas rapido» - dont les murs se sont effondrés avant même qu'ils aient fini d'être construits; avec un dépassement de crédit - là aussi, veuillez excuser ces chiffres approximatifs, mais je crois qu'il s'agissait d'un dépassement de crédit de 20 millions... A la louche, n'est-ce pas, cela doit être à peu près ça; avec une violation flagrante des règles sur les appels d'offres sur le marché public, du gré à gré - enfin, rien de particulier en ce qui concerne le DCTI...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. Eric Stauffer. Bien sûr ! Je vais conclure, Monsieur le président. C'est usuel, donc, au sein du DCTI. Mais, en l'état, concernant cette motion, il faut simplement la refuser ! En effet, elle ne sert strictement à rien, puisqu'elle n'a aucune incidence par rapport aux lois et aux pratiques.

M. Michel Ducret (R). Quelle belle idée prônée dans cette motion, qui vise à inviter le Conseil d'Etat à faire ce qu'il fait déjà, à savoir à appliquer la loi - ce qu'il tente de faire depuis longtemps - et à le faire de mieux en mieux. En réalité, ce qui est demandé est déjà en cours ou en voie de réalisation ! Je vous citerai quelques exemples. Agrandissement de Champ-Dollon: en cours; davantage de personnel: en cours; construction de La Brenaz: cela a été fait; agrandissement de La Brenaz: projet en cours également; construction de Curabilis: travaux commencés; contacts avec les autres cantons: c'est fait depuis longtemps. Et j'en passe !

Mesdames et Messieurs, notre Grand Conseil s'est ému de la situation à Champ-Dollon depuis plusieurs années déjà, et a d'ailleurs invité le Conseil d'Etat d'alors à s'en préoccuper. Cela a débouché sur l'ensemble de ces projets.

La question est la suivante: lors des débats en plénière sur ce sujet, mais où donc étaient les représentants de l'UDC ?! Et, à la commission des visiteurs officiels - que je préside cette année - où donc étaient les représentants de l'UDC ? Que font-ils ? Comment dialoguent-ils avec leur groupe ? Que rapportent-ils à leur groupe ? Apparemment, rien ! Quelque part, cette motion est le fruit d'un dysfonctionnement interne de ce groupe parlementaire, plutôt qu'une nécessité pour notre canton. Cette absence de communication interne, d'ailleurs un peu surprenante, produit finalement une proposition blessante et vexante pour ceux qui travaillent, au niveau politique, à l'exécutif et dans notre conseil législatif, pour les fonctionnaires dans l'administration et dans les relations avec le concordat latin et pour tous ceux qui, depuis des années, s'efforcent d'améliorer la situation pénitentiaire à Genève. Le concordat latin, lui, fait son possible, mais on ne peut pas inventer des places qui n'existent pas ailleurs !

Au final, Mesdames et Messieurs, le seul but de cette proposition de motion, si on la regarde objectivement, est purement publicitaire. En conséquence, nous vous invitons à rejeter cette motion, que la décence eût demandé simplement de retirer.

Mme Loly Bolay (S). Pour une fois, je vais être d'accord avec M. Stauffer sur un point, à savoir quand il dit que cette motion ne sert à rien. Elle ne sert vraiment à rien ! Beaucoup de choses ont déjà été dites, mais j'aimerais vous rappeler quelques chiffres. Le service d'application des peines et mesures envoie à la commission des visiteurs officiels - la CVO - les chiffres permettant de savoir où sont les détenus genevois. A l'heure actuelle - et ce sont les chiffres de juin - à Champ-Dollon, il y a 88 détenus qui ont été condamnés. De ce chiffre, il faut enlever ceux qui ont fait recours de leur condamnation et qui doivent rester à Champ-Dollon pour des raisons évidentes. Presque 110 détenus se trouvent dans d'autres lieux de détention que prévoit plus particulièrement le concordat.

Dans votre motion, vous dites qu'il faut aller au-delà du concordat: mais c'est fait depuis longtemps ! Puisqu'il y a aujourd'hui des détenus à Witzwil, à Thorberg dans le canton de Berne, à Lenzburg en Argovie, à Pöschwies, à Ringwil - et en d'autres lieux, dont je n'arrive pas à prononcer les noms ! (Rires.) Tout ça pour vous dire que, aujourd'hui et depuis longtemps, le SAPEM, qui fait un travail remarquable - Madame la présidente du département, vous n'allez pas me contredire - a déjà essayé de placer les détenus genevois ailleurs. Mais il y a aussi une autre raison, celle selon laquelle, dans les pénitenciers, il ne peut y avoir de surpopulation carcérale. Tout à l'heure, on nous a rappelé pourquoi: parce qu'il y a une ordonnance fédérale qui stipule que, dans un pénitencier, il faut une cellule et que le détenu ait un travail. Donc il ne peut pas y avoir de surpopulation ! Mais la surpopulation se trouve à Champ-Dollon, parce que c'est un établissement préventif - on ne l'appelle plus comme cela, mais il s'agit de détention avant jugement. Donc, aujourd'hui, tout se fait, et tout a été entrepris depuis longtemps.

Juste une anecdote. Vous savez que M. Stauffer avait fait une grande publicité concernant le Valais. Mme la conseillère d'Etat a essayé d'y trouver des possibilités, or cela n'a pu se réaliser, parce qu'une trop mauvaise publicité avait été effectuée.

Mesdames et Messieurs les députés, comme d'autres groupes, les socialistes vous demandent de refuser cette motion: elle ne sert à rien, car tout est en train de se faire. Et depuis longtemps, d'ailleurs !

M. Bertrand Buchs (PDC). Le groupe PDC va refuser cette motion. Tout a été dit. Je crois que c'est un peu injurieux pour les gens qui siègent à la commission des visiteurs officiels, qui font un travail remarquable et qui se préoccupent depuis très longtemps de la question. Oser dire que rien ne se fait est purement scandaleux !

Quant au problème de Curabilis, il existe, mais il faut également relever que les gens qui s'y trouveront ne sont pas des «dérangés de la carafe», comme l'a dit M. Stauffer, mais de vrais cas psychiatriques. Le problème de ces cas est extrêmement important au niveau des détenus, parce qu'ils augmentent de plus en plus, ce qui cause du souci quant à leur traitement en milieu carcéral.

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai écrit mon texte...

Des voix. Oh !

M. Christian Bavarel. Je suis désolé ! Les Verts vous invitent à refuser cette motion inutile. (Rires. Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Je donne la parole à M. Lussi, qui dispose d'une minute dix.

M. Patrick Lussi (UDC). Oh, ce sera largement suffisant, Monsieur le président, je vous remercie ! (Remarque.) J'admire les faces calmes devant nous... C'est clair que la gausserie, la plaisanterie, la «matamorerie» de M. Stauffer sont de rigueur ce soir ! Je lui servirai ses motions inutiles ! Je rappelle simplement la date de dépôt de la motion... S'il n'y avait pas eu l'opportunité des erreurs et des errements du code pénal suisse - avec Champ-Dollon qui comptait 600 personnes, comme c'était le cas lorsque cette motion a été rédigée - eh bien je me réjouirais d'entendre quels propos vous tiendriez ! Mais vous avez raison: l'actualité passe, le temps passe, nous en sommes là... Peut-être reviendrons-nous sur le sujet. Lorsque l'établissement de Champ-Dollon sera à nouveau plein, lorsque Genève en aura assez de tant de détenus, lorsque la population en aura assez d'être agressée, on reprendra le dialogue ! Pour le reste, l'UDC maintiendra, même si c'est inutile, sa demande de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, plutôt que de considérer le passé, j'aime mieux voir l'avenir. Cette motion me permet de rappeler que je vous dois la planification pénitentiaire qui est en train d'être construite - tout de suite, à la rentrée, vous serez saisis du rapport. Il me semble important de prévenir les à-coups de l'année dernière. Ils sont peut-être dus à des erreurs du passé, mais je ne me prononcerai pas là-dessus car, encore une fois, je préfère voir l'avenir. Il est évident que nous allons de toute façon vers une augmentation de la population carcérale. Ce n'est pas Genève, mais toute la Suisse et l'Europe qui le disent. C'est une évidence. Il me reste à caler la planification pénitentiaire, telle qu'elle est prévue pour Genève, sur un chiffre hypothétique de 500, pourquoi pas, et de le lisser sur plusieurs années, de manière que nous soyons prêts.

La motion révèle des carences passées, mais j'aime mieux imaginer ce que l'on pourra faire pour le futur, c'est-à-dire caler un certain nombre, mettre en place des infrastructures et ne plus en bouger, afin d'empêcher les à-coups qui ne sont bons ni pour les détenus, ni pour les gardiens, ni pour les infrastructures, ni pour les finances cantonales, ni pour les travaux parlementaires ! Voilà pourquoi j'ai le plaisir de vous annoncer que, le 25 juillet, il y aura l'inauguration de Cento Rapido; nous mettrons enfin le pied dans cet établissement pénitentiaire que vous appelez de vos voeux. La motion aura au moins eu l'avantage de me permettre de vous annoncer cette planification pénitentiaire.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous sommes en procédure de vote.

Mise aux voix, la proposition de motion 1973 est rejetée par 69 non contre 8 oui et 2 abstentions.