Séance du
jeudi 26 juin 2008 à
17h
56e
législature -
3e
année -
10e
session -
52e
séance
PL 9799-A
Premier débat
M. Jean-Michel Gros (L), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi vise deux objectifs principaux. Premièrement, il veut ancrer la pratique dite «Raymond Foëx», ancien procureur bien connu dans notre république, qui tendait à tolérer un squat tant que le propriétaire de l'immeuble n'est pas en possession de l'autorisation lui permettant de rénover voire de démolir l'édifice, sauf si le propriétaire a déposé plainte au début de l'occupation; deuxièmement, il vise à redonner au procureur général le droit de requérir directement la force publique, même si l'occupation a duré un certain temps.
Ces deux éléments centraux du projet de loi semblent évidents mais ont été remis en cause lors des diverses tentatives d'évacuation, notamment celle, célèbre, dont vous vous souvenez certainement, du squat Rhino. L'arrêt du Tribunal administratif, confirmé par le Tribunal fédéral, est éloquent à cet égard. Vous le trouverez en page 2 de mon rapport, mais je veux le souligner ici: «2) Compte tenu de l'ancienneté de l'occupation des lieux et du fait que le propriétaire avait mené des négociations avec les occupants des immeubles Rhino, il fallait considérer que la victime (le propriétaire) s'était accommodée, ne fût-ce que provisoirement, de la situation, de sorte que l'ordre public n'était plus troublé.» Cet arrêt incite bien sûr les propriétaires à déposer immédiatement plainte pour violation de domicile et, donc, déclencher l'évacuation, ce qui s'est d'ailleurs vérifié depuis.
On est donc loin de la pratique dite «des contrats de confiance» initiée, je l'ai dit tout à l'heure, par M. le procureur Foëx et M. Claude Haegi qui était alors conseiller administratif en Ville de Genève. Si l'on ajoute à tout cela la guéguerre entre le chef du département des institutions et le procureur général actuel, on voit bien qu'il est nécessaire que le législateur mette un peu d'ordre là-dedans.
Il convient donc de préciser que l'occupation illicite d'un immeuble, visée à l'article 186 du code pénal suisse, constitue un trouble à l'ordre public aussi longtemps que l'infraction perdure.
Je ne reviens pas sur mon rapport, que vous avez sans doute lu, je relève cependant l'attitude pour le moins bizarre de l'ASLOCA qui, dans ses statuts, a pour but de défendre les locataires et qui, lors des auditions, a donné des réponses pour le moins alambiquées lorsqu'il s'agit des squatters.
En résumé, ce projet de loi vise à sauver la pratique genevoise en matière de squats, appliquée par les derniers procureurs généraux mais mise à mal par certains groupes de squatters qui, contrairement à leurs prédécesseurs n'occupent pas les logements à défaut d'en trouver un autre, mais bien pour mener une vie dite «alternative», au risque de priver de nombreuses familles de trouver un logement.
Mais, Mesdames et Messieurs les députés, il se trouve qu'aujourd'hui - et là, Monsieur le président, il s'agit du problème des délais de traitement des projets de lois devant ce Grand Conseil - la situation a quelque peu changé. Une commission ad hoc de notre Grand Conseil, appelée «Justice 2010», a été créée pour étudier la refonte totale de la loi sur l'organisation judiciaire en raison de la réforme des procédures civiles, pénales et administratives. L'article 43 de la loi sur l'organisation judiciaire, qui est visé par le présent projet de loi, sera donc étudié par la force des choses par cette commission ad hoc et pourrait ainsi être profondément modifié. Le rapporteur de majorité que je suis aujourd'hui prend ainsi la responsabilité de proposer au Grand Conseil de renvoyer ce projet de loi à la commission Justice 2010 pour le rendre compatible avec les nouvelles directives de lois fédérales. Je vous remercie.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité ad interim. Je remplace Mme Kast et me bornerai à relater son rapport, qui est excellent.
En préambule, j'aimerais dire à mon préopinant, lorsqu'il relève qu'il y a eu trouble à l'ordre public, que l'on peut lire dans le rapport de minorité - en l'occurrence, on parle de Rhino - que le Tribunal fédéral a considéré que la condition du trouble à l'ordre public n'était pas remplie, dans la mesure où le squat existait depuis trop longtemps pour cela. Donc, ce n'est ni moi ni ma collègue qui le disons, c'est le Tribunal fédéral. Et dieu sait combien les libéraux respectent le Tribunal fédéral ! Donc, la condition de trouble à l'ordre public n'est pas remplie.
Comme l'indique le rapport de minorité, nous considérons qu'il s'agit d'une loi d'exception. En effet, parce que les auteurs de ce projet de loi ne trouvent pas pragmatique de rectifier une loi générale, ils modifient artificiellement la mention juridique d'«ordre public» - comme on l'a vu tout à l'heure - et font fi des considérations développées par la jurisprudence du Tribunal fédéral pour un seul cas, très particulier et exceptionnel. Nous estimons donc que c'est grave.
Par ailleurs, en ce qui concerne l'exposé des motifs de ce projet de loi, nous trouvons ses termes fallacieux - je cite le rapport de minorité: «A en lire l'exposé des motifs, la motivation des auteurs du projet de loi serait de remplir le gentleman agreement existant entre les squatters et les propriétaires avant l'arrêt du Tribunal fédéral. Cette affirmation prêterait à rire si elle ne conduisait pas à de tels résultats.»
Et force est de constater, Mesdames et Messieurs les députés, que ce projet de loi vise un tout autre but: celui d'enlever aux autorités judiciaires - et c'est là le vrai problème, Monsieur le rapporteur de majorité - la possibilité de vérifier la légalité des actes commis par le procureur général en matière d'évacuation de squatters. C'est pourquoi ce projet de loi est inacceptable !
Enfin, nous estimons aussi, comme il l'est relaté dans le rapport de minorité, que ce projet de loi est non conforme au droit supérieur. Il faut souligner, Monsieur le rapporteur de majorité, que le propriétaire a toujours, maintenant et avant, disposé de différents outils pour mener à bien son intervention. Il y a donc l'intervention immédiate au moment de l'usurpation, ce qui n'a pas eu lieu à l'époque; il y a l'intervention rapide via le procureur général, pour faire cesser l'occupation et le trouble à l'ordre public, ce qui n'a pas été fait à l'époque; il y a l'action possessoire et, enfin, cas échéant, une action sur le fond, ce qui n'a pas été fait non plus.
Et malgré le fait que ce projet de loi réinvente une notion de trouble à l'ordre public, taillée sur mesure pour un cas particulier - on va bien le souligner: particulier ! - donc pour des intérêts particuliers et contraires à la jurisprudence du Tribunal fédéral, eh bien la majorité de la commission a quand même voté ce projet de loi ! Or nous insistons: ce dernier tend à instaurer un système cantonal de protection de possessions, incompatible avec la protection instituée par la loi fédérale !
Tout à l'heure, concernant les projets de lois 9796 et 9797, M. Cuendet disait que le groupe libéral était contre toute loi d'exception... En l'occurrence, après les faits que j'ai relatés, c'est ici une loi d'exception ! Alors, si M. Cuendet - ou le groupe libéral - est en accord avec ce qu'il a dit et voté précédemment, il devrait considérer que ce projet de loi est une loi d'exception ! Et il ne devrait pas l'accepter.
J'estime qu'il est grave de voter des lois pareilles pour un cas de notre république, cas qui contourne d'ailleurs notre institution dans le cadre de la séparation des pouvoirs. Et, là, le but est de contourner la législation, en tout cas la procédure. C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes opposés à ce projet de loi. D'ailleurs, s'il y avait un recours de droit public, je ne sais pas si ce projet de loi tiendrait la route !
Donc, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous enjoignons de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi.
Présidence de Mme Loly Bolay, présidente
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur. Je rappelle qu'une demande de renvoi en commission a été formellement exprimée. Comme de nombreuses personnes s'étaient inscrites auparavant pour prendre la parole sur le fond de ce débat, nous allons gommer la liste des noms qui apparaissent sur les écrans, tout en la conservant ici.
Pour l'instant, j'ouvre la discussion uniquement sur le renvoi en commission. C'est trois minutes de parole par groupe, vous pouvez vous inscrire dès à présent. Nous verrons ensuite si la demande de renvoi est adoptée ou pas, puis nous reviendrons, cas échéant, au débat sur le fond. Sur le renvoi en commission viennent de s'inscrire M. Jornot, M. Ducrot, Mme Pürro et M. Wasmer.
M. Olivier Jornot (L). Mesdames et Messieurs les députés, on ne peut plus se disputer sur les manifestations, alors disputons-nous au minimum sur le squat ! Le squat, sujet qui a fait dépenser beaucoup de salive dans les débats en commission - débats aujourd'hui remis en cause, comme le rapporteur l'a excellemment indiqué, par le projet de loi ou par les différents projets de lois liés à l'introduction de la réforme Justice 2010.
Alors de quoi s'agit-il et pourquoi cette remise en cause ? Eh bien, parce ce projet de loi, comme le rapporteur l'a rappelé, vise à changer une disposition de la loi d'organisation judiciaire, l'article 43 qui porte sur le rôle du procureur général en matière d'ordre public. Disposition assez étonnante, assez ancienne. D'ailleurs on ne sait plus très bien de quand elle date, puisque les différents tribunaux qui l'ont appliquée ces dernières années n'ont même pas réussi à retrouver le moment où elle avait été introduite dans l'ordre juridique genevois.
C'est une disposition qui donne de larges pouvoirs au procureur général, lesquels sont en quelque sorte remis en cause de manière assez naturelle par le développement de la justice administrative. Et l'on peut se demander si, finalement, ce ne serait pas un jour le travail de la Constituante que de réfléchir à la répartition des tâches entre le procureur général et le Conseil d'Etat.
Quoi qu'il en soit, une chose est certaine, c'est que la réforme Justice 2010 va obliger à réfléchir de manière approfondie au rôle du procureur général en matière de poursuite pénale et nous oblige déjà maintenant à réfléchir à nos structures administratives. Un projet de loi refondu de loi d'organisation judiciaire va nous parvenir en commission très prochainement, nous a annoncé le Conseil d'Etat, et il est vrai qu'il serait un peu étrange de nous écharper aujourd'hui pendant des heures sur une disposition que, par hypothèse, nous reprendrions lors des débats de commission.
Mais il n'empêche pas moins, Mesdames et Messieurs, que ce renvoi en commission ne signifie en aucune manière que nous aurions à retirer une virgule de ce projet de loi, non seulement quant à la forme mais surtout quant au fond ! Tant il est vrai que nous avons l'intention de continuer à nous battre pour que le squat dans ce canton soit, précisément, combattu et ne soit pas toléré - comme nous l'avons entendu en commission, dans la bouche non seulement des squatters mais dans la bouche de l'ASLOCA et dans la bouche des partis de gauche, qui nous ont expliqué que le squat était ce que l'on avait de mieux ici. Eh bien, ça c'est intolérable !
Je propose, Mesdames et Messieurs, comme l'a suggéré avec beaucoup d'à-propos le rapporteur, de renvoyer ce projet de loi en commission. (Applaudissements.)
M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Je me réfère aux propos de M. Jornot, quand bien même je ne les ferai pas tous miens. Je pense cependant qu'il est important, dans le cadre de ce débat sur les problèmes de squatters, que la commission ad hoc se penche sur les pouvoirs du procureur général en matière d'ordre public. On voit ici, au travers de ce projet de loi, combien la faiblesse de notre système judiciaire ne permet pas au procureur général de faire régner d'une manière satisfaisante l'ordre publique quand, manifestement, on use tous les pouvoirs de recours possibles pour faire obstruction à des décisions de justice !
En conclusion, Mesdames et Messieurs, il faut dire que ce squat a trop duré: plus de dix-huit ans de squat ! Plus de dix-huit ans de situation illégale ! Eh bien, je pense qu'il n'est pas social: il est une injustice sociale vis-à-vis des plus défavorisés qui ne trouvent pas à se loger - alors, il suffit simplement de squatter... Je crois que ce n'est pas acceptable !
Si le procureur général a regretté, comme il l'est écrit dans le rapport, le changement d'attitude des squatters, c'est parce que manifestement la confiance a été rompue par eux.
Le groupe PDC ne s'oppose pas au renvoi en commission. Bien évidemment, il est extrêmement important que ce problème d'ordre public quant aux squats soit traité par la commission ad hoc.
Mme Véronique Pürro (S). Aux yeux des socialistes, le vrai scandale c'est la spéculation: ce sont des bâtiments comme celui de Rhino, qui sont passés de 3 millions à 28 millions ! La dernière hypothèque de l'immeuble se montait à 28 millions en 1991... Quand on voit aussi l'ardoise que la Banque cantonale a laissée aux contribuables - M. Stauffer n'est pas là ce soir... (Commentaires.) ...mais je me fais le relai d'une de ses préoccupations, que je partage, du reste. Eh bien, on voit les millions qui sont maintenant à charge du citoyen genevois ! Le scandale, il est bien là !
Si l'on parle plus particulièrement de Rhino, j'aimerais relever que son évacuation a laissé sur le trottoir plus de quatre-vingts personnes, dont douze familles, et ce n'étaient pas, Monsieur le député, des gens dont les salaires sont très élevés. Ensuite, plus d'une année après l'évacuation, vous pouvez aller devant l'immeuble et vérifier vous-même: il ne s'est rien passé ! Depuis une année, alors qu'il manque cruellement de logements à Genève, l'immeuble est resté fermé et les travaux n'ont pas démarré ! Or nous avons d'autres cas comme celui-ci, et c'est aussi, à notre avis, un véritable scandale !
Quant au projet de loi qui nous occupe, il n'est pas question, Monsieur Gros, d'une guéguerre entre le procureur et le Conseil d'Etat, mais il s'agit bien d'une question de principe. Pour les socialistes, il est fondamental que les décisions d'intervention policière dans le domaine de l'ordre public restent contrôlées par l'autorité politique: la police doit rester sous les ordres du Conseil d'Etat. En effet, à nos yeux, il est des situations politiques - comme celles des squats, qui sont particulièrement délicates - où l'intervention de la police ne peut pas s'effectuer de manière irréfléchie. Elle doit se faire de manière mesurée, en tenant compte de toutes les considérations politiques. Que devons-nous faire ? Tout ! Pour qu'il y ait une collaboration entre l'autorité judiciaire et l'autorité policière.
Le projet de loi présenté par l'Entente conduit à des conflits de compétences susceptibles de provoquer beaucoup de désordre, quand bien même, comme le souligne très justement Nils de Dardel dans son avis de droit, l'objectif est de rétablir l'ordre public.
Par conséquent, nous accueillons favorablement la demande de renvoi de ce projet de loi à la commission ad hoc et nous regrettons, une fois encore, que certains partis utilisent des choses aussi sensibles que le problème du logement dans notre canton à des moments particuliers, c'est-à-dire à la veille d'élections, puisque le projet de loi, rappelons-le, a été déposé dans une telle période.
M. Olivier Wasmer (UDC). Mesdames et Messieurs, les locataires à la recherche de logements, qui font toutes les régies et qui sont parfois plus d'une centaine à chercher un appartement, apprécieront à leur juste valeur les propos de la gauche, qui se fait toujours et encore le défenseur des squatters !
Rhino, Mesdames et Messieurs, a été un véritable scandale, en dehors même de Genève puisque, lors de son évacuation, il y a eu un battage médiatique, non seulement en Suisse mais aussi en France, en Italie et en Allemagne. Les actions du pouvoir judiciaire ont été relatées - entre le procureur général qui voulait évacuer et le pouvoir politique qui s'opposait à l'évacuation, entre le parti socialiste qui s'opposait à cette évacuation et qui était sur place lors de cette dernière par la police...
Et, contrairement à ce que dit aujourd'hui le rapporteur Velasco, Mesdames et Messieurs, il n'y avait pas qu'un squat, Rhino, qui n'a pas pu être évacué ! Mais il y a eu celui de la Tour; il y a eu celui de St-Jean, occupé quelques mois plus tard; il y a eu celui de la rue de Montbrillant, évacué il y deux mois à peine... Et le problème des squats perdure.
Tous les locataires, Mesdames et Messieurs les députés, apprécieront les propos des partis socialiste et des Verts qui, envers et contre tout - et avec le soutien de l'ASLOCA, qui est censée défendre les locataires - s'opposent à ce projet de loi qui a pour seule mission de donner au procureur général, qui est le chef du pouvoir judiciaire, le pouvoir de faire exécuter les jugements et respecter l'ordre public, de faire évacuer les habitats occupés illicitement par de simples violations de domicile.
Il n'appartient pas à notre parti de commenter les décisions de justice, rendues d'abord par le Tribunal administratif puis confirmées par le Tribunal fédéral, et de dire: «Comme le propriétaire de Rhino a négocié avec les squatters, le temps s'est écoulé et - malheureusement - l'ordre public n'était plus en danger», mais il y a lieu de considérer aujourd'hui qu'aucun propriétaire ne voudra plus, comme cela a été le cas par le passé, négocier des contrats de confiance avec des squatters, dans la mesure où l'on ne peut plus leur faire confiance, puisque non seulement ils ne respectent pas l'ordre juridique, mais même pas la parole donnée !
Pour tous ces motifs, il a fallu établir un projet de loi, que la grande majorité de la commission a voulu faire approuver. L'UDC l'a accepté dans l'esprit de trouver des moyens juridiques adéquats pour que ces squats ne se reproduisent plus à Genève, puisque même l'ASLOCA, interpellée, ne s'est même pas, comme l'a dit l'excellent rapporteur de majorité, déterminée pour prendre parti - ou pas - quant aux squats ou pour soutenir les locataires. Et c'est là que c'est totalement aberrant ! L'ASLOCA qui est de tous les combats pour défendre les locataires ne prend pas une position déterminée en disant: «Voilà, on défend les locataires contre les squatters»... Non, l'ASLOCA, comme à son habitude, en fait un combat politique d'arrière-garde pour tenter de donner à des gens qui n'ont aucun droit un pouvoir d'habiter, parce que simplement cette qualité d'habitat leur convient mieux que de payer un loyer comme tout un chacun.
Pour tous ces motifs, nous sommes d'accord que...
La présidente. Il vous faut conclure, Monsieur le député, vous avez disposé de trois minutes.
M. Olivier Wasmer. C'est donc pourquoi, Madame la présidente, notre groupe soutiendra le renvoi en commission.
La présidente. Je vous remercie, Monsieur le député. Je saisis cette occasion pour saluer à la tribune notre ancienne collègue, Mme Mireille Gossauer. (Applaudissements.)
Je rappelle aux uns et aux autres que nous débattons d'un renvoi en commission et que vous disposez de trois minutes pour vous exprimer à ce propos.
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). J'ai eu l'occasion d'entendre les représentants de Rhino ainsi que leurs avocats. Ils n'ont pas été en mesure de nous convaincre, ils n'avaient pas d'arguments valables pour qu'on puisse refuser l'expulsion - c'est juste un rappel des faits.
Les situations évoluent et il faut tenir compte de ce que trop de gens n'arrivent pas à trouver de logement à un prix raisonnable. Aujourd'hui, c'est même l'Hospice général qui doit payer les loyers des plus démunis, alors comment peut-on accepter des squatters qui ne paient aucun loyer ? En regard des personnes défavorisées ou des travailleurs au revenu modeste, c'est une injustice ! Rhino ne doit plus être l'exception, sinon combien devrons-nous encore en accepter ?! C'est ouvrir la boîte de Pandore.
Le procureur général a toute latitude pour régler ce problème de squatters, il a été élu par le peuple pour cela. Par ailleurs, il n'est pas acceptable que des propriétaires d'immeubles ou de logements ne puissent pas jouir de leurs biens. Le squat n'est pas une manière digne de vivre, aux crochets des propriétaires et contre leur volonté ! La police exécute des ordres; si le procureur général lui demande d'intervenir, elle doit le faire. Je veux bien faire du social et éprouver de la compassion, mais les lois sont les mêmes pour tous !
Je refuse donc le renvoi en commission de ce projet de loi et j'entrerai en matière sur ce dernier, qui me convient parfaitement comme il est.
M. Pierre Losio (Ve). Tous les préopinants s'étant exprimés sur le fond, je vais en dire quelques mots avant de parler de la surprenante volte-face que j'ai entendue de la bouche du rapporteur: il déclare qu'il vaut mieux renvoyer ce projet de loi à la commission ad hoc... Ensuite, par la voix d'un autre préopinant libéral, il est hors de question que nous changions une virgule à ce projet de loi... Donc, je ne comprends pas très bien la signification de ce renvoi en commission.
Je lisais dans le rapport du PL 8301-A, sous la plume du rapporteur Jornot, qui traitait des indemnisations des personnes détenues: «Le projet de loi 8301 est l'archétype du projet de loi de réaction.» Alors je reprends ces termes et pense que le projet de loi 9799 est effectivement l'archétype du projet de loi de réaction, puisque, le 17 janvier, le Tribunal administratif prenait sa décision et qu'un mois et dix jours plus tard était déposé un projet de loi qui, je me permets de le dire, n'est pas seulement de réaction mais également revanchard !
Je viens d'entendre de la bouche d'une préopinante que le procureur général a été élu et qu'il dispose de tous les pouvoirs... Non ! Non, non, il ne dispose pas de tous les pouvoirs ! Et, précisément, un problème est soulevé par ce projet de loi qui est en contradiction avec l'article 926 du code civil suisse, notamment pour deux mots. Le code civil suisse indique à l'alinéa 2 que le possesseur peut, lorsque la chose lui a été enlevée par la violence ou clandestinement, la reprendre aussitôt en expulsant l'usurpateur... Quant au projet de loi qui nous est soumis, l'arrêt du Tribunal précise: «aussi longtemps que l'occupation illicite se poursuit.»
Les commissaires Verts de la commission judiciaire ne sont pas des juristes, ils ne sont pas des avocats, ils n'ont pas la pratique du droit, mais il y a une chose qu'ils ont comprise, c'est l'article 49 de la Constitution fédérale: le droit fédéral prime sur le droit cantonal qui lui est contraire ! Alors, entre «aussitôt», «immédiatement», «la reprise du bien dont le possesseur a été privé» et «aussi longtemps que l'infraction perdure», j'y vois une contradiction fondamentale.
Nous ne pouvons donc pas accepter ce projet de loi. Et nous ne comprenons pas pourquoi on devrait retourner en commission. Nous n'allons pas nous y opposer, mais nous avons de la peine à comprendre quand on entend un éminent avocat libéral nous dire qu'on n'y changera pas une seule virgule. Je sais bien que je n'ai pas les compétences juridiques du préopinant libéral, néanmoins...
La présidente. Il vous faut conclure !
M. Pierre Losio. Oui, Madame la présidente. Eh bien, je conclurai en disant des choses assez lourdes: nous avons la conviction intime que, par une disposition de droit public cantonal, on ne peut pas passer par-dessus une disposition de droit civil fédéral. Pour nous, c'est absolument incompatible ! Et j'irai même plus loin: si les initiants de ce projet de loi persistaient à ne changer aucune virgule à ce projet de loi, nous les Verts doutons même que le Conseil d'Etat prenne le risque de promulguer une loi qui est fondamentalement contraire au droit supérieur ! Cela dit...
La présidente. Monsieur le député, je suis désolée, mais je dois appliquer le règlement. Chacun dispose de trois minutes, vous les avez dépassées !
M. Pierre Losio. Cela dit, nous accepterons le renvoi...
La présidente. Je dois...
Une voix. En commission ! (Exclamations. Applaudissements.)
La présidente. Je suis désolée, mais votre collègue doit pointer les minutes. Je donne la parole à M. Eric Stauffer.
M. Eric Stauffer (MCG). Vous connaissez notre position sur les occupations illicites des immeubles. Vous connaissez aussi notre position quand, jadis, il a fallu évacuer Rhino - ce qui était une bonne chose, car Genève a encore, à notre goût, trop de zones de non-droit.
Il faut savoir ce que nous voulons ! Vous dites, Mesdames et Messieurs de la gauche, que la gendarmerie et les forces de l'ordre ne doivent pas être sous commande du procureur général, mais uniquement sous celle du conseiller d'Etat: est-ce à dire que vous prônez une justice à visage politique ? Et, selon que le conseiller d'Etat est socialiste ou libéral, la loi ne serait pas appliquée de la même manière pour tout le monde ? Eh bien je crois, Mesdames et Messieurs les députés de gauche, qu'il n'en est rien et que la loi est faite pour le pauvre comme pour le riche, pour le faible comme pour le fort. C'est ce qu'on promet lorsqu'on prête serment, et nous, nous nous y tiendrons.
Je conclurai en disant, Mesdames et Messieurs de la gauche, que vous êtes l'archétype même de l'évolution inversée: vous avez commencé par être des princes, vous finirez par être des crapauds ! (Rires. Commentaires.)
La présidente. Monsieur le député, vous ne pouvez pas tout dire dans ce parlement et je vous remercie de bien vouloir être respectueux à l'égard de vos collègues.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité ad interim. Je vais vous dire deux choses, Monsieur Wasmer. La première, c'est que les dix familles qui étaient sur le trottoir ont toutes été relogées par la Ville de Genève, de gauche, et notamment par une magistrate socialiste. Donc aujourd'hui, ces familles sont toutes relogées. Et ce n'est pas la droite qui les a relogées, ce n'est pas vous ni votre parti: cela a été fait par la Ville de Genève et sa magistrate !
Deuxième chose: l'ASLOCA. Il n'y a pas un seul document - je dis bien: «un seul document» - ou des statuts dans lesquels vous pouvez lire que l'ASLOCA défend les squats en tant que tels. Cela n'existe pas, Monsieur Wasmer, vous dites une contrevérité ! Pour Rhino, en l'occurrence, c'était autre chose. C'était d'ailleurs un squat historique, où les gens étaient là depuis des années. De plus, on défendait des droits, des droits acquis. La différence est de taille, Monsieur ! Mais vous ne voyez pas l'ASLOCA défendre constamment tous les squats. Cela méritait d'être précisé avec véhémence.
Le problème des squats, Mesdames et Messieurs - et Mme Pürro l'a relevé - c'est qu'ils continuent. C'est vrai, Monsieur Wasmer, le squat continue ! Mais attention, le manque de logements aussi ! Et de plus belle ! Plus qu'avant ! Plus qu'il y a dix ans !
Quant au prix des appartements... Je fais partie de la classe populaire et côtoie des citoyens qui ne peuvent trouver que des appartements de quatre pièces à 2600 F ! Ou à 3000 francs ! Par exemple, dans mon immeuble, lorsque des logements à 500 ou 600 F sont occupés par une personne âgée, eh bien, lorsque cette dernière s'en va, le prix de son appartement monte à 1500 F ! Et même plus ! Si l'on y effectue des travaux, cela peut aller jusqu'à 2000 F pour un trois-pièces ! Et ainsi de suite, je pourrais vous en faire des listes et des litanies... Alors comment voulez-vous qu'il n'y ait pas de squats ?
Récemment, la «Tribune de Genève» a publié un article, précisément suite à une interpellation que j'avais déposée ici, relatant qu'un immeuble avait été vide pendant, disons, une année, au seul motif d'effectuer une spéculation à la vente: le Conseil d'Etat a dû intervenir pour dire qu'il n'accepterait pas la vente. Alors, Mesdames et Messieurs les députés, comment pouvez-vous attaquer les squats ?
La présidente. Il vous faut conclure !
M. Alberto Velasco. Avant d'attaquer les squats, il faut d'abord balayer devant sa porte ! Et pour balayer devant sa porte, il faut que tout le monde puisse se loger à un prix adéquat dans ce canton. Ce qui n'est pas le cas, Mesdames et Messieurs ! Arrêtons donc d'attaquer les squats et balayons devant notre porte !
M. Jean-Michel Gros (L), rapporteur de majorité. Madame la présidente, rassurez-vous, je ne vais pas continuer l'histoire des squats, je voulais juste parler de la demande de renvoi en commission.
C'est en effet une décision qui nous paraît plus sage en raison de la refonte totale de l'organisation judiciaire sur le plan fédéral, et nous avons nommé une commission ad hoc pour le faire. Le but est bien d'intégrer ce projet de loi d'une manière ad hoc, c'est le cas de le dire, dans cette nouvelle loi sur l'organisation judiciaire.
M. Losio disait qu'il n'y aurait pas de changements de virgules... Oui, il y aura probablement des changements de virgules ! Oui, il y aura peut-être quelques changements plus profonds en fonction de ce que la législation fédérale exige ! Mais, sur le fond, la majorité de la commission judiciaire considère qu'il faut maintenir le but final, qui a deux objectifs, je le rappelle. Premièrement, les squats sont illégaux et doivent être éradiqués, si j'ose dire, de la république de Genève. Par contre, il existe une pratique consensuelle qui a été établie, je l'ai dit, par le M. le procureur Foëx et M. Claude Haegi, conseiller administratif à l'époque. Et celle-ci, dans toute la mesure du possible, nous souhaitons qu'elle puisse être maintenue notamment dans les graves crises du logement que nous connaissons. Ce qui fait que, oui, il y aura des changements de virgules; oui, il y aura des changements, peut-être de textes, mais le but de ce renvoi en commission est bel et bien d'intégrer ce projet de loi dans les travaux de la commission Justice 2010. C'est pourquoi j'ai demandé le renvoi de ce projet à cette commission. Je vous remercie.
M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le 26 janvier 2006, après des débats homériques, votre Grand Conseil a renvoyé en commission le projet de loi sur les manifestations. Aujourd'hui même, deux ans et six mois après, dans un climat serein, en moins d'une demi-heure, vous avez adopté une législation raisonnable, rationnelle et utile. Je constate aujourd'hui, une année après l'évacuation de Rhino, que certains semblent penser que Rhino n'a pas été évacué... Mais c'est fait ! C'est fait ! Une année après l'évacuation de Rhino, on est encore dans une logique réactionnelle, dans une forme de... ne disons rien de plus, disons dans un débat assez vif, alors que le problème est d'une simplicité totale !
M. Losio l'a rappelé, un propriétaire dispose pour récupérer son bien de plusieurs moyens: de repousser l'usurpateur immédiatement, cas échéant avec l'aide de la force publique; de l'action possessoire pendant quelques semaines; et de l'action au fond, après encore plus de temps. Qu'un législateur cantonal puisse venir donner sa propre définition de l'ordre public, ce n'est tout simplement pas possible ! Qu'il puisse inventer une voie de droit en faveur du propriétaire, qu'elle soit souhaitable ou qu'elle ne le soit pas, ce n'est tout simplement pas possible ! Donc, en toute hypothèse, il faut retourner en commission pour, cas échéant, avoir un projet de loi raisonnable qui puisse aller, cas échéant aussi, dans le sens souhaité par les auteurs du projet, vers un renforcement de la propriété privée. Je ne suis pas sûr que le droit fédéral soit aussi mou que cela, ni qu'il y ait besoin d'aller vers un tel renforcement, mais, à supposer qu'il faille le faire, c'est en respectant les règles de base, les règles de répartition de compétences.
C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, je me réjouis de retourner en commission et pense que, dans deux ans et demi, nous aurons une solution parfaitement acceptable pour tous.
La présidente. Je vous remercie, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons nous prononcer sur le renvoi de ce projet de loi à la commission ad hoc.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9799 à la commission ad hoc Justice 2010 est adopté par 66 oui (unanimité des votants).