Séance du
vendredi 12 février 2010 à
17h
57e
législature -
1re
année -
5e
session -
24e
séance
M 1921
Débat
Le président. L'auteur unique étant M. Velasco, je ne sais pas qui, au parti socialiste, souhaite s'exprimer sur cet objet... (Remarque.) Je passe la parole à Mme Chatelain.
Mme Elisabeth Chatelain (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, en date du 5 novembre 2009, M. Alberto Velasco nous a fait un dernier cadeau ! (Rires.) Ce n'est pas «Mais où est donc Ornicar», c'est: «Où est passé l'usager ?» !
Une voix. «Usagé» avec un accent aigu, bien sûr ! (Rires.)
Mme Elisabeth Chatelain. Il est d'usage commun d'utiliser les termes «d'usagers» et «d'usagères» pour définir les personnes utilisant des services publics. Apparemment, soit le terme, soit - mais je ne le crois pas - la notion même des services publics doivent être - en l'occurrence - usagés, car il devient courant que les vocables «clientes» et «clients» soient utilisés à la place «d'usagers» et «d'usagères».
Les prestations de service public fournies par l'Etat sont des prestations en monopole. Les personnes qui les utilisent n'ont pas le choix de comparer ni la qualité ni le prix: elles ne sont donc pas dans une relation marchande !
Les exemples donnés dans l'exposé des motifs sont d'ailleurs significatifs: les TPG, les SIG et, même, particulièrement, le Service d'application des peines et mesures... Je crois que, dans ce cas, il est vraiment difficile de parler de «clients» ! Il est probable que ce glissement sémantique soit plus une négligence, voire une paresse linguistique. Ou alors, est-il seulement dû au risque d'erreur orthographique, puisque, bien souvent, le «é» remplace le «er» et qu'il est - c'est vrai - plus facile d'écrire correctement le mot «client».
Comme je ne souhaite évidemment pas abuser de votre patience, je vous demande de bien vouloir renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, afin - et ça, c'est important - de reconnaître tout d'abord la qualité de nos services publics et, ensuite, que tout n'est pas «marchand» dans notre société.
Une voix. Bravo !
Une autre voix. Très bien !
M. Eric Leyvraz (UDC). Moi, je suis un peu comme M. Gros: l'usager commence à être un peu usé par ces motions inutiles ! Je n'arrive pas à comprendre pourquoi on ne rédige pas une interpellation urgente écrite pour ce genre de question, ce serait beaucoup simple !
Si le fait d'utiliser le mot «clients» permet à ces entités de nous considérer comme des clients et de nous soigner en conséquence - en se disant qu'elles risquent de nous perdre si elles ne sont pas très bonnes - eh bien, tant mieux ! Mais, franchement, cette motion est à mettre à la poubelle ! Et, puisque j'ai la parole, je saisis cette occasion pour lancer un salut amical à notre ami Alberto !
M. Fabiano Forte (PDC). Je vous rassure cher collègue Cuendet, on ne va pas demander le renvoi en commission d'une motion aussi inutile que stupide ! Vous m'excuserez... Je trouve que vous avez un certain courage, Madame Châtelain...
M. Gabriel Barrillier. Charisme ! (Commentaires. Rires.)
M. Fabiano Forte. ...de défendre cette motion posthume !
La question n'est pas de savoir comment on qualifie la citoyenne ou le citoyen qui s'adresse à notre service public, mais de savoir avec quelle efficacité notre administration, en laquelle nous avons la plus grande confiance, rend service aux citoyens. C'est cela, la question fondamentale !
Nous vous invitons donc, Mesdames et Messieurs les députés, à rejeter cette motion.
M. Olivier Jornot (L). La vraie question est: «Mais où donc est passé Alberto Velasco ?»... (Exclamations.) ...parce qu'il n'y avait que lui pour nous inventer des choses pareilles ! Il n'y avait que lui pour nous distraire de cette politique si sérieuse et nous orienter vers des sciences plus ancillaires telles que la sémantique, le découpage des cheveux en quatre, voire, même, la sémiotique, l'art du signe qui nous incite à nous interroger sur ce que veut dire ce qui est montré, celui qui montre ! Vous connaissez toutes ces affaires de signifiant et de signifié, qui sont tout à fait passionnantes...
Le terme «d'usager», Mesdames et Messieurs, est né en 1933, nous apprend le Robert. 1933, ce n'est pas une bonne année de naissance ! Il est né en 1933, et le Robert nous dit encore qu'il est très peu épicène: le terme «usagère» est très peu utilisé... Je ne comprends pas très bien que le groupe socialiste s'aventure sur des voies aussi peu politiquement correctes !
Alors évidemment, je comprends très bien: vous avez cette vision des gens qui font la queue dans des locaux grisâtres et un peu décatis, avec un numéro de matricule sur la poitrine, comme ceux que vous aimez promouvoir, ces citoyens qui deviennent des numéros lorsqu'ils vont quémander des prestations à un guichet, où un préposé acariâtre leur fait bien sentir qu'ils ne sont rien d'autre que des «usagers», alors qu'il représente la majesté de l'Etat, j'en passe et des meilleures !
C'était peut-être la vision de M. Velasco, mais ce n'est pas la nôtre ! Nous, nous sommes contents, Mesdames et Messieurs - comme le dirait notre actuel président du Grand Conseil - que les administrations aient cessé d'utiliser le mot «usager» ! Nous sommes satisfaits que les TPG ne considèrent pas ceux qui prennent les transports publics comme des boeufs que l'on peut traiter de la sorte ! Nous sommes contents que les hôpitaux universitaires considèrent qu'ils ont affaire à des «patients» et pas à des «usagers» ! Nous sommes satisfaits que, dans les services de l'administration, l'on ait de la considération pour les gens qui viennent, que l'on pense qu'ils ont une âme, des besoins, des sentiments, et qu'il est possible de les traiter comme des partenaires !
C'est cela qui compte, c'est cela qui nous satisfait, et nous remercions le groupe socialiste de nous donner l'occasion de le répéter ici ce soir: merci, mais non ! (Rires, exclamations et applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député ! Je passe la parole à Mme Schneider Hausser... (Exclamations.)
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Eh oui ! Monsieur le président, cette motion, je ne l'avais pas signée. Mesdames et Messieurs, vous pouvez vous moquer... (Exclamations.) Mais oui ! Vous l'avez fait, mais ce n'est pas grave ! Je crois quand même que si l'on appelle les usagers «patients» ou, même, «participants», c'est tout de même différent que de les appeler «clients» ! Je suis désolée, mais quand on a affaire à l'Etat, aux services de l'Etat, pour recevoir des prestations ou faire des demandes, on n'est pas dans du «win-win» ! (Commentaires.) Voilà ! Excusez-moi, je voudrais juste terminer !
Le président. Il vous reste encore dix secondes !
Mme Lydia Schneider Hausser. Oui, merci ! Cette question n'est par conséquent pas aussi anodine que cela, puisqu'il s'agit de savoir si la seule valeur que nous avons à Genève - et en particulier dans les administrations - est une valeur néolibérale de commerce et de concurrence ! (Exclamations. Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Je passe encore la parole à M. Aubert, à qui il reste cinquante secondes.
M. Claude Aubert (L). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je me permets de rappeler au groupe socialiste que le seul terme épicène correct serait: «camarade» ! (Rires. Applaudissements.)
Le président. Merci. On redouble d'humour rhétorique, c'est parfait ! Monsieur Broggini, je vous passe la parole.
M. Roberto Broggini (Ve). Merci, Monsieur le président. En parlant du «Petit Robert», je lis la définition de «client» dans «Le Robert»: «A Rome, Plébéien qui se mettait sous la protection d'un patricien appelé "patron"». Je peux donc bien comprendre la réticence de la droite pour que l'on n'utilise pas le terme «usager» et pourquoi vous voulez bien que tous les habitants de Genève soient vos «clients» ! (Rires. Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député - et cher client. Je passe la parole à M. Hiler.
M. David Hiler, conseiller d'Etat. Il est vrai que ce débat sémantique est intéressant, parce que, a priori, je n'aurais pas défini exactement les termes «usager» et «client» comme l'ont fait les motionnaires. Sans doute, est-ce moi qui me trompe... Il me semblait que lorsque je paie, je suis un «client», et que, lorsqu'une prestation gratuite m'est fournie, je suis un «usager». En tout cas, ce qui est sûr, c'est que lorsque je vais aux urgences, je suis un «patient», car il n'y a pas moyen de faire autrement ! (Rires.) Merci ! Il fallait quand même bien la placer ! (Applaudissements.)
Cela étant dit - c'est pour cela que je prends la parole - la seule chose qui me régalerait d'avance, c'est de voir mes différents collègues qui s'occupent d'entités publiques autonomes veiller à ce que chacune de ces entités évite soigneusement ce terme dans leurs communications, ce qui leur donnerait un certain travail !
Maintenant, sur la question philosophique, ce n'est pas ce biais qu'on peut le faire ! Ce que l'on cherche tous, c'est fournir des prestations de qualité. Pour certaines de ces prestations, on demande aux citoyens de participer: à l'achat d'un billet des TPG, ils en paient une partie. Il en est de même dans d'autres domaines. Et il y a d'autres éléments qui sont des prestations d'exercice de l'autorité, c'est vrai, où l'on utilise dans le langage vulgaire la notion de «client de la justice»... Je pense qu'on peut l'éviter. Quant à «client» des impôts, c'est un véritable régal... (Rires.) ...c'est la personne qui achèterait un bordereau d'impôt, pour le plaisir de payer une dizaine de milliers de francs ! Pour des questions de respect, j'imagine mal, s'agissant de chômage, de prestations sociales, que l'on s'amuse à jouer avec les grands mots pour faire du «New Public Management», version Australie 1985, qui est un peu dépassé !
Tout cela pour vous dire, Mesdames et Messieurs, qu'au-delà de votre vote et du bon temps que vous venez de passer sur ce sujet, nous sommes attentifs à ce que toutes les personnes qui ont des relations avec des services publics et avec des politiques publiques en aient pour leur argent quand elles paient et, dans les autres cas, que leur droit soit respecté, tel qu'il est fixé par les lois que ce Grand Conseil ou les Chambres fédérales adoptent.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets la proposition de motion 1921.
Mise aux voix, la proposition de motion 1921 est rejetée par 64 non contre 26 oui et 3 abstentions.
Le président. Nous transmettrons cette information à notre ex-collègue, M. Velasco. (Rires.) Mesdames et Messieurs les députés, nous passons maintenant au point 33 de notre ordre du jour.