Séance du
lundi 7 décembre 2009 à
17h
57e
législature -
1re
année -
2e
session -
9e
séance
Discours du président du Grand Conseil
Discours du président du Grand Conseil
Le président. Monsieur le président du Conseil d'Etat,
Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat,
Monsieur le procureur général,
Messieurs les députés aux Chambres fédérales,
Madame et Messieurs les juges fédéraux,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités judiciaires,
Madame et Messieurs les magistrats de la Cour des comptes,
Mesdames et Messieurs les membres de l'Assemblée constituante,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités communales,
Monsieur le chancelier d'Etat,
Madame et Messieurs les anciens conseillers d'Etat,
Mesdames et Messieurs les anciens présidents du Grand Conseil,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités ecclésiastiques, universitaires et militaires,
Monsieur le directeur général de l'office des Nations Unies à Genève,
Mesdames et Messieurs les représentants des organisations internationales,
Mesdames et Messieurs les représentants des corps diplomatique et consulaire,
Monsieur le président du Conseil d'Etat du canton de Vaud, Monsieur le chancelier d'Etat,
Messieurs les représentants des autorités de la France voisine,
Mesdames et Messieurs,
Chères concitoyennes, chers concitoyens,
Si nous sommes rassemblés ici ce soir, c'est bien sûr pour introniser le nouveau gouvernement de notre république. Dès qu'il aura prêté serment, le Conseil d'Etat élu va prendre ses fonctions et, comme le dit la formule, diriger nos destinées. Mais si nous sommes ici, c'est aussi, et surtout, pour répondre, tous ensemble, à une question: quelle Genève voulons-nous ?
Par la vertu de notre démocratie, la réponse à cette question ne dépend pas d'un seul homme, ni d'une seule femme, ni même d'un seul parti, mais d'une multitude d'opinions, de sensibilités, d'intérêts qui se partagent le pouvoir tant au gouvernement qu'au parlement. C'est dans ce choc contradictoire, c'est dans cette confrontation institutionnelle permanente, dans ces coalitions disparates qui font le charme discret et pas toujours lisible de notre démocratie, qu'il faut scruter pour dégager les grandes lignes de force des politiques à établir, un peu comme le faisaient les haruspices romains, qui auscultaient les entrailles des boeufs sacrifiés pour interpréter les chances de succès de la nouvelle législature.
Quelles sont donc les grandes lignes de force qui se dégagent des débats de ces derniers mois ?
La tendance lourde la plus spectaculaire est que Genève a retrouvé le goût d'oser, le désir d'avancer, l'envie de s'ouvrir, la passion de construire et d'abattre les barrières physiques et mentales qui l'enserraient dans son petit territoire géographique. Genève a décidé de tourner le dos aux blocages, à la paralysie, au marasme et au déclin, elle veut plus de logements, plus de trams, plus d'emplois, elle veut des trains, des écoles, des centres de recherche, des organisations internationales et des entreprises de pointe. Elle veut aussi des églises, des temples, des synagogues et des mosquées car elle souhaite préserver sa diversité culturelle, qu'elle considère comme une richesse et non comme une entrave à son développement.
Les résultats des récentes votations, qui ont vu les Genevois accepter massivement la construction du CEVA avec Annemasse et refuser tout aussi largement d'interdire les minarets, sont parfaitement clairs et constituent des bases solides pour construire notre avenir.
Dans cette perspective, deux projets revêtent une importance particulière: la construction de l'agglomération franco-valdo-genevoise et la mise en valeur du quartier Praille-Acacias-Vernets-Jonction.
En plébiscitant les infrastructures de l'agglomération transfrontalière, Genève a renoué avec la grande tradition de ses ancêtres, de ceux qui, au XIXe siècle, ont détruit les murailles qui confinaient la ville dans ses remparts du XVIe siècle. Genève s'est alors projetée dans la modernité. Elle renouvelle aujourd'hui cet acte fondateur en décidant de créer le premier projet structurel de coopération avec ses voisins vaudois et français. Pendant des siècles, Genève s'est en effet méfiée de ses proches voisins. Elle a raté plusieurs occasions de nouer une collaboration franche et entière avec eux. Aujourd'hui, le pas a été franchi et le changement est historique.
Mais construire des rails et des routes ne suffit pas: encore faut-il accompagner ces travaux de la gouvernance politique adéquate. La région qui se crée ne peut plus se contenter d'un pilotage intermittent ni de voler sans instruments. Sa gestion ne peut pas non plus être abandonnée aux technocrates, sous peine de générer des réactions de rejet, comme les a vécues l'Union européenne avec le Traité de Lisbonne. La peur du frontalier français côté suisse et la méfiance à l'égard des Suisses côté français doivent être interprétées comme un besoin de dialoguer, un besoin de se confronter avec l'autre. Et ce besoin ne peut s'incarner, en démocratie, que dans un échange entre élus.
La région doit donc, comme toutes les communautés humaines en gestation, se doter d'un organe exécutif et d'un organe parlementaire chargés d'assurer le débat démocratique. C'est pourquoi nous allons prendre l'initiative d'organiser en mai prochain, après les élections régionales françaises, les premières assises d'élus transfrontaliers. Ces assises réuniront les élus de la région franco-valdo-genevoise dans le but d'examiner la manière et les moyens que nos démocraties respectives mettent à notre disposition pour construire la région. La France ayant décidé de considérer la région genevoise comme une métropole transfrontalière, et cette métropole ayant accueilli par le passé les plus grands esprits des Lumières, Rousseau, Voltaire et Benjamin Constant, pourquoi ne pas tenter d'y créer le premier parlement régional transfrontalier d'Europe ?
Le second axe concerne le projet Praille-Acacias-Vernets-Jonction. Bien mené, ce projet peut faire basculer tout le centre de gravité de notre canton. Il est donc d'importance. Mais encore faut-il l'empoigner par le bon bout. Car il ne s'agit pas seulement d'y construire des logements, mais aussi d'y conduire des projets phares, susceptibles de rassembler de larges soutiens et de susciter de l'enthousiasme. Car on ne mobilise pas la population, on ne construit pas le XXIe siècle à coups de PLQ - plans localisés de quartier - pardonnez-moi ce mot si horrible. On bâtit le futur en proposant des projets emblématiques qui tirent le pays en avant et qui le font rêver. Deux projets au moins pourraient réussir ce pari. Celui d'une cité du savoir capable de mobiliser nos jeunes autour de la formation, de la recherche et du développement, des entreprises innovantes et de la finance de pointe, comme les Vaudois ont su le faire autour de l'EPFL et les Bâlois avec le Campus Novartis. Le projet du cerveau à la Jonction est un début prometteur mais encore largement insuffisant.
Une autre idée serait d'installer dans ce quartier le futur centre administratif du canton, avec l'ensemble des administrations publiques en dehors des fonctions purement exécutives et législatives qui resteraient à la Vieille-Ville. Rien n'interdit non plus de songer à des projets culturels. Dans tous les cas, il convient de faire preuve d'audace, d'imagination, de vision afin d'incarner ce projet dans un urbanisme novateur sur le plan esthétique comme sur le plan de l'environnement.
Et enfin, pour parachever la construction de la région, il faut faire avancer rapidement la traversée du lac et la construction de la 3e voie CFF avec Lausanne. Cela permettra enfin de mettre en place cette paix des transports qui gardera le trafic privé à l'extérieur de la ville et de transformer le centre-ville en quartier commerçant et de loisirs.
Mais cette volonté de construire et d'aller de l'avant engendre de fortes tensions, qu'il serait sot de nier, surtout quand elles se trouvent aggravées par la crise économique. Il est de notre devoir d'entendre ces appels et de répondre aux sentiments légitimes de peur qu'elles suscitent.
La sécurité est sans doute le droit de l'Homme le plus fondamental. Quand le droit à la sécurité n'est pas garanti, les hommes et les femmes ne peuvent ni travailler, ni nourrir leur famille, ni se réunir librement. L'insécurité, c'est la loi de la jungle et le triomphe du plus fort. L'insécurité est donc une question sérieuse, qu'il convient de traiter à la racine. Cette racine, c'est la peur, la peur du dealer, du trafiquant, la peur de l'étranger et du frontalier, et c'est aussi la peur d'être abandonné à son sort et le sentiment que son sort vaut moins que celui du voisin.
Pour répondre à cette crainte, il n'y a qu'une solution: appliquer la loi, rien que la loi, mais toute la loi de façon ferme et égale pour tous. Le sentiment d'impunité ne doit jamais prévaloir, ni le sentiment d'une justice à deux vitesses, qui serait clémente avec les criminels et impitoyable avec les honnêtes citoyens. Mais pour appliquer la loi de façon ferme et juste, le débat politique ne doit pas être kidnappé par les partis. Il faut aussi que la coopération entre la justice, la police et les autorités pénitentiaires joue pleinement. Et il faut encore que la coopération entre les institutions, le pouvoir judiciaire, le Conseil d'Etat et le Grand Conseil soit pleine et entière. Or, c'est rarement le cas chez nous. A Genève, le parlement se mêle parfois d'exécutif, l'exécutif empiète sur les compétences du législatif et la justice adresse des remontrances à la police, tandis que les uns et les autres règlent leurs comptes par journaux interposés. Pour que le système fonctionne, chaque partie doit faire le ménage chez elle et rester dans son propre rôle.
Pour lutter contre la peur, il convient enfin d'appliquer les grands principes de la justice sociale et de l'équité. Justice dans les rapports de travail, entre patrons et employés. Le travail au noir et les écarts de salaires qui voient certains patrons gagner en un mois ce qu'un travailleur gagne en vingt ans sont scandaleux. Egalité face à l'emploi, de manière que les chances soient égales pour tous et soient basées sur la compétence et la motivation, et non sur l'origine sociale, la langue ou la couleur de peau.
Justice, solidarité et fraternité sont les éléments essentiels de la cohésion sociale. Régis Debray a raison d'insister sur la fraternité. Dans une période d'exacerbation des communautarismes, où chaque groupe, chaque minorité revendique une place meilleure que l'autre dans la course universelle aux subventions publiques et à la visibilité médiatique, un zeste de modestie et beaucoup de fraternité aident à faire triompher les valeurs communes plutôt que les intérêts particuliers. Il est temps de passer du «Je», du «Moi» omniprésent, au «Nous».
«Quelle Genève voulons-nous ?» était la question posée au départ. En conclusion, nous croyons pouvoir dire que la Genève que nous voulons est celle de la confiance, de l'audace, du pari sur l'avenir, de l'ouverture aux autres, proches et lointains. La Genève que nous voulons est une Genève qui avance, qui bâtit, qui travaille ensemble. Avant même que Jules César ne songe à nous rendre visite, Genève s'était construite autour du pont sur le Rhône. Sa vocation a toujours été de servir de passerelle. C'est quand nous avons su construire des ponts que nous avons été grands. Nous en avons à nouveau l'occasion aujourd'hui, ne la laissons pas passer.
Pour cela il nous faut agir comme les abeilles du philosophe et politicien anglais Francis Bacon. Les cigales, disait-il, passent leur vie aux crochets des autres, elles ne créent rien, ne produisent rien et dilapident l'argent des autres et celui de l'Etat aux dépens duquel elles vivent. Les fourmis font le contraire, elles produisent sans cesse, s'agitent en tous sens dans un ballet sans fin, amassent continuellement, accumulant des richesses inutiles qu'elles ne peuvent emporter dans leur tombe quand elles meurent. Ni cigales ni fourmis, dit Bacon, hommes et femmes doivent se comporter en abeilles. Les abeilles butinent de fleur en fleur, folâtrent dans les champs, travaillent en jouissant des beautés de la nature tout en rapportant à la ruche le miel qui sert à nourrir toute la colonie. Elles recueillent la matière première issue de la nature fleurie pour la transformer en douce vertu, comme dit le poète. Elles pensent «Nous» au lieu de penser «Je». En faisant cela, elles assurent mieux leur bonheur personnel et le bonheur de leurs semblables que les cigales égoïstes et les fourmis cupides.
Alors, ce soir et pendant les quatre prochaines années, je vous invite toutes et tous, conseillères et conseillers d'Etat, députées et députés, citoyennes et citoyens de Genève, à devenir des abeilles.
Vive la République ! Vive Genève ! (Applaudissements.)
(A la fin du discours du président du Grand Conseil, le Young People's Chorus of New York City, sous la direction de Mme Tania Leõn, et l'Orchestre de Chambre de Genève interprètent Kayama (extrait de Adiemus) de Karl Jenkins.)
Le président. Thank you very much for this very moving song !
Je vous informe que l'orchestre se produira aussi au Victoria Hall le 10 décembre.