Séance du vendredi 18 septembre 2009 à 20h30
56e législature - 4e année - 11e session - 64e séance

RD 544-A
Rapport de la commission du logement chargée d'étudier le rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur le rapport de la Commission externe d'évaluation des politiques publiques ayant pour objet l'impact de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation, du 25 janvier 1996 (LDTR)
Rapport de M. Christophe Aumeunier (L)

Débat

M. Christophe Aumeunier (L), rapporteur. Il s'agit, en définitive, du rapport que le Conseil d'Etat a déposé au Grand Conseil en octobre 2004 pour commenter le rapport de la commission externe d'évaluation des politiques publiques ayant pour objet l'impact de la LDTR sur la politique du logement. Le Conseil d'Etat devait commenter les huit recommandations faites par la commission d'évaluation des politiques publiques.

A l'époque, la commission du logement avait considéré que ce rapport était incomplet, insuffisant, et qu'elle méritait plus de détails. C'est à la même conclusion qu'arrive la commission du logement après une analyse fouillée de l'impact de la LDTR sur la politique du logement. Ainsi, de manière générale, la commission souhaite que le Conseil d'Etat puisse évaluer, d'une part, et, d'autre part, faire partager aux milieux intéressés la problématique du retard des travaux à Genève, puisqu'il est avéré que les travaux de rénovation dans le domaine du logement ne couvrent que 25% environ du parc existant, alors que pour la Suisse en général ces travaux de rénovation atteignent 50% du parc. C'est dire qu'à Genève on rénove deux fois moins vite que dans le reste de la Suisse ! Mais pour le secteur commercial, nous sommes exactement au même niveau que dans le reste de la Suisse, soit presque à 50% de rénovation. La différence entre les deux parcs est essentiellement due à l'application de la LDTR, et il serait bon que cet impact puisse être mesuré, et mesuré à l'aune d'un nouvel intérêt public prépondérant, à savoir les économies d'énergies, dans la mesure où les travaux de la commission de l'énergie du Grand Conseil ont démontré qu'il fallait absolument réaliser des travaux pour générer des économies d'énergie.

Il faut également faire des propositions pour tenter de réconcilier la notion de loyers LDTR avec ceux du code des obligations, respectivement les loyers issus du contrat de bail, car aujourd'hui il y a une dichotomie entre les deux calculs, et il serait bon que ceux-ci puissent se rapprocher.

Il faut, surtout et enfin, préciser les termes de rénovation et d'entretien, parce que, en définitive, un flou important réside à ce niveau: la jurisprudence n'est pas très claire et il nous semble que la pratique du département est malheureusement encore fluctuante. Le Conseil d'Etat pourrait, à ce niveau-là, établir des normes plus claires ne serait-ce que pour faciliter la vie des constructeurs et des personnes qui souhaitent rénover.

Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission souhaite renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat.

M. Alberto Velasco (S). Je remercie le rapporteur de la commission d'avoir ajouté avec subtilité que c'est la majorité de la commission qui désire le renvoi, car la minorité, satisfaite de la réponse du Conseil d'Etat, ne le voulait pas et souhaitait sa prise d'acte. Je regrette que le rapporteur n'ait pas inclus dans son rapport les conclusions du Conseil d'Etat, parce que les députés devraient les connaître. En réalité, le Conseil d'Etat trouve, contrairement au rapporteur, que la LDTR a atteint son objectif et que les définitions auxquelles M. Aumeunier faisait référence sont suffisamment explicites dans la loi. Moi, ce qui me gêne à chaque fois que l'on parle de la LDTR, c'est qu'on nous dit qu'elle est responsable de tous les maux; bientôt on nous dira que c'est à cause d'elle s'il y a des changements climatiques ! Chaque fois qu'il y a un problème dans ce canton, c'est la faute de la LDTR ! Je suis désolé, mais, à un moment donné, il faut prouver ses affirmations par des arguments économiques ou scientifiques ! Le principal dans la vie, c'est quoi ? C'est le bonheur des gens ! C'est pas forcément de se faire du pognon ! (Commentaires.) Pour vous, les libéraux, le bonheur c'est vous faire du pognon ! Et plus vous avez de pognon, plus vous pensez que vous êtes heureux ! (Exclamations et rires. Le président agite la cloche.)

Une voix. Tu fantasmes ! (Rires.)

M. Alberto Velasco. Oui ! Oui, le bonheur, pour vous, se trouve dans le pognon ! C'est comme ça ! (Rires.)

Alors, la LDTR permet aux différents acteurs de gagner de l'argent, mais normalement. Suffisamment pour vivre honnêtement ! Pas au détriment des locataires, qui ont souvent des revenus modestes ! Il faut quand même savoir que les 60% de la population de ce canton ont des revenus d'environ 60 000 F par année, Monsieur le président ! Ce n'est quand même pas énorme ! On dit que Genève est une ville riche, or 60% des habitants doivent vivre avec un revenu de 60 000 F par année !

Par conséquent, le rôle d'un état est de veiller à ce que les gens puissent se loger, et à des conditions accessibles financièrement parlant. Que stipule cette loi ? Elle dit: «Messieurs les propriétaires, quand vous effectuez des travaux, vous devez faire attention à ce que, une fois ces derniers terminés, les loyers soient accessibles» ! Mais, Monsieur le président - et M. Aumeunier va certainement le contester, car c'est facile de toujours contester sans preuve à l'appui - il semble que 80% des loyers pratiqués dans ce canton sont abusifs par rapport aux normes fédérales en la matière !

Par ailleurs, je tiens à dire qu'une partie des loyers, par principe, devrait être réservée aux travaux de maintenance; par conséquent, les bâtiments dont nous parlons, Monsieur Aumeunier, sont déjà en grande partie amortis ! Par exemple, les coopératives situées derrière la gare ayant amorti leurs investissements, les loyers diminuent, ce qui est logique. Par contre, on constate que les loyers libres ne diminuent pas ! On peut considérer, Monsieur Aumeunier, je considère qu'un investisseur immobilier a droit à un revenu, certes, mais un revenu acceptable ! Et aujourd'hui, le grand débat de société par rapport au monde de la finance porte sur le fait que la finance ne doit pas être un but en soi, mais un moyen ! Eh bien, en l'occurrence, je pense la même chose: le but des investisseurs ne doit pas être de faire de l'argent à tout prix, mais d'avoir un revenu acceptable par rapport à la mission qui est la leur ! Je trouve c'est une très bonne chose que ces personnes aient un rendement acceptable, mais il ne faut pas que cela dépasse un certain stade rendant la situation impossible pour les personnes qui doivent se loger.

C'est pour cela, Monsieur le président, que je défendrai la LDTR, car je considère qu'elle a permis de maintenir des loyers suffisamment accessibles à Genève. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat, après avoir analysé le rapport, estime qu'effectivement la LDTR a atteint son but, et nous devons nous rallier au rapport du Conseil d'Etat.

C'est aussi la raison pour laquelle, Monsieur le président, nous pensons - les députés de mon groupe, en tout cas - qu'il est inutile de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat. Non seulement cela lui donnera du travail, mais il risque bien de nous répondre la même chose ! Nous nous opposerons donc au renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat.

M. Olivier Jornot (L). La LDTR rend-elle les gens heureux ? Voilà bien une question à laquelle les socialistes et les libéraux n'apportent pas - et définitivement pas - la même réponse !

Bien sûr, Monsieur Velasco, vous avez raison de dire que le bilan de la LDTR n'est pas totalement négatif. Certains aspects de cette loi ont abouti à un certain nombre de résultats souhaitables, comme le maintien de l'habitat en ville, mais, pour le reste, nous savons depuis toujours que de nombreuses dispositions sont génératrices d'effets négatifs... Ce n'est pas une loi sur les rénovations: c'est une loi contre les rénovations ! En effet, les entraves liées précisément à l'aspect de rentabilisation des travaux que vous avez évoqué ont pour conséquence, dans bien des cas - le rapporteur l'a souligné avec beaucoup de talent tout à l'heure - que les investisseurs se découragent, renoncent à rénover. Cela induit le vieillissement du parc locatif qu'il faudra bien rénover un jour, ce qui aura des conséquences qui seront aussi financières. Les locataires finiront pas trinquer à ce moment-là, après avoir, de surcroît, vécu dans des immeubles vétustes, parce que non rénovés.

Les libéraux souhaitent que cette situation évolue. C'est la raison pour laquelle ils désirent que la réflexion initiée par la commission d'évaluation des politiques publiques ne s'arrête pas là où le Conseil d'Etat a voulu qu'elle s'arrête dans son rapport, qui, finalement, aboutit à un constat d'immobilisme.

Alors, comme il s'agit d'une «loi icône» - on peut l'appeler ainsi - protégée de surcroît par des dispositions constitutionnelles, mais aussi par un simple attachement symbolique, il est nécessaire, pour faire évoluer les choses, de pratiquer la concertation.

Et du fait que le Conseil d'Etat - plus particulièrement le conseiller d'Etat Mark Muller - a réussi, dans un certain nombre de domaines, à faire avancer, par la concertation, des situations qui étaient jusqu'alors bloquées, nous avons l'espoir que le fait d'envoyer ce message au Conseil d'Etat relance - ou, plus exactement, lance - un processus de concertation autour de la LDTR pour pouvoir examiner ensemble quels sont les aspects qui peuvent bouger, ceux sur lesquels vous accepteriez aussi, Monsieur Velasco, de reconnaître que la loi génère des blocages qu'il faut lever.

D'un point de vue concret, nous sommes en présence d'un «rapport sur un rapport sur un rapport», et son renvoi au Conseil d'Etat ne fera que générer un rapport de plus. Bien entendu, derrière cette avalanche de rapports, il faut la volonté clairement exprimée par ce parlement de faire avancer, évoluer la LDTR !

M. Olivier Wasmer (UDC). Je ne veux pas paraphraser mon excellent collègue Olivier Jornot, qui vous a quasiment tout dit.

Je constate, depuis des années - on le dit, on le répète à l'envi - que la LDTR, contrairement à ce que certains pensent, ne fait pas forcément le bonheur des gens ! Et, malheureusement, les locataires - qui sont les plus nombreux dans notre république - n'ont pas encore compris que la LDTR est une entrave à la construction, une entrave à la rénovation d'immeubles, parce que les propriétaires, avec toutes ces dispositions drastiques, ne peuvent pas - c'est dommage - créer des combles par-ci, augmenter la surface habitable par-là, ou surélever un immeuble. Tout cela en raison de cette loi inique qui n'existe - je vous le rappelle encore, bien que j'aie déjà eu l'occasion de vous le dire plusieurs fois dans ce parlement - que dans le canton de Genève et nulle part ailleurs en Suisse ! En effet, elle n'existe ni à Zurich, ni dans le canton de Vaud, ni à Bâle, ni à Schaffhouse. Cette loi entrave la construction de logements, puisqu'elle empêche les promoteurs - je l'ai déjà indiqué - de construire, étant donné que la loi permet effectivement de bloquer les loyers pendant plusieurs années. Si j'étais promoteur ou constructeur, je n'investirai certainement pas - bien mal m'en prendrait ! - des fonds dans l'immobilier à Genève en sachant qu'ils ne seront - c'est malheureux - jamais rentabilisés !

Cela étant, comme l'a indiqué également Olivier Jornot très justement, on a fait un rapport par la voie de la commission d'évaluation des politiques publiques, qui a constaté effectivement certains failles, certaines lacunes, certaines carences qui ont été rapportées au Conseil d'Etat. Celui-ci a repris lui-même la balle au bond, car il est convaincu - je connais assez bien M. Muller pour le savoir ! (Exclamations.) - que cette loi est plus maléfique que bénéfique !

Mais, heureusement, M. Muller, grâce à la concertation, nous a permis, en partie par le projet des LUP, d'atténuer un peu cette souffrance qui, en fait, touche toute la république, propriétaires comme locataires ! Malheureusement, Mesdames et Messieurs les locataires - représentés par les bancs d'en face - vous n'avez pas compris que chaque blocage de construction ou de rénovation d'immeubles ne peut que faire prendre l'ascenseur aux loyers !

Pour tous ces motifs, je souhaite que le Conseil d'Etat, par l'intermédiaire de M. Muller, continue à pratiquer la concertation pour que nous arrivions à débloquer enfin la LDTR ! Et je vous rappelle un élément - dernière petite parenthèse - qui a fait perdre des millions, des centaines de millions de francs, à la Fondation de valorisation des actifs de la BCGe: c'est qu'il a fallu vendre des immeubles en bloc au lieu de les vendre par appartement, car l'article 39 de la LDTR l'interdisait !

M. Pascal Pétroz (PDC). Je serai bref. Le groupe démocrate-chrétien soutiendra le renvoi de ce rapport divers au Conseil d'Etat non pas parce qu'il s'agirait d'un rapport sur un rapport qui générerait un autre rapport, mais parce que nous sommes en plein dans l'actualité. Vous le savez, la commission de l'énergie vient de terminer ses travaux sur la loi sur l'énergie, et l'enjeu, dans le cadre de cette loi, est d'essayer de trouver une formule équilibrée, qui incite les propriétaires à entreprendre des travaux de rénovation qui permettraient de faire des économies d'énergie. En fait, une mesure profitable à tout le monde. Il est donc nécessaire aujourd'hui, compte tenu du débat que nous aurons - je crois, lors de la prochaine session à propos de la loi sur l'énergie - de donner d'ores et déjà un message clair à propos de cette loi qui, dans sa teneur actuelle, dissuade complètement les propriétaires de rénover leurs immeubles.

M. Mark Muller, conseiller d'Etat. Au nom du Conseil d'Etat, j'aimerais remercier la commission du logement pour ce rapport qui est un encouragement, non pas un encouragement à la rénovation d'immeubles, mais à ouvrir un nouveau round de discussions et de négociations. Après ce premier round consacré à la politique du logement, il s'agira, pendant la prochaine législature, de trouver un moyen d'améliorer cette loi. Il le faut, parce que - Monsieur le député Velasco, je me permets de reprendre vos propos - cette loi n'est pas parfaite, et le Conseil d'Etat considère qu'elle ne permet pas d'entretenir correctement le patrimoine immobilier de notre canton. Nous devons donc modifier cette loi !

Je pense qu'un certain nombre d'éléments nous laissent espérer des chances de succès quant au processus de négociation et d'une révision de la loi. Quels sont ces éléments ? Le premier, c'est que nous avons réussi en politique du logement, domaine éminemment polémique et conflictuel pendant plus de vingt ans dans notre canton ! Le deuxième élément - tout le monde s'accorde à le dire - c'est que cette loi comporte quelques anomalies. J'aimerais en citer une. Un certain nombre de travaux, si l'on applique le droit fédéral du bail, donnent le droit au bailleur d'augmenter les loyers, mais, si l'on applique la LDTR, c'est l'inverse, ce qui est le but poursuivi par les auteurs de la LDTR ! Or il existe d'autres types de travaux qui, paradoxalement, ne donneraient pas le droit au bailleur d'augmenter le loyer en application du droit fédéral, mais qui, par contre, peuvent donner lieu à une augmentation de loyer en application de la LDTR. C'est une véritable anomalie, qui devrait convaincre les plus réticents, les moins enthousiastes à modifier la LDTR, d'entrer en négociation !

La négociation, Mesdames et Messieurs - je crois que tout le monde en est convaincu - sera le seul moyen de modifier cette loi. Celle-ci a fait l'objet de nombreuses tentatives de réformes - non pas pendant cette législature, mais pendant la précédente - qui ont toutes été refusées par le peuple, il faut le reconnaître. Si nous voulons avoir une chance d'aboutir, ce sera uniquement en discutant avec toutes les parties, dont l'ASLOCA, qui, je l'espère, sera d'accord d'entrer en matière sur ce chantier que nous ouvrirons, je le souhaite, au début de la prochaine législature.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat ! Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'une demande de renvoi du rapport RD 544-A au Conseil d'Etat.

Mis aux voix, le renvoi du rapport de commission RD 544-A au Conseil d'Etat est adopté par 40 oui contre 19 non et 2 abstentions.

Le rapport de commission RD 544-A est adopté.