Séance du
jeudi 2 avril 2009 à
17h
56e
législature -
4e
année -
7e
session -
35e
séance
M 1636-A
Débat
Le président. Nous sommes au point 31 de notre ordre du jour: rapport M 1636-A. Le rapporteur de majorité est M. Barazzone, et le rapporteur de minorité, M. Thion, qui, puisqu'il a quitté notre Grand Conseil, est remplacé par Mme Pürro.
M. Guillaume Barazzone (PDC), rapporteur de majorité. J'aimerais faire un bref historique avant de commencer à traiter de la motion 1636: cette motion fait suite à une motion plus générale - à laquelle le Conseil d'Etat avait répondu - émanant du parti radical et datant d'il y a une dizaine d'années. Pour mémoire, cette motion demandait l'introduction généralisée du bilinguisme par immersion dans les écoles primaires du canton de Genève, et le Conseil d'Etat avait répondu à ce texte en indiquant toute une série de motifs pour refuser l'application d'une motion qui avait été votée à l'époque par une unanimité, ou du moins une grande majorité du parlement. L'une des raisons pour lesquelles le Conseil d'Etat avait refusé d'appliquer cette motion, c'est qu'il était difficile, voire impossible - outre une multitude de motifs dont je parlerai tout à l'heure et qui ont été évoqués à nouveau lors du traitement de la motion qui nous intéresse ce soir - de généraliser d'emblée un projet de bilinguisme par immersion dans les écoles primaires, puisque nous n'avions pas réussi à le tester. Je crois qu'il était important de le rappeler.
Peut-être un mot sur les travaux de la commission. Cette motion a fait l'objet d'un certain nombre de séances, où nous avons pu auditionner M. Charles Beer, notamment sur la politique linguistique que menait le canton de Genève. Nous avons également eu la possibilité d'auditionner des spécialistes, des linguistes et des économistes tels que François Grin, mais aussi Mme Pia Effront, directrice de l'Ecole bilingue de l'Ecole Moser, qui nous a donné des éléments intéressants s'agissant de la mise en place d'un tel projet dans une école privée.
Dans le fond, on parle de politique des langues, on parle de bilinguisme, mais ce bilinguisme, c'est quoi ? Eh bien, le bilinguisme par immersion dont il est question aujourd'hui, c'est la possibilité pour l'élève de ne plus apprendre une langue en tant que telle uniquement dans les cours de langue, mais également lors d'autres cours que ceux de langue, et ce dès le plus jeune âge en l'occurrence, puisqu'il s'agit de l'école primaire. En d'autres termes, la langue n'est plus l'objet stricto sensu de l'enseignement, mais elle est l'instrument qui permet à l'élève de communiquer. Je prends deux exemples: pour les plus petits, imaginons un cours de bricolage ou de dessin, qui se déroule en allemand; l'élève qui parle avec son enseignant ou sa maîtresse d'école dans la langue seconde apprend la langue de manière beaucoup plus ludique que s'il révise son vocabulaire dans le cours d'allemand à l'école primaire. Pour les plus grands, imaginons un cours de géographie dispensé dans une langue seconde, par exemple l'anglais ou l'allemand; l'enseignant donne son cours en langue étrangère, et l'élève qui a envie de donner son point de vue sur la matière enseignée - en l'occurrence la géographie ou l'histoire - le fait en langue seconde. Par conséquent, la langue n'est plus l'objet, mais bien l'instrument du cours.
Nous avons obtenu également différentes informations concernant ce qui se passe à l'école publique dans d'autres cantons. En effet, le bilinguisme est concrétisé dans un certain nombre de cantons suisses, notamment des cantons limitrophes de la Suisse alémanique - je pense notamment au Valais et au canton de Fribourg. Nous avons en outre eu des informations au sujet de ce qui se fait au collège à Genève, puisque vous savez que, depuis un certain nombre d'années, et c'est très louable, le canton de Genève dispense des maturités bilingues. Enfin, comme je le disais tout à l'heure, nous avons également reçu des informations concernant ce qui se passe dans les écoles privées. Voilà pour le rappel ! Il était à mon avis important de souligner que nous avons eu un long cheminement avant de prendre une décision.
Alors, que demande-t-on ? La motion demande que le DIP ou le Conseil d'Etat mette en place assez rapidement un projet pilote d'immersion partielle bilingue dans certaines classes du canton à l'école primaire. Nous avons estimé qu'il n'était pas judicieux d'indiquer une année précise et avons donc laissé au département de l'instruction publique et aux spécialistes le soin de définir quelle était l'année la plus appropriée pour introduire ce système. Nous pensons que le système peut être effectué sur une base volontaire des enseignants qui maîtrisent déjà l'allemand ou l'anglais et que ce projet pilote permettra de tester les différents paramètres d'un tel projet à l'école publique genevoise. L'idée serait de prendre deux ou trois classes dans le canton, par exemple une aux Pâquis et une à Champel - je schématise un peu - afin de voir si la catégorie socioprofessionnelle des parents qui mettent leurs enfants à l'école joue un rôle ou non. On peut du reste imaginer d'autres critères d'évaluation. Je crois que ce projet permettra également de comparer ce qui se ferait à l'école publique genevoise avec ce qui est réalisé dans d'autres cantons à l'école publique notamment.
D'emblée, une chose est certaine: si l'on souhaitait généraliser ce projet, il nécessiterait une formation des enseignants - et je pense que M. Charles Beer l'indiquera tout à l'heure - puisqu'aujourd'hui nous n'avons pas à disposition assez de professeurs qui pourraient enseigner à l'école primaire dans une langue seconde. D'ailleurs, je pense que l'institut universitaire que met en place M. Charles Beer avec l'université permettra certainement à l'avenir de former ces professeurs et futurs enseignants à enseigner d'autres matières dans une langue seconde, mais j'y reviendrai tout à l'heure.
Mme Véronique Pürro (S), rapporteuse de minorité ad interim. J'aimerais rappeler que je remplace mon camarade François Thion, auteur de ce rapport de minorité, qui a quitté le Grand Conseil il y a quelques mois.
Mesdames et Messieurs les députés, si les socialistes peuvent partager la quasi-totalité des considérants de la proposition de motion - à savoir la richesse que constitue la connaissance d'une ou plusieurs langues, la nécessité de bien maîtriser ces langues, notamment dans le cadre d'une recherche d'emploi, ainsi que l'importance d'améliorer les connaissances en langues étrangères des élèves de l'école publique - ils ne sont en revanche pas du tout d'accord avec l'invite, c'est-à-dire l'idée d'un projet pilote. Voici quelques raisons qui justifient ce désaccord.
En premier lieu, je rappelle que le plurilinguisme est largement répandu dans notre canton. En 2003, l'étude PISA a démontré qu'un quart - un quart ! - des élèves genevois de 9e primaire parlait une autre langue que le français à la maison. Un quart, ce n'est pas rien ! Et pour ces enfants-là, ce qui est important, ce n'est pas de suivre des cours de maths en allemand, mais d'avoir une reconnaissance de la langue parlée à la maison, qui est bien souvent l'italien, l'espagnol, le portugais ou l'albanais, et non pas l'allemand, contrairement aux cantons que vous avez cités, Monsieur Barazzone... Il est donc essentiel que l'école publique genevoise reconnaisse les langues que les élèves parlent à la maison et, deuxièmement - et c'est peut-être le plus important aux yeux des socialistes - nous devons savoir accompagner ces enfants qui, bien souvent, connaissent des difficultés dans la maîtrise de la langue française. Alors, avant de vouloir rajouter une langue supplémentaire, faisons en sorte que la majorité, voire la totalité des enfants parle convenablement le français, et que l'on reconnaisse les langues qu'un quart d'entre eux parle à la maison.
Monsieur Barazzone, vous évoquez l'Ecole Moser. Alors c'est vrai, nous avons auditionné la personne qui, à l'Ecole Moser, est responsable des écoles bilingues - et je crois même savoir que vous avez suivi cet enseignement - mais vous devez reconnaître que l'Ecole Moser n'ouvre cette filière qu'à ses meilleurs élèves et que cette école est déjà elle-même un concentré des meilleurs élèves du canton de Genève ! On ne peut donc pas vouloir mettre en place un projet à l'école publique en se basant sur une petite expérience qui concerne les meilleurs élèves parmi les meilleurs ! Vous me répondrez tout à l'heure, mais enfin c'est quand même la réalité. (Brouhaha.) Monsieur le président, je suis désolée, mais auriez-vous la gentillesse de rappeler à l'ordre les députés ?
Le président. Oui, un peu de silence, s'il vous plaît ! Il y a beaucoup de gens qui parlent dans les travées. Silence ! Monsieur Jeanneret ! «Jeannerat», pardon !
Mme Véronique Pürro. Je vous remercie, Monsieur le président. C'est plus agréable quand on a l'impression que, en tant que voisins, on arrive à s'entendre.
Je disais donc qu'un projet pilote basé sur l'expérience de l'Ecole Moser, je crois que ce n'est pas crédible ! Surtout si l'on veut s'adresser à la totalité des élèves de l'école publique. En outre, pour nous, le projet pilote équivaut à développer une école à deux vitesses en quelque sorte, parce qu'il y aurait ceux qui ont la chance d'être dans les écoles où le projet pilote a lieu et qui peuvent bénéficier de ce programme... Mais quid des autres ?
En résumé, vous l'aurez compris, nous refuserons cette proposition de motion pour au moins deux raisons. D'abord, parce que nous voulons prendre en compte la réalité des élèves qui sont à l'école publique genevoise, à savoir que la plupart d'entre eux parle déjà une autre langue à la maison - qui n'est pas l'allemand - qu'il convient de valoriser, et qu'il faut les accompagner dans les difficultés qu'ils rencontrent au niveau de la maîtrise du français, langue de notre canton. Et, en deuxième lieu, parce que le projet pilote ne pourrait bénéficier qu'à une toute petite partie des élèves de l'école et que cela favoriserait par conséquent une école à deux vitesses. Donc, en tout cas pour ces deux principales raisons, les socialistes refuseront cette motion et ont rédigé un rapport de minorité qui vous invite à en faire de même.
Le président. Merci, Madame la députée. Je vous rappelle à tous que nous sommes en catégorie II, cinq minutes par groupe, plus les rapporteurs. Le Bureau va clore la liste. Doivent encore prendre la parole M. Losio, Mme Hagmann, M. Gillet, M. Stauffer, M. Follonier, M. Barazzone, rapporteur de majorité, Mme Keller, M. Jeanneret, M. Weiss, M. Catelain et le conseiller d'Etat Charles Beer.
M. Pierre Losio (Ve). C'est avec plaisir que j'interviens sur un sujet qui concerne l'école primaire. Nos commissaires ont adopté en commission une position que nous avons fort longuement discutée dans notre caucus, et nous sommes arrivés à la conclusion que, pour des raisons véritablement pédagogiques, nous allions soutenir cette proposition de motion. Je vais vous expliquer pourquoi mais, au préalable, je souhaiterais répondre à deux arguments que vient d'avancer ma collègue Pürro. Je l'assure de notre soutien pour son élection au Conseil d'Etat, mais je vais quand même me permettre de lui faire deux observations pédagogiques en rapport avec ce qu'elle a dit.
Elle a d'abord évoqué le fait que les élèves allophones qui parlent plusieurs langues seraient pénalisés. Eh bien je peux vous dire que, après une assez longue carrière dans une école où 57 nationalités étaient représentées, on a constaté que, lorsqu'on travaillait l'allemand, les élèves qui n'avaient aucun complexe pour étudier cette langue, aucune difficulté pour faire des exercices et une très grande envie de faire de l'allemand, tous les jours, vingt minutes, c'étaient ceux qui parlaient déjà une autre langue à la maison, voire une deuxième ou une troisième. Donc, par expérience, nous ne pouvons pas prendre cet argument en considération.
Le deuxième argument de Mme Pürro consistait à dire que cela créerait une école à deux vitesses. Et je retrouve un peu cela dans le rapport de minorité, où il est dit: «Les objectifs de cette motion vont au-delà de ce que fixe la loi sur l'instruction publique.» Alors, Mesdames et Messieurs les députés, je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais un conseiller d'Etat avait écrit dans sa carte de voeux de nouvel an: «L'art de la chose publique, c'est de savoir où l'on doit s'arrêter, et d'aller juste un petit peu plus loin.» Ainsi, concernant cette école à deux vitesses, s'il n'y avait pas eu il y a trente ans, par exemple, des pédagogues courageux qui s'étaient battus pour que, à l'école primaire genevoise, on puisse pratiquer la pédagogie Freinet, il n'y aurait pas les UCE aujourd'hui ! Si l'on s'en était tenu à la lettre de la loi, si l'on s'en était tenu à la lettre du colonel Christe, directeur de l'enseignement primaire, qui interdisait des classes de stage, parce que l'on y pratiquait la pédagogie Freinet... Heureusement que l'on a osé aller un peu plus loin et que l'on a pris des risques ! Car aujourd'hui, heureusement, on peut pratiquer dans notre école une autre pédagogie, qui est peut-être la pédagogie standard qu'enseignent les bonnets pointus de l'université.
D'autre part, j'aimerais dire que certains enseignants qui sont dans cette enceinte ont connu la grande période à l'école primaire qui a précédé celle de M. le conseiller d'Etat Beer, cette grande période où il fallait que mille fleurs croissent et que des projets fleurissent dans tous les coins; c'était la grande période de ce que j'appelais «l'onanisme projectuel et pédagogique». (Rires.)
Aujourd'hui, je trouve qu'un projet tel que celui-là, c'est un vrai bon projet d'établissement pour une école ! Un projet d'établissement ! En effet, vous savez que, maintenant, nous sommes organisés en établissements et qu'il est souhaitable que les enseignants aient des projets et élaborent des concepts et des idées pour travailler ensemble. Alors voilà un bon projet d'établissement: introduire le bilinguisme, peut-être dès la 4e ou la 5e primaire. Certes, c'est compliqué. Certes, il faut trouver des enseignants motivés, et peut-être qu'il faudrait même arriver à ce que des enseignants puissent se coopter pour travailler dans un tel projet. En outre, c'est vrai que cela pose peut-être aussi des problèmes de coordination ou de court-circuitage avec des projets au niveau romand, mais c'est une proposition de motion, Mesdames et Messieurs les députés ! Qu'on demande au chef du département de nous la chiffrer et de nous dire: «Voilà, cela va coûter tant en formation, tant en postes d'enseignants, et peut-être qu'il y aura un petit matériel pédagogique supplémentaire.» Puis on chiffrera le tout ! Et après, si notre Conseil ou le futur Grand Conseil estime que c'est une priorité et que cela en vaut la peine, eh bien nous voterons une ligne au budget ! Alors on essayera, on fera un projet d'établissement dans une école, puis on l'évaluera.
En conclusion, right honored members of our parliament, sehr geehrte Kolleginnen und Kollegen, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe des Verts vous engage à soutenir cette proposition de motion. (Applaudissements.)
Mme Janine Hagmann (L). Pour moi, l'introduction du bilinguisme à l'école primaire est l'idée la plus séduisante de tout cet ordre du jour. Et pourtant, je vais commencer par un peu de frilosité. En effet, c'est vraisemblablement l'idée la plus difficile à mettre en oeuvre ! A la suite d'une table ronde à laquelle j'avais participé sur ce sujet, un journal titrait: «L'enseignement bilingue, si proche et si inaccessible». Et le président qui dirigeait ce forum avait ouvert le débat en lançant cette boutade: «Il me semble plus simple d'aller sur la lune avec une bicyclette à une roue que de mettre en place un enseignement bilingue en Suisse romande.» Pourquoi ? Quelque part, un gouffre sépare les attentes parentales et les réticences des enseignants de l'école publique. Enseigner simultanément en français et en allemand, est-ce donc impossible ? Mais non, Mesdames et Messieurs ! Vous savez très bien que, depuis vingt ans, une célèbre école privée le fait avec énormément de satisfaction. Et, à Genève même, quatre collèges proposent actuellement une maturité bilingue !
L'autre soir, l'un de mes proches est allé à la séance d'introduction et d'explication de la maturité bilingue, qui avait lieu à l'auditoire Frank-Martin. L'auditoire Frank-Martin, vous vous rendez compte ! C'est une grande salle ! Eh bien cet auditoire était plein à craquer, tellement il y avait d'intérêt pour la maturité bilingue à Genève. Alors, s'il existe un intérêt pour la maturité bilingue, pourquoi ce dernier ne peut-il pas être descendu dans l'échelon des classes ? En réalité, ce qu'il faudra réussir à faire, c'est à persuader les enseignants parce que, comme l'a dit mon préopinant, il faut que l'on trouve des professeurs qui soient d'accord d'aller dispenser un enseignement en Suisse allemande et réciproquement, ou aussi de faire des études dans cette région. D'ailleurs, M. Beer l'a évoqué lorsqu'il nous a parlé des travaux de préparation de la formation des enseignants. Mais les professeurs, vous le savez très bien, ont déjà de la peine à changer d'école, voire de degré, alors je ne sais pas comment on va parvenir à les persuader de participer à de tels projets. Et pourtant, au Canada, 320 000 enfants reçoivent un enseignement en mode bilingue.
Alors faut-il vraiment avoir peur des obstacles ? Lorsqu'il y a une volonté politique, les résultats suivent. Et je pense que, là, nous devons faire preuve de courage. J'ai lu l'autre jour que Fribourg mettait en place un institut du bilinguisme et que ce canton voulait devenir le leader du bilinguisme en Suisse romande, avec un partage entre la HEP et l'université. Eh bien voilà ! Lançons-nous, et ensuite, Monsieur le président, nous demanderons évidemment une vérification de l'efficacité. En effet, nous ne voulons pas qu'un enseignement se fasse n'importe comment dans quelques classes, mais qu'un certain nombre d'entre elles soient des classes pilotes et que, dans celles-ci, il y ait une efficacité. Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons - avec la frilosité dont j'ai parlé au début de mon intervention - cette proposition de motion que nous trouvons très intéressante.
M. François Gillet (PDC). A entendre ce qu'a dit Mme Pürro tout à l'heure, il y aurait d'autres priorités en matière de langues. Certes, il est nécessaire de renforcer les acquis des élèves allophones, qui sont nombreux dans notre canton. Nous en parlerons peut-être demain, mais vous savez que, notamment au cycle d'orientation, les classes d'accueil servent précisément à renforcer ces acquis. De nombreuses possibilités pour consolider ces acquis en français existent également à l'école primaire pour les élèves qui arrivent dans notre canton.
Il est aussi évidemment important de permettre aux enfants qui viennent d'autres régions de maintenir et de développer leurs compétences dans leur langue maternelle. Plusieurs expériences ont du reste montré que de bien maîtriser sa langue maternelle était une condition pour progresser dans notre langue. Tout cela est vrai ! Mais pourquoi faudrait-il, sous prétexte que ces priorités sont à mettre en oeuvre - et elles le sont - se priver d'expériences pilotes sur le plan du bilinguisme, dans le cadre d'un projet d'immersion ? Il s'agit d'expériences pilotes, il est question d'une proposition de motion, et cette façon de fonctionner a prouvé son efficacité ailleurs et même à Genève, cela a été dit, dans certaines écoles privées. Il serait donc intéressant de pouvoir l'expérimenter non pas, Madame Pürro, pour une élite mais, comme l'a dit M. Barazzone, pour différentes populations de notre canton, toutes classes sociales confondues.
Cela implique évidemment que les enseignants adhèrent au projet, et il faudrait à ce niveau-là explorer des voies qui ne le sont pas suffisamment pour le moment, comme celle des échanges entre professeurs de différents cantons ou de différentes régions linguistiques. Certes, aujourd'hui c'est difficile, parce que nous n'enseignons pas forcément la même chose dans tous les cantons, mais je rappelle que nous sommes en train de mettre la dernière touche notamment au plan d'études romand, et plus généralement à l'harmonisation scolaire au plan national. A brève échéance, nous arriverons à avoir en gros les mêmes programmes dans toute la Suisse et, dès lors, il sera possible que des professeurs suisses alémaniques viennent enseigner par exemple la géographie à Genève et vice-versa. Il existe donc des pistes à explorer au niveau des échanges d'enseignants dans ce pays, mais aussi - et je sais que le département s'y attelle - au niveau de la formation des enseignants. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce dossier ô combien important où, là encore, il y a des efforts à accomplir en matière de formation des enseignants sur le plan des langues. C'est l'un des défis qui nous attend !
Mesdames et Messieurs les députés, il ne s'agit pas de jouer une priorité contre une autre: on peut très bien renforcer encore l'apprentissage du français pour les élèves qui en ont besoin, on peut très bien renforcer l'apprentissage de la langue maternelle - avec la collaboration des consulats, comme cela se fait déjà aujourd'hui - pour les élèves qui doivent maintenir leurs acquis, mais on peut également, et le groupe démocrate-chrétien souhaite que ce soit le cas, expérimenter le bilinguisme par immersion avec certaines classes de notre canton dans un proche avenir.
M. Eric Stauffer (MCG). Le groupe MCG va soutenir la proposition de motion du parti démocrate-chrétien. En effet, nous sommes très attachés à améliorer tout ce qui concerne l'éducation de nos enfants et à faire en sorte qu'ils puissent affronter la vie professionnelle avec toutes les armes de leur côté, tant la concurrence devient rude avec l'ouverture des frontières. Nous ne sommes cependant pas surpris de l'opposition des socialistes, parce qu'il est vrai que, pour les socialistes, à l'école tout se passe très bien dans le meilleur des mondes... Nous sommes du reste au hit-parade du rapport PISA pour le bonnet d'âne depuis de nombreuses années, mais il n'y a rien à changer à cela, et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! On parle de bilinguisme mais, pour le parti socialiste, nous sommes déjà multilingues dans les classes, tant il est vrai que dans certaines classes des communes suburbaines comme Onex il n'y a pas moins de 80% d'élèves non francophones. Cependant, il existe une constante dans ce multilinguisme: les élèves, lorsqu'ils ont fini leur scolarité obligatoire, ne parlent et n'écrivent aucune langue correctement, ce qui va évidemment conditionner toute leur vie professionnelle, et cela, c'est une catastrophe pour nos enfants. Peut-être devriez-vous discuter avec les parents des enfants qui rencontrent ces problèmes au cycle d'orientation ?
En conclusion, c'est donc sans réserve que nous allons approuver ce texte du PDC, et nous vous encourageons à faire de même.
M. Jacques Follonier (R). J'aimerais tout d'abord remercier le rapporteur de majorité d'avoir souligné que les radicaux s'étaient déjà penchés sur cette problématique il y a bien dix ans, mais il est vrai que les temps ont hélas un peu changé. Ce rapport et cette idée sont intéressants: la proposition de motion cherche à améliorer la partie linguistique et l'apprentissage des langues en classe, elle a aussi l'idée de le faire en immersion, mais elle a en revanche certaines limites, et ces dernières arrivent relativement vite par rapport à la volonté d'étendre ce projet à tous les types de structures et d'environnement - ce qui ferait que, en gros, on pourrait commencer à l'école enfantine.
Un autre point consiste à calculer le rapport bénéfice-coût. En effet, on sait bien qu'il sera difficile de passer la barrière des meilleurs élèves. J'entendais Mme Hagmann qui disait tout à l'heure: «Mais tout le monde se presse pour faire la maturité bilingue !» Oui ! Peut-être ! Mais je vous rappelle que seuls les meilleurs élèves sont choisis pour effectuer une maturité bilingue, et qu'il faut présenter patte blanche pour y arriver. Ce n'est pas donné à tous les élèves qui souhaitent entrer au collègue quelles que soient leurs capacités.
Il y a donc déjà un dysfonctionnement dans ce choix et, dès lors, les choses sont bien plus complexes et l'on risque peut-être de dépenser beaucoup pour un résultat qui pourrait s'avérer médiocre. On va rencontrer des difficultés, et du reste elles viennent aussi du Conseil d'Etat, puisque ce dernier a décidé que la formation des maîtres de l'enseignement primaire se ferait dans un institut universitaire appelé IUFE, ce qui va nous poser bien sûr de nombreux problèmes. En effet, lorsqu'on auditionne le Conseil d'Etat, il nous dit par ailleurs qu'il faudrait que des enseignants allophones viennent chez nous. Or on sait très bien que, puisque les enseignants allophones sont formés dans une HEP, ils ne pourront pas enseigner à Genève sous des conditions autres et donc, finalement, cette idée de bilinguisme risque bien de ne pas voir le jour pour cette raison.
En outre, il reste aussi le fait que HarmoS a été voté; or vous savez tous que HarmoS introduit l'allemand en 3e primaire et l'anglais en 5e primaire, ce qui rend quand même cette proposition de motion légèrement obsolète.
Fort de tous ces constats, le groupe radical veut bien faire une étude; cela ne nous gêne pas. La motion demande simplement un projet pilote et, dans la mesure où ce dernier est relativement restreint et qu'une étude sera ensuite effectuée par le SRED, nous pourrons savoir s'il y a lieu ou pas d'aller de l'avant et si cette idée est intéressante ou pas. Pour ces raisons, nous laisserons la suite des choses se faire par une analyse détaillée et un rapport du Conseil d'Etat, le cas échéant, mais sur cette étude restreinte, et nous voterons donc cette proposition de motion.
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Barazzone, il vous reste une minute quarante. Voulez-vous vous exprimer maintenant ?
M. Guillaume Barazzone (PDC), rapporteur de majorité. Oui, je vous remercie, Monsieur le président ! J'aimerais revenir sur deux arguments. Le premier, avancé par Mme Pürro, consistait à dire que c'est un projet qui est basé sur l'Ecole Moser bilingue, une école privée genevoise. Mais c'est faux ! Des projets identiques ont eu lieu dans différents cantons et à l'école publique, et je crois que cela prouve qu'elle n'a pas entendu ce que l'on nous a dit et n'a pas lu la littérature qui démontre que toute une série de projets à l'école primaire ont été menés dans d'autres régions et à l'école publique.
J'en viens maintenant au deuxième argument, selon lequel il s'agit d'une école à deux vitesses. Encore une fois, c'est faux ! Aujourd'hui, l'école à deux vitesses est créée par le fait que des écoles privées dispensent à ceux que les parents ont les moyens d'envoyer dans ces écoles un enseignement bilingue par immersion, alors que l'école publique ne le fait pas. Actuellement, comme on l'a dit, seuls les bons élèves, et qui vont jusqu'au stade du collège, peuvent bénéficier d'une maturité bilingue, donc l'idée est justement de rendre le bilinguisme par immersion plus démocratique, de l'élargir à un certain nombre d'élèves et, à terme, au maximum d'élèves possible.
Et concernant l'argument qui consiste à dire que c'est contraire à l'égalité de traitement, j'aimerais relever que, aujourd'hui, la maturité bilingue est déjà contraire à l'égalité de traitement ! En effet, seule une partie des élèves peut effectuer une maturité bilingue, et d'autres restent malheureusement sur le carreau, faute de moyens, alors même qu'ils ont les notes pour pouvoir le faire. Je crois donc que l'idée, c'est de démocratiser cette mesure, de l'élargir et de tirer l'école publique vers le haut, de manière que les élèves apprennent mieux les langues qu'aujourd'hui.
Mme Virginie Keller (S). J'aimerais répondre à mon collègue Pierre Losio, avec qui nous avons, durant notre existence, souvent parlé de pédagogie. Il faisait référence au projet pédagogique des UCE, où, petite fille, j'étais moi-même élève. En effet, je n'étais pas à l'Ecole Moser, mais à l'Ecole Freinet; ce sont d'autres expériences pédagogiques.
Je voudrais dire plusieurs choses. Tout d'abord, lorsqu'on étudie la question de l'échec scolaire, on s'aperçoit très vite que le problème n'est pas celui de la langue maternelle, quoi qu'en dise le MCG, qui prétend nous faire ce soir à nouveau des discours sur ce sujet. Le principal élément qui fait que les enfants réussissent ou pas scolairement - je parle là d'un point de vue statistique, mais, heureusement, un certain nombre d'enfants échappent aux statistiques - c'est évidemment le milieu socio-économique duquel ils proviennent. Ainsi, si vous prenez des enfants de diplomates bilingues ou trilingues, qu'ils soient à l'Ecole des Pâquis, à l'Ecole Internationale ou à l'Ecole Moser, ils auront un milieu socioéconomique suffisant qui leur permettra de faire de bonnes études et d'apprendre sans aucun problème l'allemand, l'anglais, et pourquoi pas le chinois. En effet, d'un point de vue économique, c'est aujourd'hui certainement plus le chinois que l'allemand que l'on devrait apprendre, si nous voulons introduire une réforme qui permette à nos enfants d'avoir davantage de perspectives professionnelles et de meilleurs salaires plus tard, comme c'est indiqué dans la proposition de motion du groupe PDC.
Donc, à partir du moment où la langue d'origine n'est pas un problème... Du reste, mon collègue Losio a tout à fait raison, les enfants qui ont déjà une ou plusieurs langues à leur actif sont dotés d'un cerveau formé pour en apprendre d'autres. Je l'ai vu parmi mes élèves, ainsi que chez mes enfants - qui sont bilingues de naissance, espagnol-français - l'allemand et l'anglais ne leur posent aujourd'hui aucun problème à l'école, ils rigolent quand ils apprennent, le latin y compris. Ce sont des enfants qui ont toutes les chances à la maison, tout le soutien nécessaire, ils possèdent plusieurs langues et ne connaissent aucune difficulté culturelle dans la famille.
D'autre part, lorsqu'on dit que cela constitue une école à deux vitesses, ce n'est pas par rapport à ceux qui ont une langue étrangère, mais bien par rapport à ceux qui proviennent et vivent dans des familles économiquement faibles - et parfois culturellement faibles, parce qu'économiquement faibles, mais ce n'est pas toujours le cas, heureusement - et qui, statistiquement, se retrouvent plus souvent à faire un apprentissage qu'à aller au collège de Genève. Cela, c'est statistique, c'est juste absolument prouvé ! A partir de là, c'est évidemment une question de priorités: qu'est-ce que ce Grand Conseil a envie de se donner comme priorités pour l'école genevoise ? Le bilinguisme, d'accord, mais qu'est-ce que c'est ? M. Barazzone a parlé des études qu'il connaît à ce sujet. Je n'étais malheureusement pas en commission lorsque cette proposition de motion a été étudiée, sinon j'aurais demandé quelques auditions. Quoi qu'il en soit, de nombreuses études ont été réalisées sur l'immersion, il y a une immense littérature pédagogique à ce propos, et ce qui a été prouvé, Mesdames et Messieurs les députés, c'est que, pour que l'enseignement bilingue soit efficace, il faut une immersion totale constante et, évidemment, que l'enseignement soit dispensé par des personnes qui enseignent dans leur langue maternelle; en d'autres termes, il faut des germanophones pour enseigner en allemand la géographie, les maths ou les sciences de l'environnement, et il faut des Anglais ou des professeurs de langue maternelle anglaise pour enseigner en anglais. Cela veut dire que, à terme, évidemment, on licencie tous les enseignants francophones du canton de Genève, pour les remplacer par des professeurs germanophones et anglophones qui pourront, eux, enseigner dans ces langues. Ou alors, cela veut dire que, dans chaque classe de l'école primaire, nous aurons deux enseignants qui travaillent conjointement en duo, un francophone et un germanophone - ou un anglophone - et qu'ils se partageront la journée. Et c'est seulement à cette condition-là, d'un extrême luxe... Bien sûr qu'on peut rêver de luxe pour nos classes, pourquoi pas, les socialistes souhaitent une école performante et qui soit la plus enrichissante possible pour toutes les classes sociales de la société...
Le président. Il vous faudra terminer, Madame la députée !
Mme Virginie Keller. Oui, Monsieur le président ! Donc, si on veut qu'il soit efficace, ce projet sera extrêmement coûteux. De plus, il requiert des germanophones et des anglophones dans les classes, sinon c'est simplement mensonger, et l'on est en train de faire des promesses qui ne pourront pas se réaliser. En effet, on sait que, à l'Ecole Moser, comme l'a dit M. Barazzone, cela existe, mais que ce sont les meilleurs qui y vont; et au collège Calvin...
Le président. Il vous faut terminer, Madame, s'il vous plaît !
Mme Virginie Keller. ...où ma fille étudie, les bilingues allemands sont appelés «les surdoués», parce que ces programmes-là sont réservés à une minorité d'enfants qui sont capables de les suivre.
Encore une fois, ce sont des projets extrêmement coûteux, qui demandent des vrais choix de société concernant ce que l'on veut faire dans l'enseignement primaire. Aujourd'hui, les socialistes ne disent pas...
Le président. Madame, je suis désolé, vous avez largement dépassé votre temps !
Mme Virginie Keller. Oui, c'est ma dernière phrase ! Les socialistes ne disent pas non à des projets pilotes, mais ils vous rendent simplement attentifs au fait que ce projet-là vante des promesses que nous ne pourrons pas réaliser, et c'est pour cela que nous y sommes opposés, et non pas parce que nous sommes contre le bilinguisme.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Weiss, à qui il reste une minute quarante.
M. Pierre Weiss (L). Merci, Monsieur le président. Vous avez dit une minute quarante ?
Des voix. Oui !
M. Pierre Weiss. Eh bien, dans la minute quarante qui reste, je vous dirai simplement que tous les considérants de cette proposition de motion sont approuvés par celui qui vous parle. Concernant l'invite, malheureusement, j'aurais souhaité qu'elle soit encore plus développée, mais celle qui est là me semble bien placée. On aurait par exemple pu vouloir demander au Conseil d'Etat de nous faire une statistique des professeurs qui sont en mesure d'enseigner de façon bilingue à Genève, parce qu'il y en a, y compris à l'école primaire. On devrait également connaître les intentions du Conseil d'Etat pour ce qui est de favoriser la mobilité des enseignants dans notre pays. Enfin, concernant les priorités, il faut aussi savoir si nous vivons en Suisse et si nous plaçons pour notre pays la valeur du fédéralisme au sommet de la pyramide ou, au contraire, au bas de l'échelle. En effet, si nous voulons faire en sorte de pouvoir parler avec nos compatriotes, l'enseignement de l'allemand d'abord me semble une priorité à laquelle nous ne devrions en aucun cas renoncer.
M. Gilbert Catelain (UDC). Tout le monde dans cette enceinte est favorable à l'apprentissage des langues étrangères à l'école, mais le problème qui se pose, c'est que nous sommes en désaccord sur les moyens d'y arriver, notamment parce qu'il existe une incohérence entre le titre de la proposition de motion et l'invite que nous sommes appelés à voter tout à l'heure. Il y a un énorme fossé entre les deux, et celui-ci pose problème puisque, en six séances de commission, les commissaires n'ont pas réussi à se mettre d'accord.
Au niveau du groupe UDC, nous considérons que Genève est une ville internationale, pas seulement parce qu'elle accueille des organisations internationales, mais parce qu'elle a une économie tournée vers l'exportation et qu'elle a un besoin important en main-d'oeuvre bilingue, voire trilingue.
Notre collègue de la commission de l'enseignement s'est amusé à faire un petit sondage parmi les annonces parues le 31 mars sur JobUP et a constaté que, sur les 163 offres d'emploi, 48 n'avaient que le français comme exigence, alors que toutes les autres - à savoir 163 moins 48... (Rires.) ...ce qui doit faire grosso modo 115, à vue de nez... (Commentaires.) ...soit 70% des annonces - demandaient au minimum une deuxième langue; 3% exigeaient trois langues ou plus, et 29% demandaient l'allemand et l'anglais. C'étaient donc 70% des annonces parues le 31 mars - soit cette semaine - qui requéraient la connaissance d'au moins une deuxième langue étrangère.
Par rapport à ce constat, nous sommes obligés de prendre en considération que l'instruction publique doit favoriser l'apprentissage des langues étrangères à l'école, sinon l'on risque de marginaliser totalement la population genevoise de ce canton, sauf celle qui a déjà la pratique d'une langue étrangère. Maintenant, la question est de savoir comment nous allons agir et ce que nous allons faire. D'autres pays y arrivent très bien ! Tous les Finlandais, par exemple, parlent l'anglais ! Pourquoi ? Eh bien, comme aucun film n'est traduit en finnois, ils sont obligés de les regarder en anglais. Les Taïwanais aussi sont tous bilingues ! Ils apprennent l'anglais dès l'école primaire. Par conséquent, les exemples existent, et avec des coûts d'instruction publique qui sont certainement moindres que les frais genevois; cela dit, il n'y a pas forcément un problème de coût, cela dépendra de la méthode que l'on choisira.
S'agissant de la manière d'agir, justement, on pourrait très bien imaginer une solution en partenariat avec le privé. Je vous donne un exemple: les accords de Schengen obligent les fonctionnaires de police chargés de l'application de ces accords à pratiquer l'anglais, alors qu'a-t-on fait ? On a engagé une boîte privée qui est venue donner des cours d'anglais sur le lieu de travail. On pourrait donc très bien imaginer que, à l'école publique, le DIP mandate des entreprises qui viendraient dispenser deux ou trois heures d'anglais ou d'allemand durant le cours que l'on veut, que ce soit la géographie, l'histoire ou autres. C'est donc bien le titre de cette proposition de motion qui pose problème. On n'arrivera pas à un bilinguisme...
Le président. Il vous faut terminer, Monsieur le député !
M. Gilbert Catelain. ...mais, en revanche, on parviendra à une sensibilisation suffisamment précoce des enfants à la pratique des langues étrangères, et c'est cet objectif-là que l'on doit suivre. On doit développer la culture orale, ce qui nous permettra d'éviter toute la problématique de l'écrit, et pour tous ceux qui n'auraient pas pu suivre ce programme-là, il reste toujours la possibilité, à 19 ans, de fréquenter une école de recrues en Suisse allemande, et de s'immerger dans le bilinguisme allemand avec nos compatriotes alémaniques.
Pour tous ces motifs, nous soutiendrons l'invite minimale de cette proposition de motion.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, voilà une question d'actualité, qui attire passions et contradictions. En préambule, j'aimerais dire que l'idée, en tout cas, qui sous-tend la proposition de motion est très probablement partagée par chacune et chacun; en effet, dans une situation idéale, du moins, il conviendrait de pouvoir développer l'enseignement bilingue pour tous. Ici, modestement, la motion nous invite à étudier un certain nombre de projets pilotes, mais avant de répondre sur le terme même de ce texte, je souhaite attirer votre attention sur quelques points.
Je relèverai d'abord que le contenu de l'enseignement - je ne sais pas si vous l'avez remarqué - se résume d'ordinaire finalement à quelques éléments: généralement, le développement durable, très souvent et toujours, l'égalité entre hommes et femmes, la transmission du fait religieux, les savoirs fondamentaux et la politique des langues. En général, ce sont les points qui reviennent le plus souvent comme éléments prioritaires de l'enseignement public.
Du point de vue de la politique des langues, laissez-moi d'abord souligner que nous sommes dans un pays qui a la particularité de voir quatre langues parlées sur son territoire. Elles le sont dans des régions souvent bien distinctes, mais aussi dans certains cantons qui connaissent en réalité le bilinguisme par le simple fait qu'ils ont une minorité parlant une langue et une majorité parlant une autre langue. Or, dans une situation comme celle-là, nous devons constater que, bien au-delà de la Suisse, le débat sur la politique des langues fait rage à peu près partout. A tel point que - et c'est finalement l'unique préoccupation dont font l'objet les langues - le Parlement européen et le Conseil de l'Europe ont pris un certain nombre de dispositions concernant l'enseignement des langues. Pourquoi ? Parce qu'il colle pratiquement à l'idéal européen, en ce sens que les grands bâtisseurs de l'Europe ont souhaité, à travers l'apprentissage des langues, faire reculer les préjugés, permettre aux différentes populations de se parler et, ainsi, diminuer le risque de guerre. Et, aujourd'hui, nous avons non seulement une priorité des langues en Europe, mais également des niveaux à certifier: A1 pour l'école primaire, B1 pour la fin de la scolarité obligatoire et B2 pour la fin du gymnase. En d'autres termes, la politique des langues en Suisse s'inscrit très directement dans ce que le Conseil de l'Europe propose en matière de langues.
Par ailleurs, la politique HarmoS reprend un certain nombre d'éléments de politique cantonale. Je vous rappelle à cet égard que le canton de Genève s'est engagé dans l'apprentissage de l'allemand dès la 3e primaire en l'an 2000. Pourtant, Mesdames et Messieurs - et je vous rends quand même attentifs à ce point - il ne suffit pas de décréter pour que les choses se passent. En effet, aucun plan d'action sur la formation du personnel enseignant et, finalement, une transmission de méthode, et où en sommes-nous aujourd'hui ? Pour la première fois, nous aurons à coup sûr à la rentrée prochaine une transition harmonieuse entre l'école primaire et le cycle d'orientation. Entre le décret et l'application, neuf ans se sont écoulés, et il y a eu un certain nombre de déterminations, pour ne pas dire d'ukases gouvernementaux, pour faire en sorte que l'on assure la transition d'un niveau d'enseignement à l'autre, pourtant dans la même conception de la scolarité obligatoire. Et maintenant, nous allons anticiper encore l'apprentissage de l'anglais - je vous rappelle que c'est en l'an 2000 qu'on l'a rendu obligatoire au cycle d'orientation - et devoir l'intégrer dès la 5e primaire avec HarmoS. Là aussi, Mesdames et Messieurs les députés, il faudra un plan ! Il faut former les gens ! Même si c'est en 2012, nous avons la responsabilité d'avoir un personnel enseignant qui soit apte à enseigner l'anglais, et il ne suffira pas de dire à travers telle ou telle motion - loi, décret du Conseil d'Etat ou règlement - qu'il convient de changer la réalité. Il faudra faire en sorte que ce changement ait lieu, et nous nous y préparons. Voici notre priorité en matière de langues: permettre à chacune et chacun, dans le cadre de la scolarité obligatoire, d'avoir accès non seulement à l'enseignement, mais à un niveau qualifié par des standards dans le processus HarmoS, dès la 3e primaire pour l'allemand et dès la 5e primaire pour l'anglais.
Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes dans un canton multiculturel, et la politique des langues au niveau suisse doit être également l'objet d'un certain nombre d'interrogations au-delà de l'application. En outre, nous avons deux particularités: nous ne sommes pas le Valais, ni Fribourg, nous n'avons pas de minorité alémanique et nous n'avons pas la chance d'être un véritable canton bilingue, comme Berne également qui, lui, intègre une minorité francophone. En revanche, nous avons 42 à 45% d'élèves allophones, c'est-à-dire qui parlent une autre langue, et je vous rends attentifs au fait que nous sommes en présence d'élèves qui n'ont pas attendu HarmoS ou la politique des langues pour parler une autre langue. C'est une réalité de notre canton, et nous devons là aussi l'intégrer.
Mesdames et Messieurs les députés, nous ne sommes pas non plus une école privée de prestige genevoise - j'ose le dire - l'Ecole Moser, qui se distingue par le fait qu'elle offre une maturité et des cours bilingues. En effet, très souvent nous n'avons pas la même charge qu'une école privée, dans la mesure où nous devons assurer l'enseignement à tous les élèves, pas uniquement à un certain nombre, et pas en fonction des résultats, ni de tel ou tel critère: nous devons permettre un enseignement accessible à chacune et chacun. Du reste, nous nous sommes engagés plus loin, en créant deux maturités bilingues - anglais et allemand - au niveau de l'enseignement postobligatoire; ceci sera encore l'objet d'un développement, vraisemblablement dès la rentrée prochaine, dans un nouvel établissement qui sera de Staël, et il y aura, en même temps, probablement l'introduction d'une maturité bilingue, français et italien. Et nous avons choisi de réserver ces filières bilingues à des élèves qui ne sont pas bilingues ! En effet, il faut bien savoir qui cela va concerner: est-ce que l'on s'adresse - comme c'est le cas d'un certain nombre d'écoles privées - à des élèves déjà bilingues, afin de leur permettre d'avoir une scolarisation qui leur donne la possibilité de continuer à voyager, ou est-ce que l'on veut promouvoir la politique des langues pour une population locale qui se doit de parler plusieurs langues ?
Mesdames et Messieurs les députés, je terminerai en disant que l'intérêt des projets pilotes, avant de les développer, c'est de savoir dans quelle mesure nous sommes à même de les proposer. Pour cela, je vous rends quand même attentives et attentifs à un aspect: si nous offrons demain à un certain nombre d'élèves la possibilité de suivre des cours bilingues et une scolarité bilingue dès la 5e primaire, il ne faudra pas dire un ou deux ans plus tard que, finalement, on arrête ce système en 6e, et que l'on revient en 7e à un enseignement où l'on ne parle qu'une seule langue. Nous avons une responsabilité en tant que secteur public; si nous sommes en mesure de proposer demain à des élèves en 5e primaire - même si c'est par le biais d'un projet pilote - l'apprentissage anglais-français par exemple, il faudra le faire jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire, autrement nous ne sommes pas sérieux. Je vous invite donc simplement, dans le cadre d'une réflexion large où j'accepte très clairement certains éléments d'interrogation et de priorité, à prendre en compte le type de maturité que nous voulons, l'assurance d'une continuité dans le service public et, enfin, l'ouverture à d'autres langues que l'anglais et l'allemand. En effet, une majorité de nos élèves allophones parlent d'autres langues, et ils pourraient être également intéressés, dans le cadre d'une cité multiculturelle, à parler demain le russe, le chinois, le portugais, le serbo-croate, l'arabe ou encore bien d'autres langues.
Je vous remercie de votre attention et suis donc tout à fait prêt à réfléchir avec vous à un certain nombre de développements mais, en même temps, j'aimerais dire que l'enthousiasme pour les langues ne doit pas nous amener pour autant à perdre le sens des réalités. (Applaudissements.)
Mise aux voix, la motion 1636 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 60 oui contre 13 non et 1 abstention.