Séance du
jeudi 28 janvier 2010 à
20h30
57e
législature -
1re
année -
4e
session -
18e
séance
PL 10448-A
Premier débat
Le président. Il s'agit de la deuxième urgence de la séance. Je donne la parole à M. Jeannerat, rapporteur de majorité.
M. Jacques Jeannerat (R), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, harmoniser les heures de fermeture des magasins du lundi au vendredi à 20h et offrir la possibilité aux commerces d'ouvrir quatre dimanches par an, tels sont les objectifs de ce projet de loi.
Harmoniser les horaires d'ouverture, c'est important. Actuellement, c'est l'anarchie totale puisque, du mercredi au samedi, nous avons sur quatre jours quatre horaires de fermeture différents ! Cette nouvelle loi permettra d'une part aux commerçants genevois de lutter à armes un peu moins inégales avec les commerces français et donnera d'autre part la possibilité aux Genevois, qui sont de plus en plus nombreux à travailler jusqu'à 19h, de faire leurs courses à la sortie du travail.
Un récent sondage indique que plus de 20% de la population active quitte actuellement son lieu de travail après la fermeture des magasins. Cette fraction de la population est condamnée à faire ses courses le samedi. Le même sondage qui a été réalisé auprès de 400 Genevois montre que deux tiers d'entre eux voudraient bénéficier de la possibilité de faire leurs achats souvent, voire fréquemment, entre 19h et 20h. Les chiffres s'envolent à plus de 80% pour la tranche des 15 à 29 ans.
L'ouverture prolongée des commerces permettra - comme c'est déjà le cas dans un certain nombre de villes, comme Zurich - d'animer le tissu socioculturel de la ville et de concurrencer la France et ses fermetures à 21h.
Il y aura également une incidence importante sur l'emploi. Je vais d'ailleurs vous citer le directeur de la Migros qui, lors de son audition par la commission de l'économie, disait que l'impact en matière d'emploi d'une telle harmonisation serait d'environ 200 postes supplémentaires pour ses magasins.
Dans le cadre défini par la législation fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce, le projet de loi prévoit la possibilité d'ouvrir quatre dimanches par année: deux avant Noël, le 31 décembre - qui est assimilé à un dimanche - et un dimanche durant les Fêtes de Genève. En décembre 2009, Genève était le seul canton suisse à ne pas proposer une ouverture des commerces au moins un dimanche avant les fêtes de fin d'année.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission de l'économie vous recommande d'accepter ce projet de loi, tel qu'il est ressorti de la commission. Non seulement il renforce le dynamisme commercial, mais en plus il favorise l'emploi. C'est une véritable chance pour Genève !
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'il faut tout d'abord replacer ce projet de loi dans son contexte. C'est quelque chose que nous rencontrons assez rarement dans ce Grand Conseil, mais ce projet de loi est en fait une commande d'un partenaire social, le «Trade Club», représentant des grandes surfaces, une commande visant à exécuter la paix sociale qui règne aujourd'hui encore à Genève. C'est très clair, c'est un contrat, et les mercenaires de l'Entente ont décidé de répondre: «Oui, nous exécuterons le contrat !», raison pour laquelle nous avons ce projet de loi devant nous.
C'est un contrat établi parce qu'il y a quelques années les partenaires sociaux n'ont pas réussi à se mettre d'accord concernant les horaires d'ouverture des magasins durant la période de Noël. Suite à ces désaccords répétés deux années de suite, les milieux économiques des grandes surfaces ont décidé de monter d'un cran dans les pressions exercées sur les collaboratrices et collaborateurs du secteur de la vente et donc d'exécuter la paix sociale, en rompant avec les traditions suisses - qu'il faut saluer - qui visent à définir des conditions-cadres de travail entre les partenaires sociaux, et ensuite à donner aux politiques la possibilité de nouer la gerbe en aboutissant à un accord global reprenant ce qui a été décidé entre partenaires sociaux. Et je pense que c'est ici que nous avons un véritable problème avec ce projet de loi: il a été imposé par les milieux économiques des grandes surfaces, sans étude sérieuse des conséquences qu'il pourrait avoir !
Aujourd'hui, à mon avis, il faut penser aux 20 000 personnes qui travaillent dans le secteur de la vente et qui sont soumises à des conditions de travail particulièrement détestables, particulièrement difficiles et particulièrement précaires ! Aujourd'hui, nous savons par exemple que des vendeuses sont au bénéfice - façon de parler - d'un contrat de travail de huit heures par semaine, mais qu'elles doivent être disponibles pendant les soixante-deux heures d'ouverture des magasins pour venir travailler à la demande, au dernier moment souvent, quand leur employeur appelle ! Bien entendu, on dira que ces personnes pourraient refuser, mais quelle est la réalité d'aujourd'hui ? Nous avons un taux de chômage qui approche les 10% en France voisine, et qui se situe entre 6 et 7% à Genève. Bien entendu, la pression sur l'employé est très forte et on sait très bien que s'il refuse de travailler quand le patron le lui impose, eh bien il n'aura plus de travail ! Mesdames et Messieurs les députés, il est donc tout simplement anormal qu'une telle convention collective puisse servir de base à d'éventuels changements dans les horaires des magasins genevois !
Je vais encore prendre un autre exemple que je trouve particulièrement frappant. C'est la question du jour de congé. Aujourd'hui, les vendeuses et les vendeurs n'ont pas de jour de congé fixe dans le cadre de leur convention collective. D'une semaine à l'autre, ils peuvent donc avoir congé le lundi, le mardi ou le vendredi, peut-être. Eh bien, je défie quiconque dans cette salle d'organiser une vie de famille, une vie sociale avec de telles contraintes qui péjorent véritablement les conditions de vie du personnel dans la vente ! Il paraîtrait donc légitime que tout changement en matière d'ouverture des commerces soit le résultat d'une concertation entre partenaires sociaux.
Si les partenaires sociaux se mettent d'accord sur un certain nombre d'avancées, eh bien, pourquoi ne pas étudier ce projet de loi pour une éventuelle extension des horaires ? Mais il est très clair que la condition sine qua non, c'est de vérifier que cette convention collective soit appliquée ! Ici, il faut peut-être relever que l'un des acteurs importants pour vérifier l'application des conventions collectives, c'est bien entendu l'Etat, qui doit prendre ses responsabilités et pas simplement dire que les partenaires sociaux doivent signaler les éventuels dérapages et qu'il agira lorsque de tels cas seront signalés.
Nous avons vu, il n'y a pas très longtemps, le cas d'une vendeuse de Manor, Mme Marisa Pralong, qui a été licenciée alors qu'elle est déléguée syndicale d'Unia, simplement parce qu'elle a relaté dans la presse quelles étaient les conditions de travail dans son secteur ! Il est tout particulièrement scandaleux de constater que les employés de ce secteur ne peuvent même pas s'exprimer pour dénoncer les conditions de travail auxquelles ils doivent faire face !
Mesdames et Messieurs les députés, je crois donc qu'aujourd'hui nous avons un véritable problème. Ce projet de loi n'est pas issu du partenariat social, il est le fruit d'un coup de force du «Trade Club» et des mercenaires de l'Entente. Le résultat final, c'est un projet de loi pour lequel des études ont été menées durant l'été 2009, études dont la commission de l'économie a eu connaissance mais dont les résultats ont été obtenus après le dépôt des rapports ! On a donc ici des députés qui votent la tête dans le sac, sans même attendre le résultat des enquêtes menées auprès des commerçants et auprès des consommateurs, juste parce que l'Entente pense par dogmatisme que c'est très bien d'ouvrir les commerces le plus longtemps possible !
En réalité, le résultat de ce projet de loi, c'est qu'il n'y aura qu'un seul gagnant ! Et toutes les études scientifiques - pas les sondages commandés par le «Trade Club» ! - le disent: ce sont les grandes surfaces qui sont gagnantes avec des projets de lois comme celui-là. En effet, les collaborateurs ont des conditions de travail péjorées; ils travaillent plus tard, rentrent plus tard chez eux et ont moins de temps pour s'occuper de leur famille. Les petits commerçants sont aussi prétérités dans leurs conditions de travail par un tel projet de loi, parce qu'ils n'ont pas les capacités financières et organisationnelles pour pouvoir engager des collaborateurs supplémentaires quelques heures par semaine. Je parle en connaissance de cause, et des articles ont relaté le cas de quelques commerçants des Rues-Basses qui ne se disent absolument pas intéressés par cette possibilité, parce que leur clientèle est fidèle; leur clientèle vient chercher un service de qualité et ne s'intéresse pas à trouver des vendeurs presse-bouton juste là pour passer des codes-barres !
Donc, les petits commerçants subiront une concurrence accrue suite à ce projet de loi et ils devront faire face à des contraintes supplémentaires, notamment en termes de loyers, parce qu'une conséquence indirecte de ce projet de loi sera que les loyers des surfaces commerciales vont augmenter puisque la rentabilité potentielle des locaux commerciaux va augmenter du fait d'une ouverture un peu plus longue des magasins.
Au-delà de cette question des gagnants et des perdants, il y a bien entendu la question des consommateurs. Ils seraient soi-disant gagnants, mais quelle est la réalité de cette affirmation ? J'aimerais bien vous le demander ! On sait très bien qu'aujourd'hui à Genève, même si nous n'avons pas des magasins ouverts jusqu'à 20h ou 22h...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le rapporteur de minorité !
M. Roger Deneys. Malgré cela, nous n'avons pas de problèmes pour accéder à la consommation: nous avons les mêmes objets que partout ailleurs. Il n'est donc pas indispensable de consommer davantage parce qu'en réalité, si l'on consomme le soir, on ne consomme pas le lendemain ! On décale donc la consommation, ce qui n'est absolument pas nécessaire ! En plus, ce projet ne serait même pas le résultat d'un accord entre partenaires sociaux !
Mesdames et Messieurs les députés, pour toutes ces raisons, je vous invite à refuser ce projet de loi et, si j'en ai l'occasion, je prendrai bien entendu encore une fois la parole pour vous expliquer pourquoi il faut le refuser.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur. Je passe maintenant la parole à M. Forte.
M. Fabiano Forte (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, vous le voyez, le débat est nourri. Plutôt que de se lancer ce soir dans un grand débat qui pourrait être stérile et qui n'aboutirait à rien, le groupe démocrate-chrétien vous propose de suivre ce qui avait été proposé à la commission de l'économie, mais qui n'a pas été étudié: c'est la piste de la loi expérimentale.
Tentons l'expérience ! Fixons des critères précis, comme nous l'a proposé le département en commission de l'économie, et regardons dans trois ans si les objectifs sont atteints ! Nous pourrons alors nous débarrasser une fois pour toutes des idéologies qui entourent ce débat depuis de trop longues années. Nous pourrons ainsi prendre les bonnes décisions: les bonnes décisions pour les Genevoises et les Genevois, les bonnes décisions pour les petits commerçants et les bonnes décisions pour les employés du commerce de détail.
C'est une solution sage, mais une solution proactive que nous vous proposons. Nous ne voulons pas nous contenter - excusez-moi ! - du statu quo actuel qui n'est pas pleinement satisfaisant, mais nous ne voulons pas non plus nous engager dans une voie sans issue: nous proposons le «win-win», le «gagnant-gagnant», plutôt que le «lose-lose», le «perdant-perdant». (Commentaires.) Je l'ai traduit, cher collègue Barrillier !
La loi expérimentale, Mesdames et Messieurs les députés, est précisément là pour ça. Elle permettra de vérifier ce qui pour le moment ne constitue que des suppositions, on l'a dit. Il y a eu énormément d'études menées jusqu'à présent, des études qui sont contradictoires les unes avec les autres. Eh bien, la loi expérimentale nous permettra de le vérifier par une expérience tout à fait concrète. Quels sont nos objectifs ? Quels sont les points qui méritent d'être vérifiés concrètement ?
Le premier point, c'est l'accroissement du chiffre d'affaires des commerces. De tous les commerces et pas seulement des grandes surfaces, Mesdames et Messieurs ! Certaines études laissent à penser que le petit commerce serait cannibalisé par les grandes surfaces, d'autres études prétendent le contraire. La loi expérimentale nous permettra de vérifier et, le cas échéant, d'intervenir avant qu'il ne soit trop tard.
Le deuxième point, c'est l'augmentation du confort des usagers et la fidélisation des consommateurs à Genève. Ça, c'est un élément qui devrait faire plaisir à nos collègues du Mouvement Citoyens Genevois ! Les nouveaux modes de vie ne sont pas toujours en adéquation avec les horaires actuels des magasins. La loi expérimentale permettra là aussi de vérifier si une extension des horaires permet un gain significatif pour la qualité de vie des Genevoises et des Genevois. Je pense par exemple aux familles, qui doivent souvent courir entre la crèche, l'école et les courses pour remplir le frigo dans les temps.
Le troisième point, c'est l'augmentation de la sécurité et de l'animation au centre-ville, avec - nous l'espérons - un effet économique induit sur les cafés, les restaurants et les cinémas. Notre centre-ville se meurt ! Les cinémas ont quasiment tous disparu et il en va de même de certains cafés ou restaurants. Une extension des horaires d'ouverture pourrait là constituer un remède ou du moins une partie du remède. Cela vaut la peine d'essayer.
Augmentation du chiffre d'affaires; augmentation du confort des habitants; augmentation de la sécurité et de l'animation au centre-ville. Voilà les trois éléments qui méritent d'être vérifiés grâce à la loi expérimentale. Voilà les trois éléments qui méritent aux yeux du parti démocrate-chrétien d'aller de l'avant, d'abord avec une loi expérimentale et, ensuite, si l'expérience est concluante, en pérennisant les nouvelles dispositions.
Aller de l'avant, oui ! Mais en tenant compte aussi de la qualité de vie des employés du commerce de détail. Les conditions de travail des employés doivent être prises en considération dans la décision de pérenniser ou non les dispositions prévues dans ce projet de loi, et c'est une condition qui est tout à fait primordiale aux yeux du parti démocrate-chrétien.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, les raisons qui amènent ce soir le groupe démocrate-chrétien à vous proposer le renvoi en commission de ce projet de loi, afin d'étudier l'amendement et la proposition du Conseil d'Etat et que nous fixions ensemble les critères objectifs et mesurables.
Mais nous devons avoir un objectif, celui de revenir rapidement avec une loi expérimentale devant ce parlement, à savoir d'ici au mois d'avril ! Cela nous permettra dans trois ans, je le répète, après l'entrée en vigueur de cette loi expérimentale qui, nous l'espérons, sera votée par ce parlement, de tirer le bilan de l'extension des heures d'ouverture et de prendre les bonnes décisions en se basant sur une expérience concrète et vécue par l'ensemble de la population. Et ce laps de temps doit être - devrait être - utilisé par les partenaires sociaux afin d'aboutir à la conclusion d'une convention collective de travail.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission. Comme le veut notre règlement, la parole est aux rapporteurs et au Conseil d'Etat qui peuvent s'exprimer pendant trois minutes.
M. Jacques Jeannerat (R), rapporteur de majorité. Monsieur le président, je vais bien sûr m'exprimer sur cette proposition de renvoi en commission, mais je suis obligé de rétablir certaines vérités. M. Deneys a dit que le projet de loi avait été commandé par le «Trade Club» et que les députés de l'Entente étaient des mercenaires. C'est totalement faux ! L'avant-projet de ce projet de loi, je l'ai rédigé moi-même, tout seul dans un coin. Plusieurs témoins dans la salle pourront le dire ! (Commentaires.) Je l'ai ensuite soumis au groupe radical qui m'a donné le feu vert pour le présenter à nos partenaires de l'Entente, et c'est seulement à la suite de cela que nous avons consulté le «Trade Club», la Fédération des artisans, commerçants et entrepreneurs de Genève - FAC - ainsi que la Fédération du commerce genevois. Je tiens quand même à préciser cela.
Ensuite, s'agissant des arguments de M. Deneys sur les conventions collectives: à chacun son rôle ! Chacun son rôle ! Nous sommes des députés, nous sommes là pour faire des lois. Les conventions collectives, c'est l'affaire des partenaires sociaux !
Enfin, dernier élément avant de parler du renvoi en commission, je veux préciser que les horaires indiqués dans le projet de loi sont des horaires libres ! Personne ne sera obligé d'ouvrir son commerce jusqu'à 20h. J'en veux pour preuve qu'il n'y a pas d'indications dans la loi actuelle - ni dans le projet de loi - d'heures d'ouverture. C'est donc la loi nationale sur le travail qui fait office de règlement pour les ouvertures. Tous les commerces pourraient ouvrir à 6h le matin, même s'il n'y en a pas beaucoup qui le font, à part certaines boulangeries.
Maintenant, au sujet de la proposition de notre collègue du PDC, je pense que la loi expérimentale n'est pas une bonne formule, donc je crois qu'il faut renoncer à renvoyer ce projet de loi en commission pour étudier cette proposition. Cela, pour deux raisons. D'abord, je trouve que ce n'est pas très démocratique de soumettre cela au peuple parce que, de toute façon, les syndicalistes qui sont dans la tribune vont lancer un référendum, que la loi soit expérimentale ou pas. Ils l'ont déjà annoncé ! Cela revient un peu à tromper l'électeur sur la marchandise que d'aller ensuite lui soumettre une loi avec des conditions particulières, etc.
Ensuite, je salue la volonté de M. Deneys de s'occuper du respect des travailleurs, mais alors il est assez intéressant de voir que si l'on prend ce chemin de la loi expérimentale, les commerces vont devoir engager du personnel pour une période de deux ans - environ 200 personnes pour la Migros, je l'ai dit tout à l'heure. Et si par hasard - ou par malversation - les conclusions de l'expérience sont qu'il faut fermer à 19h30 ou n'ouvrir que deux dimanches au lieu de quatre, ou je ne sais quoi d'autre, eh bien il faudra licencier le personnel qui aura été engagé ! Bravo et merci pour le respect du travail, Monsieur Deneys !
Je vous recommande donc de rejeter et la demande de renvoi en commission et la proposition du PDC.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Tout d'abord, je voudrais préciser que M. Jeannerat, à titre professionnel, est président de la Chambre de commerce. Il n'est peut-être pas directement en lien avec le «Trade Club» au quotidien, mais le coin de table utilisé pour écrire son projet de loi se trouvait peut-être à la Chambre de commerce !
Concernant les 200 emplois créés éventuellement par ce projet de loi, Monsieur Jeannerat, j'aimerais vous rappeler qu'aujourd'hui à Genève une petite crise internationale, dans le secteur bancaire par exemple, en touchant une grande banque, peut avoir des conséquences économiques bien plus graves qu'un projet de loi tel que celui-ci ! Je pense évidemment qu'il ne s'agit pas de jouer avec les salariés dans les entreprises, mais il s'agit aussi d'être responsable pour la qualité des emplois créés. Et ce qu'il faut savoir, c'est que pour un emploi créé dans une grande surface, il y a en général trois à cinq emplois qui sont détruits dans les petits commerces. Ce sont des études scientifiques menées dans les années 2000 qui le prouvent ! Aujourd'hui, si vous prétendez créer de l'emploi avec la Migros, vous êtes simplement en train de mettre des petits commerçants sur la paille et donc de créer du chômage supplémentaire ! Votre argument n'est pas valable pour ce projet de loi !
Pour le reste, l'animation du centre-ville, avec un tel projet de loi, c'est totalement du pipeau ! Bien entendu, les grandes surfaces et les centres commerciaux ouvriront parce qu'ils en ont la possibilité, mais comme il n'y a aucune obligation d'ouvrir avec un tel projet de loi, rien ne garantit que le centre-ville soit plus animé qu'aujourd'hui.
Par rapport au fait de se référer à des sondages qui prétendent que les consommateurs s'intéressent à des ouvertures plus tardives, il est évident que si l'on vous pose une question du style: «Voulez-vous être millionnaire ?», vous allez généralement répondre oui ! Mais si l'on vous pose la question différemment, votre réponse en sera peut-être modifiée. Si l'on vous demande si vous voulez pouvoir faire vos achats jusqu'à 20h en considérant que vous devez par ailleurs travailler jusqu'à 19h45, la réponse risque d'être différente, parce qu'en fait ce sont aussi les conditions générales de vie qui sont dégradées si l'accès aux commerces est élargi. C'est ici un premier pas vers la libéralisation complète des horaires du travail, et cela se fait donc évidemment au détriment de tous les salariés. Je pense donc que ce projet de loi n'est pas pertinent.
En ce qui concerne un éventuel renvoi en commission, je dois dire que le seul avantage que j'y vois aujourd'hui, c'est que cela permettrait d'une part de définir les fameux critères pour l'évaluation de l'impact de cette loi. En effet, j'ai vu avec un certain étonnement que les critères qui étaient mentionnés dans l'amendement ne faisaient référence en gros qu'aux chiffres d'affaires et aux conditions-cadres des commerces, mais pas du tout aux conditions de travail des collaboratrices et collaborateurs, ce qui me semble poser problème ! Et le renvoi en commission permettrait d'autre part de laisser un peu plus de temps aux partenaires sociaux pour éventuellement se mettre d'accord parce que, fondamentalement, c'est à eux de trouver des réponses liées au marché du travail !
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur Deneys !
M. Roger Deneys. Mesdames et Messieurs les députés, je suis pour un renvoi en commission, dans la mesure où il laisse un peu de temps pour trouver une meilleure solution qu'aujourd'hui. (Commentaires.)
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Je passe la parole à M. Unger.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais tout d'abord vous dire que ma conviction est que ce projet de loi est bon. Il est bon parce qu'il met en oeuvre un certain nombre d'objectifs simples et clairs.
Premièrement, il s'agit d'avoir des horaires identiques tous les jours, à l'exception du dimanche, pour les consommateurs comme pour les vendeuses et les vendeurs.
Deuxièmement, ce projet est bon parce qu'il permettra, et c'est le but du commerce, de gagner des nouveaux consommateurs, non pas avec l'horaire retardé - ça je n'y crois pas forcément - mais avec les dimanches ouverts. A n'en pas douter, le dimanche des Fêtes de Genève, peut-être le dimanche du Salon de l'auto et à coup sûr un dimanche de l'Avent permettront de gagner des consommateurs qui ne consomment pas en ce moment - ou en tout cas pas chez nous.
Voici une troisième raison pour moi de trouver ce projet de loi de qualité: le confort du consommateur, que M. Deneys a beaucoup raillé, est tout de même l'une des conditions-cadres utiles pour la vie des commerces. En effet, un consommateur qui n'a pas confiance, qui n'est pas relié directement à ses commerces va consommer ailleurs. Vous devriez le savoir, vous, Mesdames et Messieurs les députés, qui très régulièrement terminez vos travaux à 19h en raison des séances de commission ! Beaucoup d'entre vous aimeraient peut-être faire leurs courses à ce moment-là, afin de pouvoir choisir une demi-heure ou une heure avant le repas ce qu'ils mangeront ce soir-là, mais ils doivent se résigner à faire ces courses le samedi, en vrac, pour la semaine d'après. Et il n'est pas certain que chacun d'entre vous fasse ses achats dans des centres commerciaux situés à Genève ! Soyez honnêtes, regardez ce qui se passe. Allez voir sur les parkings des centres commerciaux de la France voisine ! Bien sûr, le taux de l'euro et ceci et cela constituent des influences importantes, mais on ne peut pas idéologiquement et dogmatiquement dire que c'est inutile, que c'est infaisable ou que c'est mauvais.
De même, Mesdames et Messieurs les députés, on ne peut pas continuer à être idéologique. On voit bien que les fronts sont aussi forts au parlement qu'ils ne le sont - hélas ! - entre les partenaires sociaux avec lesquels j'ai eu la chance de travailler pendant quatre ans. Malheureusement, pour des raisons qui se sont surajoutées les unes aux autres et qui étaient le fait de toutes les parties, et à cause de tensions et de difficultés, la confiance a peu à peu été détruite.
Alors, Mesdames et Messieurs les députés, il y a avantage à retourner en commission et étudier l'amendement qui vous est proposé par le département concernant la législation expérimentale. Cela a pour but, non pas de faire capoter le projet, mais de renforcer les probabilités qu'il passe, en cas de référendum auprès du peuple. En effet, il s'agit d'expliquer à la population que rien n'est figé mais que de toute évidence il y a un problème dans le commerce genevois qui touche l'ensemble des acteurs - les commerçants, les travailleuses et les travailleurs et les consommateurs. Il s'agit d'expliquer que l'on va prendre un certain nombre de mesures, que l'on va regarder celles qui fonctionnent ou pas et que l'on reprendra une décision ensuite, grâce à cette législation expérimentale dont votre Grand Conseil s'était doté précisément pour combattre ces dogmes idéologiques frontaux qui ne permettent pas d'avancer. Je devrais dire «notre» Grand Conseil, puisque j'étais député alors.
Dans l'amendement que j'ai rédigé, l'ensemble des choses à évaluer n'est pas forcément ni bon ni exhaustif, mais je suis persuadé que nous pouvons encore travailler à améliorer cette affaire-là.
J'aimerais aussi vous dire que, bien entendu, si le renvoi en commission était adopté et qu'à terme ce projet était réellement réalisé, je pense que cela se ferait avec une reprise forte du partenariat social. En tout cas, si ce projet retourne en commission dès lundi, j'inviterai les partenaires sociaux à revenir en discuter, afin qu'ils nous apportent leur angle de vision sur la manière dont on pourrait choisir les critères à mesurer et sur l'envie qu'ils semblent manifester les uns comme les autres à reprendre le dialogue.
Alors, Mesdames et Messieurs les députés, je crois que le bon moyen de parvenir à cela est de retourner en commission. Bien sûr, je vois ici quelques regards sévères posés sur moi, mais le combat politique est un rapport de force. Cela, personne ne le conteste, mais quand le rapport de force se transforme en épreuve de force, le risque qu'il n'y ait que des perdants est trop grand. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons maintenant voter sur le renvoi de ce projet de loi 10448 à la commission de l'économie.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 10448 à la commission de l'économie est adopté par 54 oui contre 40 non et 1 abstention. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)