Séance du
vendredi 29 janvier 2010 à
20h30
57e
législature -
1re
année -
4e
session -
21e
séance
PL 9953-A
Premier débat
Le président. Nous sommes au point 36 de notre ordre du jour. Le rapport de majorité est de M. Gros et le rapport de minorité de Mme Grobet-Wellner, qui est remplacée par Mme Schneider Hausser. Je donne la parole à M. Gros.
M. Jean-Michel Gros (L), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, là également, je vous demanderai, comme la majorité de la commission, de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. Il s'agit de la problématique de vouloir donner aux communes l'accès au rôle des contribuables ainsi qu'à leurs montants imposables sur le revenu et la fortune. Cela me paraît être un danger, dans la mesure où ce projet créerait une réelle brèche fiscale, une brèche dans le secret fiscal auquel les Genevois sont très attachés. D'ailleurs, l'exposé des motifs du projet socialiste le dit carrément: ce projet aurait pour but de lutter contre la fraude fiscale.
Ce qui est complètement aberrant, et vous le lirez dans mon rapport, c'est que les communes ne sont pas une autorité fiscale et ne sont donc pas chargées du contrôle fiscal, c'est ainsi complètement à côté du sujet que de vouloir en faire des contrôleurs fiscaux.
Par ailleurs - je ne veux pas être long, je reviendrai peut-être plus tard dans le débat sur ce sujet - je vous rends attentifs à l'exposé que nous a fait le secrétaire adjoint du département des finances, M. Dufey, suite à la demande des Verts d'examiner la compatibilité entre ce projet de loi et la loi sur la protection des données personnelles. M. Dufey conclut en fait que ce projet de loi ne répond pas au principe de proportionnalité, dont le respect est exigé dans la LIPAD, en ce sens que le fait de pouvoir accéder au rôle des contribuables ne permettrait en aucune manière aux communes de corriger quoi que ce soit à ces déclarations. Cela ne respecte donc pas le principe de proportionnalité.
Une seule question s'est posée - à l'audition des communes, elle a été évidente et moi-même, comme ancien magistrat communal, j'en suis conscient: il y a réellement un problème dans les données que transmet l'Etat aux communes pour pouvoir élaborer leur budget. C'est vrai que ces données arrivent souvent tard, très tard, et que le système postnumerando, que nous avons adopté il y a quelques années, ne facilite pas cette tâche, les résultats arrivant encore plus tard. Nous avons posé la question, et nous avons obtenu quelques garanties du département quant au fait que sera étudiée la possibilité de se contenter peut-être de 80% des contribuables taxés pour envoyer ces données aux communes, au lieu des 90% exigés actuellement, ce qui implique parfois des retards de quatre ans - M. Tornare, je pense, est bien placé pour le savoir. Donc là, il y aura un effort à faire, c'est sûr. Mais vous avez remarqué, dans les annexes que j'ai jointes au rapport, que des progrès ont été réalisés pour le budget 2010, puisque déjà en mai 2009, des estimations assez fines, envisageant d'ores et déjà la baisse fiscale que le peuple a votée en septembre, ont été transmises aux communes. Ainsi, les communes disposaient quand même de quelque chose d'assez fiable cette année pour élaborer leur budget 2010. On va donc vers une amélioration de ces renseignements donnés aux communes, mais, de l'avis de la majorité, il n'est pas question de leur permettre d'avoir accès au rôle des contribuables ainsi qu'à leurs montants imposables.
Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de minorité ad interim. J'appelle de mes voeux que, pour que les communes puissent avoir des informations plus fiables et plus rapides, nous n'ayons pas à voter des diminutions d'impôts - comme nous venons de le faire toutes les années. Pour être plus sérieuse, en ce qui concerne la protection des données, le rapporteur de majorité a parlé de la LIPAD. Par contre, le Tribunal fédéral, lui, estime que ce n'est pas de l'ordre de la protection des données, c'est en tout cas un arrêt rendu en 81 qui le dit: «Rien ne saurait prouver qu'un droit de regard sur les registres de l'impôt, et ceci sans clause d'intérêt pour les demandeurs, puisse faire obstacle à des droits fondamentaux relevant de la Constitution.»
C'est vrai que, pour les communes - et c'était là le but du dépôt de ce projet de loi - il est important de pouvoir avoir des chiffres fiables relativement tôt, ne serait-ce que pour prévoir les budgets. Dire que la proportionnalité ne permet pas d'ouvrir ces registres est une genevoiserie: beaucoup de communes dans d'autres cantons suisses ont cette possibilité d'ouverture - Berne, Lucerne, Obwald, Vaud, Argovie, Valais, Neuchâtel... Donc pourquoi Genève résisterait-il à cela ?
L'un des arguments importants en faveur de cette plus grande ouverture des registres, c'est la fraude fiscale. Oui, c'est un argument, vous dites que ce n'en est pas un. Mais il n'empêche qu'à Genève il y a eu plusieurs cas. Un cas s'est produit juste avant le dépôt de ce projet de loi, et il s'est alors avéré qu'il y a eu fraude fiscale de la part d'une personne domiciliée dans une commune. S'il y avait une ouverture plus grande ou une transparence plus grande du rôle des contribuables, on aurait pu éviter de telles situations.
Ce projet de loi demande une plus grande transparence fiscale, non pas pour lever des secrets incroyables, mais plutôt dans l'intérêt de tous les contribuables, dont la plupart paient leurs impôts, afin que tous le fassent et qu'il y ait un plus grand suivi et un plus grand contrôle de ceux qui ne le font pas. Et, dans ce sens-là, la commune a aussi un rôle de proximité à jouer qui permettrait d'agir, sans qu'on ait à inventer des systèmes incroyables et administrativement très lourds. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, le parti socialiste vous demande de soutenir ce projet de loi.
M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, il est évident que le groupe MCG va refuser ce projet de loi, cela pour plusieurs raisons. D'abord, ce qui nous est proposé constitue une atteinte grave au secret fiscal. Ensuite - je vous demande de consulter ce rapport - il y a eu l'audition de l'ACG, et les représentants des communes genevoises disent ne pas souhaiter ce projet de loi puisque son but, en quelque sorte, c'est l'accès au rôle des contribuables par les communes. Mais celles-ci n'ont rien demandé, leurs représentants le disent à la page 6, je vous demande de vous y reporter. Voilà, c'est clair, c'est net: les communes ne veulent rien.
Et par rapport à la fraude fiscale, évidemment - M. Hiler l'avait dit en 2005 - grosso modo il y en a pour 500 millions à la charge de notre canton. C'est un chiffre énorme, et lorsqu'il y a fraude fiscale, eh bien il est clair que ce sont d'autres qui compensent les montants échappant à l'administration fiscale. Mais c'est à cette dernière de faire la chasse aux sorcières et pas aux communes. C'est à elle d'augmenter si nécessaire le nombre de contrôleurs - aujourd'hui, on n'en a quasiment plus, alors qu'il y a encore moins de cinq ou six ans on en avait sauf erreur onze. Peut-être qu'il y en a quelques-uns de plus avec M. Hiler, mais à un moment donné, en 2005, il n'y en avait plus qu'un. C'est donc à eux de faire ce travail, ce n'est pas aux communes d'aller enquêter sur le rôle des contribuables.
Je dirai encore que ce qui est grave par rapport à ce projet, c'est qu'on pourrait, par ce regroupement de données, identifier les contribuables. Et les communes pourraient ensuite accorder certains privilèges aux bons contribuables par rapport aux gens qui auraient des petits revenus et qui ne seraient pas forcément aussi intéressants, s'agissant de certaines demandes qu'ils pourraient adresser à la commune. On pourrait ainsi tomber dans un certain favoritisme découlant de ces données transmises par l'administration fiscale. Je vous invite donc à refuser ce projet de loi. En tout cas, il est clair que le groupe MCG le refusera.
Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, à l'époque où le groupe socialiste a déposé ce projet de loi, un événement nous avait quand même frappés: l'histoire de l'héritier d'un trône transalpin, qui habite Genève depuis longtemps. Et cet homme, tout en étant domicilié à Genève et en y possédant plusieurs maisons - toutes assez luxueuses - ne payait absolument pas d'impôts à Genève. Il ne les paie d'ailleurs toujours pas: selon une enquête que j'ai menée, il se trouve qu'il avait une adresse à Crans, eh bien elle était fictive puisqu'il a été dit de ce monsieur qu'il habite au Portugal.
Donc, tout en habitant Genève toute l'année, il n'y payait pas d'impôts, d'où ce projet de loi. Pourquoi ? Tout d'abord, nous nous sommes rendu compte que la grande majorité des cantons suisses ont accès au rôle des contribuables, il n'y a qu'à Genève que tel n'est pas le cas. Et la droite qui nous fait la leçon pour nous dire: «Il faut de la vidéosurveillance partout, il faut qu'on flique tout le monde !» Là, comme par hasard, quand on parle de faire payer des impôts à ceux qui en ont les moyens, il n'y a plus personne, et on nous dit: «Circulez, il n'y a rien à voir, là, on ne veut pas savoir et on s'en fout que des gens qui ont des moyens ne paient pas d'impôts sur Genève !» Oui ! C'est ça ! (Commentaires.) Ne faites pas comme ça, les radicaux ! C'est la vérité ! (Rires. Commentaires.)
D'ailleurs, moi je vais vous le dire, dans le projet de loi, il y a des choses très intéressantes. En effet, il y a des arrêts du Tribunal fédéral, disant que le rôle des contribuables ne fait pas partie de la sphère qu'il faut protéger. Pas du tout. Pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés ? Mais c'est dans notre Constitution ! Tout citoyen doit payer un impôt selon sa capacité contributive. Trouvez-vous normal qu'à Genève il y ait des gens qui ne paient pas un sou d'impôts alors que tous les autres doivent s'en acquitter ? C'est totalement inacceptable !
Alors - bien sûr ! - on vient nous dire: «Mais les communes n'ont pas besoin de cela !» Si, Monsieur Golay ! Justement, les communes ont besoin de cela, parce qu'elles n'ont aucune connaissance des informations utiles. Et dans le rapport de minorité sont relatés les propos du président de l'Association des communes genevoises, aujourd'hui devenu député: «[...] M. Dal Busco a fait part des problèmes budgétaires liés au manque d'informations disponibles actuellement et affirme que si le présent projet de loi entrait en vigueur, les éléments d'information supplémentaires seraient appréciés par les communes.» J'étais aussi conseillère municipale et je sais combien de problèmes ont les communes pour savoir quel est l'argent qui va rentrer.
Mesdames et Messieurs les députés, vous êtes en train de faire tout faux ! Vous nous avez imposé une baisse d'impôts... (Commentaires.) Vous ! ...avec un projet de loi que vous avez accepté dans le budget. (Commentaires. Brouhaha.) Vous nous avez imposé une baisse d'impôts à cause de laquelle des milliards vont manquer à l'Etat ! (Brouhaha.) Nous vous proposons un projet de loi pour faire payer ceux qui sont à Genève ! Et combien y a-t-il de perdu ? J'ai eu une discussion avec un conseiller d'Etat de droite lorsque j'ai déposé ce projet de loi, qui m'a dit: «Madame Bolay, ce sont des millions.» L'argent qui est perdu pour Genève se chiffre en millions !
Mesdames et Messieurs les députés, encore une fois, pour nous, socialistes, il doit y avoir une équité devant l'impôt. Tous ceux qui sont à Genève et qui profitent des infrastructures, qui profitent de tout cela, doivent payer un impôt. Il n'est pas normal que des gens ne paient pas, tout simplement parce qu'ils annoncent un domicile ailleurs alors que c'est un mensonge. Vous, vous acceptez ça ! Par contre, encore une fois, la vidéosurveillance, vous voulez en mettre partout ! Eh bien, le parti socialiste, même s'il est minoritaire, se battra encore et toujours, Monsieur le président, pour qu'il y ait une plus grande solidarité fiscale ! C'est la raison pour laquelle nous voterons bien évidemment notre projet de loi. Et nous vous invitons, si vous êtes cohérents, à en faire de même. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Je rappelle que le temps est de cinq minutes par groupe. Monsieur Deneys, il vous restera encore trente secondes après. Je passe la parole à M. Forni.
M. Michel Forni (PDC). Merci, Monsieur le président. Je serai tout à fait modéré après cette exhortation à ce civisme très exhaustif. (Commentaires.) Je reviens sur les buts des initiants de ce projet. Il y a donc deux objectifs au départ: d'une part, donner cette possibilité aux communes d'avoir l'accès au rôle et donc un meilleur contrôle en matière de rentrées fiscales, comme cela se fait dans d'autres cantons suisses. Cela permet aussi un certain contrôle de l'impôt. Et contrôle il y a, les spécialistes du département nous l'ont démontré, cela existe et ce n'est pas une simple vérité. Mais cette démarche doit aussi permettre d'apporter aux communes une meilleure prévisibilité des ressources. Et c'est peut-être ça l'élément déterminant, puisque cela permet d'optimiser les procédures de la planification budgétaire.
Mais comme cela a été relevé aussi, cela transgresse - il faut le dire - et ouvre une très grosse brèche dans la forme d'un secret fiscal. Et quand on parle de secret dans ce pays, on a l'impression que nous retournons dans une enfance ou une adolescence dans laquelle nous avions certaines réticences et certaines obligations à respecter. C'est la raison pour laquelle le scepticisme s'est installé dans la commission - que je présidais d'ailleurs - face à ce projet, permettant à certains de le qualifier de lutte contre la fraude - il faut le dire - à d'autres de le considérer comme un moyen d'engager davantage de contrôleurs fiscaux et, enfin, à certains de rajouter que les communes pourraient se transformer également en agents du fisc.
Lorsqu'on arrive à des dérives de ce type, et lorsqu'on comprend que les spécialistes de l'administration fiscale ont démontré que les efforts ont été faits pour apporter, par des statistiques envoyées aux communes par le contact direct, des améliorations notables, on peut finalement se poser la question d'une certaine forme de dérive. Alors, dérive il pourrait y avoir mais - comme cela a été dit, et comme on l'a entendu ce soir - les interprétations des juristes et des pseudo-juristes de ce département et de ce parlement font que la loi est rebaptisée, bien sûr, «loi sur l'information du public», mais qu'elle est interprétée et interprétable. Et dès lors, il y a un transfert d'informations dont on doute: il aboutit dans un sens, peut-être, à sous-estimer l'intérêt que les communes pourraient avoir; mais, peut-être, dans un autre sens, à surestimer une sorte de contrôle qui n'est pas forcément le meilleur élément dont nous puissions disposer. C'est la raison pour laquelle ce transfert d'informations, bien sûr, pose problème aux communes, et nous le comprenons bien.
Dans un domaine complexe - qui a permis de traiter, sous un angle juridique, données et principes - il nous semble bon, au parti démocrate-chrétien, de rappeler que le souci des communes ne doit pas être sous-estimé, mais qu'il y a une priorité à donner à un consensus, non pas flou, mais consistant en une prise de position bien mesurée mais vraie. Pour ces raisons, nous ne recommandons pas de poursuivre ce projet de loi, et nous vous demandons donc d'y renoncer.
M. Stéphane Florey (UDC). S'agissant ni plus ni moins d'une intrusion supplémentaire de l'Etat dans la sphère privée, l'UDC genevoise refusera l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Le président. Merci pour votre brièveté, Monsieur Florey, la parole est à Mme Läser.
Mme Patricia Läser (R). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, les radicaux pensent aussi que c'est une nouvelle intrusion dans la sphère privée, et je vous rappelle que l'administration fiscale a introduit une nouvelle disposition à l'article 12 de la loi de procédure fiscale, qui donne l'accès à certaines informations aux communes et aux magistrats communaux. De plus, à ce moment, l'Association des communes genevoises avait été auditionnée et n'avait pas souhaité obtenir les taxations chiffrées. Donc, à ce moment déjà, l'ACG n'avait pas demandé cela. Et je vous rappelle que, pour avoir des chiffres fiables, il faut que 90% des... (L'oratrice s'interrompt. Remarque. Rires.) ...des taxations soient rentrées ou soient faites...
Une voix. ...des bordereaux...
Mme Patricia Läser. ...des bordereaux soient rentrés. Et à ce moment-là, les budgets des communes sont déjà faits. Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi.
M. Olivier Jornot (L). Mesdames, Messieurs, nous l'avons compris, ce projet de loi n'atteint pas son but, en tout cas pas celui qu'il énonçait au départ, c'est-à-dire celui de faciliter la prévision par les communes de leurs recettes futures et d'offrir la possibilité pour elles d'ajuster en conséquence leur budget, puisque ce but-là, il n'est pas possible de l'atteindre - les communes le savent elles-mêmes puisqu'elles ne sont pas demanderesses de ce dispositif. Et puis toutes les explications ont été données, aussi bien en commission que par l'excellent rapport de M. Gros: ces informations arriveraient de toute façon beaucoup trop tard pour permettre de corriger le tir.
Mais en réalité, grâce à l'exposé enflammé de Mme Bolay tout à l'heure, nous avons compris quel était le vrai objectif de ce projet de loi, Mesdames et Messieurs: ce n'est pas du tout de favoriser la prévision des recettes fiscales par les communes, mais d'instaurer autant de polices fiscales qu'il y a de communes, en incitant les magistrats municipaux à ne faire rien d'autre que de la délation. C'est un projet de loi de voyeurisme, où vous souhaitez que les communes se lancent dans les rues ou sur Google pour aller regarder qui a une piscine, qui a une voiture, et ensuite établir des listes noires qu'on va transmettre à l'administration. C'est un projet de loi de délation, Madame Bolay, que vous nous proposez ici ! (Commentaires. Exclamations.)
Et comment est-ce que vous fondez cela ? En allant chercher, encore une fois sur Google, des vieux arrêts du Tribunal fédéral, qui ont dix ans et dont on ressort des phrases sans queue ni tête, alors que nous avons, dans ce parlement, débattu pendant des heures de notre volonté de renforcer la protection des données personnelles avec la célèbre LIPAD dont on parlait tout à l'heure. Lorsque nous avons débattu de cela, c'était précisément pour renforcer la protection des citoyens face à l'administration dans tous les domaines. Alors, qu'on ne vienne pas nous dire qu'il y a quinze ans le Tribunal fédéral trouvait que c'était une bonne idée d'aller fureter dans les registres fiscaux alors même que ce parlement a voulu mieux protéger les citoyens, précisément contre la dispersion de leurs données dans le public.
Il faut être très clair, ce projet de loi ne permettra ni d'aider les communes ni d'atteindre l'objectif que vous souhaitez atteindre, celui d'augmenter les recettes en traquant la fraude fiscale. Il ne permettra rien d'autre que de renforcer l'instabilité des citoyens par rapport aux autorités, et ça, il ne faut surtout pas l'admettre. Je vous invite à rejeter ce projet de loi. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Deneys, à qui il reste trente secondes.
M. Roger Deneys (S). Merci, Monsieur le président. Page 6 du rapport, audition de l'Association des communes genevoises: «Si le projet de loi 9953 entrait en vigueur, les éléments d'information supplémentaires seraient appréciés des communes.» Monsieur Jornot, Monsieur Golay, je vous invite à mieux lire les rapports avant de vous exprimer devant ce Grand Conseil. Les communes sont intéressées par des informations supplémentaires, dans la mesure où aujourd'hui elles ont uniquement une liste des contribuables et pas les montants qui sont déclarés. (Commentaires.) Evidemment que l'effet indirect de ce projet de loi est de lutter contre les parasites fiscaux qui ne déclarent pas leurs revenus... (Commentaires.) ...car il s'agit simplement...
Le président. Monsieur Deneys, il faut conclure !
M. Roger Deneys. ...d'un principe d'égalité devant la loi. Je vous invite donc à soutenir ce projet de loi et à voter l'entrée en matière.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Jeanneret, à qui il reste deux minutes trente.
Une voix. Quarante !
M. Claude Jeanneret (MCG). On ne va pas chipoter... Merci, Monsieur le président. Chers collègues, j'entends de nouveau aujourd'hui les grandes théories d'inquisition, qui sont peut-être intéressantes pour essayer de démasquer un ou deux tricheurs. Hélas, il y aura toujours des tricheurs, il y aura toujours des gens qui vendront des choses interdites, qui tricheront, qui essayeront d'échapper au fisc. Je crois que ce n'est pas même dans leur intérêt, si ces gens ont vraiment une grosse fortune, parce que lorsqu'on fait de la gestion de fortune, il faut récupérer les impôts prélevés à la source, et si l'on n'a pas de déclaration, on perd tout, donc on paie quand même des impôts d'une autre manière.
Je dirai que, pour la Suisse, le cas de ceux qui y vivent sans se déclarer, au moment de leur décès, ça peut être une très bonne affaire. En effet, il faut savoir que quand on n'est déclaré nulle part, c'est son lieu de décès qui devient le lieu de l'héritage, et c'est là que les taxes sont prélevées. Mais surtout - ça, c'était pour alléger un peu - ce qui est absolument insupportable, c'est que, pour essayer d'éviter peut-être une ou deux fraudes, on va faire une intrusion dramatique dans la sphère privée des gens, on va faire de l'inquisition partout, alors que ce n'est pas nécessaire. J'aimerais quand même rappeler que sur la moyenne, le citoyen suisse, malgré le secret bancaire et malgré une sphère privée bien défendue, est très certainement l'un des meilleurs contribuables du monde.
Je pense donc qu'une telle loi est totalement inutile, elle est perverse, elle est contraire à la liberté du citoyen. Elle ressemble tout à fait au parti socialiste qui est quand même un peu l'antichambre du communisme, c'est-à-dire d'une dictature insupportable.
Le président. Merci, Monsieur le député. Il reste une minute pour M. Stauffer.
Une voix. Article 24 !
M. Eric Stauffer (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je suis très choqué par ce projet de loi... (Commentaires. Le président agite la cloche.) ...parce que ça me fait penser, comme l'a dit notre collègue Jornot, aux petites fiches qu'on faisait. Vous avez traité de parasites une certaine partie de la population... (Commentaires.)
Le président. Monsieur Deneys, s'il vous plaît !
M. Eric Stauffer. ...ce qui me fait penser aux années sombres de la dernière guerre mondiale. Vous me faites penser au régime de Vichy avec les collabos qui vont aller dénoncer: «Tiens, telle famille a une piscine !» Eh bien, avec ça, Mesdames et Messieurs les députés, on revient au national-socialisme, et ça, c'est vraiment lamentable de la part d'un parti tel que le vôtre en 2010. (Chahut.)
Le président. Merci. La parole est à Mme Schneider Hausser, à qui il reste une minute quarante. (Commentaires.) Une minute quarante ! S'il vous plaît ! On arrive au bout, encore trois petites interventions.
Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Indépendamment de la fraude, si on en revient aux communes - et à leur possibilité de mieux prévoir l'avenir en disposant de plus d'informations sur les contribuables et la place de chacun d'entre eux dans la commune en termes de fiscalité - j'aimerais juste rappeler qu'il y a eu une votation à ce sujet-là. C'est vrai que la majorité du peuple avait dit qu'il fallait garder le secret, mais par contre, la majorité des communes à coloration de gauche, qui représente quand même une grande part du territoire genevois, avait accepté de pouvoir ouvrir ces rôles.
Je souhaite vous dire aussi, peut-être au MCG, qu'on a de la chance, parce qu'on n'a pas besoin de jouer les gendarmes ou les policiers avec les frontaliers en termes de contribution, ils paient tous des impôts. Pourquoi ne pas avoir une réciprocité et un contrôle aussi dans le canton en termes de contribuables ?
J'aimerais vous dire aussi que je ne sais pas ou que nous ne savons pas... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...si on va gagner à long terme en gardant des secrets. Secret bancaire, secret fiscal: le monde du secret, en ce qui concerne l'argent, a quelques failles actuellement. Et je pense que ce serait quand même important qu'ici on ne se voile pas la face et qu'on puisse admettre que ce serait au bénéfice de la grande majorité de pouvoir lever ce secret du rôle fiscal pour permettre aux communes de mieux gérer tout ce qui sera mis à disposition de la collectivité et de leurs habitants. Je vous remercie de voter oui à ce projet de loi.
Le président. Merci, Madame le rapporteur de minorité. La parole est à M. Gros, à qui il reste une minute trente.
M. Jean-Michel Gros (L), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président, ce sera très bref. Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais répondre à M. Deneys concernant l'audition de l'Association des communes genevoises. S'il avait lu l'entier de mon rapport, il aurait remarqué que M. le président de l'Association des communes genevoises ne s'exprimait qu'à titre personnel, parce qu'il n'avait pas pu consulter ses membres. D'autre part, il était persuadé que la majorité des communes, à l'heure actuelle, ne souhaitait pas ces informations. Ces choses nous ont été confirmées par la suite. Et d'ailleurs, le président de l'ACG regrettait que notamment les petites communes ne veuillent pas connaître les contribuables, alors que c'était probablement pour elles que ça aurait pu avoir une certaine utilité. Mais, c'est un fait, la majorité des communes ne veut pas le savoir.
D'autre part, le département des finances a conclu comme cela: «Les représentants de l'administration fiscale ne voient pas clairement en quoi le fait de connaître les noms des contribuables pourrait mieux aider à préparer le budget.» Il faut savoir que, même pour annoncer des déménagements de contribuables importants... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...c'est pratiquement ingérable vu que, par exemple, à l'heure actuelle, certains contribuables - et notamment des contribuables importants - n'ont même pas encore rempli leur déclaration 2006. Donc vous voyez qu'au jour où l'on envoie des renseignements de ce type aux communes, eh bien c'est complètement inutile pour l'élaboration de leur budget. Ce n'est donc qu'un projet de loi de voyeurisme, comme l'a dit M. Jornot tout à l'heure.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je passe la parole à Mme Rochat et je vous demanderai d'avoir quelques minutes d'attention, ce sont les dernières de la soirée.
Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Merci, Monsieur le président. J'interviendrai extrêmement rapidement. Comme cela a été rappelé, évidemment, ma fibre d'ancienne magistrate en charge des finances ne peut que vibrer au son de ce projet de loi. Si l'objectif est clairement identifié, malheureusement - je dois vous l'avouer - ce projet de loi ne permettra pas de l'atteindre. Si l'objectif est de permettre aux petites communes - comme l'a rappelé M. Jean-Michel Gros - de gérer au mieux leur budget et d'anticiper éventuellement le départ ou l'arrivée d'un contribuable important, je peux vous dire que, pour une grande commune, on dispose vraiment d'autres moyens pour être en mesure de déceler les fraudeurs. Et je peux vous parler d'expérience, on l'a fait. Sans ce projet de loi, tout est donc possible, et l'administration fiscale cantonale est assez performante pour aider, le cas échéant, les communes. On a rattrapé énormément de contribuables sur la commune de Thônex, je peux vous l'assurer.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. La parole n'étant plus demandée, nous allons voter l'entrée en matière de ce projet de loi 9953.
Mis aux voix, le projet de loi 9953 est rejeté en premier débat par 56 non contre 27 oui.