Séance du jeudi 26 mai 2011 à 17h
57e législature - 2e année - 8e session - 44e séance

M 1978
Proposition de motion de Mmes et MM. Mathilde Captyn, Anne Mahrer, Emilie Flamand, Catherine Baud, Esther Hartmann, Pierre Losio, Hugo Zbinden, François Lefort, Olivier Norer, Sophie Forster Carbonnier, Roberto Broggini, Christian Bavarel, Brigitte Schneider-Bidaux, Miguel Limpo, Morgane Gauthier, Sylvia Nissim : Attention : le secteur culturel est en danger !

Débat

Mme Mathilde Captyn (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion vise à augmenter l'aide directe à la création de l'Etat de Genève. Cette aide directe à la création vise à soutenir des spectacles - de danse, de théâtre - et la création de films. Cette aide est aujourd'hui très faible par rapport à l'implication de l'Etat de Genève dans d'autres domaines d'activité, d'autres secteurs économiques. Elle est évaluée à environ 2 ou 3 millions de francs.

Si les Verts ont voulu déposer cette proposition de motion, au mois de novembre dernier, c'était en lien en particulier avec le résultat de la réforme de la loi sur l'assurance-chômage, votée le dimanche 26 septembre 2010, qui va rendre le métier d'artiste vraiment difficile à exercer. L'autre constat que les Verts ont fait est que, depuis dix ans environ, un grand nombre de lieux de culture alternative ont fermé. C'étaient des lieux de culture accessibles, avant-gardistes, jeunes, populaires, autogérés, formateurs. Mais des logements ont également été fermés. Nous avons aussi pris en compte la pétition 1662, de l'UECA - l'Union des espaces culturels autogérés - qui a quand même rassemblé près de 18 000 signatures.

D'une manière générale, nous déplorons l'érosion de la vie nocturne populaire de qualité. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de proposer au gouvernement qu'il augmente l'aide directe à la création, car cette aide directe donne les moyens d'assurer l'existence de la culture de demain. C'est aussi la façon de garantir le rayonnement artistique de la région. C'est pour cela que nous vous proposons de renvoyer directement cette motion au Conseil d'Etat. Je vous remercie en tout cas pour l'écoute particulièrement attentive. (Applaudissements.)

M. Antoine Bertschy (UDC). Je crois qu'il faut en revenir aux invites de cette proposition de motion, parce qu'il y a quand même quelque chose d'assez incroyable à lire dans la première invite: «à prendre des mesures immédiates pour favoriser l'activité professionnelle, le logement, les ateliers et lieux de création des artistes de la région».

Ce que nous proposent simplement les Verts, c'est que des citoyens aient des passe-droits au niveau des logements. Non ! Non ! Pourquoi cette catégorie de citoyens plutôt qu'une autre ? Non, il n'y a pas de passe-droits pour le logement. Il y a une crise du logement aiguë; elle est valable pour tout le monde. Alors pourquoi défendre les artistes et pas les caissières de la Migros, pas les réparateurs de scooters, ou pas les fonctionnaires ? (Remarque.) Peu importe ! On ne favorise personne ! Donc rien que pour cela, nous ne pouvons absolument pas accepter cette motion.

Je rappellerai à ma préopinante que le parti socialiste a aussi déposé une motion en faveur des intermittents du spectacle. Il a eu la sagesse de la retirer en début de séance. Les explications que le parti socialiste nous a données pour le retrait furent effectivement un peu longues. (Rires.) Mais il l'a quand même retirée. Donc j'invite les Verts à en faire de même et à nous déposer quelque chose d'un peu moins... comment dire ? (Commentaires.) ...d'un peu moins populiste, pas pour une catégorie de personnes en particulier. Je n'ai rien contre les artistes, mais de là à leur fournir des logements... (Remarque.) La plupart des gens ont de la peine à trouver des logements, alors on ne peut pas dire oui à cette proposition de motion.

M. Pascal Spuhler (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le Mouvement Citoyens Genevois ne soutiendra pas cette proposition de motion, non pas que nous n'aimions pas les artistes, bien au contraire; on en a quelques-uns parmi nous. (Remarque.) Mais ses invites sont effectivement difficiles à suivre, d'autant plus que, à Genève, ce ne sont pas les lieux de culture qui manquent. Certes, on en a éliminé quelques-uns avec le site Artamis, mais il est en train de se reconstruire. Nous savons que plusieurs choses s'y feront. Nous avons l'Usine, le Moulin à Danses, plein de maisons de quartier où la culture se fait. La culture se produit. Ces invites me semblent totalement exagérées, et nous ne soutiendrons donc pas la proposition de motion.

M. Pierre Weiss (L). Mesdames et Messieurs les députés, tout d'abord, je voudrais féliciter la motionnaire d'avoir rappelé le succès de la pétition de l'UECA, qui a réuni presque autant de signatures que la pétition en faveur du latin, dont nous reparlerons très prochainement.

Je voudrais aussi dire que la culture, y compris alternative, a besoin d'être soutenue. Mais j'aimerais m'inscrire en faux contre la description apocalyptique qui est donnée de la situation genevoise par cette motion. Elle est apocalyptique dans la mesure où l'on nous ajoute une suite de causes qui auraient mis en danger, voire quasiment mis à mort, cette culture alternative. Car c'est de celle-là qu'il s'agit. Il ne s'agit pas du secteur culturel en général, de la culture dite institutionnelle, bourgeoise, que l'on oublie, bien entendu; il s'agit de la culture alternative seulement. Cet accent focalisé sur la culture alternative nous montre bien, lorsque l'on se promène notamment à la place des Volontaires - je ne parle pas de ceux qui occupent la place, mais de ceux qui sont dans l'Usine - qu'elle existe toujours, qu'elle existe dans d'autres endroits encore, qu'elle rebondit, et que le propre de la culture alternative est de faire fi des obstacles pour trouver des moyens de renaître, tel le phénix.

Cela étant, quand l'on regarde le budget de l'Etat, qu'y voit-on dans la liste des subventions en faveur de la culture ? On y voit, à raison de subventions très nombreuses - notamment à des troupes théâtrales, mais aussi à des groupes de danse - l'aide que notre canton apporte à la culture dite alternative, et probablement institutionnelle, de demain. En même temps, il s'agit de bien voir que cette aide apportée par le canton peut être considérée comme une aide de nature arrosoir. Qui trop embrasse mal étreint et qui trop distribue de subventions ne réussit pas à satisfaire les bénéficiaires. C'est de ce point de vue un échec que vous soulignez de la dispersion à laquelle on arrive par la politique actuelle.

Il y a d'un côté, actuellement, un effet arrosoir qui est beaucoup trop important. Il y a de l'autre côté une chose que les motionnaires ne prennent pas en considération: la confusion institutionnelle. Nous voulons, dans ce canton - un certain nombre d'entre nous - un réaménagement des compétences en matière de culture, et notamment que le canton s'occupe des grandes institutions culturelles, en particulier les plus coûteuses.

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. Pierre Weiss. Or que veulent faire les motionnaires ? Ils veulent attribuer au canton ce qui devrait être de la responsabilité des communes. Ils se trompent de cible. Qu'ils proposent aux Conseils municipaux de la Ville de Genève et des villes environnantes de subventionner davantage la culture alternative. Je crois qu'ils auront, à ce moment-là, atteint la bonne cible. Cette proposition de motion doit donc être refusée.

M. François Gillet (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, comme vous le savez, les démocrates-chrétiens sont très attachés au soutien à la culture sous toutes ses formes dans notre canton. Nous avons d'ailleurs été très actifs lors du rassemblement des acteurs et des artistes ces dernières années. Nous considérons que les préoccupations de cette proposition de motion sont légitimes. Il est vrai que la question des lieux de création, de trouver des espaces en suffisance pour permettre à toute forme de culture de se développer dans notre canton, est un problème réel.

Toutefois, les invites sont, dans ce sens, excessives à nos yeux. Cela vient d'être dit et je peux le confirmer, c'est essentiellement l'affaire des communes de trouver des possibilités de lieux destinés aux activités culturelles sous toutes leurs formes. Les communes sont déjà, je dois le dire, très actives et très conscientes de ce problème. Non seulement la Ville de Genève mais aussi plusieurs communes suburbaines de notre canton sont déjà actives pour essayer de trouver des solutions. Il faut aussi dire qu'un certain nombre d'artistes ont de la peine à s'expatrier un peu en dehors du centre-ville; c'est dommage. Il y a des lieux qui pourraient tout à fait se prêter au développement de formes de culture aussi alternative en dehors de la ville. Malheureusement, il n'y a pas toujours une ouverture suffisante pour aller dans le sens de ces solutions.

Quant à la deuxième invite, il est évident qu'elle est également légitime. Le soutien financier à la culture est effectivement une préoccupation. Mais là, excusez-moi, Mesdames et Messieurs les Verts, vous tombez juste au mauvais moment. Je vous rappelle qu'un avant-projet de loi sur la culture a été déposé, que nous allons travailler sous peu sur une révision de cette loi sur la culture, sur l'encouragement à la culture, et que précisément le financement est un volet important, qui devra être pris en compte dans cette nouvelle loi. Donc ce point arrive juste trop tôt, ou en tout cas devra être repris de toute façon dans les travaux parlementaires sur le nouveau projet de loi.

Pour toutes ces raisons, tout en étant conscients de l'importance des aspects évoqués par la proposition de motion, nous ne pouvons la soutenir.

Mme Prunella Carrard (S). Le groupe socialiste soutiendra cette proposition de motion. J'aimerais en préambule rappeler que, si nous avons retiré notre précédente motion concernant la culture, c'était parce que les invites étaient en fait caduques au regard des modifications récentes de la loi. Les invites de la motion Verte ne le sont pas; elles ne sont pas caduques. Du coup, nous avons décidé de la soutenir.

Concernant la pénurie des lieux, il est vrai que la situation est critique, et depuis longtemps. Le PS l'a rappelé à maintes reprises en soutenant, tout comme les Verts, les propositions des milieux associatifs culturels genevois. En octobre, nous avons déposé une résolution demandant un recensement des lieux aux niveaux cantonal et régional; là où il y a des manques, nous attendons des propositions concrètes de la part du Conseil d'Etat. Pour finir, nous pensons qu'aujourd'hui n'est pas le mauvais moment de déposer cette motion, car justement le Conseil d'Etat est en train de travailler sur une refonte de la loi sur la culture au niveau de Genève. C'est précisément à ce moment-là que le Grand Conseil doit faire preuve de certaines intentions et demander au Conseil d'Etat de travailler dans ce sens. Pour cette raison, nous nous réjouissons d'aborder cette refonte du projet de loi sur la culture cet automne au Grand Conseil, avec si possible la prise en considération des demandes formulées dans cette proposition de motion, que nous vous invitons bien entendu à soutenir. (Applaudissements.)

Présidence de M. Renaud Gautier, président

M. Roberto Broggini (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai entendu le propos du député Weiss, qui a peur que la culture alternative ne devienne bourgeoise, parce que c'est en fait souvent cela qui se produit. Cela m'amuse. Cela juste pour dire que, dans certaines communes, il n'y a aucun soutien à la culture alternative et qu'il y a d'autres communes qui en bénéficient, parce qu'il faut bien en dire que c'est un bénéfice, je crois, pour la création. Alors il serait bon que, au niveau cantonal également, on puisse avoir cette réflexion.

J'entends les bancs bourgeois de ce parlement dire: «Ce n'est pas le bon moment.» Ce n'est jamais le bon moment ! Une fois c'est trop tôt, une fois c'est trop tard ! Mais il faut bien, à un moment, se rendre compte qu'il y a une grave crise et que l'Usine sature, actuellement, parce qu'il n'y a plus toutes ces créations, il n'y a plus ces friches industrielles qui existaient, ces friches où l'on pouvait justement développer ces types de culture.

Voici ce que je vous propose. D'ailleurs, cela a été démontré par l'étude qui a été réalisée par le département de la culture de la Ville de Genève sur les Etats généraux de la nuit, et par les attentes qui sont exprimées. Il y a une véritable attente qui est exprimée ! Donc je vous suggère, Mesdames et Messieurs, même si vous pensez que cette proposition de motion va un peu trop loin, de la prendre en considération, de la renvoyer en commission, de la retravailler et de trouver une solution qui soit acceptable pour toutes et tous.

Le président. Monsieur le député, avant que vous vous asseyiez: à quelle commission suggérez-vous que la proposition de motion soit renvoyée ? (Remarque.) Attendez ! Vous venez de demander le renvoi en commission.

M. Roberto Broggini. Oui, j'ai pensé à quelques commissions. Alors si la proposition de motion devait être renvoyée en commission, ce serait à la culture, bien entendu, ou autrement au Conseil d'Etat. Mais je vous demande d'abord un renvoi au département... à la commission de la culture, pour que l'on puisse retravailler ce texte.

Le président. Puis-je résumer vos propos en disant que vous souhaitez la renvoyer à la commission du Conseil d'Etat ? C'est cela ?! (Rires.)

M. Roberto Broggini. Non, non ! (Rire de l'orateur.) A la commission de la culture. Excusez-moi pour ce bafouillement, Monsieur le président. Je demande formellement le renvoi à la commission de la culture.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais saisir l'occasion de cette proposition de motion pour exprimer d'abord le fait que le Conseil d'Etat est au travail sur les questions qui touchent aux suites de l'avant-projet de loi sur la culture. Il convient peut-être de rappeler l'origine de cet avant-projet de loi en deux mots: une volonté de transférer des charges entre Etat et communes. A un moment, la Ville de Genève a suggéré de reprendre l'intégralité de la culture, avec un certain nombre de relais au niveau cantonal proposant le désengagement complet de l'Etat de ses engagements au niveau de la culture. A la suite de ce feuilleton, à rebondissements, la réaction des milieux artistiques et culturels a été forte. Le Rassemblement des artistes et acteurs culturels est né. Il organisa trois forums, suivis d'une publication, qui ont permis à l'ensemble des partis politiques représentés au Grand Conseil de se prononcer et de faire part de leur programme en matière de culture.

C'est dans le sillage de ces travaux que le Conseil d'Etat a décidé la création d'une commission d'experts dotée du mandat de rédiger un avant-projet de loi sur la culture. Cet avant-projet de loi a donc été transmis au Conseil d'Etat en avril 2010. Après réception et quelques réactions, il a donné lieu à une très vaste consultation, que l'ensemble des milieux culturels, politiques et intéressés au sens large ont investie, avec plusieurs contributions, dont la richesse est à relever. L'analyse en a été faite, et le Conseil d'Etat est au travail sur un projet de loi, avec pour objectif de vous le transmettre pour cet automne.

Au-delà de cet avant-projet de loi, qui doit devenir projet de loi et donc vous permettre de prendre un certain nombre de caps, j'aimerais dire que la culture dans notre canton, d'abord, est largement soutenue au niveau des crédits. Quand je dis qu'elle est largement soutenue, j'aimerais indiquer que, en comparaison, quels que soient les critères retenus, Genève, une fois additionnées les dépenses culturelles des communes et de l'Etat, représente la tête au niveau suisse. Cela ne veut pas dire pour autant que cela soit suffisant. Aujourd'hui, il y a une nécessité de prendre en compte des difficultés, qui sont régulièrement évoquées comme devant faire partie des responsabilités de l'Etat. Il y a la question de la sécurité sociale et celle des lieux culturels qui, additionnées aux fonds ponctuels attachés à la création, représentent un ensemble qui est visé par cette proposition de motion.

J'aimerais relever sur ce point que, actuellement, les travaux engagés entre le DCTI et le DIP, grâce à l'action de M. Muller et à la mienne, permettent de faire en sorte qu'il y ait eu une série d'offensives - notamment avec des milieux privés, avec des fondations, mais également avec la Ville de Genève - de manière à répondre à un besoin en matière de lieux culturels. J'aimerais dire que cela a été régulièrement relevé. Je souligne à cet égard l'excellente collaboration qu'il y a avec le DCTI et rends hommage à son action pour les lieux culturels.

Au passage, je souhaite aussi souligner, si vous me le permettez, le fait que nous travaillons aujourd'hui sur les questions de sécurité sociale. Cela fait également partie du champ de préoccupations de motions et d'un certain nombre de mouvements, dont celui qui a caractérisé les suites des travaux de la révision de la loi sur l'assurance-chômage. En particulier, la question de l'ordonnance a permis aux artistes de pouvoir bénéficier d'un certain nombre de conditions qui leur permettent de ne pas être les premières victimes de la révision de l'assurance-chômage, puisque leur métier, en tant qu'intermittents, les expose régulièrement à tous les risques.

J'aimerais enfin vous dire que, au-delà de nos actions conjuguées en faveur des lieux culturels par les subventions, par les subventions à la création, par le régime de sécurité sociale - dont nous explorons également les prolongations possibles au niveau cantonal - et par la mise à disposition des lieux culturels, cela ne représente évidemment pas encore la totalité, qui ne peut reposer que sur l'actualisation de la répartition des compétences entre canton et communes. Le projet de loi que nous sommes en train de préparer permettra bien entendu d'en traiter et vous permettra d'y apporter également les réponses nécessaires au niveau législatif.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, je serais reconnaissant que les députés n'agitent pas Coco. Sans cela, je la fais monter dans la salle ! Je mets maintenant aux voix le renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1978 à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport est rejeté par 56 non contre 29 oui et 1 abstention.

Le président. Nous nous prononçons maintenant sur la proposition de motion elle-même.

Mise aux voix, la proposition de motion 1978 est rejetée par 56 non contre 27 oui.