Séance du vendredi 22 février 2008 à 20h45
56e législature - 3e année - 5e session - 27e séance

M 1694-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. Christian Brunier, Mathilde Captyn, Alain Etienne, Laurence Fehlmann Rielle, Elisabeth Chatelain, Françoise Schenk-Gottret, Roger Deneys, Sylvia Leuenberger, Catherine Baud, Brigitte Schneider-Bidaux, Carole-Anne Kast, Ariane Wisard-Blum, Anne Mahrer, Esther Alder contre l'excision

Débat

Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, 130 millions de femmes sont touchées dans le monde par les mutilations sexuelles féminines. Chaque année, trois millions de petites filles de 4 à 12 ans sont mutilées. En raison de la migration des Africains, la mutilation des petites filles se pratique désormais aussi en Europe. Certains pays ont déjà légiféré contre ces actes de maltraitance; on peut citer ici la Belgique, la France, le Danemark, la Grande-Bretagne, la Norvège, l'Autriche, la Suède et l'Espagne.

L'UNICEF estime que 7000 petites filles et femmes sont concernées en Suisse. Et selon le fonds des Nations-Unies pour l'enfance, le droit suisse protège insuffisamment les victimes, avérées ou potentielles. Ces mutilations sont pratiquées dans la clandestinité: les petites filles sont soit emmenées à l'étranger, soit opérées par des exciseuses venues exprès en Suisse.

En décembre dernier, la commission judiciaire du Conseil national a décidé de donner suite à une initiative parlementaire en faveur d'une interdiction de toute mutilation génitale des femmes. Ce texte demande notamment des poursuites pénales contre toute personne qui pratique ou incite à la mutilation en Suisse, mais aussi contre toute personne qui favorise des excisions pratiquées à l'étranger. L'introduction d'une telle norme pénale est absolument indispensable pour lutter contre ce fléau, car cette interdiction explicite aura un effet dissuasif mais aussi pédagogique.

Parallèlement à ces changements législatifs importants, il est également essentiel de développer des actions de prévention et une prise en charge adéquate des femmes et des petites filles concernées en Suisse.

Par le biais de ce texte, les motionnaires souhaitent que Genève devienne le canton pionnier en la matière. En effet, il y a encore un immense travail d'information à faire auprès des professionnels de la santé, de l'enseignement, du social, mais également auprès des communautés concernées vivant à Genève.

Si nous nous réjouissons, certes, de la création d'un projet de prévention cantonal et d'une collaboration pluridisciplinaire autour de cette problématique, nous regrettons que ce rapport soit plus le reflet d'une prise de conscience et d'une déclaration d'intention plutôt que l'annonce d'actions volontaristes.

Cependant, éternels optimistes, nous espérons que cette collaboration et, surtout, que la motivation des différentes personnes déjà fortement impliquées contre les mutilations sexuelles féminines soit renforcée et que celles-ci se sentent suffisamment soutenues politiquement et financièrement pour aller de l'avant, et nous espérons aussi que leur engagement débouchera rapidement sur des actions de terrain concrètes !

Ce soir, les Verts prendront acte de ce rapport, mais ils resteront attentifs, pour que les intentions annoncées se concrétisent !

M. Christian Brunier (S). Mesdames et Messieurs les députés, à Genève, cité des droits de l'Homme, on parle souvent de torture. Là, on parle de 130 millions de femmes dans le monde qui ont subi un acte de torture ! On ne peut pas appeler cela autrement: l'excision est un acte de torture ! Aucune tradition, aucune religion ne peut justifier un tel acte qui frappe d'abord le corps des jeunes femmes, mais aussi, bien sûr, leur esprit. Cet acte peut avoir des conséquences dramatiques au niveau psychologique !

Heureusement, aujourd'hui, on a l'impression qu'il y a une sorte de prise de conscience mondiale et des gens de tous bords, y compris des dignitaires religieux, se mobilisent pour lutter contre ce drame horrible. Je suis quelqu'un de profondément laïc qui n'a beaucoup de croyances religieuses; il est néanmoins important que les religieux se mobilisent, notamment musulmans. Dernièrement, il y a eu une prise de position très claire de plusieurs dignitaires musulmans, dont le Grand Mufti d'Egypte qui a expliqué que le prophète n'avait pas excisé ses filles et qu'il ne fallait pas procéder ainsi dans la religion musulmane.

On a parfois l'impression que c'est un mal qui touche plutôt des pays éloignés de la Suisse, néanmoins les chiffres sont désormais là: il y a 10 000 femmes ou jeunes filles potentiellement «à risque» en Suisse. Vraisemblablement, à Genève, cité internationale et multiculturelle, il y a aussi des jeunes filles qui subissent l'excision, soit dans leur pays d'origine, pendant des vacances, ou dans des régions limitrophes. Nous ne pouvons donc pas rester sans rien faire.

Nous avons déposé une motion, qui a reçu un large soutien dont on peut se réjouir. Cette motion insiste sur la solidarité internationale: il faut que Genève, ville internationale, se mobilise pour agir dans les pays qui pratiquent l'excision, mais aussi au niveau local: en faisant de la prévention auprès des jeunes filles qui peuvent subir ce drame; auprès de leurs familles qui, par croyance ou tradition erronée, peuvent être amenées à commettre cet acte. Il faut une information et une formation des professionnels, de la santé et du social, qui, aujourd'hui, reçoivent dans leurs cabinets des jeunes filles qui ont subi des mutilations. Et ici, on n'a pas forcément l'habitude de traiter de tels cas.

Il faut aussi des dispositifs de répression: il faut que les parents qui font subir à leurs filles un tel acte comprennent qu'en Suisse ils risquent d'être jugés car ils violent les lois les plus élémentaires des droits de la Femme.

Suite à cette motion et à un soutien fort, manifesté en commission, le gouvernement a fait un rapport tout à fait complet. Je trouvais qu'il manquait un peu de détermination au niveau de l'écrit, toutefois, dans la pratique, il faut avouer qu'aujourd'hui l'administration se mobilise. Il y a eu encore dernièrement des assises consacrées à l'excision; je crois que des hautes fonctionnaires ont pris ce sujet à bras-le-corps pour essayer de faire travailler les gens en réseau, parce que c'est seulement ainsi qu'on arrivera à résoudre le problème.

Je félicite le gouvernement et j'espère qu'il continuera de s'occuper de ce problème avec tout le sérieux requis, pour qu'un jour cesse l'excision à Genève et en Suisse, bien entendu, mais aussi dans le monde entier !

M. Claude Aubert (L). Madame la présidente, Mesdames les députées, Messieurs les députés, Mme Beatriz de Candolle aurait voulu s'exprimer à ce sujet, malheureusement, elle est absente. Donc, je me permets de résumer très brièvement son propos.

Nous pensons que le thème abordé est d'importance majeure et nous avons pris acte du rapport du Conseil d'Etat avec beaucoup d'intérêt, en admettant que cette situation ne devait pas perdurer dans notre pays. En effet, il y a un énorme afflux de personnes qui vont et viennent, et nous devons être extrêmement attentifs au sujet grave qu'est l'excision. Nous prenons donc acte du rapport du Conseil d'Etat.

Mme Gabrielle Falquet (S). Sur un sujet aussi grave et important, je souhaiterais simplement intervenir à propos du terrain. Je pense qu'il est du devoir du Conseil d'Etat d'agir au niveau de la prévention, dans nos écoles. Le Service de santé de la jeunesse réalise à l'école primaire un énorme travail de prévention, que ce soit par rapport aux agressions sexuelles ou par rapport à la pédophilie, et je pense que le département de l'instruction publique devrait se pencher sur la possibilité d'intégrer, aussi au niveau de l'enseignement, la lutte contre l'excision.

Nous avons dans nos classes une multitude d'enfants, représentant une multitude de nations et une multitude de coutumes: nous respectons cela et nous intégrons ces enfants. Toutefois, il y a des choses que l'on ne peut pas accepter... Nous avons des soupçons, nous sommes confrontés à des enfants qui, à demi-mots, à mots cachés, nous expliquent certaines choses; malheureusement, nous n'avons pas, pour l'instant, une structure à laquelle nous référer. C'est pourquoi je pense que ce problème devrait être pris en compte par l'instruction, à l'école publique, à l'école laïque.

J'espère qu'ensemble nous y arriverons et que le département de l'instruction publique, par l'entremise du Service de santé de la jeunesse, pourra faire quelque chose pour que l'on puisse détecter ces atteintes extrêmement graves, afin que la dignité de nos élèves soit respectée.

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Le groupe démocrate-chrétien prend bien évidemment acte de cette motion et remercie le Conseil d'Etat de s'être mobilisé. Bien sûr que nous avons tous reçu la Feuille d'avis officielle qui montrait à quel point l'Etat de Genève confirmait son engagement dans la lutte contre les mutilations génitales féminines: c'est primordial. Ont été relevées également l'importance de la prévention dans les écoles et l'importance de faire appliquer la loi, puisque c'est du ressort du droit pénal. En effet, il s'agit d'agressions corporelles graves et c'est quelque chose qu'il ne faut jamais tolérer ! Nous avons des outils pour cela, nous devons absolument les employer pour punir, là où nous pouvons intervenir, ceux qui osent instaurer et perpétuer des actes pareils.

Merci, Messieurs du Conseil d'Etat, et je dis bien «Messieurs», parce que vous avez pris conscience que cet acte, qui touche les bébés, les petites filles, les jeunes filles et les femmes, c'est aussi une affaire d'hommes ! Et plus il y aura d'hommes - avec les femmes - à dénoncer que ces pratiques sont intolérables, plus vite pourrons-nous peut-être développer cette conscience à un niveau qui dépasse nos frontières !

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il est vrai que votre motion a été pour le gouvernement un stimulus supplémentaire face à cette vague de fond qui surgit depuis quelques mois, quelques années peut-être, et qui concerne ce drame terrible des mutilations génitales féminines. Et quand je parle d'un drame terrible, si c'est évidemment un drame terrible pour celles qui subissent ces mutilations, ceux qui les commettent se font les auteurs d'un crime terrible !

Il s'agit au fond de déconstruire le mythe qui a prévalu trop longtemps que cet acte pouvait être un symbole religieux ou un symbole culturel. Non, Mesdames et Messieurs, aucune religion n'impose la mutilation génitale féminine ! Aucune culture n'impose la mutilation génitale féminine ! Seules des pulsions criminelles - et purement criminelles - sont à l'origine de ce geste effroyable.

Cela nous a donné l'occasion, aidés, il est vrai, par des femmes de l'administration - comme le député Brunier l'a dit - mais aussi par des femmes des milieux concernés, de nous réunir à plusieurs reprises depuis l'envoi de votre motion. Un premier séminaire a eu lieu aux Hôpitaux universitaires de Genève au mois d'octobre. Puis, plus récemment, dans le cadre du département des institutions, on n'a pas simplement refait le point, mais bien engagé un processus. Et vous avez raison de dire qu'il faut que la vigilance reste permanente en pareille matière !

Ensuite, puisque les choses ne sont pas si faciles dans la déconstruction des mythes, permettez-moi de dire que la justice a pris, elle aussi, la mesure de ce que tout cela représentait. A Zurich, un couple sera vraisemblablement condamné à une peine allant jusqu'à dix ans de prison pour avoir fait subir à ses filles des mutilations génitales. A Genève, le Procureur général a eu un geste extrêmement courageux parce que particulièrement difficile: celui de déclasser une plainte qui avait été classée par son propre parquet, au motif que, non, il n'y a pas de fondements de quelque nature que ce soit qui permettent un geste de cette gravité ! Alors, nous n'avons pas encore eu connaissance des suites de ce déclassement mais, tout de même, c'est courageux de revenir spontanément sur un jugement prononcé en son propre parquet par un procureur général ! Nous devons ici souligner le courage qu'il a eu de le faire, face à ce drame qui mutile chaque année des dizaines et des dizaines de jeunes filles et de jeunes enfants à travers le monde ! Je vous remercie.

Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 1694.