Séance du jeudi 28 janvier 2010 à 20h30
57e législature - 1re année - 4e session - 18e séance

R 592
Proposition de résolution de Mmes et MM. Emilie Flamand, Pierre Losio, Sylvia Leuenberger, Brigitte Schneider-Bidaux, Anne Mahrer, Michèle Künzler, Hugo Zbinden, Andreas Meister, Roberto Broggini, Damien Sidler, Stéphane Florey, Philippe Guénat, Lydia Schneider Hausser, Françoise Schenk-Gottret, Sandra Borgeaud, Mathilde Captyn, Elisabeth Chatelain, Anne Emery-Torracinta, Morgane Gauthier, Geneviève Guinand Maitre, Guy Mettan, Sébastien Brunny, Roger Golay, Claude Jeanneret, Esther Alder, Loly Bolay, Thierry Cerutti, Catherine Baud, Régis De Battista, Thierry Charollais Pour la sécurité, l'environnement et le respect de la volonté populaire: halte aux "gigaliners", pas de 60 tonnes sur les routes suisses !

Débat

Mme Emilie Flamand (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, le lobby européen des transporteurs routiers fait pression depuis quelques années pour l'introduction de camions de 60 tonnes sur les routes. Il s'agit de monstres de la route, puisqu'ils mesurent pas moins de 25 mètres de long ! Depuis 2007, l'Union européenne a autorisé la circulation de ces véhicules à l'essai. Or il se trouve que le peuple suisse a voté clairement en 1994 pour un transfert de la route au rail - transfert qui est d'ailleurs encore loin d'être réalisé. L'arrivée de ces «gigaliners» serait incompatible avec le trafic combiné, puisqu'on ne peut pas mettre leur chargement sur des trains, et ce serait une véritable catastrophe écologique pour notre petit pays qui se trouve à la croisée des routes commerciales, au coeur de l'Europe, et cela alors que nous avons déjà investi des milliards pour les transversales alpines ! De plus, ces véhicules sont très polluants et également très dangereux pour les autres usagers de la route.

Enfin, l'arrivée de ces monstres de la route entraînerait des dépenses importantes pour l'adaptation des infrastructures, l'élargissement des routes et des giratoires notamment, mais également pour l'entretien desdites infrastructures.

Pour le moment, le Conseil fédéral est contre l'introduction des 60 tonnes en Suisse. Il a d'ailleurs répondu positivement à l'interpellation du groupe libéral-radical intitulée «Pas de mastodontes sur les routes suisses». Cela dit, après l'Allemagne, c'est maintenant la France qui va faire un essai avec ces véhicules. Il s'agit donc non pas seulement de dire que nous sommes contre au niveau suisse, mais également d'intervenir auprès de l'Union européenne pour qu'elle renonce à l'expérimentation de ces véhicules.

En Suisse, la résistance s'organise, puisqu'une pétition munie de 30 000 signatures a été déposée en juin auprès des Chambres fédérales. Quinze parlements cantonaux sont en train d'étudier des résolutions semblables à celle que nous vous proposons ce soir et plusieurs cantons ont déjà envoyé à Berne des initiatives cantonales: les cantons du Tessin, de Berne ainsi que celui de Lucerne.

Je vous remercie donc de prendre part à cette démarche solidaire, notamment avec les cantons alpins qui subiraient le plus les nuisances liées à ce trafic, en acceptant cette résolution et en la renvoyant au Conseil fédéral et aux Chambres fédérales. (Applaudissements.)

M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je pense que notre parlement doit donner un signal fort aux autorités fédérales afin que le Conseil fédéral et les Chambres fédérales envoient également un signal fort à l'Union européenne que nous n'avons pas du tout le désir de recevoir ces 60 tonnes sur notre réseau routier.

La Suisse a énormément investi - à coups de milliards - pour le ferroutage. Accepter ces 60 tonnes sur notre réseau routier serait totalement contraire à notre politique en matière de transports.

A ce propos, je précise encore qu'accepter les 60 tonnes reviendrait aussi à refuser de protéger nos transporteurs qui ont déjà beaucoup de peine à s'aligner sur les 40 tonnes pour des questions de coûts. Avec des 60 tonnes en circulation, la concurrence serait vraiment trop dure et préjudiciable à nos transporteurs.

D'autre part, les 60 tonnes ne sont pas compatibles avec nos infrastructures routières. Pour prendre un exemple simple, le pont de la Versoix supporte un poids maximum de 100 tonnes. Imaginez deux de ces méga-camions qui se croiseraient sur ce pont. Ils causeraient des dommages peut-être considérables à cette infrastructure. Autre exemple, le pont du Mont-Blanc supporte 40 tonnes au maximum. Notre réseau routier ne peut donc pas supporter de tels véhicules, à moins que les infrastructures ne soient consolidées, à un prix véritablement trop élevé par rapport à tout ce qu'on a investi pour le transfert de la route au rail et inversement.

Notre groupe a participé à cette résolution, plusieurs d'entre nous l'ont soutenue et signée. Nous vous encourageons vivement à en faire autant en votant cette résolution pour donner un signal fort et montrer que nous ne voulons pas de 60 tonnes sur notre réseau routier.

Mme Elisabeth Chatelain (S). Mesdames et Messieurs les députés, les médecins parlent d'une épidémie de surpoids. Une épidémie qui est donc un danger pour la santé, une épidémie qui induit des accidents cardio-circulatoires par obstruction du réseau veineux. On dénonce également les dangers pour l'environnement: un poids plus important demande plus d'énergie pour les déplacements et plus d'émissions polluantes entraînent des problèmes respiratoires.

Sont aussi dénoncés les problèmes économiques puisqu'il faut adapter les infrastructures qui se révèlent trop petites: il faut élargir portes et voies d'accès. L'obésité est donc un problème actuel que nous devons combattre, c'est un problème de santé publique.

Faisons donc de la prévention et, à défaut de renvoyer cette résolution à la commission de la santé, prévenons l'obésité des camions sur nos routes en acceptant cette résolution pour empêcher l'arrivée des 60 tonnes en Suisse ! (Applaudissements.)

M. Jacques Jeannerat (R). Non, les camions de 60 tonnes ne sont pas tous des monstres. Il y en a qui ressemblent furieusement à des 40 tonnes ! Il suffit simplement que la densité sur le pont du camion soit différente. De plus, de façon toute simple, c'est une règle de pure arithmétique: s'il y a des camions de 60 tonnes, il y aura moins de camions de 40 tonnes circulant sur les routes. Donc la pollution totale générée ne sera pas forcément supérieure.

Par ailleurs, il s'agit de véhicules neufs, avec de nouveaux moteurs. Les nouvelles technologies sont souvent employées pour ces camions.

Nous sommes dans un parlement où l'on fait un travail sérieux et cette question est tout à fait sérieuse ! Je veux bien entrer en matière et discuter les arguments des Verts et des socialistes, mais je pense que cette question doit d'abord être étudiée par la commission des transports et il y a des auditions à mener. M. Golay disait que nos routes ne supporteraient pas le passage des 60 tonnes. J'aimerais bien qu'on auditionne l'Office fédéral des routes; je souhaiterais aussi auditionner les transporteurs sur cette question-là. Je demande donc le renvoi à la commission des transports.

Ensuite, je trouve quand même intéressant de voir que, dans ce parlement, on entend toujours des discours pro-européens, mais quand il s'agit d'être un peu plus concret, on n'est soudainement plus du tout pro-européen ! (Applaudissements.)

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, il n'y a rien à renvoyer à la commission des transports: la réponse est non ! A moins que l'Union européenne, dans sa globalité, ne fasse un essai pour rouler à gauche. Qu'elle fasse rouler à gauche les voitures pendant un mois ! Si ça marche bien, on pourrait ensuite essayer avec les camions. Dans ces conditions, peut-être... Non, soyons sérieux !

La Suisse est au centre de l'Europe ! Mesdames et Messieurs les libéraux et les radicaux - je n'ai pas encore entendu le PDC - vous êtes en train de nous dire que, puisque la Suisse est au centre de l'Europe, il faut accepter les 60 tonnes. Comme ça, on en aura dans tous les sens, parce que la Suisse est vraiment dans l'axe nord-sud. On a investi des milliards dans le rail, comme l'a très bien dit un député des Verts. Ce n'est donc pas pour aujourd'hui faire marche arrière et accepter les 60 tonnes ! Vous qui prônez des aides pour les PME, pourquoi n'allez-vous pas discuter avec les petits transporteurs ? Vous savez, ceux qui doivent payer des salaires suisses, alors qu'il y a des chauffeurs qui viennent de Pologne et travaillent pour 150 euros par mois en faisant des journées de travail de douze heures ! Maintenant, vous voudriez leur ajouter cette concurrence supplémentaire avec les 60 tonnes ? Finalement, Mesdames et Messieurs les libéraux et les radicaux, vous ne voulez pas défendre les PME, vous êtes là pour les «suicider» ! C'est ce que vous êtes en train de faire. Trouvez-moi un transporteur en Suisse qui voudra des 60 tonnes: ils sont déjà tous endettés jusqu'au plafond !

Vous allez accepter cette concurrence et, demain, que ferez-vous ? Leur demander de racheter des camions ? Ils ne pourront de toute façon pas lutter avec les salaires payés dans les pays de l'Est, car ces camions font du transport de France en Suisse, de Suisse en Suisse et j'en passe !

Votre position n'est pas très cohérente, Monsieur le député Jeannerat. Mais il est vrai que vous n'êtes pas du tout dans l'industrie. Je ne crois même pas que vous dirigiez la chambre de commerce immobilière... (Rires.) Ah ! La Chambre de commerce et d'industrie ! Soyons sérieux, Monsieur le député directeur de la Chambre de commerce et d'industrie, vous ne pouvez pas imposer des 60 tonnes à ces PME !

Le président. Monsieur le député, vous devez vous adresser à la présidence !

M. Eric Stauffer. Alors, Monsieur le président, vous transmettrez à votre collègue de l'Entente qu'il n'est pas normal et respectueux d'ajouter encore une charge supplémentaire aux PME genevoises.

A double titre, le MCG refusera et le renvoi en commission et les 60 tonnes. Il acceptera donc ce texte, parce que nous sommes pour les PME en Suisse et contre une augmentation de la masse des camions pour le transport.

La situation est claire. Aujourd'hui, nous sommes 17 députés, je pense qu'une majorité se dégagera et je vous en remercie. (Applaudissements.)

M. Stéphane Florey (UDC). Aujourd'hui 60 tonnes, demain 80 et ensuite ? On peut aller loin comme ça ! Soyons sérieux, nos routes ne sont tout simplement pas adaptées pour ces camions. Ne cédons pas au diktat de Bruxelles et à ses demandes farfelues. C'est pour ça que nous refuserons le renvoi en commission et que nous accepterons bien évidemment cette résolution.

M. François Gillet (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, il est vrai que M. Stauffer préfère se donner en spectacle en plénière plutôt que de faire un travail de fond en commission. Or ce sujet mérite effectivement d'être étudié plus avant. Je crois que nous, démocrates-chrétiens, sommes conscients de l'importance de transférer le trafic routier sur le rail autant que faire se peut. Il est vrai que nous avons énormément investi pour les transversales alpines, lesquelles ne sont pas encore opérationnelles aujourd'hui. Il s'agit de voir comment, dans une phase transitoire, ce genre de véhicule pourrait être toléré à l'essai. Cela mérite une discussion et une réflexion.

Je vous rappelle aussi que nous sommes partie à des accords bilatéraux. Cette question a des implications aussi dans le cadre de ces accords. Pour toutes ces raisons, nous soutenons la demande de renvoi en commission du groupe radical et pensons que ce sujet mérite d'être approfondi en commission.

M. Alain Meylan (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, ce problème doit être considéré avec plusieurs points de vue. Ce qui a été dit au sujet des inconvénients est vrai. Le coût de modification des infrastructures serait probablement important, notamment en ce qui concerne les ponts, structures portantes et autres grands éléments qui constituent notre réseau routier. Il est vrai aussi que les aménagements des carrefours devraient être revus.

Cela n'a pas encore été mentionné, mais en étant objectif dans l'analyse, on peut relever aussi que ces gros camions chauffent plus et l'on peut nourrir quelques craintes au sujet de la puissance thermique supérieure de ces camions quand ils circulent dans les tunnels.

C'est vrai, il y a ces inconvénients, ils sont indéniables. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut se limiter à une pensée unique et ne pas réfléchir aux avantages, du point de vue de l'efficacité et de l'optimisation énergétique. Il est quand même intéressant de savoir qu'un camion de 60 tonnes consomme moins qu'un camion de 40 tonnes actuel. La technologie actuelle de ces camions fait donc qu'on transporte le double de marchandises pour une consommation énergétique moindre. Est-il totalement absurde de vouloir réfléchir et vérifier la réalité des coûts externes moindres sur le plan environnemental ? Certains dans ce parlement parlent souvent d'écobilans en se posant la question du coût environnemental.

Moins de consommation énergétique, plus d'efficacité pour les entreprises et des chauffeurs forcément mieux formés, mieux orientés dans leur responsabilité par rapport à la conduite de ces camions. Vous voyez qu'on n'est pas nécessairement dans une pensée unique sur ces gros engins, qui peuvent faire un peu peur mais ne sont pas forcément dépourvus d'avantages dans leur utilisation.

Nous voyons aussi qu'on pourrait imaginer installer certains tronçons tests pour voir, sur certains tracés bien définis - naturellement pas au travers des Alpes. On a parlé tout à l'heure de faire une loi expérimentale. Pourquoi ne pas faire un tronçon expérimental pour ces camions ?

On peut se trouver dans une difficulté en réfléchissant à la question de savoir si c'est bien ou si ce n'est pas bien. Pour faire un peu d'humour, je rappelle que, dans le discours de Saint-Pierre, on proposait d'affecter des trams au transport professionnel. Un tram pesant entre 50 et 60 tonnes, on pourrait envisager de mettre les «gigaliners» sur les trams de Genève pour voir s'il est possible de gérer le transport de marchandises à Genève !

Trêve de plaisanteries, le groupe libéral, face à cette analyse, ne s'opposera pas au renvoi de cette résolution au Conseil fédéral, mais je crois qu'il ne faut quand même pas se limiter à une pensée unique, mais avoir aussi une pensée positive par rapport à ces «gigaliners». Laissons donc le parlement en discuter. Laissons éventuellement le parlement national trouver des solutions avec, pourquoi pas, des phases de test par rapport à ce développement.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je laisse la parole à Mme Flamand qui a encore quelques minutes, parce qu'elle peut s'exprimer tant comme auteure que comme membre de son parti.

Mme Emilie Flamand (Ve). Merci, Monsieur le président. Par rapport au renvoi en commission qui a été proposé, nous nous y opposons puisque la situation est tout de même urgente. Les autres cantons sont tous en train de renvoyer leurs initiatives, il serait donc dommage d'arriver comme la grêle après les vendanges, si vous me passez l'expression.

Puis, une petite boutade à l'attention de nos collègues libéraux et radicaux. On parle souvent de l'intelligence du nombre, et c'est vrai qu'au niveau fédéral, où les groupes libéraux et radicaux ont déjà fusionné, ce sont eux-mêmes qui ont déposé le 18 septembre 2008 une interpellation intitulée «Pas de mastodontes sur les routes suisses». A Berne, ils s'opposent donc aux «gigaliners» ! (Applaudissements.) Ici, au niveau cantonal, on constate que c'est plutôt le dogmatisme qui prédomine, alors vivement une fusion ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Nous sommes donc saisis d'une demande de renvoi à la commission des transports.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 592 à la commission des transports est rejeté par 55 non contre 21 oui et 3 abstentions.

Mise aux voix, la résolution 592 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat et à l'Assemblée fédérale par 76 oui contre 3 non et 12 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Résolution 592

M. Pierre Weiss (L). Je voudrais juste donner une information. Les Chambres fédérales ont déjà traité cette résolution en 2008, d'ailleurs à la demande du groupe libéral-radical. Le Conseil fédéral a répondu qu'il n'entendait pas autoriser les «gigaliners». Nous avons donc fait un excellent renvoi en commission qui sera très utile pour la suite du débat sur le plan fédéral ! (Commentaires.)

Le président. Nous n'avons pas renvoyé ce texte en commission, mais directement à l'Assemblée fédérale qui prendra acte !

M. Pierre Weiss. C'est inutile. Inutile !

Le président. Nous passons au point suivant.