Séance du
vendredi 13 mars 2009 à
16h
56e
législature -
4e
année -
6e
session -
30e
séance
M 1839
Débat
M. Sébastien Brunny (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, nous ne pouvons qu'abonder dans le sens des motionnaires, qui désirent une harmonie et une coordination entre les prestations sociales et le système fiscal. Comme ils l'ont écrit, plusieurs études ont démontré que l'accès au travail rémunéré est l'un des meilleurs remparts contre les risques de pauvreté.
Une voix. T'as raison ! (Brouhaha.)
M. Sébastien Brunny. En effet, dans ladite motion il est stipulé qu'un système de protection sociale comportant des effets de seuil décourage et pénalise la reprise d'une activité lucrative. De plus, il est aberrant que ces derniers, dans le système actuel, soient tels qu'une augmentation du revenu de travail donne lieu à une diminution correspondante d'une allocation et se traduise par une diminution du revenu disponible. Au vu de ces éléments, le groupe MCG soutiendra la motion 1839.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Cette motion a en fait pour but de revenir de manière un peu plus globale sur la question des effets de seuil, quand on sait qu'ils sont effectivement délétères non seulement par l'inégalité de traitement qu'ils génèrent, mais aussi parce que, comme cela a été dit tout à l'heure, ils hypothèquent la possibilité que les personnes concernées soient réinsérées. Ces effets de seuil sont aussi un corollaire du filet social qui existe encore à Genève, bien qu'il commence à être menacé. Mais, effectivement, on dénombre autour de dix-sept prestations entre les niveaux fédéral, cantonal et communal. Et c'est pour cela que le système doit rester équitable et qu'il faudrait peut-être clarifier certains points dans tous ces effets de seuil.
La commission des affaires sociales, vous le savez, a étudié et accepté à l'unanimité deux projets de lois. On a un peu parlé tout à l'heure de l'objectif: la suppression des effets de seuil dans l'assistance et au niveau de l'assurance-maladie. Ainsi, ces projets ont été acceptés. Mais quand on a posé la question au département, force a été de constater qu'il restait encore des effets de seuil pour certaines prestations, notamment les prestations complémentaires au niveau fédéral dans le domaine des bourses d'études, de l'allocation de logement, des prestations complémentaires AVS-AI, etc.
Le but de cette motion est, afin que l'on puisse avoir une idée un peu plus globale de la situation, de faire le point sur toutes ces prestations et les effets de seuil qu'elles risquent de générer. Pour cette raison, nous vous demandons de renvoyer cette motion à la commission des affaires sociales.
Le président. Merci, Madame la députée. J'ai noté votre demande de renvoi en commission. La parole est à Mme Captyn.
Mme Mathilde Captyn (Ve). Les Verts ont été assez surpris de voir figurer cette motion à l'ordre du jour de notre parlement. En effet, elle a été déposée à peine un mois et demi après la parution des textes du Conseil d'Etat sur la question des effets de seuil... Alors bon, on prend acte de ce dépôt. Il se trouve qu'en commission des affaires sociales nous avons fait le point sur la situation des effets de seuil pour chacune des prestations financières existantes et nous avons étudié une simulation afin de connaître de manière précise l'effet combiné des différentes dispositions sociales et fiscales. Nous avons ainsi longuement discuté de ces éléments, les invites de la motion sont donc remplies.
Nous savons par ailleurs que le Conseil d'Etat va nous soumettre ses propositions concernant les effets de seuil relatifs aux allocations d'études - si je ne me trompe pas - et aux prestations mentionnées par Mme Fehlmann Rielle. Nous ne comprenons donc pas très bien quelle mouche a piqué les socialistes sur cette question, puisque le travail est effectué et qu'il progresse. Par conséquent, nous refuserons cette motion.
M. Patrick Saudan (R). Je vais un peu reprendre ce qu'a dit ma préopinante. Si nous lisons les considérants de cette motion 1839, nous sommes heureux de constater que le parti socialiste reconnaît que Genève offre un nombre important d'aides financières à beaucoup de ses citoyens.
Les invites de cette motion sont caduques, puisque le département se penche sur cette problématique depuis longtemps: Mme Captyn a cité le rapport de la CSIAS - qui date de février 2008 - sur la simulation des effets de seuil; en octobre 2008, nous avons voté le projet de loi 10292 qui supprime ces derniers concernant les allocations d'assurance-maladie; et, actuellement, le département est en voie d'achever le travail. Donc, pour nous, cette motion est dépassée et nous ne pouvons pas entrer en matière.
M. Gilbert Catelain (UDC). Tout à l'heure, nous avons traité un projet de loi qui visait, en peignant les choses en noir, à revenir en arrière en ce qui concerne l'aide sociale... Une heure plus tard, nous sommes saisis d'une motion du même groupe politique qui nous dit les choses suivantes: «[...] considérant: - le nombre important d'aides financières (cantonales et communale) proposées aux habitant-e-s du canton de Genève»... On croirait qu'il y a pléthore ! On lit aussi: «- la complexité du système»... Tant et tant il y a de couches ! Il y a donc un problème de gestion.
On lit encore: «- les barèmes actuels qui favorisent l'effet de seuil»... Cela peut être interprété différemment selon le côté duquel on se place, mais on pourrait comprendre que les barèmes n'incitent pas à retourner sur le marché du travail... Voilà ce que l'on pourrait comprendre en lisant cette motion. Finalement, les motionnaires sont en train de nous dire que nous avons un système social complexe, large, et qui bénéficie à pas mal de monde.
La commission des affaires sociales, cela a été dit, a travaillé sur les effets de seuil. Le département s'en est préoccupé, il a essayé de corriger le tir - dans la mesure où il n'est pas le seul interlocuteur, puisqu'on sait que des effets de seuil sont aussi engendrés par la législation fédérale, sur laquelle nous n'avons pas beaucoup d'influence. Nous avons voté un projet de loi comportant notamment des éléments à caractère incitatif: lorsqu'une personne perçoit un revenu supplémentaire d'un travail, elle ne perd pas l'intégralité des aides sociales dont elle bénéficiait.
Le problème quant aux invites est qu'il sera tout de même relativement difficile pour le Conseil d'Etat de remplir l'un des objectifs de la motion. Il est écrit qu'il doit «évaluer de manière détaillée les conséquences pour les populations visées par les aides financières», mais, le problème - voyez le premier considérant - est qu'il y a un nombre important d'aides financières de la part des cantons et des communes, et que les communes n'ont pas les mêmes barèmes. De surcroît, le canton ne sait pas à qui sont accordées les aides financières des communes, puisque certaines d'entre elles refusent de fournir des informations ! Pour ce seul motif, je crois qu'il y a impossibilité matérielle pour le Conseil d'Etat d'appliquer cette motion.
Sur le fond, le groupe UDC n'est pas du tout opposé à ce que l'on procède à une évaluation...
Le président. Il vous faudra terminer, Monsieur le député !
M. Gilbert Catelain. ...notamment une évaluation du RDU. En revanche, il n'est pas possible, pour les raisons que j'ai évoquées, ni d'adapter les barèmes - puisque le système n'est pas transparent - ni d'évaluer correctement les allocations versées dans ce canton. Voilà pourquoi je vous recommande de ne pas entrer en matière sur cette motion.
M. Pierre Weiss (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous en sommes à l'ordre du jour ordinaire, il s'agit donc d'aborder normalement les points qui y figurent.
S'agissant de cette motion du groupe socialiste et notamment de Mme Véronique Pürro, je relève tout d'abord qu'elle part d'une reconnaissance de la réalité, que je salue: en effet, déjà au deuxième paragraphe, ce texte nous rappelle que «le canton de Genève est celui qui offre la palette de prestations la plus complète» en matière sociale. Et à ceux qui, ici ou ailleurs, critiquent l'Etat social, voire son démantèlement - tout à l'heure, un député faisait allusion à un parti très en relation avec le troisième, voire le quatrième âge, c'est-à-dire un parti qui n'est pas encore représenté dans ce Grand Conseil et qui est subventionné par la Ville, je parle du parti AVIVO - à ceux qui, dans ce parti, dénoncent le démantèlement social à Genève, eh bien je dis non ! Lisez ce qu'écrit le groupe socialiste: vous verrez que l'Etat social est reconnu dans sa toute puissance et dans la largesse de ses prestations.
D'ailleurs, le deuxième considérant mentionne bien «le nombre important de personnes concernées par ces aides»; si l'on parle du nombre important de personnes concernées, on dit bien que nous sommes dans une société où l'on assiste beaucoup ! Et nous pourrions, les libéraux, peut-être considérer que l'on assiste, voire que l'on insiste, un peu trop.
Quant à la complexité du système et quant au développement de l'Etat social, c'est là que je trouve malgré tout une faiblesse dans la logique de la motion 1839. En effet, le groupe socialiste, ici, propose uniquement de s'occuper des effets de seuil, et non pas de lutter contre la complexité du système ou de proposer une réduction desdites aides pour cibler et soutenir ceux qui, véritablement, souffrent d'une situation de paupérisation. Malheureusement, ce n'est pas la voie choisie par le groupe socialiste, et on peut le regretter.
C'est la raison pour laquelle le groupe libéral s'engage à ne pas entrer en matière sur cette motion et à attendre les évolutions en cours grâce à l'introduction du RDU dans le développement de l'appareil de protection ciblée et raisonnable que le Conseil d'Etat, par la main de son parfait conseiller d'Etat aux affaires sociales, M. Longchamp, essaie de mettre en place. Voilà les raisons, Mesdames et Messieurs les députés, qui nous font dire non à cette motion et oui à la reconnaissance de cet Etat social qui bénéficie peut-être à trop de monde, ce qui est enfin admis par les mots des socialistes eux-mêmes.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, je relève que certains groupes, chaque fois qu'ils prennent la parole, font des remarques concernant les heures de séances où l'on perd beaucoup de temps... Alors, réjouissez-vous de la séance supplémentaire de la semaine prochaine. Et vous allez adorer celle d'août ! La parole est à Mme Pürro.
Mme Véronique Pürro (S). On persiste et signe: le système genevois est effectivement complexe. Il a été fait... (Remarque de M. Pierre Weiss.) Je ne sais pas si M. Weiss...
Le président. Monsieur Weiss, s'il vous plaît. (Commentaires de M. Pierre Weiss.)
Mme Véronique Pürro. Je vais aller dans votre sens, Monsieur Weiss ! Effectivement, nous reconnaissons la complexité du dispositif des aides financières. Au fil des ans, nous avons ajouté des couches successives sans forcément les coordonner. Et je relève à l'attention de mes collègues Verts, en particulier de Mme Captyn - c'est vrai que c'est complexe - que nous avons adopté un projet de loi visant à lutter contre les effets de seuil dans deux domaines: l'assistance publique et l'assurance-maladie. Or il en reste près d'une vingtaine d'autres, et c'est bien ce que vise cette motion: faire le point sur ceux qui n'ont pas été concernés par le projet de loi que nous avons adopté. Cette motion n'est donc pas caduque. Le revenu déterminant unique, même s'il est complexe - j'en conviens, Madame Captyn - ne règle pas du tout la question des effets de seuil.
Je crois que cette motion reste tout à fait pertinente, elle n'a pas du tout pour objectif de lutter contre la complexité du système, mais uniquement de lister tous les effets de seuil existants et de proposer des mesures. Et comme vous l'avez vu dans l'exposé des motifs, il y a également le problème de l'absence de coordination entre les prestations sociales et le système fiscal qui entraîne aussi des effets de seuil considérables. Par cette motion, nous demandons donc au Conseil d'Etat de faire le point sur l'ensemble de ces effets négatifs, et pas uniquement sur ceux que nous venons de régler. Sinon, Madame Captyn, vous pouvez nous croire, nous aurions retiré cette motion.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Deneys, à qui il reste une minute.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais simplement préciser que, si les prestations sociales, les aides, sont nombreuses dans le canton de Genève, cela ne signifie pas pour autant qu'elles soient suffisantes. Autrement dit, il n'y a pas de corrélation entre le nombre de dispositifs et le montant éventuellement mis à disposition des personnes qui en auraient besoin. En tout cas, on ne pourrait pas préjuger par nos affirmations que nous pensons que ces aides sont suffisantes.
Pour revenir à l'essentiel, et je m'adresse en particulier aux radicaux et aux Verts, je suis assez surpris de leur attitude envers cette motion. En effet, un communiqué de presse du Service pour la promotion de l'égalité entre hommes et femmes datant du 5 mars explique très clairement, par exemple, que les femmes mariées qui souhaitent travailler à plus de 60% alors que leur conjoint travaille également perdent de l'argent, car cela coûte plus cher de travailler à plus de 60% si le conjoint travaille à 100%. Cette étude vient de paraître. Je m'étonne donc, alors que l'étude date de 2009, que les Verts et les radicaux estiment que le Conseil d'Etat a déjà répondu l'an passé à cette motion !
Je pense que les effets de seuil vont bien au-delà de ce que l'on avait imaginé au début; cela concerne aussi l'aide au logement et les crèches. Ne serait-ce que pour cette raison, je crois que la motion doit venir compléter les dispositifs qui visent à supprimer ces effets de seuil...
Le président. Il faudra terminer, Monsieur le député.
M. Roger Deneys. Je vous engage par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, à accorder un sort favorable à cette motion et à ne pas la rejeter par principe.
M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, cela a été dit, nous avons eu un grand débat à la commission des affaires sociales sur les effets de seuil après que le Conseil d'Etat a mandaté, il y a deux ans de cela, un expert de la CSIAS pour analyser les effets de seuil genevois. Un volumineux rapport vous a été rendu. Il a été porté à la connaissance tous, il est d'ailleurs disponible sur internet. Il démontrait les changements qu'il fallait opérer dans la législation genevoise pour supprimer ces effets de seuil.
Sur la base de ce rapport - Mme Captyn, vous étiez d'ailleurs rapporteure - le Conseil d'Etat vous a proposé des lois, dont je me plais à souligner qu'elles ont toutes été adoptées à l'unanimité par votre parlement. La première de ces lois, qui concerne les subsides, est en vigueur depuis le 1er janvier 2009. Quant à la seconde, qui concerne l'aide sociale, elle a été votée également lors de votre séance du 13 novembre mais n'entrera en vigueur, pour les raisons qui vous avaient été expliquées à l'époque, que le 1er juillet 2009. Donc, les différents effets de seuil cantonaux sont aujourd'hui supprimés.
Les seuls effets de seuil qui subsistent sont liés à une législation sur laquelle nous ne pouvons rien. Il s'agit de la législation fédérale sur les prestations complémentaires, qui produit de puissants effets de seuil. En effet, comme vous le savez, ces derniers ascendent presque à un millier de francs par mois en moyenne. Or ces différents éléments-là, nous ne pouvons malheureusement pas les corriger, puisqu'ils résultent de l'application d'une législation fédérale. Comme vous l'avez, les uns et les autres, souligné, il m'est difficile de pouvoir répondre, au nom du Conseil d'Etat, plus favorablement à cette motion, puisque tout ce qu'elle prévoit et demande a déjà été non seulement présenté devant votre Grand Conseil, mais aussi adopté.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons d'abord nous prononcer sur la demande de renvoi de cet objet à la commission des affaires sociales.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1839 à la commission des affaires sociales est rejeté par 53 non contre 20 oui.
Mise aux voix, la proposition de motion 1839 est rejetée par 56 non contre 19 oui.
Le président. Mesdames et Messieurs, je vous rappelle que les points 63 et 74, relatifs aux personnes en situation de handicap, seront traités ensemble, ainsi que l'a demandé le Conseil d'Etat et comme l'ont accepté les chefs de groupes. Nous passons à présent au point 64.