Séance du vendredi 10 octobre 2008 à 17h
56e législature - 3e année - 12e session - 70e séance

R 565
Proposition de résolution de Mmes et MM. Olivier Jornot, Frédéric Hohl, Nathalie Fontanet, Jean-Marc Odier, Jean-Michel Gros, Ivan Slatkine, Michel Ducret, Christiane Favre pour une répression efficace de la petite délinquance (initiative cantonale)

Débat

La présidente. Il s'agit encore d'un point que vous avez décidé de traiter en urgence. Il est classé en catégorie II, avec trois minutes de temps de parole par groupe, plus les trois minutes accordées à l'auteur de cette résolution, M. Olivier Jornot.

M. Olivier Jornot (L). Mesdames et Messieurs les députés, sans transition, comme on disait ailleurs, je vous présente en effet ce projet de résolution. Il s'agit d'entamer sur le plan cantonal le débat qui fait déjà rage sur le plan fédéral et qui est lié à la nouvelle partie générale du code pénal.

Vous savez que cette nouvelle partie générale du code pénal, entrée en vigueur en 2007, a connu une très longue gestation et que l'idéologie qui présidait à son élaboration ne fait aujourd'hui plus l'unanimité. Sur le terrain, très concrètement, que se passe-t-il ? Dans la pratique, des juges sont contraints, en présence de toutes les catégories de délinquants, d'appliquer de manière extrêmement rigide des dispositions de cette partie générale du code pénal. Par exemple, ils sont obligés d'infliger des peines pécuniaires, c'est-à-dire des jours-amende, généralement avec sursis, même lorsqu'il est acquis au départ que la personne visée se moque complètement d'une telle sanction !

Lorsque le débat s'est ouvert, un certain nombre d'intervenants se sont exprimés, l'un ou l'autre sont dans cette salle. Et je me souviens notamment avoir entendu une députée présente ici dire que, pour la délinquance de passage, cette norme véhiculait effectivement un message indiquant que la Suisse n'était dans le fond pas encline à sanctionner ces personnes de manière réaliste.

Mesdames et Messieurs les députés, une intervention parlementaire a été déposée aux Chambres fédérales et le Conseil fédéral a d'ores et déjà dit qu'il était sensible à la problématique, mais qu'il entendait l'étudier au terme d'un rapport qui serait établi en 2010. Or, la situation ne permet pas d'attendre jusque-là ! Le procureur général de notre république, M. Daniel Zappelli, a lui-même indiqué qu'il fallait urgemment agir dans ce domaine. C'est la raison pour laquelle cette résolution a été déposée, pour que son acceptation la transforme en une initiative cantonale auprès des Chambres fédérales, de telle manière que nous fassions un signe, que nous montrions aux autorités de la Confédération que, pour un canton urbain, pour un canton frontière comme l'est le nôtre, la situation actuelle n'est pas vivable et qu'il faut rapidement en changer !

En changer, cela ne signifie pas abattre tout le système de la nouvelle partie générale du code pénal, cela ne signifie pas abolir la peine pécuniaire qui peut se justifier dans un grand nombre de cas. Cela signifie simplement rendre au juge la liberté de choisir la peine qu'il estime être la plus appropriée et notamment celle d'infliger une courte peine privative de liberté, le cas échéant avec sursis, le cas échéant sans sursis, lorsque c'est la seule mesure qui puisse permettre de détourner la personne visée de commettre de nouvelles infractions.

Je vous recommande donc d'adopter cette résolution, de telle manière que le plus rapidement possible, les autorités fédérales soient conscientes de l'intention exprimée par notre parlement.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). M. le député Jornot vient effectivement de soulever un vrai problème et je suis de celles et ceux qui pensent que la solution des jours-amende n'est peut-être pas la meilleure manière de répondre à une certaine délinquance de passage. Toutefois, il y a quand même un «mais» ! La question est de savoir si, au fond, la résolution qui nous est proposée ce soir est la bonne solution à ce vrai problème.

Je dois vous dire, Monsieur le député, que j'ai été légèrement surprise par quelques passages de votre exposé des motifs. Parce que, dans ce parlement, vous nous avez, en général, habitués à des interventions argumentées et chiffrées. Et là, vous surfez un petit peu sur une certaine vague que je qualifierai de sécuritaire ou de populiste et je trouve regrettable que vous n'ayez pas été plus précis en cette occasion.

Notamment, vous faites allusion aux propos du procureur général relayés dans la «Tribune de Genève». Effectivement, le procureur général nous dit qu'il y aurait impossibilité pour un juge pénal d'infliger une courte peine privative de liberté. Monsieur le député Jornot, vous savez comme moi que ce n'est pas tout à fait exact. Il y a quand même un article dans le code pénal, l'article 41, qui permet dans certains cas, pour des peines privatives de moins de six mois, de condamner à une peine ferme. Il y a donc une petite marge de manoeuvre. Elle n'est sans doute pas suffisante, mais elle existe. Cela aurait mérité d'être précisé.

Deuxièmement, toujours en paraphrasant les propos de M. Zappelli, vous nous dites dans votre résolution qu'«il en résulte [...] que la région genevoise attire la petite criminalité.» Soit ! Mais j'aurais aimé voir des chiffres ! J'aurais aimé qu'on nous prouve que c'est bien les jours-amende, l'instauration des jours-amende au 1er janvier 2007 qui a induit cette petite criminalité de passage ! Parce que, dans ce même article de la «Tribune de Genève», il y a des chiffres très intéressants: il est fait mention du nombre d'inculpés non résidents. Eh bien, en 2007, ils étaient 2222, C'est effectivement un peu plus qu'en 2006, puisqu'ils étaient alors 2166, mais c'est moins - beaucoup moins même - qu'en 2005 où l'on en dénombrait 2315 ! Moralité, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu'actuellement nous n'avons pas véritablement de données claires qui nous permettraient de faire un lien de cause à effet entre l'introduction des jours-amende et une éventuelle augmentation de la criminalité de passage.

Ce qu'il nous faut donc, Mesdames et Messieurs les députés, c'est une étude sérieuse qui mesure l'impact de l'introduction des jours-amende dans le code pénal et le lien qu'il y aurait éventuellement entre l'introduction de cette disposition et la délinquance de passage.

A ce propos, vous omettez également, dans votre proposition de résolution, de parler de l'excellent postulat d'un socialiste, Carlo Sommaruga, un postulat qui a, pour une fois, été accepté par les Chambres fédérales. Ce postulat, d'ailleurs aussi signé par un radical, un UDC, un PDC, un Vert, un POP et un membre du parti évangélique, demandait une étude sur l'impact de ces jours-amende. Eh bien, ce postulat a été accepté par le Conseil national, il y a juste quelques jours, le 3 octobre dernier !

Donc, Mesdames et Messieurs les députés, je suis d'accord de dire qu'il ne faut pas verser dans l'angélisme, mais je vous demande seulement d'être un petit peu sérieux, de ne pas surfer sur la vague populiste et d'attendre le résultat de cette étude pour prendre les mesures qui s'imposent ! C'est pourquoi je vous recommande de rejeter cette résolution.

M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je pense que rejeter cette résolution serait une erreur ! Mme Torracinta a parlé de l'étude qui a été admise et acceptée par les Chambres fédérales. Bien ! Très bien ! Je pense que cette résolution - que groupe PDC soutiendra - va dans le sens du travail des autorités fédérales. Elle permet de montrer quelle est la situation - qui est bien réelle - à Genève. Les propositions contenues dans la résolution permettent en fait de donner au juge la pleine liberté de se déterminer sur la peine qu'il convient de prononcer. Et je pense que ça n'est pas du populisme que de faire confiance à la justice dans le cas d'une application stricte du code pénal. Le groupe PDC votera donc cette résolution.

M. Olivier Wasmer (UDC). Je suis étonné que Mme Emery-Torracinta se fonde sur des statistiques pour s'opposer à cette résolution. D'autant plus que les statistiques dont elle fait état s'arrêtent en 2006, alors même que le nouveau code pénal est entré en vigueur le 1er janvier 2007 !

Mesdames et Messieurs les députés, il suffit de lire la «Tribune de Genève» et les journaux de manière générale pour apprendre tous les jours - et encore aujourd'hui - qu'un Roumain a volé 500 F dans un sac et qu'il a ensuite été arrêté. Ce n'est pas parce qu'on en veut aux Roumains, ce n'est pas parce qu'on en veut aux gangsters et aux petits brigands qui viennent de Lyon ou de la région frontalière, mais il y a en tout cas une chose notoire: la petite criminalité et le trafic de drogue ont augmenté de manière très importante dans le canton de Genève !

Ce nouveau code pénal qui est entré en vigueur a démontré - en faisant d'ailleurs l'unanimité contre lui - que ces peines pécuniaires ne servent effectivement strictement à rien, puisqu'aujourd'hui les petites sanctions en jours-amende infligées à des petits délinquants ne portent aucunement atteinte à leur fortune parce qu'ils n'en ont pas. Bien au contraire, si la justice vient à les poursuivre, de simples actes de défaut de biens sont délivrés contre ces petits délinquants ! Ce genre de justice n'a bien entendu aucun effet dissuasif, contrairement à une peine d'emprisonnement.

Mesdames et Messieurs les députés, il est évident qu'il n'est pas du ressort de la justice genevoise et de l'administration du département des institutions de modifier le code pénal suisse, mais, aujourd'hui, cette résolution pourra apporter de l'eau au moulin des conseillers nationaux. Vous le savez déjà, notre ancien collègue député Christian Luscher a, sauf erreur, déposé un projet de loi au Conseil national tout récemment; je crois que tous les partis sont unanimes à penser que ces jours-amende, qui ont malheureusement été votés il y a quelques années, sont totalement inadaptés aujourd'hui.

Un mot de plus: si être populiste, c'est s'enquérir du bien-être de la population, si Mme Emery-Torracinta considère que cette résolution est populiste, je peux dire que je soutiens cette résolution !

Mme Mathilde Captyn (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, nous nous inscrivons parfaitement dans les propos de Mme Emery-Torracinta. Pour nous positionner par rapport à cette résolution nous avons besoin d'études, depuis l'entrée en vigueur de la réforme pénale des jours-amende, il y a plus d'un an et demi; nous avons besoin d'un bilan et, aussi, de l'avis du pouvoir judiciaire. Pas seulement de celui du procureur général, mais aussi des avis des différents acteurs du pouvoir judiciaire !

C'est la raison pour laquelle les Verts vous demandent de renvoyer cette résolution à la commission judiciaire et de la police.

M. Frédéric Hohl (R). Mesdames et Messieurs les députés, il n'est pas question pour le groupe radical de surfer sur la vague de l'insécurité. (Commentaires.) Non, du tout ! Mais il est vrai que cette problématique nous inquiète de toute façon !

Les statistiques sont une chose, on peut en demander, on peut aussi demander des bilans, on peut demander des analyses; on trouvera toujours quelqu'un pour nous fournir des statistiques qui nous diront que la situation s'améliore pour certains, qu'elle se dégrade pour d'autres... Je crois qu'il est temps d'écouter les observateurs. On a de nombreux témoins qui nous disent que ce système des jours-amende ne fonctionne pas.

C'est la raison pour laquelle le groupe radical soutient cette résolution et ne votera pas son renvoi en commission.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Monsieur Gilbert Catelain, il vous reste quarante-six secondes.

M. Gilbert Catelain (UDC). Cette résolution se justifie par rapport à l'évolution du droit de nos voisins, notamment l'introduction de la peine plancher en France. Pour répondre à Mme Emery-Torracinta, j'estime qu'elle a en partie raison et je l'invite à soutenir en commission judiciaire la proposition de motion 1755 de l'UDC, qui prévoit d'attribuer à l'Observatoire statistique transfrontalier une nouvelle compétence, à savoir l'évaluation bisannuelle de la criminalité dans un périmètre étendu. Je vous remercie.

M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureux que votre Grand Conseil s'associe à la critique des jours-amende, critique que je formule depuis très longtemps et que les conférences intercantonales de justice et police formulent également.

J'ai été sensible aux propos de M. le député Jornot qui a bien fait la distinction entre ce système des jours-amende qui a bon nombre de côtés positifs et les aspects de la criminalité que ce système, malheureusement, ne permet pas d'appréhender de manière adéquate. Il s'agit en particulier de la délinquance de passage, comme cela a été rappelé sur tous les bancs. Il vaut la peine, par conséquent, de critiquer ce système, et de manière assez rapide. C'est ce que vise votre résolution.

A partir de là, il y a quelques difficultés quand même. Il ne faut pas se leurrer sur l'impact d'une résolution de votre Grand Conseil... Je le dis pour éviter toute désillusion, Monsieur le député ! C'est une évidence, il y a une limite à l'exercice ! Il y a une limite aussi - un peu par définition - dans la formulation de la résolution, parce que parler du libre choix du juge est une formule assez étonnante !

Je crois qu'avec toutes ces critiques, avec l'envoi de cette résolution à Berne, le plus important sera de transmettre les débats que vous venez de mener. Les objections de Mme Emery-Torracinta sont exactes. Les limites du système ont été décrites à peu près par tous les bords et elles sont justes. Nous montrerons ainsi que ce que nous faisons là, avec cette résolution, n'est exceptionnellement pas une nouvelle petite «genevoiserie», mais bien la manifestation de la volonté de résoudre ce problème, vite si possible, ou un peu plus lentement s'il convient d'examiner les difficultés que ce genre de sujet entraîne naturellement. En toute hypothèse, je vous remercie de votre souci à soutenir les efforts du Conseil d'Etat dans la lutte contre la petite délinquance.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 565 à la commission judiciaire et de la police est rejeté par 48 non contre 27 oui et 1 abstention.

Mise aux voix, la résolution 565 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale par 51 oui contre 27 non.

Résolution 565

La présidente. Il nous reste deux points urgents à aborder: 85 et 133, qui sont liés. Je doute fort qu'en un quart d'heure, nous arrivions à en faire le tour. Si vous êtes sages et ne parlez pas beaucoup, on peut y arriver. J'en appelle donc à votre sagesse !