Séance du
vendredi 23 janvier 2009 à
17h
56e
législature -
4e
année -
4e
session -
20e
séance
La séance est ouverte à 17h, sous la présidence de M. Eric Leyvraz, président.
Assistent à la séance: MM. François Longchamp, Laurent Moutinot et Pierre-François Unger, conseillers d'Etat.
Le président. La séance est ouverte. (Brouhaha.) Je prie les personnes qui se trouvent à la tribune de bien vouloir se lever... (Brouhaha.) Je répète: les personnes qui se trouvent à la tribune sont priées de se lever ! Do you speak another language ? You have to stand up, please ! Thank you. (Brouhaha.) On va y arriver... Monsieur le policier, pouvez-vous dire à la personne derrière vous de se lever également ? Merci !
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées. Vous pouvez vous asseoir.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: MM. David Hiler, président du Conseil d'Etat, Robert Cramer, Charles Beer et Mark Muller, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Esther Alder, Caroline Bartl Winterhalter, Virginie Keller, Yves Nidegger et Jean Rossiaud, députés.
Communications de la présidence
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je souhaite un très bon anniversaire à notre collègue, Mme Sandra Borgeaud. (Applaudissements.)
Je salue à la tribune deux classes de l'école Jean-Piaget qui nous rendent visite dans le cadre de leur cours de civisme afin de mieux connaître le fonctionnement de notre parlement et de nos institutions. Bienvenue ! (Applaudissements.)
Annonces et dépôts
Néant.
Interpellations urgentes écrites
Le président. Vous avez trouvé sur vos places les interpellations urgentes écrites suivantes:
Interpellation urgente écrite de M. Christian Brunier : Le Conseil d'Etat va-t-il interdire le spectacle révisionniste de Dieudonné pour garantir la paix publique? (IUE-708)
Interpellation urgente écrite de Mme Anne Emery-Torracinta : Conséquences sociales de la crise économique à venir : quelles sont les mesures envisagées par le Conseil d'Etat ? (IUE-709)
Interpellation urgente écrite de Mme Sandra Borgeaud : le chômage une autre vision (IUE-710)
Interpellation urgente écrite de Mme Sandra Borgeaud : le chômage une autre vision (bis) (IUE-711)
Interpellation urgente écrite de Mme Sandra Borgeaud : le chômage une autre vision (ter) (IUE-712)
Interpellation urgente écrite de Mme Sandra Borgeaud : Le gravier du CEVA (IUE-713)
Interpellation urgente écrite de M. Jacques Jeannerat : Dans le cadre des modifications prévues pour l'année fiscale 2008, l'administration fiscale cantonale cherche-t-elle à se substituer au législateur ? (IUE-714)
Interpellation urgente écrite de M. Jacques Jeannerat : Est-ce que le nouveau formulaire pour indépendants de la déclaration d'impôts 2008 ("annexe B") respecte les dispositions relatives à la loi sur l'harmonisation des impôts directs (LHID), où sommes-nous encore en présence d'une « genevoiserie » ? (IUE-715)
Interpellation urgente écrite de M. Jacques Jeannerat : Par le biais du nouveau formulaire de la déclaration fiscale 2008 ("annexe B"), l'administration fiscale genevoise cherche-t-elle à piéger les indépendants genevois ? (IUE-716)
Interpellation urgente écrite de M. Fabiano Forte : Qu'est-il advenu de la loi sur la fonction d'architecte cantonal (L 5 3) ? (IUE-717)
Interpellation urgente écrite de M. Eric Stauffer : Constellation Lavizzari débiteur de la Banque cantonale de Genève et de la Fondation de valorisation des actifs de la Banque cantonale de Genève en liquidation ! (IUE-718)
Interpellation urgente écrite de M. Jean-Claude Ducrot : Imposition fiscale des indemnités versées aux sapeurs-pompiers volontaires et sauveteurs auxiliaires des communes (IUE-719)
Interpellation urgente écrite de M. Alain Charbonnier : Aucun LUP en zone de développement : le cas de Versoix emblématique de la politique de M. Mark Muller ? (IUE-720)
Interpellation urgente écrite de M. Alain Charbonnier : Qualité des projets : le cas de Versoix emblématique de la politique de M. Mark Muller ? (IUE-721)
Interpellation urgente écrite de Mme Morgane Gauthier : Encore combien de temps avant les changements attendus par le Grand Conseil sur les procédures d'attribution des marchés publics? (IUE-722)
Interpellation urgente écrite de M. Pierre Weiss : Appel à ne pas respecter la décision du Conseil d'Etat interdisant la manifestation anti-WEF : L'enseignant au CO Paolo Gilardi respecte-t-il son devoir de fidélité ? (IUE-723)
Interpellation urgente écrite de M. Olivier Jornot : Quelles mesures urgentes pour répondre à la surpopulation carcérale à Champ-Dollon ? (IUE-724)
IUE 708 IUE 709 IUE 710 IUE 711 IUE 712 IUE 713 IUE 714 IUE 715 IUE 716 IUE 717 IUE 718 IUE 719 IUE 720 IUE 721 IUE 722 IUE 723 IUE 724
Le président. Conformément à l'article 162D de notre règlement, le Conseil d'Etat, respectivement le conseiller d'Etat interpellé, répondra par écrit lors de la session suivante.
Premier débat
M. Olivier Jornot (L), rapporteur. Comme probablement une bonne majorité de la commission Justice 2011, je suis favorable au maintien du jury. Toutefois, je suis bien obligé de constater avec la commission unanime sous réserve d'une abstention que le maintien ne sera plus possible dès le 1er janvier 2011. Je préfère aborder ce point d'emblée parce que, vous le savez, sur ce projet de loi constitutionnelle que nous devrons aborder aujourd'hui, c'est le seul objet qui est controversé. Tout le reste, toutes les dispositions qui visent à rendre notre constitution compatible avec le futur ou le nouveau droit fédéral ne sont pas controversées.
Toutefois, cette étape constitutionnelle sur laquelle nous nous penchons aujourd'hui est essentielle. Elle est essentielle parce qu'elle doit conduire à un vote populaire, bien entendu, en mai prochain. C'est aussi une étape essentielle pour la construction de la nouvelle organisation judiciaire pour la suite des travaux de la commission Justice 2011. La commission a beaucoup de pain sur la planche, si je puis dire, si elle veut atteindre son objectif qui est aussi celui du Conseil d'Etat, c'est-à-dire de mettre sous toit toutes les réformes d'ici à la fin de la législature. D'où l'urgence, d'où la nécessité de traiter ce soir ce projet de loi constitutionnelle.
Le jury, donc ! Pourquoi le jury, pourquoi ne pas maintenir le jury à partir du 1er janvier 2011 ? Eh bien, parce que le nouveau code de procédure pénale - CPP - voté le 5 octobre 2007 par les Chambres fédérales, ne permet plus le maintien de ce jury ! C'était clair dès le début. C'était clair dès 2005, lorsque le Conseil fédéral a présenté son message et qu'il a dit que le code de procédure pénale unifié aurait pour conséquence que les quelques rares cantons qui ont maintenu un système d'assises - un système de jury populaire - devraient les abroger. C'était clair, lors des débats parlementaires, puisque même le rapporteur de langue française du Conseil national l'a dit expressément - je ne partage pas forcément son avis - en citant la suppression du jury comme l'un des avantages de la nouvelle procédure fédérale. C'était donc clair et, à l'époque, personne n'a protesté, personne n'est monté aux barricades, notamment aux Chambres fédérales, pour réclamer que cette spécificité de Genève et de quelques autres cantons puisse être maintenue.
Alors, pourquoi est-ce que le code ne permet pas de maintenir cette spécificité ? D'abord, pour une raison technique, une de ces raisons dont je sais, Mesdames et Messieurs, que vous les détestez: une raison juridique, j'ai prononcé ce mot épouvantable ! A savoir qu'en effet cette procédure pénale fédérale étant exhaustive, les cantons ne peuvent pas édicter de droit complémentaire et, donc, ne peuvent pas prévoir dans leur code des systèmes permettant de faire fonctionner un jury populaire. On court donc le risque que les jugements rendus sur la base de ce droit, qui ne serait pas conforme au droit fédéral, soient annulés.
Alors, je vais vous proposer un petit exercice de projection. Mettons-nous dans un monde idéal, un monde imaginaire, dans lequel le Conseil d'Etat et les autorités genevoises en général gagnent à tous les coups au Tribunal fédéral. Imaginons qu'aucun jugement rendu par ces jurys n'est annulé. Imaginons que le Tribunal fédéral réponde aux autorités genevoises que c'est évidemment le Conseil fédéral qui avait tort, que les Chambres fédérales avaient tort, que tout le monde avait tort, et qu'il n'y a que les Genevois qui ont raison et qui ont compris que les autorités fédérales ne savent pas lire leurs propres lois !
Imaginons donc de nous placer dans cette situation-là: le jury populaire est conforme au droit fédéral et posons-nous dès lors la seule question que nous devons, nous, nous poser comme parlement cantonal, à savoir: quelle est la meilleure justice que nous pouvons donner à nos concitoyens ? Se poser la question de la qualité de la justice, Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas se poser des questions d'intendance, ce n'est pas se demander si cela va faciliter la vie des juges. Ce n'est pas se demander si les greffes auront plus ou moins de travail. Non, se poser la question de la qualité de la justice, c'est essayer de se demander à quoi ressemblerait un tribunal que l'on aurait, au forceps, fait passer avec un jury au travers de ce filtre du nouveau code fédéral. Et on arriverait à quoi ? On arriverait à une chose assez étrange. On arriverait à une situation dans laquelle les jurés seraient considérés comme des juges comme les autres, puisque précisément le droit fédéral ne prévoit pas l'existence du jury. On aurait donc un tribunal collectif, à treize, par exemple. Et ce tribunal collectif à treize ne pourrait plus, comme aujourd'hui, être tiré au sort le jour du procès, il serait désigné à l'avance parce que le code prévoit que l'on informe les parties qui doivent pouvoir, notamment, demander la récusation des juges. Ce tribunal à treize devrait prendre connaissance du dossier. Prendre connaissance du dossier, ce n'est pas un problème d'intendance, Mesdames et Messieurs les députés ! Prendre connaissance d'un dossier pénal, ce n'est pas parcourir le «Matin bleu» ou quelque autre publication de haute qualité ! Parcourir un dossier pénal pour être prêt à fonctionner le premier jour d'une audience dans laquelle on ne refera pas toute l'instruction à l'audience, Mesdames et Messieurs, c'est un travail de professionnels ! Et, c'est un travail qui, s'il est confié à des jurés, aboutira exactement à ce que tous nous voulons éviter, à savoir la situation dans laquelle le procès commence et le résultat est déjà connu. Le seul et unique avantage du jury, il est essentiel aujourd'hui, c'est celui de pouvoir présenter un cas devant des esprits neufs. C'est celui de pouvoir refaire toute l'instruction à l'audience - le fameux principe de l'immédiateté ! Ce principe-là, eh bien, le nouveau code ne permet pas de l'appliquer et l'avantage du jury, celui qui fait que la plupart d'entre nous maintiendraient le jury s'il n'y avait pas la loi fédérale, cet avantage disparaîtra le moment venu.
Je vous passe trente-six autres détails, parce qu'ils relèvent, non pas forcément de l'intendance, mais de situations un tout petit peu moins urgentes. Je vous en citerai un quand même. Vous savez qu'aujourd'hui, lorsqu'on élit un jury, on élit toutes sortes de jurés suppléants, parce qu'au cours d'une audience qui dure trois jours, il se peut que les nécessités fassent que tel ou tel juré s'absente. Demain, le jury devra se réunir, deux, trois ou quatre fois, suivant qu'il y a des décisions préalables à prendre, suivant qu'à la première audience du procès on décide de convoquer des témoins qui doivent revenir ultérieurement. Avec tout ça, la loi fédérale n'autorise de désigner qu'un seul juge suppléant. Ça signifie donc que si sur les trois, quatre, cinq ou six mois pendant lesquels on convoque le jury plus d'un juré est défaillant, on doit tout refaire depuis le début !
Bref, je crois que le Conseil d'Etat, le collège d'experts mis sur pied par le Conseil d'Etat, a pris une sage décision lorsqu'il a décidé de proposer à notre parlement de faire le pas, de reconnaître que le jury, en effet, ne sera plus demain le système qui nous permettra, à Genève, d'administrer une bonne justice. Je crois que le Conseil d'Etat a eu raison de nous proposer un système dans lequel on passe à des tribunaux collégiaux, composés de juges professionnels, mais aussi de juges laïcs qui représentent en quelque sorte la composante populaire de ces tribunaux.
Alors, aujourd'hui, au moment du vote, on doit se poser un certain nombre de questions qu'il serait peut-être exagéré de qualifier de philosophiques, mais on doit se demander par exemple quelle confiance on a en la justice. Parce que si l'on estime qu'il n'y a que le jury qui permet de rendre une bonne justice, alors on ne doit pas laisser les peines privatives de liberté jusqu'à dix ans être prononcées par des tribunaux qui ne sont pas composés de jurés ! On doit se poser la question de savoir si l'on a confiance dans le système d'élection des juges ou si l'on préfère le tirage au sort des autorités, à la façon de l'Athènes de l'Antiquité. On doit se demander si l'on est prêt ou non à prendre le risque que des verdicts soient annulés et on doit se demander si on doit accepter, non pas cette fois-ci le risque, mais accepter la certitude d'avoir construit une véritable machine de Tinguely qui aura toute l'apparence du jury, qui donnera bonne conscience à tous ceux d'entre nous qui auraient préféré le maintenir, mais qui en définitive rendra la justice de qualité moindre qu'aujourd'hui.
Ce sont les raisons pour lesquelles je vous invite, Mesdames et Messieurs, à entrer en matière sur ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, ce soir, notre parlement va se pencher sur une question fondamentale, voire historique, concernant la justice genevoise. En effet, devons-nous conserver le jury populaire ou l'abolir ? Question qui, je ne vous le cache pas, n'a pas manqué de soulever dans nos rangs des réactions passionnelles, très conservatrices ou progressistes. Le député de milice que je suis, membre de la commission Justice 2011, est également passé par toutes ces phases comportementales lors de l'étude du projet de loi modifiant la constitution de la République et canton de Genève relatif au jury populaire.
Toutefois, les explications des experts juridiques et les auditions des différents acteurs de la justice genevoises ont forgé mon opinion sur cette question sensible. Mon choix, aujourd'hui, est parfaitement clair. Je suis convaincu que la suppression du jury populaire est nécessaire, tant cette institution n'est plus d'actualité, avec le nouveau code de procédure pénale suisse.
Les opposants à cette modification constitutionnelle arguent de ce que les citoyens seraient écartés de la justice. La nouvelle composition du Tribunal criminel, avec trois magistrats de carrière et quatre juges assesseurs laïcs, ne laisse aucun doute que la justice rendra certainement des jugements basés bien plus sur des considérations juridiques qu'émotionnelles.
En revanche, je reconnais que la justice s'éloigne en quelque sorte du citoyen ordinaire, or le nombre prévu de juges assesseurs laïcs me rassure et atténue ainsi un peu cet état de fait. Quant au futur Tribunal correctionnel, malgré ses trois juges permanents, sans juges assesseurs, le changement sera plus marqué.
Le jury est une institution administrativement lourde: peu nombreux sont les gens qui s'enthousiasment de recevoir un acte judiciaire les convoquant pour siéger. Cela est confirmé par le président de la Cour d'assises; il n'est par ailleurs pas exclu qu'un jury soit influencé par un meneur, pour ne pas dire «une grande gueule». Cela est également confirmé par ledit président. De plus, le choix de citoyens jurés âgés de 25 ans à 60 ans fait que ce n'était déjà plus une justice fondamentalement citoyenne. Dans ce parlement, combien d'entre nous sont, à cause de leur âge, déjà exclus de ce jury représentant la démocratie directe ? Beaucoup ! Beaucoup trop, avec l'espérance de vie qui s'est beaucoup allongée ces dernières décennies, sans compter les jeunes majeurs de moins de 25 ans qui sont exclus de facto. Malgré cela, cette question des limites d'âge n'interpellait personne ! A croire que, pour les opposants, seule une certaine tranche de la population est citoyenne.
Toutefois, ma préoccupation principale concerne la convocation du jury, préalablement aux débats. L'article 329, al. 1 du code de procédure pénale prévoit en ses lettres a), b), et c) des vérifications préalables auxquelles doit procéder la direction de la procédure, pour voir si l'acte d'accusation et le dossier sont établis régulièrement, si les conditions à l'ouverture de l'action publique sont réalisées ou s'il existe des empêchements de procéder. Si l'un des éléments prévus dans ces lettres venait à faire défaut, le tribunal - le cas échéant, le jury - devrait être convoqué. L'article 329, al. 1, lettre a), prévoit aussi que la direction de la procédure vérifie si l'acte d'accusation et le dossier sont établis régulièrement en ce qui concerne, par exemple, le travail du Parquet. La lettre b) prévoit que les conditions pour l'ouverture de l'action publique doivent être réalisées, notamment par rapport aux problèmes de prescription. La lettre c) prévoit la vérification de l'absence de l'empêchement de procéder, tel que l'absence de l'accusé.
Dans tous ces cas, le jury doit être convoqué pour cet examen. La charge est donc très lourde et fatalement complexe pour des citoyens ordinaires. Toutefois, l'institution du jury n'est sur ce point pas incompatible avec le nouveau droit fédéral.
En revanche, les risques de vices de forme sont bien présents. Pour ces motifs et bien d'autres, techniques, que le rapporteur de la commission Justice 2011 a su présenter d'une manière détaillée et compréhensible pour les non-juristes, la question de la compatibilité ou non avec le droit supérieur reste posée. Toutefois, par rapport au nouveau code de procédure pénale suisse, cela restera toujours une «genevoiserie».
En abrogeant l'article 137 de la constitution genevoise, nous supprimons surtout une image essentielle aux grands ténors du barreau, dont certains n'hésiteraient pas à revêtir encore la perruque pour faire leurs plaidoiries enflammées devant un jury envoûté par les paroles éloquentes de ces hommes de loi !
En clair, nous supprimerons simplement le côté théâtral de la justice qui est devenu obsolète. Rassurez-vous, opposants à l'évolution de la justice ! La composition du Tribunal criminel et du Tribunal correctionnel restera toujours sous le contrôle du citoyen. En effet, les magistrats de carrière et assesseurs resteront toujours les élus du peuple ou de son représentant, le Grand Conseil.
Ce soir, nous devons rendre un dernier grand hommage au jury populaire qui, depuis 1794, aura rendu d'énormes services à notre république, mais n'est aujourd'hui plus adapté pour rendre une justice efficiente et moderne.
Les membres du groupe MCG ayant un avis divisé sur la question de la suppression du jury, il a été décidé de laisser la liberté de vote à nos rangs. Quant à moi, fidèle à mes convictions et à mon vote en commission, je soutiens le projet de loi constitutionnelle 10327 et vous invite à en faire autant.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je salue à la tribune M. Bernard Lescaze, ancien président du Grand Conseil. (Applaudissements.) La parole est à Mme Emery-Torracinta.
Mme Anne Emery-Torracinta (S). Mesdames et Messieurs les députés, dans son excellent rapport et dans son exposé brillant, M. Jornot - je devrais dire «Maître Jornot» tant il a bien plaidé - nous a montré que, pour différentes raisons, on ne pouvait pas maintenir le jury populaire à Genève. Il a parlé de la contrariété au droit fédéral, il a parlé de la dénaturation même du rôle du jury, il a parlé des difficultés pratiques. Je ne voudrais donc pas revenir sur ces points maintenant. Ce sont, à mon avis, des raisons suffisantes, mais j'aimerais peut-être que nous prenions le temps de nous interroger sur le sens d'une justice qui s'appuierait aujourd'hui encore sur le système du jury.
Pour ce faire, j'aimerais que l'on revienne un tout petit peu en arrière, sur la période à laquelle le système du jury a été instauré, que ce soit à Genève ou en France. Cette période, Mesdames et Messieurs les députés, c'était la fin de l'Ancien Régime, la période révolutionnaire. Et le jury est apparu alors comme un moyen de contrer l'arbitraire d'une justice qui était tyrannique, injuste en quelque sorte, qui était toujours expéditive, qui était fondée sur l'arbitraire des peines et non sur une loi pénale. Cette justice était fondée sur une procédure inquisitoire, écrite, secrète, non contradictoire et qui ne laissait que peu de garanties à l'accusé. Dans un tel contexte, il était logique que l'on essaie de trouver une solution nouvelle. Et, en 1791 en France ou en 1794 à Genève, comme l'a rappelé M. Golay, le jury a été instauré.
En 1794, lorsque le jury a été instauré à Genève, il y avait déjà une chose que l'on connaît encore aujourd'hui: le tirage au sort. L'idée voulait que ce soit la population qui soit le juge en dernier ressort. Ceci a perduré, ce qui était logique, pendant l'occupation française. Et lorsque la Restauration est survenue, eh bien, on est, en toute logique aussi, revenu en arrière: on a supprimé le jury et on est revenu à un système avec une cour suprême de sept membres statuant sans aucune participation populaire ou laïque. Il a fallu attendre 1844 pour que le jury soit réintroduit et, ensuite, la Constitution de 1847 qui a instauré, en plus de la garantie de pouvoir comparaître devant un jury, le principe de l'élection des juges par le peuple.
Donc, Mesdames et Messieurs les députés, considérez que le système que nous connaissons aujourd'hui, pour quelque temps encore, est ancien. Et il est probablement dépassé. Parce que, déjà à la fin du XIXe siècle, des verdicts pour le moins contestables, voire scandaleux, ont amené en 1890 le Grand Conseil à se poser la question de la nécessité du maintien du jury. Et puis, comme on était dans une république, au fond, bien helvétique, on est arrivé à un compromis, à savoir qu'en matière criminelle, lorsqu'il y aurait cour correctionnelle, c'est le prévenu qui pourrait choisir s'il voulait ou non une cour avec jury. C'est le système que l'on connaît encore aujourd'hui; il n'a plus connu de modifications importantes, si ce n'est en 1992, avec l'introduction de l'obligation pour les jurys de motiver leurs jugements.
En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, je dirais ceci: le maintien du jury est-il nécessaire pour éviter l'arbitraire ? Est-il nécessaire pour éviter une justice injuste ? Eh bien non ! Aujourd'hui, les juges sont élus démocratiquement. M. Jornot vous l'a rappelé, le système qui va être proposé consiste à avoir trois juges de carrière assistés de quatre assesseurs laïcs, ce qui nous garantira une certaine ouverture de la justice sur la cité et la participation de celle-ci à la justice.
Plus fondamentalement, le principe du jury proclamait «vox populi vox Dei». Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, il me semble qu'aujourd'hui cela n'a plus guère de sens et que ce principe entre en contradiction avec une certaine idée de la justice que nous devrions avoir, qui voudrait que la justice tende vers l'équité. C'est pourquoi, en définitive, le groupe socialiste vous invite à accepter ce projet de loi.
Mme Mathilde Captyn (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, les Verts sont - très ! - partagés sur la question de la suppression du jury populaire. Nous avons pourtant ouvert des débats à trois reprises dans différentes instances de notre parti, mais il y a des sujets pour lesquels une position à du mal à prendre, comme parfois la mayonnaise.
Les arguments qui motivent une partie d'entre nous à être favorables à la suppression du jury sont les suivants. D'abord, il y a l'incompatibilité avec le nouveau code de procédure pénale suisse. Cet argument a toutefois été remis en cause en raison de sa formulation peu claire dans l'exposé des motifs du projet de loi. Je cite: «Eu égard au libellé très large des articles 13 et 14 s'agissant de la définition des autorités pénales, il ne serait en principe pas exclu que le Tribunal de première instance soit constitué sous la forme d'une Cour d'assises. Toutefois, en pratique, il est impossible d'instituer une telle cour car les dispositions régissant les débats de première instance (art. 366 et ss), qui doivent être considérées comme exhaustives, ne contiennent pas les normes spéciales de procédure indispensables au fonctionnement d'une cour d'assises.» Ouf ! Cet argument n'a donc pas convaincu l'ensemble de notre groupe.
Deuxième argument en faveur de la suppression du jury: la difficulté actuelle d'exécution du jury populaire, la difficulté d'organisation qui sera vraisemblablement encore plus grande à l'avenir, avec l'impossibilité future de respecter l'obligation de notifier. Ces arguments n'ont pas, non plus, convaincu une partie du groupe qui souhaite se positionner surtout par rapport à des principes et non pas en fonction de questions d'organisation, de questions pratiques ou d'intendance.
Troisième argument en faveur de la suppression du jury: le remplacement du jury populaire par un système de juges assesseurs laïcs, majoritaires face aux juges proposés par le Conseil d'Etat, comme l'a rappelé ma préopinante. Cet argument non plus n'a pas convaincu une partie du groupe, ni une autre.
Par ailleurs, les arguments qui motivent certains d'entre nous à s'opposer à la suppression du jury populaire sont les suivants. Le premier est l'attachement au jury populaire comme élément constitutif de la citoyenneté, par la participation active à l'oeuvre de justice. Effectivement, les Verts sont très attachés à une citoyenneté comprise au sens large et la plus participative possible. Mais cet argument n'a pas convaincu tout le monde car, pour certains, le fait de décider si une personne est coupable ou non et de fixer le nombre d'années de son incarcération n'a rien à voir avec la définition que ces mêmes membres se font d'une citoyenneté active au sens de la participation à l'oeuvre publique, de la réflexion aux questions d'intérêt général et aux décisions relatives à l'avenir de notre société.
Deuxième argument en défaveur de la suppression du jury: le principe de justice humaine contre une justice de classe. Mme Emery-Torracinta l'a rappelé, cet argument aussi n'a pas clos notre débat, car nous pouvons raisonnablement penser que le système de justice actuel n'est pas aussi inégal, effectivement, qu'en 1794, date à laquelle il a été instauré à Genève.
Troisième argument en défaveur de la suppression du jury: la sentence d'un jury populaire pourrait davantage toucher l'accusé que la sentence prononcée par un juge professionnel. Voilà aussi un argument qui est apparu et qui, à nouveau, n'a pas convaincu l'ensemble du groupe dans un sens ou dans l'autre.
Vous l'aurez compris, après tous ces débats et réflexions, nous en sommes au stade de la mayonnaise qui n'a pas pris ! Nous avons donc décidé de laisser la liberté de vote, pour que chacun puisse s'exprimer comme il l'entend. (Applaudissements.)
Mme Nathalie Fontanet (L). Mesdames et Messieurs les députés, la première question qu'il m'apparaît devoir nous poser est celle de notre légitimité. Elle semble, à un moment donné, avoir été remise en cause. Est-ce que nous sommes aujourd'hui légitimés à décider du maintien ou non d'un jury ? Nous ne sommes pas avocats professionnels pénalistes, en tout cas pas pour la plupart d'entre nous; nous n'avons manifestement pas tous des connaissances très étendues en la matière. Alors, comment pouvons-nous nous déterminer ?
Mesdames et Messieurs les députés, nous le pouvons, parce que nous avons tous entendu en commission ceux que nous appelons les experts. Les experts, il y en avait de toutes sortes: nous avions les experts avocats, à savoir les représentants de l'Ordre des avocats; nous avions les experts du département, qui ont aidé à rédiger le projet de loi; nous avions également le pouvoir judiciaire, et c'est sur la base de l'ensemble des informations de ces personnes que nous avons dû nous déterminer dans ce dossier.
Mesdames et Messieurs les députés, la question est la suivante: que voulons-nous comme justice ? Est-ce que nous voulons une justice de rêve ? Est-ce que nous voulons le fantasme ? Ou voulons-nous pour demain élaborer la justice en fonction de nos besoins, établir une justice réaliste, une justice qui protège avant tout les droits de la défense, mais des droits qu'il soit quand même possible de mettre en oeuvre ?
Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, à la fin de ces travaux de commission, nous avons été convaincus que la justice de nos besoins, la justice de demain, ne connaît pas une nécessité formelle de maintenir le jury. Pourquoi voudrait-on maintenir le jury ? A l'époque, il avait été instauré pour contrer et supprimer la justice aristocratique, pour obtenir une fraîcheur et une indépendance avec un jury qui se déterminait sur la base des moyens de preuves nouveaux qui étaient portés à sa connaissance. Il s'agissait d'éviter l'image du vieux juge bedonnant qui avait une habitude tellement grande de tous ses dossiers qu'il ne parvenait plus à «objectiviser» chacun d'entre eux et à considérer, parmi tous les cas qui lui étaient soumis, les éléments essentiels.
Jusqu'à ce jour nous avons effectivement pu constater des progrès grâce au jury, mais les choses ont changé depuis lors. La première qui a changé, c'est que les juges sont maintenant élus par le peuple. C'est quand même une preuve et un gage d'une certaine indépendance de la justice ! Ensuite, l'autre changement a été le devoir de motiver les arrêts. A l'époque, le jury rendait une décision et le président de la Cour d'assises n'avait pas le devoir de la motiver. En fait, nous avions des jugements pratiquement libres, que le jury pouvait prendre seul, bien entendu sous la haute surveillance du président quand même, mais sa marge de manoeuvre était quand même plus grande.
Et puis, nous allons - très prochainement - avoir l'avocat de la première heure, qui vient également une fois encore garantir les droits de la défense. Qu'est ce qui nous reste d'essentiel dans ce jury, si nous le maintenons, après l'entrée en vigueur du droit de procédure fédérale ? Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, pas grand-chose ! Si ce n'est que le jury sera évidemment toujours composé de personnes issues du peuple. Il aura peut-être toujours cette fraîcheur, mais il ne pourra plus se déterminer sur le moment: les moyens de preuve ne lui seront plus présentés lors du procès, il devra étudier d'innombrables dossiers, il devra se servir de ce qui aura été effectué pendant l'instruction, ce qui, bien sûr, anéantira quelque peu sa fraîcheur, parce qu'il ne pourra pas se déterminer seul, il le devra sur la base d'enquêtes, de moyens de preuves qui auront été présentés lors de l'instruction.
De plus, le temps deviendra pour ce jury quelque chose d'essentiel, parce qu'il ne s'agira plus d'être convoqué pendant trois semaines et, éventuellement, être tiré au sort pour participer à des débats. Ce jury devra se déplacer bien avant pour étudier les dossiers. Alors, on a lancé une idée totalement farfelue, qui serait que le juge pourrait éventuellement - ou le tribunal - lui préparer les pièces importantes... Mais, Mesdames et Messieurs, si le tribunal prépare les pièces importantes du jury, à quoi bon avoir un jury qui n'aura plus aucun moyen de se déterminer seul ?
On se rend compte petit à petit que si ce jury est une très belle notion - nous sommes l'un des derniers cantons romands à l'avoir et l'on sait que les Genevois sont très attachés à leur indépendance, à leurs «Genfereien», à leurs différences par rapport aux autres cantons - mais, avec ce nouveau droit de procédure, malgré tous les efforts que nous pourrions faire, eh bien, ce jury n'aura plus le même rôle ! Dans ce contexte, nous avons estimé que le jury n'était plus aussi indispensable que cela, que les droits de la défense resteraient garantis et que nous n'avions finalement pas besoin de tout controverser, de tout transformer, pour le maintenir. Car, maintenant, on nous explique aussi que des propositions ont été faites et que, finalement, il suffit de décider que pour le jury pourra quand même être convoqué pour des causes plus importantes. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, les propositions qui ont été faites sont uniquement celles dont je vous parle ! Personne ne nous a expliqué comment on pourrait mettre en oeuvre tout cela pour que cela joue ! Personne ne nous a expliqué, non plus, comment on ferait pour convaincre des jurés que, finalement, ça ne leur prendrait plus quelques jours seulement, mais qu'il faudrait peut-être qu'ils se libèrent pendant un mois, voire plus, pour comprendre l'ensemble d'un dossier... C'est vrai que ce sont des détails techniques et que c'est très embêtant d'avoir à y réfléchir, surtout lorsqu'on est éperdu de droits de l'homme, de la défense des droits humains, de la défense de l'accusé et, aussi, d'une justice héroïque ! Or ce sont des détails qui, malgré tout, restent importants et nous ont paru, malheureusement, impraticables.
Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs, nous avons décidé que le jury ne devait pas être obligatoirement maintenu et nous avons, à la majorité, voté la suppression de l'article 137.
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, comme vous l'avez entendu dire par notre chef de groupe, il y a liberté de vote au sein du MCG, tant ce débat y a fait rage pour savoir s'il fallait maintenir le jury, le supprimer ou s'abstenir dans ce débat. Je m'exprimerai donc à titre personnel, et non pas au nom du groupe MCG.
Tout d'abord, je tiens à dire que, selon le Conseil fédéral, l'absence de toute mention du jury résulterait d'un silence qualifié, que ce serait volontairement que le code de procédure pénale s'abstiendrait de toute règle relative au fonctionnement du jury: «L'institution du jury est compatible avec les exigences du droit fédéral, "de lege lata". Il faut en effet rappeler que l'institution du jury a fait l'objet de plusieurs arrêts rendus par la Cour de cassation genevoise [...]. Plus particulièrement, le concept même d'un jury souverain est parfaitement compatible avec les exigences conventionnelles [...] et constitutionnelles relatives au droit d'être entendu (article 9 Constitution) et à leur corollaire, à savoir le droit à un verdict motivé. Il n'est aujourd'hui plus sérieusement contesté que les arrêts rendus par la Cour d'assises et la Cour correctionnelle siégeant avec le concours du jury remplissent ces exigences.» Je cite ici un extrait de l'avis de droit de l'Ordre des avocats. Je m'arrêterai là parce que je ne suis ni avocat, ni juriste; je suis simplement et modestement un parlementaire de milice ! (Commentaires.)
J'aimerais quand même vous dire quelque chose, Mesdames et Messieurs les députés, à vous qui vous apprêtez à supprimer le jury populaire, cette mise en oeuvre fraîche et spontanée, immédiate, de la justice de notre canton ! Regardez à quel point le corollaire peut être pervers: on demande aujourd'hui à des citoyens laïcs et miliciens d'écrire et de voter une loi pour l'organisation du pouvoir judiciaire ! Est-ce à dire que, en suivant votre concept, il faudrait que nous démissionnions tous en bloc pour placer ici des professionnels, des juristes parlementaires, pour écrire les lois que nos institutions judiciaires seront appelées à appliquer ? Vous voyez toute l'ambiguïté, et c'est là où je veux en venir ! C'est qu'aujourd'hui la justice doit avoir cette quote-part de justice citoyenne.
J'aimerais conclure en m'adressant à M. Jornot - excusez-moi: à Maître député Jornot ! (Commentaires.) On se demande si vous êtes devenu «il superlegislatore» Della Torre, puisque, à vous écouter, des avocats tels que Mes François Canonica, Robert Assaël, Vincent Spira seraient devenus has-been et complètement à côté de la plaque, tant ce serait incompatible et contraire au droit supérieur ! Eh bien, moi je ne le crois pas, Maître député Jornot, car, comme tout le monde sait, la vérité ne réside pas «dans les Jornot» !(Rires.)
Mme Michèle Ducret (R). C'est vrai que la commission n'a pas voté ce projet de loi constitutionnelle de gaîté de coeur, à propos de la suppression du jury; nous y étions tous extrêmement attachés, c'est une tradition républicaine très ancienne, et nous avons beaucoup hésité. Cependant, un certain nombre d'arguments qui ont déjà été développés par tel ou tel intervenant nous ont convaincus qu'il fallait le faire.
Le premier argument qui me semble assez convaincant, c'est que la loi fédérale ne l'autorise pas. Le deuxième argument, qui me semble tout aussi convaincant est qu'il devient de plus en plus difficile aujourd'hui de réunir un jury, parce que c'est compliqué pour certaines personnes de mobiliser leur temps de cette façon, d'arrêter leur travail pour aller répondre à la convocation du tribunal et siéger pendant quelques jours, sans interruption, sans même avoir la certitude d'être, chaque matin, à nouveau nommées pour le jury. C'est pourquoi énormément de gens trouvent des excuses pour ne plus siéger comme jurés. Ce n'est donc plus vraiment un jury populaire.
Du reste, ce jury n'est plus tout à fait le même depuis 1992. Il n'est plus que l'ombre de lui-même ! Vous admettrez que, pour l'institution républicaine qu'il représente, c'est une chose très regrettable. Par conséquent, cela nous a également paru une bonne raison de supprimer le jury.
Ensuite, il y a une autre raison qui nous a poussés à penser que la suppression du jury pourrait être tout à fait acceptable: les personnes qui jugeront désormais les accusés seront des professionnels. Il est vrai que, pour certains, l'aspect émotionnel revêtait beaucoup d'importance, car il pouvait influencer des gens naïfs... Mais cela veut dire qu'on n'a aucune estime pour les simples citoyens et, aussi, qu'on craint les juges qui sont, eux, des professionnels ! Moi je trouve que c'est un bon signe qu'on craigne le professionnalisme des juges, Monsieur le président ! Par conséquent, je voterai ce projet de loi constitutionnelle avec mon groupe... (Rires. Commentaires.) Enfin, je l'espère ! Je vous remercie de votre attention.
Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais tout d'abord remercier M. Olivier Jornot de son excellent rapport. J'aimerais également dire que j'ai été un peu surprise - et je n'étais pas la seule - en commission, en entendant les propos de l'Ordre des avocats. Je salue d'ailleurs au passage ses membres présents à la tribune. Ils ont dit par voie de presse que la commission ad hoc Justice 2011 avait traité ce projet de loi avec désinvolture et beaucoup de rapidité. Non, Mesdames et Messieurs les députés, la commission ad hoc justice 2011 a traité ce projet de loi en menant une réflexion de fond et le débat a été nourri !
Voyez-vous, au départ, nous étions nombreux - j'en faisais partie - à penser que la suppression du jury n'allait pas de soi. Toutefois, au fil de nos débats, au fil des auditions, en entendant les experts mentionnés tout à l'heure, la proposition du projet de loi de supprimer le jury populaire s'est imposée d'elle-même. Mesdames et Messieurs les députés, il faut savoir que les cantons de Neuchâtel, Vaud, Zurich et du Tessin, qui connaissent des procédures avec des jurys populaires, ont tous aboli le jury populaire, ou sont en train de le faire, parce qu'il contrevient au nouveau code de procédure pénale; on l'a dit tout à l'heure et le rapporteur le relève extrêmement bien dans son texte. D'ailleurs, je vous rappelle que la proposition du Conseil d'Etat vise à remplacer le jury populaire par des juges assesseurs. Des juges assesseurs qui sont l'émanation du peuple !
Mesdames et Messieurs les députés, le nouveau code de procédure pénale unifiera le système dans tous les cantons. Eh bien, c'est un bouleversement total ! Dans les cantons suisses alémaniques, ce changement est moins notoire. En revanche, pour les cantons romands, particulièrement pour Genève, c'est un vrai bouleversement. Pourquoi? Parce qu'à Genève nous avons un système qui s'apparente plutôt au système français, alors que le nouveau code de procédure pénale est d'essence germanique. C'est dire si la philosophie qu'on devra instaurer est différente ! L'approche est totalement différente !
Mesdames et Messieurs les députés, on l'a dit tout à l'heure, plusieurs éléments sont déjà venus ébranler le jury populaire; d'abord, il y a l'obligation de motiver les arrêts rendus par le jury, elle est entrée en vigueur en 1996, suite à un arrêt du Tribunal fédéral. Les juges sont maintenant obligés de motiver une décision qu'ils n'ont pas prise ! C'est le premier élément.
Ensuite - et Mme Fontanet l'a évoqué - il y a aujourd'hui déjà beaucoup de personnes qui ne peuvent tout simplement pas siéger comme membre d'un jury populaire... Rendez-vous compte de ce que cela représente pour les professions libérales, pour les indépendants et certains salariés qui n'ont plus aujourd'hui le temps de s''en occuper. En commission, nous l'avons entendu dire par ceux qui sont y sont confrontés quotidiennement: aujourd'hui, le jury populaire n'est plus représentatif de la société. (Commentaires.)
La deuxième difficulté à maintenir le jury populaire est celle de devoir prendre connaissance du dossier avant même que le jury ne soit choisi: le principe d'immédiateté sera fortement remis en cause. Alors, dans la note qu'il nous a remise, l'Ordre des avocats nous écrit que «la consultation du dossier par tous les membres du tribunal, avant que les débats ne commencent, est une question d'organisation simple et dont la mise en oeuvre s'accorde parfaitement avec le CPP». Mesdames et Messieurs les députés, ce regard, cette lecture est erronée ! Elle l'est en tout cas pour les experts qui ont aidé la commission à se forger son opinion, de même que pour certains d'entre nous qui ne sommes ni juristes ni avocats.
Le troisième élément - qui plaide en faveur de la suppression du jury populaire - c'est la double voie de recours imposée par le nouveau code procédure pénale. La pratique actuelle, pour ceux qui ne la connaissent pas, est la suivante: lorsque la Cour d'assises rend un verdict, celui-ci peut être cassé par la Cour de cassation; cette dernière vérifie que toutes les règles de procédure ont été respectées et, aussi, elle vérifie le droit. Or, la deuxième voie de recours proposée par le nouveau CPP est beaucoup plus large ! Et elle l'est, parce qu'elle pourra bénéficier des pleins pouvoirs d'examen, en fait et en droit. Aujourd'hui, la Cour de cassation n'examine que le droit. Le nouveau code de procédure pénale donne la possibilité d'un plus large examen, puisqu'il portera sur les parties en droit et en fait. C'est dire, Mesdames et Messieurs les députés, que les droits des personnes inculpées seront renforcés - on l'a dit tout à l'heure, Mme Ducret et Mme Fontanet en ont fait la démonstration. Dans le projet de loi étudié par la commission ad hoc Justice 2011, on va se déterminer quant à l'avocat de la première heure, deuxième élément qui va renforcer le droit de la défense. Alors, Mesdames et Messieurs les députés, on le voit, le nouveau code de procédure pénale va renforcer les droits des prévenus; ce nouveau code de procédure pénale va aussi rendre la justice plus rapide et plus transparente. Car aujourd'hui, que reproche-t-on à la justice ?
Le président. Il vous faudra terminer, Madame la députée !
Mme Loly Bolay. Je vais terminer tout de suite, Monsieur le président ! Regardez le cas de Lully: il a fallu six ans pour avoir enfin quelque chose de concret. Mesdames et Messieurs les députés, ayons le courage d'admettre que le jury populaire contrevient au nouveau droit fédéral ! Saluons cette institution qui a rendu de vrais services à la population genevoise, mais projetons-nous dans l'avenir avec ce nouveau code de procédure pénale qui épouse les changements importants de notre société.
M. Olivier Wasmer (UDC). Chers collègues, à titre de boutade, je vous rappellerai qu'il est plus facile d'inculquer du droit à un homme de bon sens que du bon sens à un homme de droit. Cela étant, j'ai entendu, venant tant des bancs de ce côté que de ceux d'en face, beaucoup d'inexactitudes et de contrevérités à propos du jury. Genève, notre canton, s'est toujours enorgueilli d'avoir les institutions les plus démocratiques, et le jury en fait partie, Mesdames et Messieurs les députés !
Je vous signale que si nous sommes ici pour débattre d'un projet de loi, il s'agit d'un projet émanant du Conseil d'Etat, donc des services de M. Moutinot, qui a voulu adapter la constitution genevoise à la loi fédérale dans le projet de justice 2010/2011, comme vous le savez. Si notre groupement est d'accord avec des modifications importantes, comme celles apportées par la loi de procédure civile fédérale ou la loi pénale fédérale, dans la mesure où elles simplifient les rapports entre les tribunaux de tous les cantons, puisqu'on a vu que toutes ces procédures cantonales faisaient obstacle à une bonne administration de la justice, il n'en est malheureusement pas de même par rapport au jury.
Le jury est une institution genevoise qui a deux siècles, comme cela a déjà été rappelé et, Mesdames et Messieurs les jurés... (Rires.) Pardon: Mesdames et Messieurs les députés ! Vous m'excuserez de ce lapsus révélateur ! Aux Etats-Unis, même si le système judiciaire est très différent du nôtre, le jury existe toujours. Et pour quelle raison, Mesdames et Messieurs les députés ? Tout simplement pour que le peuple puisse exercer un contrôle sur ses institutions ! Aujourd'hui, les jurés élus proviennent de toutes les catégories socioprofessionnelles: douze personnes sont tirées au sort en Cour d'assises et six en Cour correctionnelle.
J'ai entendu Mme Bolay dire que ça simplifierait la justice de supprimer le jury... Mais c'est totalement inexact ! Cette inexactitude figure aussi dans la conclusion du rapport, pages 21-22, qui indique que «le respect plus grand de la présomption qui est souvent évoqué en relation avec le jury n'existerait tout simplement plus». Simplement, les jurés ne seraient plus élus pour un seul jour, mais pour plusieurs semaines. C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés ! Quand une cour d'assises siège, ce n'est pas pour un jour: les jurés sont tirés au sort, parfois pour des sessions de trois ou quatre jours, voire une semaine, et, selon la loi, ces jurés doivent faire acte de présence dans les jurys qu'ils composent, puisque c'est une obligation civique.
Jusqu'à aujourd'hui, le jury, comme je vous l'ai expliqué, avait pour lui le bon sens du citoyen - le bon sens du citoyen, qu'il soit mécanicien, boulanger, avocat, psychiatre ou gendarme, et qui juge des citoyens comme lui. Des gens comme lui, qui, un jour ou un autre dans leur vie, ont commis des actes criminels, un viol, un assassinat, n'importe quel genre d'homicide qui les renvoie devant cette cour d'assises. Et seuls ces citoyens qui ne sont pas dans leur tour d'ivoire - et qui ont le bon sens que je rappelais tout à l'heure - sont à même de considérer cette culpabilité et de prononcer, le cas échéant, une peine adéquate.
Tout à l'heure, j'ai entendu dire que des juges professionnels seraient beaucoup mieux placés pour cela et qu'il y aurait beaucoup moins d'erreurs judiciaires... C'est totalement faux, Mesdames et Messieurs les députés: chaque jugement rendu, tant par une cour d'assises avec des jurés que par une cour correctionnelle sans jury, peut faire l'objet d'un appel ! Combien de fois des arrêts de cour correctionnelle ou des arrêts de cour d'assises ont été déférés au Tribunal fédéral ! Et, faisant totalement abstraction du fait qu'il s'agissait d'un jury populaire ou de juges professionnels, le Tribunal fédéral a cassé ces arrêts !
Mesdames et Messieurs les députés, vous avez aujourd'hui la possibilité de maintenir ce qui n'est pas seulement une tradition genevoise, mais une institution essentielle pour la justice genevoise: une tradition qui permet au peuple de contrôler sa justice, comme le Grand Conseil contrôle ses institutions.
Par ailleurs, M. Moutinot allègue que maintenir un jury serait à 99% contraire au droit fédéral. Je vous rappelle toutefois que M. Moutinot, avec tout le respect que je lui dois, n'est que le président du département des institutions. Et qui dit le droit fédéral, Mesdames et Messieurs les députés ? Ce n'est pas M. Moutinot ! Ce n'est pas vous non plus ! Le droit fédéral est dit par le Tribunal fédéral ! Donc, donnons cette chance aux institutions genevoises de maintenir ce jury, et si, un jour, un accusé, un condamné, une partie civile prétend ou soutient que le jury genevois est contraire au droit fédéral, rien ne l'empêchera alors de saisir toutes les juridictions d'appel jusqu'au Tribunal fédéral, lequel dira si oui ou non cette juridiction avec jury est conforme au droit fédéral !
Mesdames et Messieurs les députés, pour des raisons fédéralistes, mais aussi pour des raisons de bon sens, le groupe UDC vous recommande de rejeter ce projet de loi.
M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, avec l'abolition du jury populaire, nous nous retrouvons une fois de plus en terrain miné. Cet acquis de la République genevoise est menacé par le nouveau code de procédure pénale, unifié au niveau fédéral. En clair, c'est un véritable coup bas contre notre canton !
On comprendra que certains défendent la stricte légalité qui nous pousse à éliminer le jury et d'autres le principe d'une justice vraiment démocratique qui exige de garder le jury. Nous n'avons pas de vrai choix, en fait. Une fois de plus, les dés sont pipés et nos représentants aux Chambres fédérales n'ont pas vraiment défendu le jury populaire genevois, ce que nous pouvons tous déplorer amèrement.
Il convient de défendre des principes simples: une justice qui agit pour l'intérêt général, une justice au service du citoyen, une justice qui échappe aux petits arrangements politiciens et aux manipulations des partis ! Pour ma part, je défendrai le jury populaire, parce qu'on ne peut pas enterrer cet acquis démocratique. C'est au nom du peuple que la justice doit être rendue ! (Commentaires.) Comme à Vernier, Monsieur Deneys ! Elle ne doit pas être une justice de techniciens, gérée par le cartel de certains partis politiques, Monsieur Deneys !
Dans ce vote, je suivrai en particulier les grands noms du barreau genevois, les grands avocats de notre ville qui défendent presque tous le jury populaire, à l'exception de quelques-uns. Ils ont une haute idée du droit et réclament la transparence qui s'impose. Suivons-les ! Cette invention directe de la population donne une légitimité qui doit être présente dans nos tribunaux car il faut à tout prix rendre au citoyen cette prérogative essentielle que les meilleurs juristes de Genève nous demandent de garder.
Le choix qui nous est demandé, en définitive, est simple: une justice de démocrates ou une justice de technocrates. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à choisir une justice démocrate, c'est-à-dire un jury populaire.
M. Mario Cavaleri (PDC). Jusqu'à présent, on a vraiment entendu beaucoup de choses totalement contradictoires. Je voudrais d'abord dire aux nostalgiques des jurys populaires que nous sommes dans une autre époque. Il s'agit ici de choisir le maintien ou non d'un système non seulement anachronique et de type «artisanal», mais qui peut aussi s'avérer totalement pervers dans les décisions prises. Cela a été rappelé par plusieurs d'entre nous: nos juges sont des juges élus ! Alors ne venez pas dire, car cela est faux, qu'avec l'abandon du jury nous perdons le contrôle démocratique ! Ce contrôle existe, et le peuple l'exerce lorsqu'il le souhaite.
Deuxième élément, par rapport au contrôle démocratique toujours - et par rapport aux nostalgiques, ceux qui ont peur du changement - je dirai que la condition à réaliser, c'est plutôt celle de la qualité de la formation de nos magistrates et magistrats. Or là, oui, c'est avant tout une preuve de confiance. Avons-nous confiance dans le pouvoir judiciaire, oui ou non ? C'est un pouvoir, vous le savez, qui est totalement indépendant et en lequel nous devons placer notre entière confiance, faute de quoi il faudrait le supprimer et le remplacer par autre chose ! Mais le remplacer par quoi ? Et vous voyez bien les limites de l'exercice que nous nous imposons ce soir en discutant, en essayant de faire appel à l'émotion, aux aspects qui sont tout sauf rationnels. En réalité, nous avons une marge de manoeuvre des plus ténues et, finalement, l'adaptation du droit fait partie de l'évolution, et cela fait partie aussi des changements de société auxquels nous sommes confrontés.
Nous ne pouvons donc pas fuir nos responsabilités, Mesdames et Messieurs, chers collègues ! Nous devons prendre acte de ce qu'il n'y a guère d'autres solutions, et celle-ci est peut-être finalement la moins mauvaise. Je ne dis pas que c'est la meilleure, mais, à mon sens, et pour le groupe démocrate-chrétien, c'est certainement moins préjudiciable pour tous les justiciables de ce canton d'accepter le projet de loi tel qu'il est issu de la commission, soit tel qu'il ressort du rapport qui nous a été présenté ce soir par son auteur. Brillant rapport qui fait la part des choses, mais qui s'attache à l'essentiel: les changements sont indispensables et nous ne pouvons pas échapper à cette logique.
C'est la raison pour laquelle, et je ne vais pas aller plus loin, le groupe démocrate-chrétien soutiendra l'adoption de cette loi et refusera catégoriquement tout amendement.
M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, qu'attendons-nous de la justice ? Nous attendons de l'équité, nous attendons une certaine garantie pour les concitoyens qui ont affaire à la justice et à la police, et nous attendons que leurs droits soient préservés. Il a été dit dans cette enceinte que la défense aurait accès au dossier dès la première heure. N'est-ce pas un plus dans le cadre de cette procédure relative au processus Justice 2011 ?
Il a été dit qu'au travers du jury ce sont nos institutions qui sont sous un contrôle démocratique. Non, le jury n'est pas là pour contrôler démocratiquement les institutions, la Cour correctionnelle ou la Cour d'assises ! Le jury est là pour, en toute conscience, rendre un jugement. En ce qui concerne les garanties du fonctionnement de la justice, le justiciable peut toujours faire recours s'il n'est pas d'accord: les procédures de recours existent.
En plus, Mesdames et Messieurs les députés, lorsque vous êtes dans une cour correctionnelle ou dans une cour d'assises et qu'il y a des piles de classeurs fédéraux, comment voulez-vous qu'en deux, trois ou quatre jours le jury puisse prendre connaissance de toutes ces pièces ? C'est impossible ! C'est impossible, seul un jury professionnel, seuls des juges professionnels peuvent garantir l'équité des jugements !
Par ailleurs, vous êtes-vous demandé si les jugements rendus par les cours correctionnelles et les cours d'assises sont toujours aussi impartiaux que ça... Des événements, récents ou criminels, peuvent survenir et influencer le jury.
Mesdames et Messieurs les députés, avez-vous interrogé des personnes qui ont été membres du jury ? Je l'ai fait: plusieurs d'entre elles ne souhaitent pas redevenir membres de jury ! Pourquoi ? Parce que rendre la justice, c'est lourd ! Et quand un membre d'un jury populaire réalise pleinement qu'il doit décider de priver de liberté une personne, eh bien, il craint, en toute conscience, d'avoir la main trop lourde ou trop légère dans son jugement. Pour garantir une justice équitable, il faut une certaine culture juridique, il faut discerner les jurisprudences et avoir la connaissance complète du dossier concerné.
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Mesdames et Messieurs les députés, tout d'abord je salue l'excellent rapport de notre collègue député Jornot - il est brillant dans son domaine, on le sait depuis longtemps.
J'ai un petit souci quant à ce projet de loi. Pour la simple et bonne raison qu'on a, depuis de longues années, l'habitude des jurys populaires, avec un attachement certain à ces derniers et le côté très émotionnel qui en découle. Personnellement, ce qui m'émeut serait d'aller à l'encontre du droit fédéral ou de ne plus s'y conformer. De savoir que des criminels dangereux - ceux qui s'attaquent à des enfants, tuent des gens, etc. - sont en liberté et que, à cause du droit qui ne serait pas appliqué à Genève, des recours seraient automatiquement adressés au Tribunal fédéral, où les jugements seraient cassés - et donc, comme je l'ai dit, on serait ainsi obligés de laisser des criminels en liberté - voilà quelque chose que je ne peux admettre !
Donc, placé devant le fait accompli - vu le droit fédéral, et malgré ce qui a été dit tout à l'heure par certains d'entre vous - on ne peut pas imaginer uniquement vouloir, en raison de ses propres sentiments, conserver à tout prix un jury qui n'a plus lieu d'être aujourd'hui et qui va à l'encontre du droit. Le coeur a ses raisons, mais...
A partir de là, je pense qu'il faut accepter de mettre les choses à plat, reconnaître que notre société a évolué et que nous ne sommes plus du tout dans la situation d'il y a quelques dizaines d'années. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, je vous enjoins d'éviter la possibilité de tout débordement et celle de casser des jugements, ce qui aurait des conséquences absolument inimaginables et insurmontables pour les victimes de délits.
Je conclurai en relevant qu'il plus possible aujourd'hui de demander à un citoyen de consacrer deux ou trois semaines à un jury. Etant donné la situation de l'économie, vous savez que les patrons pressent leurs employés comme des citrons et qu'ils acceptent à peine qu'ils prennent rendez-vous chez un médecin... Voilà pourquoi s'absenter n'est plus possible. Je pense également aux travailleurs indépendants, qui ne peuvent pas fermer leur entreprise pendant deux à trois semaines pour fonctionner dans un tribunal. (Brouhaha.)
J'ai envie, même si c'est émotionnel, de rendre hommage à toutes les personnes qui ont participé à ces jurys et effectué leur travail en leur âme et conscience, au plus près de leurs convictions; toutefois, on est actuellement obligé de confier ce travail à des professionnels et de supprimer les jurys. Le seul bémol que je mettrai, c'est...
Le président. Il faudra terminer, Madame la députée !
Mme Sandra Borgeaud. Je conclus ! ...c'est la façon dont ces juges seront élus. Voilà ma préoccupation ! J'aimerais qu'ils soient apolitiques, afin d'éviter les clivages et que ce soit la politique qui condamne les gens. Et je souhaiterais véritablement que ce soit pour leurs convictions et pour leurs compétences que les juges soient élus.
M. Michel Halpérin (L). Mesdames et Messieurs les députés, d'abord permettez-moi de préciser d'emblée que j'interviens à titre personnel. Je ne m'exprime pas maintenant au nom du groupe libéral, qui a tout à l'heure fait savoir par la bouche de Mme la députée Fontanet et, auparavant, par celle de l'excellent rapporteur de majorité Jornot quelle était la position du groupe. Donc, cette position est la mienne.
J'ajoute que, comme la plupart d'entre vous le savent sans doute, j'ai une pratique retenue de la clause de conscience. Je pense souvent à cet aphorisme de Disraeli qui disait qu'il faut choisir de voter comme un gentleman, avec ses compagnons de route, ou avec sa conscience, comme un aventurier. Donc, j'évite de faire le choix de l'aventure, si j'ai le sentiment que les contraintes ne sont pas vraiment très fortes. Mais, aujourd'hui, ce sont deux considérations qui m'ont amené à faire le choix très exceptionnel de l'aventurier.
La première considération tient à la nature de notre débat, qui est un débat sur les principes politiques de nos institutions et qui, donc, est un débat important dans son fondement.
La deuxième considération est un peu plus subjective. Nous sommes dans un débat extraordinairement important par sa nature, dans lequel nous nous trouvons face à un rapport de la commission qui est presque un rapport d'unanimité. En fait, c'est un rapport d'unanimité moins une courageuse abstention. Moi, ça me titille toujours un peu, lorsqu'on est unanime ! Je trouve que ça n'est pas normal que, sur un sujet comme celui-ci, il ne se trouve pas une voix, à un moment donné, pour s'élever et dire le contraire de ce que tout le monde pense. Même si, dans un régime majoritaire, la majorité a raison, l'unanimité me fait toujours un peu peur et c'est donc la raison pour laquelle j'interviens.
Nous parlons aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, d'un sujet important, parce que nous parlons de justice, et que la justice, par définition, est un sujet majeur. Nous parlons de justice pénale, et la justice pénale ce n'est pas simplement le lieu où l'on condamne les mauvaises actions qui sont commises par quelques-uns qui se sont mis au ban de l'organisation ou de la communauté sociale. La justice pénale, c'est un peu le reflet inversé de la vie sociale, c'est l'extrémité de notre vie sociale. C'est la partie de notre vie sociale qui est le repoussoir. C'est ce que nous contemplons comme le dernier degré de l'organisation sociale. Au fond, c'est un peu l'équivalent de la prison - d'ailleurs, les deux sont liés. La justice pénale, c'est ce par quoi nous prononçons l'exclusion d'un certain nombre de nos contemporains, parce qu'ils se sont a priori exclus eux-mêmes, sinon du genre humain, du moins de notre organisation sociale. Puis, c'est en même temps ce par quoi nous les écartons dans la prison. Et je vois au jury une chose analogue à ce que nous donnons comme compétences à la commission des visiteurs de prison: nous souhaitons qu'elle soit là, non pas parce que nous pensons que nos prisons sont mauvaises, mais parce que nous pensons que ce dernier lieu de l'organisation sociale doit être sous un scrutin particulièrement attentif de nos institutions.
Cette institution du jury, qui date, on l'a dit déjà, d'un peu plus de deux siècles, et qui est pour nous quelque chose de traditionnel, donc d'important, nous ne pouvons pas y renoncer sans en avoir dit des mots favorables. Voilà pour les premières raisons subjectives de mon intervention.
Maintenant, sur les raisons objectives. Nous sommes en face ici d'un exercice qui ne doit pas être caricaturé. Les raisons pour lesquelles nous allons ou non supprimer le jury doivent être des raisons de fond, et nous devons y adhérer non pas par résignation ou par malaise, mais par conviction que c'est un bon choix. Nous devons avoir des convictions affirmées sur un sujet important, et pas des convictions étiolées ou de résignation. A quoi sommes-nous confrontés ? D'abord, à un processus que nous connaissons bien, qui est celui de l'organisation ou de la réorganisation de notre pays fédéral en un pays de plus en plus centralisateur et de moins en moins fédéral. C'est un fait, ce n'est pas la peine de se répandre là-dessus.
Nous avons eu d'abord la réunion économique du pays. Puis, nous avons eu, il y a un bon siècle, la réunion de son droit de fond: droit des obligations d'abord, puis droit civil et, finalement, droit pénal, il y a une soixantaine d'année. Puis, nous étions encore fédéralistes pour la procédure, et voilà que la procédure est unifiée dans tout le pays. Ça a été le choix du peuple, nous nous y soumettons. Mais nous pouvons tout de même observer que cette unification de la procédure ne signifie pas une unification de l'organisation judiciaire. Et je suis assez étonné d'entendre que nous aurions supprimé l'organisation du jury à Genève en adoptant un code de procédure pénale uniforme suisse. Excusez-moi de vous le dire, cela ne paraît pas exact, à rigueur de texte; ça me paraît même le contraire de ce que disent les textes ! Les textes disent exactement dans le code de procédure pénale unifié que l'organisation judiciaire continue à appartenir au canton et il n'est écrit nulle part que le jury doit être supprimé. Alors, je sais bien, le Conseil fédéral, dans son message, considère, lui, qu'implicitement le jury est supprimé par le type d'organisation que le code de procédure pénale nouveau donnerait. Et je comprends que, sur l'avis des experts et du Conseil d'Etat, la commission à peu près unanime s'est ralliée à cette lecture en creux.
Toutefois, je vous pose une question que je crois centrale. Nous sommes dans un régime qui est encore fédéral, nous sommes dans un régime qui nous assure que nous organisons nos autorités judiciaires comme nous le voulons, et on nous dit que, subrepticement, sans le dire ouvertement, l'autorité fédérale nous aurait privés du jury. Alors, moi je prétends qu'un système à l'intérieur duquel on retire une compétence à un canton sans le dire, subrepticement, en creux, en laissant le soin au bon lecteur de dire: «On a bien lu, ça doit être ça, bien que ça ne soit pas dit expressément», est un système qui est incompatible avec l'idée que je me fais de notre fonctionnement.
J'ajoute, Mesdames et Messieurs, que je ne crois pas que les autorités fédérales aient voulu agir subrepticement. Et je crois, par conséquent, que l'hypothèse retenue par les membres de la commission, selon laquelle, s'il y avait un jugement rendu par un jury et qu'il était déféré devant le Tribunal fédéral, celui-là annulerait le verdict, eh bien, je crois que cette hypothèse est fausse ! Mais j'ajoute ceci: elle pourrait être juste. Et je suis prêt à courir le risque ! Je suis prêt à courir le risque, pour une raison institutionnelle extrêmement simple: je considère que nous sommes souverains en tant que canton; et si la Confédération veut nous interdire d'avoir des jurys, qu'elle le dise alors, soit par la bouche des Chambres fédérales, soit par celle du Tribunal fédéral. Qu'elle condamne à mort notre institution du jury, si elle le souhaite, mais qu'elle ne nous demande pas, subrepticement de surcroît, de procéder à un suicide ! J'ajoute en passant que l'argument selon lequel un meurtrier ou un violeur se retrouverait dans la rue, au cas où un recours irait devant le Tribunal fédéral à l'occasion d'une affaire particulière, est un argument absurde ! Il y a bien des jugements qui ont été cassés ces dernières années, avec ou sans jury, et les délinquants ne se sont pas retrouvés pour autant dans la rue à commettre d'autres infractions ! Il existe et continuera d'exister la détention provisoire !
Mesdames et Messieurs, si notre parlement est conscient de sa responsabilité vis-à-vis de sa population, il a le droit et le devoir de défendre son institution du jury, et il a le droit de la défendre puisque personne ne le lui interdit, c'est même son devoir !
Je voudrais maintenant aborder...
Le président. Il faudra terminer, Monsieur le député.
M. Michel Halpérin. Alors, Monsieur le président, je vais m'asseoir et je vous redemanderai la parole dans un instant.
Le président. Tout à fait, vous en avez le droit ! La parole est à M. Golay.
M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, on a fait référence à l'Ordre des avocats. Avec tout le respect que je dois à cette association, je tiens quand même à apporter une précision. Au début des travaux, lors de leur première audition, les représentants de l'Ordre des avocats ne se sont pas empressés d'aborder le sujet, loin de là ! L'avocat de la première heure était leur plus grande préoccupation. Ensuite, à la fin des travaux, l'Ordre est intervenu, certainement sous l'influence de quelques-uns de ses ténors, qui ont été cités. Ceux-ci ont sans doute peur de perdre leur décor, c'est-à-dire le jury et la publicité que celui-ci leur offre. Il y a eu une réaction à la fin des travaux de la commission, tout d'un coup l'Ordre des avocats a demandé une nouvelle audition. Eh bien, moi je dis que les travaux ont été exécutés d'une manière correcte: l'Ordre des avocats a pu s'exprimer à plusieurs reprise, ses représentants ont été écoutés, leurs arguments n'ont pas été retenus; les avocats progressistes ont, eux, tout de suite fait part de leurs intentions et de leur accord sur la suppression de cette forme d'institution qu'est le jury. Donc, en ce qui me concerne, j'en ai pris acte.
Maintenant, je veux quand même répondre à M. Wasmer, qui fait référence au fonctionnement de la justice des Etats-Unis. Oui, effectivement, la justice n'y fonctionne qu'avec des jurys - tous leurs tribunaux fonctionnent avec cette institution. Malgré tout, on n'a qu'à voir les problèmes qui surviennent dans leur justice: combien de personnes ont séjourné des années dans les couloirs de la mort pour, finalement, être innocentées ? La justice américaine n'est en tout cas pas une référence à mes yeux !
Lorsque vous dites que le jury est très citoyen, je vous invite à aller voir le «bal» qui est mené à un début d'audience de la Cour d'assises ou de la Cour correctionnelle... Tout le monde - ou en tout cas une grande partie des personnes convoquées - essaie, avec des certificats de complaisance, d'échapper à ce devoir ! Ou alors, les personnes arrivent à l'audience à la dernière minute, avec l'espoir que leur nom ait déjà été cité pour échapper ainsi à l'amende... On sait que, comme il ne s'agit que d'un retard, il n'y a pas de suites. Donc, il y a beaucoup de gens que cela ennuie d'aller siéger dans cette forme de justice ! D'autres, aussi, ont peur des représailles... C'est l'inquiétude que ressentent les personnes qui siègent, ce qui est tout à fait humain. Je pense donc qu'il faut évoluer et faire en sorte de ne plus ennuyer nos concitoyens avec cette forme de justice.
Comme vous, je suis très attaché aux valeurs républicaines et citoyennes, mais, à mon avis, cette justice avec jury est totalement hors de notre temps ! C'est donc le moment d'évoluer, de changer les choses par la modification constitutionnelle et, par rapport à cela, de respecter le nouveau code de procédure pénale.
M. Michel Halpérin (L). Mesdames et Messieurs, j'essaierai d'être plus bref dans cette deuxième intervention, puisque ce n'est pas la deuxième partie de mon intervention. Je respecte l'horaire.
Je vous ai dit ce que je pensais sous l'angle institutionnel de l'autonomie du canton et de sa souveraineté. Deux ou trois autres arguments figurent pour l'essentiel et de manière synthétique dans le rapport de la commission, et je voudrais m'y arrêter, mais brièvement.
Le premier d'entre eux, c'est celui de la complication. Nous sommes à Genève, le pays de l'horlogerie, des cabinotiers, de la complication voulue et délibérée. Mais ce n'est pas de ça qu'il s'agit ! Il s'agit de la complication, désormais, de l'institution du jury, compte tenu de la nature du code de procédure pénale nouveau. Et c'est vrai que c'est une complication ! Je voudrais tout de même vous dire à ce propos deux choses, que, d'ailleurs, vous avez parfaitement à l'esprit spontanément. Quand on est en face d'une question de principe, il ne faut pas y opposer une question technique: il faut régler le principe pour lui-même et, ensuite, la technique doit s'adapter. Quand on fait l'inverse, on crée alors pour le coup, non plus une machine de Tinguely, mais une machine qui n'a plus de sens. Nous ne rendons pas la justice pour qu'elle fonctionne bien, nous rendons la justice pour avoir une justice aussi proche que possible de l'idéal de justice ! Donc, vous voyez qu'il faut que les principes soient posés et que l'articulation des moyens suive, plutôt que l'inverse.
J'ajoute que ce qui paraît effrayer beaucoup des intervenants précédents, c'est en particulier l'effort préparatoire qui sera demandé aux jurés: un tirage au sort par anticipation, puis un effort préparatoire. Et on nous a décrit les volumineux dossiers avec des dizaines de classeurs, il faudra des semaines pour en prendre connaissance... Je vous rappelle tout de même qu'on ne parle que de la justice criminelle et des affaires dans lesquelles des propositions de sentence supérieure à dix ans seraient réclamées par le parquet, donc des affaires extrêmement graves, de meurtre, de viol. Des affaires qui relèvent de la criminalité habituelle, pas des affaires relevant de la grande complication, parce qu'en général celles-ci ne relèvent pas du Tribunal criminel. Alors, il n'y aura peut-être pas tant de difficultés que ça à se préparer. Encore une fois, à supposer que ce soit le cas, ce n'est pas dramatique.
On nous a dit que ce jury est en réalité pour les avocats, notamment les pénalistes, un miroir tendu à leur narcissisme... Alors, Mesdames et Messieurs, je ne doute pas un instant que les avocats aient, comme tout le monde, un ego. Et peut-être que les egos des avocats sont plus importants que ceux des autres, ça peut s'imaginer. Mais alors, pourquoi faut-il penser que leur ego serait mieux satisfait de se refléter dans les yeux du jury que dans ceux des juges ? Il me paraît au contraire plus flatteur de convaincre un juge professionnel revenu de tout que quelqu'un qui serait placé devant vous pour la première fois ! C'est un peu, Mesdames et Messieurs, comme si l'on disait que les députés parlent pour la galerie ! Irait-on imaginer une chose pareille ? (Rires.) Vous savez bien que nous travaillons dans l'intérêt de la République, et seulement dans cet intérêt-là !
Mesdames et Messieurs, il paraîtrait - c'est le troisième argument - que le recours au jury serait l'expression d'une méfiance à l'égard des magistrats. Eh bien, c'est cet argument qui m'a déterminé à prendre la parole. Mesdames et Messieurs, tout le monde, dans cette enceinte, m'a dit une fois ou l'autre qu'il était parfois agacé par cette manie que j'avais de me faire en toute circonstance l'avocat des magistrats. Alors, puisque je suis l'avocat patenté des magistrats, je m'autorise une audace pour dire ici ce que tout le monde sait, que j'ai pour eux le plus grand respect et que ça ne m'empêche pas de souhaiter que le jury soit maintenu. Pour une raison simple: je ne crois pas du tout que les jurés sont l'expression de la méfiance vis-à-vis des magistrats du pouvoir judiciaire. Ils sont là parce que la justice «is to be done and been seen being done», comme disent les Anglais. C'est-à-dire qu'il ne suffit pas de rendre la justice ! Il faut qu'on voie que la justice est rendue ! Et, pour cela, il faut y participer en quelque sorte soi-même, de ses propres mains ou de sa propre tête. Dans ce contact direct que nous voulons avoir avec la justice pénale, dans ces instances les plus importantes qui sont celles de la condamnation, il y a la relation que nous entretenons avec la justice. Cette relation, Mesdames et Messieurs, n'est pas la même pour un juge professionnel et pour un juré. Le juré a encore la faculté d'étonnement et d'émerveillement devant la justice, comme l'homme que l'on juge et comme la victime de cet homme ! Il y a cet émerveillement face à l'appareil de justice qui est là pour remettre la justice en place. Et si nous n'avons pas cet émerveillement, la justice n'est qu'une fonction ! Moi je vous propose, Mesdames et Messieurs, de respecter cette fonction suprême du jury, qui est de porter un regard de société sur un fait de société, sur un homme qui s'est exclu du monde social, et en faveur d'un autre, qui a été sa victime. C'est ce regard-là que la justice du jury maintient dans le prétoire, et c'est ce regard-là que nous n'avons pas le droit de supprimer ce soir ! (Applaudissements.)
M. Pierre Losio (Ve). Redoutable devoir que d'intervenir après le préopinant libéral. Enfin, que voulez-vous que fassent ceux qui sont attachés au jury, sinon qu'ils amendent, sinon qu'ils se battent jusqu'au bout ?
Mesdames et Messieurs les députés, avant d'entrer dans l'essentiel de mon argument, je voudrais quand même rompre une lance en faveur du rapporteur général, non pas seulement parce que je le trouve talentueux, ce qui est vrai, et qu'il m'est sympathique, ce qui est vrai de surcroît, mais parce qu'il a été tout à l'heure pris à partie, sur un ton badin, par le «Conducator» gominé du Mouvement Citoyens Genevois, et l'intervention du député s'attachait à la véritable citoyenneté de l'institution du jury. Le député s'en est pris au rapporteur général de manière paradoxale en le désignant, sans s'en rendre compte, à la vindicte, puisqu'il s'est permis des plaisanteries sur son statut: «Il grande avvocato Jornot», etc. C'est-à-dire qu'il a procédé lui-même à une sorte d'exclusion de quelqu'un qui pratique une profession tout à fait respectable ! Il y a donc un paradoxe dans la position qu'a exprimée tout à l'heure le député du MCG. Je pense que s'il est vrai, comme il l'a été dit, que «la vérité n'est pas dans les Jornot», le rapporteur général s'en remettra, car il sait très bien que les coupures de presse sont celles qui cicatrisent le plus vite. (Rires. Applaudissements.)
En ce qui concerne l'institution du jury, je fais partie dans mon groupe politique de la tendance qui souhaite son maintien. Tout à l'heure, on nous a expliqué que la commission avait bien travaillé - je le reconnais volontiers - que le rapport est de qualité - c'est vrai - et qu'on avait convoqué des experts. Les gens de prétoire savent qu'on peut convoquer toutes sortes d'experts ! J'ai lu avec intérêt l'avis de l'expert, juge à la Cour de justice, M. Jacques Delieutraz, qui, s'agissant du fonctionnement concret du jury, faisait part de son scepticisme et disait qu'il avait noté une dégradation de la qualité des débats au sein des jurys. Voilà, pour une opinion d'expert. Je vous en donne une autre, celle d'un président de Cour d'assises français: «Je témoigne que les jurés non professionnels n'ont pas à rougir de la comparaison avec leurs collègues professionnels, ils sont attentifs tout autant, intelligents, pas moins et pareillement conscients de la gravité de leur charge. Ils ne sont pas émoussés par l'habitude et les non-dits n'ont pas de place dans leurs délibérés. Je suis convaincu que les affaires les plus graves ne doivent pas être laissées à l'appréciation des seuls professionnels.» Un avis d'expert contre un autre d'avis d'expert...
Maintenant, il y a un autre point qui a attiré mon attention dans la réflexion même de ce qu'est la fonction de magistrat et de ce qu'est le jury: «Les juges sont élus». Cela signifie donc que les juges sont choisis et qu'on les connaît. Le jury, lui, est tiré au sort. Et l'on voudrait nous faire croire que, parce que le jury est tiré au sort - et qu'il n'est pas élu, puisqu'il est tiré au sort - c'est n'importe qui, qui peut penser n'importe quoi et qui peut juger n'importe comment... Il y a quelque chose que j'ai beaucoup de peine à comprendre. Ou alors, cela signifie que la fonction de magistrat réussit à transcender l'être humain jusque dans sa plus profonde humanité pour abandonner toute émotivité et toute considération qui serait extra jure, en dehors du droit. Non, nous, une partie de notre groupe, persistons à penser que le jury populaire doit être maintenu, et c'est pour cette raison que nous avons déposé des amendements et que nous vous invitons à suivre, Mesdames et Messieurs les députés. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Roger Golay (MCG). Quelque chose m'a bien fait sourire en entendant l'un des nôtres, dans ce parlement, c'est lorsque j'entends des avocats défendre les grandes valeurs citoyennes au niveau de la justice, alors que ce sont les mêmes qui - parfois à outrance - récusent, simplement à cause de leur appartenance professionnelle, politique ou autre, certaines personnes convoquées pour siéger comme jurés. Parfois, selon l'affaire qui les occupe, ces avocats veulent un jury avec plus de femmes ou plus d'hommes... Si c'est ça, leur conception de la justice citoyenne, je pense qu'on a déjà la démonstration de leur part que cette conception n'est pas tout à fait sincère !
Puisque j'ai omis de le faire tout à l'heure, je souhaite maintenant féliciter de son courage notre rapporteur: parce que, envers et contre tous, il assume ses convictions.
M. Olivier Jornot (L), rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, je dois vous avouer que, depuis un moment, depuis que les aventuriers sont sortis du bois, ça devient un petit peu compliqué pour moi, mais je vais quand même essayer de poursuivre jusqu'au bout.
C'est compliqué et, en même temps, c'est assez prévisible, parce que si vous regardez ce qui se passe dans un pays comme la France, à propos non pas de la suppression du juge d'instruction - les Français réfléchissent maintenant à ce qui a déjà été voté ici - mais si vous regardez un peu ce qui se passe en France à propos du jury, vous constatez qu'en France, eh bien, ceux qui sont les plus grands pourfendeurs du jury populaire, ce sont les associations de défense des droits de l'homme, ce sont les avocats qui s'étonnent que l'on puisse, dans le monde d'aujourd'hui, conserver des institutions aussi imprévisibles ! Bref, parfois il est intéressant de constater que les rôles sont renversés et ça rend la chose intéressante, bien qu'un peu compliquée, comme je l'ai dit tout à l'heure.
Mesdames et Messieurs les députés, il est évident que les membres de la commission, ces différents états d'âme, ils les ont eus ! Ils ont eu la tentation probablement aussi, à un moment donné, chacun d'eux, de se lever, d'agiter les bras, d'agiter les principes et de se faire les défenseurs de la tradition, de l'histoire, du peuple, de la fraîcheur et que sais-je encore ! Chacun a eu cette tentation-là; il se trouve qu'on était dans une commission et que, quand on fait des moulinets avec les bras, on se cogne et qu'on a donc été obligés, à un moment donné, de travailler de manière sobre, concentrée, en écoutant les gens et en se penchant sur les textes.
Et en se penchant sur les textes que les experts avaient préparés pour nous - non pas les personnes que nous avons auditionnées, Monsieur Losio, mais les experts, ceux qui faisaient partie du groupe d'experts qui a travaillé pour le Conseil d'Etat, un groupe dans lequel toutes les parties étaient représentées - ça nous a conduits à constater que face à la position des experts, la seule chose que l'on pouvait nous opposer, c'était un texte, fort bien construit, fort bien rédigé, assez vite apparemment, néanmoins tout à fait convaincant. Toutefois, il n'y avait personne qui avait été capable, comme dans d'autres débats, celui d'hier par exemple, de brandir à un moment donné un avis de droit, de faire venir à un moment donné un professeur, de faire venir à un moment donné quelque spécialiste qui aurait signé un texte engageant son statut académique pour dire: «Oui, je considère que le Conseil d'Etat, les experts, tout le monde a tort et que, par conséquent, il n'y a aucun problème de compatibilité avec le droit fédéral !» Non, ce dossier n'a pas son professeur Martenet ! Ce dossier n'a pas en face des experts le contrepoids qu'il aurait pu mériter !
Et dans un canton comme le nôtre, dont le fédéralisme est assez épisodique, disons-le bien, nous avons quand même réussi, dans notre commission, à avoir des débats extrêmement intéressants sur la souveraineté cantonale, sur ce que ça signifie de rester maître de son organisation judiciaire. Nous avons même eu le plaisir de décortiquer les textes du Conseil d'Etat vaudois, pays fédéraliste par excellence: là-bas, on n'a eu aucune difficulté à dire qu'il fallait tourner la page ! On peut parfois être rupestre, mais moderne. (Rires.)
Je ne vais pas répondre individuellement à chaque aventurier, Mesdames et Messieurs, parce que l'heure avance, mais il y en a quand même un auquel j'aimerais dire deux trois choses ! Et c'est à notre collègue Wasmer. J'aimerais lui dire que si l'organisation judiciaire l'intéresse, il ne faut pas qu'il hésite à venir à la commission Justice 2011 ! (Rires.) Parce que le siège de l'UDC est resté vacant pendant toutes les séances, sauf une, où ils sont venus à deux ! Ça pose un petit problème pour venir ensuite expliquer à ce parlement que nous avons tout faux et que vous avez tout juste ! Puisque j'en suis à l'UDC, excusez-moi, je me suis dit au moment de rédiger le rapport que, par «captatio benevolentiae» - je prononce moins bien le latin que M. Stauffer, j'ai peut-être été moins souvent enfant de choeur... (Rires.) Par précaution, donc, je n'ai pas inscrit dans le rapport l'identité du député fédéral qui est venu expliquer aux Chambres - le rapporteur de langue française - que l'adoption du code de procédure pénale impliquait la suppression des jurys: c'était Jacques Pagan ! Un UDC genevois, qui non seulement a dit ça, mais qui, en plus, a dit que c'était un bienfait ! Alors, ne venez pas nous raconter que vous avez raison et que tous les autres n'ont rien compris ! (Quelques applaudissements.)
Mesdames et Messieurs, j'aimerais encore dire un mot, non pas pour répondre à M. Losio, mais pour commenter l'un de ses propos. J'ai trouvé très intéressant ce qu'il nous a dit concernant ce président de cour d'assises française, louant les jurés avec lesquels il avait travaillé. Pourquoi j'aimerais commenter ce propos ? Parce que, Monsieur Losio, vous avez dit qu'il n'est pas possible, dans un domaine aussi important que celui de la justice criminelle d'avoir des juges qui soient purement professionnels. Eh bien justement, c'est précisément ce qu'on vous propose, c'est précisément ce que le Conseil d'Etat propose ! C'est précisément ce que la commission mettra en place, certainement, si ce projet de loi constitutionnelle passe ce soir la rampe et si, en mai, le peuple l'accepte.
Et je dirai même plus, il n'est pas exclu, Mesdames et Messieurs, que nous renforcions les règles ! Pour nous assurer que ces juges assesseurs ne soient pas des gens qui blanchissent sous le harnais, mais qu'il y ait un renouvellement aussi, de manière à garantir que la représentation populaire soit constamment faite de gens curieux et à l'esprit leste !
J'aimerais conclure, Mesdames et Messieurs les députés, en vous disant qu'à un moment donné, entre le fond, la forme, les principes, les symboles, il faut à un moment donné choisir, c'est vrai. Défendre les symboles, c'est très bien, mais je crois qu'il y a quand même un objectif que nous devons tous atteindre. Cet objectif, c'est de faire en sorte que nous ayons une bonne justice ! Tout à l'heure, on nous a dit que l'important n'était pas que la justice fonctionne bien... Non, Mesdames et Messieurs, ce n'est pas vrai ! Il est important que nous ayons une justice qui fonctionne bien ! C'est plus important d'avoir une justice qui fonctionne bien que d'avoir une justice qui nous donne bonne conscience ! Je vous invite donc à entrer en matière. (Applaudissements.)
M. Olivier Wasmer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, jamais je n'aurais imaginé que mon collègue Olivier Jornot me mette en cause, et je sais que ce n'est pas le cas... Je sais que ce n'est pas le cas, mais demandez-lui combien de fois il a plaidé devant une cour d'assises ou une cour correctionnelle. Effectivement, je dois reconnaître que je n'étais pas à la commission, je ne m'y suis trouvé qu'une seule fois, à cette commission Justice 2010, avec mon collègue Yves Nidegger. Effectivement, il y en avait un qui était de trop.
Par contre, je sais lire les rapports, je sais encore lire des lois, ça fait quelques années que j'en lis. Je sais encore ce qu'est une loi d'organisation judiciaire, je sais encore ce qu'est la souveraineté cantonale et, Monsieur le rapporteur de majorité, permettez-moi de vous dire que, même si je n'étais pas à la commission, je sais comment fonctionne une cour d'assises ou une cour correctionnelle avec jury ! Je sais comment ça fonctionne et je l'ai constaté de visu à plusieurs reprises. Et même si vous avez écouté des éminents professeurs dans votre commission... Comme je le disais, je ne vous mettrai pas en cause en qualité d'avocat, vous le savez très bien. D'autres ont rappelé que vous étiez avocat, je sais que vous l'êtes - et vous êtes excellent, d'ailleurs. Mais je crois pouvoir affirmer - et vous ne me contredirez pas sur ce point - que la loi, in fine, c'est encore le Tribunal fédéral qui l'édicte !
Cela étant, comme l'a relevé tout à l'heure l'excellent président du parti libéral, nous sommes encore un canton souverain. Nous sommes dans un Etat fédéral et, à ce jour, personne n'a dit ou écrit qu'il fallait condamner le jury dans le canton de Genève ! Je ne l'ai pas lu à travers les lignes.
Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, vous devrez vous prononcer sur cette question d'opportunité: savoir si le projet de loi qu'on vous soumet parle de suppression du jury, parce que c'est écrit noir sur blanc. Vous devrez déterminer si le projet de loi vous indique avec une certitude complète que ce jury doit être supprimé parce qu'il n'est pas conforme aux normes fédérales. Vous devrez décider si vous voulez suivre l'avis d'éminents juristes - et vous avez vu que nous sommes quand même pas mal de juristes ici. Un professeur de droit, M. Schönle, nous disait toujours: «Deux juristes, trois avis», vous le savez très bien !
Comme je le relevais tout à l'heure - et je n'abuserai pas de votre temps - aujourd'hui il vous appartient de juger ce projet de loi, de vous dire qu'il y a un jury qui est un instrument unique à Genève et dans d'autres pays. Cet instrument permet de rendre une justice populaire - laquelle peut être mise à l'épreuve par des juridictions supérieures - comme celle rendue par des juges professionnels. Cette juridiction populaire qui est soutenue par de nombreux autres députés doit être maintenue à Genève, parce qu'elle est ce que le Grand Conseil est à la démocratie.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai eu le privilège de plaider une demi-douzaine de fois en cour d'assises et bien plus en cour correctionnelle avec jury. J'ai aussi eu l'immense privilège de travailler avec des juges d'instruction tels que MM. Pierre Dussaix, Pierre Dinichert et Jacques Foëx, magistrats de grande valeur. Il se trouve que la procédure pénale fédérale nous oblige aujourd'hui à supprimer le jury populaire et la fonction de juge d'instruction. Très curieusement, ces deux éléments se trouvent dans le même texte qui vous est soumis.
Un seul a aujourd'hui fait problème: la question du jury. Pourquoi ? Parce que dès que la procédure pénale fédérale a été connue, tout le monde a compris immédiatement que l'on passait au système zurichois, que l'on passait à un système accusatoire, avec un avocat de la première heure et une confusion des rôles de l'accusation et de l'instruction. Le reste, l'organisation judiciaire n'a peut-être pas suivi, en tout cas pas dans les débats populaires. C'est la raison pour laquelle il y a effectivement eu à un moment donné une certaine surprise, quand l'analyse a démontré que cette nouvelle procédure pénale fédérale aura pour conséquence la suppression du jury populaire.
Alors, je dois laisser de côté ma nostalgie et, en tant que responsable de l'organisation judiciaire, pour le Conseil d'Etat bien sûr, je dois ici défendre la solution qui garantit la forme de justice la plus sûre et la plus stable, en vertu du principe de la sécurité du droit.
Je ne vais pas reprendre ce que M. l'excellent rapporteur de majorité - d'unanimité - a écrit. Tout y est, de manière claire, avec les raisons pour lesquelles on ne peut pas valablement maintenir le jury populaire. Pourquoi est-ce qu'il me prête les propos: «C'est sûr à 99%» ? C'est qu'il m'est arrivé en droit de faire quelques pronostics et de me tromper aussi. J'ai donc eu la prudence de garder la marge d'erreur de 1%, pour éviter ensuite d'être particulièrement ridicule !
Il y a, en deuxième lieu, et plusieurs d'entre vous ont insisté sur cette question, des impossibilités pratiques, telles que la participation - dès le début de la procédure - du juge qui doit suivre son dossier. Et je dois reconnaître avoir été déçu par la proposition de l'Ordre des avocats consistant à soutenir que cette difficulté-là pouvait être réduite, tout simplement par le choix de quelques extraits d'un dossier. Non, c'est juste impensable, on ne peut pas délivrer des extraits à un jury populaire !
Monsieur le député Halpérin, vous avez dit que le législateur fédéral aurait subrepticement supprimé le jury populaire. Je crois plutôt que nous y avons été inattentifs, nous n'y avons pas prêté suffisamment garde, ni les élus fédéraux, ni nous, pour ceux d'entre nous qui auraient souhaité le conserver ! Cela dit, je vous trouve très optimiste, avec votre conception de la Confédération qui serait toujours d'une parfaite correction à l'égard des cantons - et en particulier à l'égard du nôtre ! Admettons toutefois, pour la bonne foi des débats, que tel est le cas.
Sur le fond, Monsieur Stauffer, vous avez dit comme beaucoup d'autres, mais vous l'avez dit de manière très précise, que le peuple doit pouvoir s'exprimer et qu'il doit pouvoir s'exprimer sur une décision de justice. Ce n'est pas tout à fait ça: parce que le peuple est souverain, le peuple n'a pas à justifier ses décisions ! Le peuple dit «oui» ou il dit «non». Il ne met pas sur un bulletin de vote «non, parce que...» ou «oui, parce que...» ! Ça, c'était le jury populaire pur que l'on connaissait autrefois, quand les jurés pouvaient dire librement si un homme avait oui ou non tué. Il avait beau avoir été pris le couteau à la main, avec du sang sur les mains et la victime devant lui, le jury populaire pouvait dire «non», il n'avait pas besoin de justifier, c'était une décision populaire souveraine.
A partir du moment où l'on demande au peuple de motiver, Monsieur Stauffer, on dit au peuple la chose suivante: «Vous avez le pouvoir de décider, mais attention, vous ne pouvez pas décider n'importe comment.» On lui dit: «Vous devez d'abord suivre les textes, vous devez d'abord suivre les procédures, vous devez d'abord vous demander si vous pouvez prendre cette décision !» Or, par définition, si le peuple est souverain, il n'a pas à être guidé dans sa décision et il n'y a pas de critères qu'il doive suivre. On n'est plus, par conséquent, dans un véritable système de jury populaire. On ne l'est plus depuis que le jury doit motiver les arrêts. On serait à fortiori encore moins dans un système de jury populaire si le jury devait travailler sur le dossier pratiquement tout au long de la procédure, parce qu'il perdrait ce qui est effectivement extrêmement précieux pour un avocat - cette fraîcheur qu'ont les jurés lorsqu'ils abordent un dossier.
Puis, sans confondre les niveaux de principe et les niveaux pratiques, je crois qu'il est vrai de dire que la charge de juré est aujourd'hui extrêmement lourde, qu'elle le serait a fortiori trois fois plus, si ce n'est davantage après, avec le nouveau droit pénal fédéral, avec la procédure pénale fédérale. Dès lors, nous sommes obligés de constater que le jury populaire n'est plus vraiment représentatif de l'ensemble de la population. Parce qu'un salarié, qui a un employeur un peu sévère et qui se sait sur le balan dans une entreprise en crise qui a tendance à licencier, ne peut pas se permettre d'accepter de participer à un jury populaire durant de longues semaines. Un indépendant, dans la même situation, ne peut pas le faire; raison pour laquelle de larges couches de la population sont aujourd'hui malheureusement exclues de fait ! On a peut-être une possibilité permettant à ces couches de population-là de revenir dans la justice par le biais des mandats de juges assesseurs, parce que je ne crois pas qu'il soit bon que la justice soit dans une tour d'ivoire. Le mandat des juges assesseurs est plus limité, il est plus clair, il est plus organisé et il est rétribué d'une manière un peu différente - un peu plus sûre aussi.
Mesdames et Messieurs les députés, pour ces raisons et pour toutes celles que vous trouverez d'ailleurs dans le rapport de M. Jornot, je vous demande d'entrer en matière et d'accepter ce projet de loi. Je rappelle à ceux qui ont beaucoup parlé de décision populaire que pour qu'il y ait une décision populaire sur ce projet, il convient aujourd'hui que vous disiez oui ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons donc, Mesdames et Messieurs les députés, voter la prise en considération de ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 10327 est adopté en premier débat par 87 oui contre 1 non.
Le président. Nous commencerons le deuxième débat à 20h30. Je lève la séance. Bon appétit !
Fin du débat: Session 04 (janvier 2009) - Séance 21 du 23.01.2009
La séance est levée à 18h50.