Séance du
jeudi 28 août 2008 à
10h05
56e
législature -
3e
année -
10e
session -
59e
séance
PL 10013-A et objet(s) lié(s)
Suite du premier débat
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons le débat où nous l'avions laissé. Etaient encore inscrits: M. Jornot, M. Desbaillets, M. Moutinot, Mme Flamand, Mme Emery-Torracinta, M. Ducrot, Mme Curzon Price, M. Golay, M. Pétroz. Je passe tout de suite la parole à M. Olivier Jornot.
M. Olivier Jornot (L). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, ce débat est assez particulier... Il est particulièrement intéressant de ce fait aussi, dans la mesure où, au-delà des clivages politiques, nous avons l'occasion d'exprimer quelques avis sur notre conception du système démocratique et, également, de projeter un certain nombre de fantasmes par rapport aux notions de progrès et de technologie.
Pour ma part, j'ai fait, depuis le début, partie des sceptiques, ne parvenant tout simplement pas à voir quel serait l'avantage déterminant d'introduire le vote électronique et considérant que toutes les questions encore ouvertes m'empêchaient, finalement, d'adhérer à ce projet avec enthousiasme. Ce projet - je crois que nous en sommes maintenant conscients - ne représente pas seulement une modification technique: il introduit une révolution dans la manière de voter. En effet, si nous l'adoptons et si le peuple l'adopte, nous aurons pour la première fois un système où les électeurs et les contrôleurs qu'ils délèguent n'auront pas la possibilité de vérifier eux-mêmes la totalité des votes. Ils devront déléguer cette responsabilité à des techniciens qui, eux seuls, seront capables de comprendre. Cela représente donc effectivement une modification révolutionnaire.
J'aimerais pour ma part vous faire quatre remarques. La première porte sur les problèmes de sécurité. Mesdames et Messieurs, il ne sert à rien - et tout à l'heure nous avons refusé le renvoi en commission - de mandater des experts et de leur demander trente-six rapports pour savoir si le projet est sûr on non. Il y a une vérité évidente que nous connaissons tous: l'informatique peut connaître des failles. Point ! Nous savons tous, par exemple - nous évoquions tout à l'heure tout ce que nous faisons sur internet - que les transactions financières en ligne occasionnent des milliards de pertes chaque année au système financier international, tout simplement en raison des fraudes, en raison des hackers, tout ce que vous voulez. Mais le système financier international supporte ce pourcentage de pertes comme faisant partie des risques qu'il assume.
Par conséquent, nous ne devons pas nous demander si le système qui est proposé par le Conseil d'Etat est sûr: nous devons nous demander quel est le pourcentage de votes dont nous sommes prêts à accepter qu'ils soient corrompus. Combien de votations populaires ? Sommes-nous prêts à accepter, par exemple, qu'une votation populaire sur cent donne un résultat dont nous ne pouvons pas être sûrs ? C'est ce type de question que nous devons nous poser !
Ma deuxième remarque porte sur la perte du contrôle démocratique. Mesdames et Messieurs, je crois qu'il n'est vraiment pas anodin de signaler que, pour la première fois, nous aurions un système qui ne permet pas aux électeurs de contrôler eux-mêmes le résultat du vote. Aujourd'hui, nous avons la possibilité, après le dépouillement, de refaire des contrôles: c'est ce qui est intéressant au niveau de la question de contrôle démocratique. L'important n'est pas tant de savoir si la poste va ou non acheminer notre enveloppe jusqu'à l'urne finale, c'est de savoir qu'avec ce nouveau système, une fois que vous aurez voté, vous ne pourrez pas compter sur les contrôleurs de votre parti pour vérifier que les décomptes ont été faits correctement. On peut l'assumer, mais on peut aussi ne pas l'assumer et penser que c'est une perversion de notre système de vote.
Ma troisième remarque relève de la symbolique. Mesdames et Messieurs, on a évoqué tout à l'heure un orateur citer la liste de toutes les activités que l'on peut faire aujourd'hui en ligne... C'est vrai que l'on peut à peu près tout faire en ligne aujourd'hui ! Mais la question qui se pose est la suivante: sommes-nous d'accord de mettre sur le même pied l'exercice du droit de vote et les différentes activités que nous faisons en ligne aujourd'hui ? Sommes-nous prêts à accepter la gadgétisation de l'exercice du droit de vote ? Un orateur disait que si nous voulions réintroduire l'aspect solennel du vote, il faudrait supprimer le vote par correspondance, etc. C'est vrai ! Si on revenait à la Landsgemeinde, ce serait tout à fait symbolique ! Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit: il s'agit de savoir si nous sommes prêts à admettre que les gens puissent voter, se prononcer sur des questions essentielles devant leur ordinateur, de la même manière qu'ils signent une pétition pour sauver les bébés phoques ou de la même manière qu'ils passent une commande de lessive sur un site de vente en ligne. En ce qui me concerne, je ne suis pas sûr que cette évolution soit souhaitable !
Ma quatrième remarque porte sur la problématique des Suisses de l'étranger, qui se sont à juste titre invités dans ce débat, en relevant qu'ils connaissaient des difficultés dans l'exercice de leur droit de vote. Mesdames et Messieurs, il faut faire attention à ne pas se laisser entraîner dans un débat qui ne concerne pas le vote électronique. Pourquoi ? Parce que ce qui est en cause - et vous avez vu le Conseil fédéral intervenir, il y a quelques jours, pour tancer les cantons - ce n'est pas le temps nécessaire à la réponse, c'est-à-dire à l'exercice du droit de vote par le citoyen qui est à l'étranger qui est en cause. Ce qui est en cause, c'est le temps nécessaire à l'expédition du matériel de vote. Or, celui-ci devra de toute façon être expédié, notamment avec les codes, dans le système de vote électronique. Donc, il ne faut pas croire que la situation des Suisses de l'étranger serait améliorée par ce projet de loi.
En revanche, le Conseil fédéral a clairement reproché aux cantons de mal faire leur travail en matière d'expédition du matériel de vote aux Suisses de l'étranger, notamment de l'acheminer en courrier Z, de ne pas faire la dépense nécessaire pour que les personnes concernées reçoivent le matériel à temps, ou de l'expédier trop tard, ou, encore, de l'expédier dans des langues qui ne sont pas adéquates. Vous pouvez lire tout cela dans le courrier du Conseil fédéral. Eh bien, Mesdames et Messieurs, ce sont des points qu'il faut améliorer, mais qui ne relèvent pas du vote électronique !
En conclusion, je me pose la question suivante: quels sont, par rapport à ces inconvénients - que je considère, personnellement, comme importants - les avantages apportés par le vote électronique ? J'ai vraiment peine à voir, dans tous les textes à notre disposition, dans toutes les prises de position que nous avons entendues, autre chose que le simple avantage de l'adéquation à l'air du temps ! J'ai peine à voir autre chose que la volonté d'être à tout prix pionnier, de vouloir moderniser la république en introduisant un «machin» technologique, qui doit nous exciter ! Et il me paraît que ce n'est pas une bonne chose que d'introduire une modification aussi importante de notre système démocratique sur le simple titillement que l'on ressent à l'idée d'être pionnier dans un domaine technologique !
Et cela me pousse, Mesdames et Messieurs, à vous inciter à la plus grande prudence; en effet, il faut surtout éviter de «refiler» la question - si vous me passez cette expression - au peuple, en ne votant que le principe dans le cadre de l'article constitutionnel et en se disant que l'on verra bien après... Qu'est-ce que cela signifierait ? Cela reviendrait à demander au peuple s'il veut que l'on introduise cette innovation, sans savoir comment, nous, nous allons l'introduire et sans lui indiquer quelles seront les règles de sécurité qui seront applicables, pas plus que les procédures de vérifications qui seront utilisées. Ce mode de faire serait la pire des solutions, à moins que le but soit que le peuple dise non à tout prix. Il me semble en effet que cet objectif serait atteint si on lui posait la question de cette manière.
Je terminerai mon intervention, Mesdames et Messieurs, par un clin d'oeil... Je donnerai ma recommandation de vote en respectant la formule qui figure en page 34 du rapport: je vous recommande de voter Xcfg-zNax-o-nbe. Si vous vous reportez à la page en question, cela veut dire: non ! (Rires et applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le député ! Aux personnes qui se sont inscrites, dont j'ai donné les noms tout à l'heure, se sont ajoutés M. Guénat et M. Deneys. Le Bureau décide de clore la liste des intervenants. Monsieur Jean-Claude Ducrot, je vous donne la parole.
M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Il me semble qu'un certain nombre de peurs se sont manifestées ce matin autour de ce projet de loi. Chaque progrès de notre société a été accompagné de telles peurs. Lorsque l'homme a découvert le feu, des incendies suivirent. Mais a-t-on pu arrêter le progrès pour autant ? Le feu a été très bénéfique, même s'il a été néfaste s'agissant des incendies qu'il provoque. Lors de l'arrivée des chemins de fer, que n'a-t-on pas dit ? Que le progrès était dangereux ! Pourtant, hier, un débat a eu lieu sur le train à grande vitesse entre Lausanne et Genève. C'est dire, Mesdames et Messieurs, que chaque progrès génère des peurs, des oppositions, des craintes du lendemain. Mais on ne gouverne pas avec les peurs: elles empêchent de progresser ! Et l'ère de l'informatique fait manifestement partie du progrès !
Dès lors, il faut absolument être sérieux dans ce projet. Le Conseil d'Etat tout comme les services - quand bien même ils auraient parfois pu être plus convaincants - montrent une réelle volonté d'aller de l'avant, d'apporter toute la sécurité possible en matière de vote électronique. Ce n'est qu'un moyen supplémentaire - même si d'aucuns ont dit qu'il était révolutionnaire, certes, mais l'informatique n'est plus révolutionnaire maintenant - pour encourager le débat démocratique et la prise de position de nos citoyens. Il n'a jamais été question de supprimer le vote par correspondance ni au local de vote. Ce moyen supplémentaire fait partie de notre manière de vivre, fait partie des sensibilités des uns et des autres: voyez d'ailleurs combien les enfants, dès leur plus jeune âge - ce n'est pas nécessairement toujours un bien - sont capables de s'impliquer dans l'informatique.
Nous avons parlé de tests de sécurité... Le projet de loi prévoit une certification tous les trois ans, mais, indépendamment de cette dernière, des tests sont effectués continuellement. Et la rapporteure de majorité - que je félicite, au nom de mon groupe, pour cet excellent document - a d'ailleurs signalé que des tests étaient effectués actuellement. Et, lors des votations, d'élections, des tests seront bien évidemment mis en place, afin d'offrir un maximum de sécurité. Aucun système n'est inviolable: les plus grandes forteresses ont été prises une fois ou l'autre ! Toutefois, à un moment donné, il faut accepter de courir des risques mesurés, d'autant que les experts nous indiquent - et c'est relaté dans le rapport - qu'ils sont très minimes.
Il a également été dit dans ce débat qu'il fallait prendre en considération que le vote de nos compatriotes à l'étranger était un élément important pour qu'ils soient partie prenante de notre démocratie.
C'est sans hésitation que le groupe démocrate-chrétien vous invite, Mesdames et Messieurs, à dire oui à ces deux projets de lois, à dire oui de manière à avancer dans le progrès, à dire oui pour permettre au Conseil d'Etat - et c'est sa responsabilité - de faire en sorte que le système de vote électronique soit fiable, quand bien même aucun système n'est à l'abri d'un quelconque accident. Et c'est sereinement que nous pouvons faire confiance au Conseil d'Etat et voter ces deux projets de lois. C'est ce que le PDC vous invite à faire ! (Applaudissements.)
Mme Victoria Curzon Price (L). Je ferai une seule observation au sujet du débat. Le vote électronique nous demande de mettre en balance avantage et inconvénient. L'inconvénient a été très souvent évoqué: c'est le problème de la fraude. L'avantage serait une participation plus active des fameux 40% qui ne votent que de façon intermittente. On pourrait multiplier les commissions et les enquêtes, on n'en saurait pas plus sur la question ! La seule façon de savoir ce qu'il en est, c'est d'expérimenter le système. Le Grand Conseil et Genève se doivent de faire cette expérience, parce que c'est un moyen d'améliorer la démocratie participative et d'améliorer la légitimité du vote. Par contre, si l'expérience n'est pas probante, parce que, à la lumière de l'expérience, les fraudes se révèlent trop importantes, il faudra savoir revenir en arrière. Il n'y a qu'une seule façon de savoir ce qu'il en est et de mettre des valeurs à ces incertitudes, c'est de tenter l'expérience.
Donc, en ce qui me concerne, je voterai ces deux objets.
M. Roger Golay (MCG). Beaucoup de personnes craignent que la participation dans les locaux de vote diminue... C'est vrai, le vote électronique entraînera cette baisse de participation.
Je tiens toutefois à vous faire part d'une expérience que j'ai vécue récemment, lors de la dernière votation populaire. J'ai eu l'honneur d'officier en qualité de vice-président du local de vote du Petit-Lancy. Il faut savoir que, sur 12 000 électeurs à Lancy, 160 personnes seulement se sont déplacées au local de vote du Petit-Lancy et à peu près l'équivalent au Grand-Lancy. Cela fait environ 300 personnes, et cela pour un votre très important. En temps normal, ce sont 80 personnes en moyenne qui se déplacent par local de vote. La participation est donc déjà très faible. L'introduction du vote électronique va probablement entraîner une baisse de ces chiffres, mais si ce mode de faire permet d'augmenter globalement la participation des électeurs du canton, je pense que ce serait une réussite.
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Philippe Guénat... Il n'est pas là. Je donne la parole à M. Roger Deneys.
M. Roger Deneys (S). Merci, Madame la présidente. J'ai écouté avec attention les propos de M. Jornot tout à l'heure et j'en partage l'essentiel... Je pense que le vote en général n'est pas un acte anodin et qu'il mérite que l'on s'en préoccupe, notamment dans l'éventualité du vote électronique.
Je fais de l'informatique depuis plus de vingt ans, et, évidemment, je me suis posé beaucoup de questions sur ce sujet - et on m'a posé beaucoup de questions. Je ne suis bien sûr pas un expert en matière de sécurité informatique, mais je la côtoie tous les jours. Ce qui est certain, en tout cas, c'est que la sécurité absolue n'existe pas en informatique, et il serait faux de placer le débat à ce niveau. En effet, il ne s'agit pas d'une question de sécurité: c'est essentiellement une question de méthode que l'on pourrait utiliser pour détecter et corriger des fraudes. Et, pour ma part, je pense que la technologie permet sans cesse d'améliorer les processus. A défaut d'être infaillible - car je ne crois pas que les systèmes informatiques puissent l'être - la technologie peut garantir un niveau de fiabilité suffisant, et, contrairement à ce qu'a indiqué M. Jornot tout à l'heure, il n'est pas exact d'affirmer, dans le cas du vote électronique, que le vote serait complètement dématérialisé. Chaque vote électronique pourrait d'ailleurs - si on le souhaitait - faire l'objet d'une impression papier, et on pourrait compter les bulletins qui ont été imprimés. Du reste, on pourrait imaginer que toutes les transactions soient enregistrées dans un fichier - ce qui sera fait, bien entendu. Il ne faut donc pas faire de la parano par rapport à l'insécurité du système.
A mon avis, le problème n'est pas politique, c'est un véritable sujet de société. Nous sommes confrontés à l'évolution des moeurs, au fait que certaines personnes sont plus engagées en politique, comme vous et moi, et que d'autres le sont moins ou, en tout cas, différemment. Et puis, on peut se demander, la société changeant, si c'est une bonne chose de voter, de faire un geste citoyen, depuis son ordinateur. En ce qui me concerne, cela me pose problème et j'y suis défavorable, mais, sur le fond, je pense que c'est vraiment une question de moeurs de société.
Donc, j'arrive à la conclusion inverse de celle de M. Jornot: je pense que le plus sage, aujourd'hui, c'est de soumettre cette proposition en votation populaire, parce que c'est aussi aux citoyens d'indiquer comment ils souhaitent faire fonctionner la démocratie genevoise, la démocratie suisse. D'une certaine manière, c'est même un sujet qui aurait pu être traité par la Constituante, parce que l'on peut imaginer qu'il s'agit plutôt d'une question de méthode de fonctionnement de notre démocratie. Quoi qu'il en soit, je ne pense pas qu'il faille en faire un enjeu politique.
Comme je l'ai déjà indiqué, je suis plutôt opposé à l'introduction du vote électronique et, en fait, je suis aussi opposé au vote par correspondance, parce que, d'une certaine manière, je pense que le seul geste citoyen, c'est de se rendre au bureau de vote. D'une certaine manière, cette dématérialisation du vote a déjà été introduite en offrant la possibilité de voter à domicile; avec le vote électronique, on l'accentue encore, mais, en réalité, ce n'est pas très différent.
Par conséquent, en ce qui me concerne et quelles que soient mes réserves, je suis favorable à ce que ce sujet soit soumis au peuple; faisons des campagnes pour que celui-ci puisse se prononcer en connaissance de cause, mais ne bloquons pas ce processus aujourd'hui.
Autre chose. Il a été demandé plusieurs fois que cet objet soit traité en urgence devant ce Grand Conseil, cela a été refusé... J'aimerais donc quand même relever que le chancelier de la République et canton de Genève n'a pas forcément eu une attitude de nature à rassurer les députés et à calmer les débats. Personnellement, je le regrette, car je pense que nous aurions déjà pu prendre cette décision il y a quelques mois.
Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse de majorité. Je crois effectivement que l'essentiel du débat n'est pas technique. Très peu de personnes dans cette salle seraient capables de répondre de manière très pointue sur ce point. Je ne vais pas revenir sur les points que je voulais aborder sur le fonctionnement et la sécurité. Et puis, vous avez dans le rapport un certain nombre d'éléments sur ce sujet.
A M. Jornot, qui est le principal auteur de ce projet de loi constitutionnelle, j'exprimerai mon étonnement... En effet, je comprends mal, Monsieur le député, comment vous pouvez nous dire en commission que le peuple doit se prononcer sur ce sujet important et nous indiquer aujourd'hui qu'au fond vous êtes opposé au vote électronique, qu'il n'apporterait rien et qu'il n'est donc pas nécessaire d'en appeler au peuple.
Je rappelle du reste qu'en commission le projet de loi constitutionnelle n'a rencontré aucune opposition. Il y a eu des abstentions - Vertes et UDC - mais les autres groupes ont accepté ce projet.
Je vais aborder ce qui me paraît l'essentiel, c'est-à-dire à l'idée de la banalisation ou de la sacralisation d'un objet qui passe en votation populaire et à la symbolique dont parlait Mme Baud. Plusieurs d'entre vous l'ont rappelé: le tournant a été pris lorsque nous sommes passés au vote par correspondance. Et ceux qui refusent aujourd'hui le vote électronique, en disant qu'il est essentiel de se rendre au bureau de vote, ont une vision quelque peu passéiste et mythique d'une époque qu'ils regrettent.
J'aimerais également relever - M. Ducrot l'a très bien rappelé - que les nouvelles technologies font souvent peur. Il a évoqué les chemins de fer... On disait à l'époque que les vaches ne produiraient plus de lait, parce que les trains allaient passer ou que l'être humain ne supporterait pas la vitesse du chemin de fer. En fin de compte, nous avons réussi à surmonter nos peurs. Mais ce qui se cache derrière cela et qui est plus subtil, c'est que, au fond, les nouvelles technologies font craindre le spectre d'un Etat «Big Brother», d'un Etat dictatorial. En commission, il nous a du reste été dit que le risque principal pourrait venir de l'intérieur, c'est-à-dire de l'Etat lui-même.
Alors, j'aimerais insister sur un point qui me paraît essentiel. Dans l'Histoire, les pires tyrannies - au XXe siècle, je pense notamment au nazisme ou au stalinisme - ont vu le jour sans aucun moyen technologique particulier. La technologie n'a rien à voir avec la dictature ! Ce qui fait le lit du totalitarisme, ce sont d'autres facteurs: le désarroi, l'humiliation, la crise économique, la peur de l'avenir, l'absence de repères. La technologie n'est qu'un moyen: elle n'est jamais la cause du problème !
D'ailleurs, en lisant «1984» de George Orwell, on constate que la surveillance permanente de l'individu - le fameux «Big Brother is watching you» n'est pas la cause de la dictature. La cause de la dictature est l'absence de repères dans le passé et la réécriture permanente du présent par le gouvernement.
J'aimerais vous dire qu'il est normal d'avoir peur, qu'il est normal de se poser un certain nombre de questions avant d'utiliser de nouvelles technologies. Mais la peur relève de l'émotion et non de la raison. Et notre rôle de député, c'est de dépasser ces peurs, d'analyser rationnellement un projet et de savoir quels sont les risques que nous acceptons de prendre, de savoir si nous voulons telle ou telle technologie. Il serait absurde, pour une peur panique qui deviendrait totalement irraisonnée, de tout refuser.
A ce propos, je voudrais signaler que, parmi les personnes que nous avons auditionnées, il y avait un membre du parti des Verts, contrôleur lors des votations électroniques, qui nous a indiqué que le système proposé était fiable.
Madame la rapporteure de minorité, vous avez cité, en exergue de votre rapport, un auteur du XVIIe siècle... Personnellement, je citerai quelqu'un qui nous est proche. Il s'agit d'un contemporain, Nicolas Hulot, qui disait: «On ne peut vivre qu'en dominant ses peurs, pas en refusant d'avoir peur.» Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission n'a pas peur du choix de la population et vous invite à accepter au moins le projet de loi constitutionnelle.
Mme Emilie Flamand (Ve), rapporteuse de minorité. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le débat que nous avons depuis plus de deux heures. Beaucoup d'arguments intéressants ont été échangés, mais, cela dit, j'ai entendu assez peu d'arguments concrets par rapport aux avantages du système de vote électronique. La plupart des arguments portaient sur la peur de la minorité, sur l'audace, le courage, la volonté d'être pionnier. Le PDC nous a du reste donné une véritable leçon en la matière: un discours que nous aimerions entendre plus souvent, je vous l'avoue, notamment en matière environnementale où certains se montrent souvent beaucoup plus frileux... (Commentaires.)
C'est vrai, Genève pourrait être la première à introduire le système de vote électronique, mais elle pourrait aussi être la première à connaître un échec, à connaître une fraude de grande ampleur. Et il n'est pas toujours bon d'être précurseur. On imagine que l'introduction du vote électronique à Genève concernerait 10% des citoyens... Certains l'ont comparé à la construction des chemins de fer: c'est peut-être un peu ambitieux ! A mon avis, la gloire passerait assez vite. Par contre, si nous rencontrions des problèmes avec ce système, ce serait nettement plus dommageable pour notre canton.
S'agissant du projet de loi constitutionnelle, je partage tout à fait l'avis de M. Jornot: si le peuple se prononce et s'il est favorable au vote électronique, il faut avoir un système sérieux et digne de confiance à lui proposer par la suite. Si nous ne sommes pas persuadés du bien-fondé du système de vote électronique, il n'est pas judicieux de voter ce projet de loi constitutionnelle, de renvoyer le bébé au peuple. Si nous avions dû, il aurait fallu le faire dès le départ, en admettant que le peuple devait se prononcer tout de suite sur le principe, et non pas après quinze séances de commission où nous avons eu largement l'occasion d'étudier ce système. Et si nous devions en être convaincus, il faudrait le voter pour cette raison-là, et pas laisser le peuple décider parce que nous n'y arrivons pas, étant donné nous ne sommes pas des experts. Pour moi, ce n'est pas une bonne solution.
Un autre argument a été avancé, selon lequel le système actuel n'est pas fiable... Si j'ai bien compris l'argument de la majorité, il faudrait accepter le vote par internet qui n'est pas fiable non plus... Ce n'est pas sérieux ! Si nous pensons que le système actuel ne convient pas, il faut le modifier. Donc, l'argument invoqué n'est pas valable pour adopter un nouveau système qui ne serait pas plus fiable que l'actuel !
En ce qui nous concerne, nous ne demandons pas le risque zéro, nous savons bien qu'il n'existe pas. Or, lorsqu'un risque est pris, lorsqu'une dépense conséquente est effectuée par l'Etat, nous attendons, en contrepartie, une avancée, des avantages incontestables. Mais nous ne les avons pas trouvés dans ce projet.
Je vous confirme donc que nous voterons non à ces deux projets de lois.
M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Le chancelier d'Etat, à la demande du Conseil d'Etat, a développé avec grand enthousiasme et beaucoup d'énergie le vote électronique. Je regrette que certains d'entre vous aient pu être choqués par son enthousiasme peut-être excessif... J'ose croire en tout cas qu'il n'y aura pas de vote sanction à son égard aujourd'hui. Certes, il a porté le vote électronique, mais c'est un projet gouvernemental: le Conseil d'Etat y tient.
Le vote - vous l'avez tous dit à juste titre - est un des éléments fondamentaux de la démocratie, et ce qui importe, c'est la fiabilité de l'expression populaire. Tous les modes de vote: électronique, par correspondance, en se rendant dans un local de vote, comportent un certain nombre d'inconvénients. Mais la validité du vote même dépend de l'importance que nous lui accordons, dépend du sérieux avec lequel l'instruction civique est dispensée, dépend de l'engagement des partis, de l'engagement des autorités. Le mode, en tant que tel, n'en est qu'une expression.
Mesdames et Messieurs les députés, vous avez voulu à juste titre que l'Etat de Genève s'engage fortement dans l'e-administration - à défaut d'un mot français, peut-être préférable - ce que nous faisons avec la conviction que cela est de nature à améliorer les prestations de l'Etat en faveur des citoyens, à les rendre également moins chères.
Le vote électronique est dans cette logique: il ne comporte pas un degré d'insécurité différent d'aucune autre utilisation électronique. Il fait même, en raison de son importance, l'objet de soins tout à fait particuliers, de contrôles supplémentaires. Et le système utilisé - cela a été dit et répété - comporte un risque le plus bas qui se puisse concevoir, même si ce n'est pas le risque zéro. Donc, en ce qui concerne la sécurité même, j'imagine mal que l'on puisse en faire un motif de refus.
Il a été dit, en revanche, que le contrôle par les citoyens - c'est l'un des arguments avancés par M. Jornot - était difficile, en tout cas que tout un chacun n'avait pas forcément les compétences nécessaires pour l'exercer.
C'est probablement vrai aujourd'hui. Ça ne le sera pas toujours ! Je vous rappelle qu'au début du vote écrit les citoyens procédaient eux-mêmes au dépouillement, comme cela se fait toujours. Comme, malheureusement, il y avait un nombre considérable d'analphabètes en Europe occidentale, ils ne pouvaient pas contrôler leur vote. Et personne, ou plutôt, si, certains ont eu l'idée d'utiliser cet argument, à l'époque, pour s'opposer au suffrage universel, mais, fort heureusement, il a été passé outre à cette objection. Aujourd'hui, la quasi-totalité des citoyens sont alphabétisés. Ils peuvent contrôler leur vote, et, à terme, compte tenu de l'importance croissante de l'électronique et de l'informatique, nul doute que l'on pourra aussi mieux qu'aujourd'hui contrôler ce genre de procédures.
Mesdames et Messieurs les députés, le système genevois, vous le savez, bénéficie des faveurs de la Confédération. Il intéresse un certain nombre d'autres cantons. Il intéresse un certain nombre d'autres pays. J'aurais quand même quelque peine à croire que ce qui a été fait à Genève serait bon pour tout le monde sauf pour les Genevois eux-mêmes ! Il faut reconnaître que nous avons quelquefois l'art de la bizarrerie, mais, là, nous serions carrément dans le paradoxe !
Deux projets de lois vous sont présentés ce soir. A partir du moment où vous avez, de manière quasiment unanime en commission, décidé qu'il fallait soumettre cette question au peuple - cela est parfaitement compréhensible compte tenu de son importance - vous ne devez pas vous demander si vous êtes favorables ou non au projet de loi constitutionnelle: vous devez vous demander si cela a un sens de poser la question au peuple. Si tel n'est pas le cas, l'exercice est parfaitement vain. Vous auriez pu simplement vous prononcer sur le projet de loi du Conseil d'Etat. Mais vous avez créé le processus constitutionnel - une fois encore: pourquoi pas ? - par conséquent, si vous voulez donner l'occasion au peuple de se prononcer - et il doit se prononcer, car c'est un enjeu de société, cela a été rappelé - vous devez accepter le projet de loi constitutionnelle.
M. Jornot a ensuite expliqué que l'on ne peut pas soumettre une question de principe au peuple sans lui dire comment on va l'appliquer... Il a raison ! Par conséquent, il faut que le débat se poursuive sur le projet de loi législatif, afin que la population sache comment pourrait être mis en oeuvre le principe constitutionnel qu'il lui est demandé d'accepter. Compte tenu des délais inhérents au processus, peut-être faudra-t-il apporter quelques modifications à ce projet de loi. Quoi qu'il en soit, il est effectivement légitime que les électeurs et électrices sachent comment le Grand Conseil entend concrétiser le principe, s'il est admis par le peuple.
La présidente. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vais tout d'abord vous soumettre la prise en considération du projet de loi constitutionnelle, le PL 10013.
Mis aux voix, le projet de loi 10013 est adopté en premier débat par 41 oui contre 27 non et 9 abstentions.
La loi 10013 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 10013 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 39 oui contre 28 non et 9 abstentions.
Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse de majorité. Lors de la séance précédente, nous avons refusé le renvoi en commission des deux projets de lois... Or il me semble que la donne a quelque peu changé: à partir du moment où nous acceptons que le peuple se prononce sur le principe, il me paraîtrait logique que, en parallèle, nous examinions, en commission le futur rapport qui sera rendu sur les tentatives d'intrusion effectuées, de façon à pouvoir - que l'on soit pour ou contre le vote électronique - présenter au peuple quelque chose qui tienne la route. Je me permets donc de vous demander à nouveau de renvoyer en commission le projet de loi 9931.
La présidente. Merci, Madame la rapporteure de majorité. D'autres personnes souhaitent-elles s'exprimer sur ce renvoi en commission ? Tel n'est pas le cas. Nous votons.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9931 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est adopté par 50 oui contre 19 non et 6 abstentions.