Séance du
vendredi 22 février 2008 à
20h45
56e
législature -
3e
année -
5e
session -
27e
séance
R 549 et objet(s) lié(s)
Débat
La présidente. Vous avez constaté que ces propositions de résolutions sont en catégorie II... (Remarque. Brouhaha.) Monsieur le député Stauffer, s'il vous plaît ! Le temps de parole est donc de cinq minutes par groupe pour les deux résolutions. Je cède la parole à M. Guillaume Barazzone, qui est à l'origine de ces dernières.
M. Guillaume Barazzone (PDC). Je vous remercie de me donner l'occasion de développer ces deux résolutions qui ont été soutenues par à peu près l'ensemble des forces politiques représentées dans ce parlement. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)
Ces deux résolutions content une histoire d'étudiants, des étudiants d'origines étrangères, comme vous et moi, Madame la présidente, et comme la grande majorité d'entre nous, j'imagine. Ils n'ont pas la chance ni d'être Suisses ni d'être Européens: ils sont 8000 étudiants étrangers en Suisse aujourd'hui et, dans la majorité des cas, doivent quitter le territoire helvétique, parce qu'ils en sont expulsés dès l'obtention de leur diplôme !
Ces étudiants que nous avons accueillis se sont formés dans nos universités, dans nos écoles polytechniques fédérales ou autres Hautes écoles, et la Confédération a fait des efforts considérables puisqu'elle a financé leurs études avec l'argent du contribuable - les cantons sont d'ailleurs aussi des grands financeurs en la matière - eh bien, ces gens-là sont expulsés au terme de leurs études ! Les deux résolutions qui vous sont présentées ce soir visent donc à remédier à cette situation regrettable.
Comment voulons-nous procéder ? Eh bien, Madame la présidente, en exerçant, une fois n'est pas coutume, le droit d'initiative du canton de Genève, qui est une prérogative à la fois du Conseil d'Etat et du Grand Conseil. Nous vous proposons d'adresser, par voie de résolution, un message à l'Assemblée fédérale, qui devra alors légiférer en la matière.
Légiférer pour faire quoi, dans le fond ? Nous proposons deux choses: la première, c'est que l'Assemblée fédérale abroge l'article 27, al. 1, let. d, de la loi fédérale sur les étrangers, selon lequel tout étudiant étranger non ressortissant de l'Union européenne qui veut venir faire des études en Suisse doit promettre qu'il quittera notre territoire dès l'obtention de son diplôme. De notre point de vue - et aussi de celui des milieux économiques et universitaires de tous bords - ceci est une aberration totale !
En plus de l'abrogation proposée, nous demandons que l'Assemblée fédérale se penche sur la question de manière beaucoup plus précise et présente une nouvelle disposition de la loi fédérale sur les étrangers qui vient d'entrer en vigueur - la LEtr - en introduisant un nouveau permis qui donnerait aux diplômés étrangers non ressortissants de l'Union européenne le droit de rester en Suisse, de pouvoir rechercher un emploi et de travailler, de participer à un programme de recherche ou encore de créer une entreprise.
Parce qu'aujourd'hui, Madame la présidente, quand un étudiant termine ses études, le problème est le suivant: il est diplômé, il n'a plus le statut d'étudiant qui lui permettait de rester en Suisse jusque là et il n'a pas encore obtenu le permis B via le contingentement. Il y a donc une sorte de lacune juridique entre les deux situations. Cette lacune fait que les personnes qui se trouvent dans cette situation sont expulsées, alors même qu'elles ont parfois obtenu un contrat de travail ! On trouvera forcément des cas particuliers, des exceptions, des personnes qui parviendront tout de même à obtenir un contrat de travail, mais, malheureusement, dans la grande majorité des cas, ces gens doivent quitter le territoire.
Alors, dans le fond, soutenir cette résolution, c'est relayer politiquement la position des recteurs des universités suisses et des présidents des écoles polytechniques fédérales; c'est donner un contenu politique à leur revendication; c'est également prendre en compte que la compétition pour la recherche de talents ne se joue plus au niveau national ou européen seulement, mais bien au niveau mondial. Et il en va ainsi tant pour la compétitivité économique qu'académique.
Ainsi, on reconnaîtrait également l'apport culturel que représente la venue de gens de divers continents. Cela permettrait aussi de mettre fin à une inégalité de traitement entre les cadres qualifiés qui viennent de différents continents et qui sont donc hors de l'Union européenne, cadres que la loi que nous avons votée au niveau fédéral permet de faire venir en Suisse depuis l'autre bout du monde, alors même que la loi empêche que des diplômés formés en Suisse, qui parlent notre langue et sont bien intégrés, puissent rester, même dans les cas où ils ont obtenu un contrat de travail ! C'est aberrant !
Avant de céder la parole aux différents intervenants, je souhaiterais revenir sur un argument qui, à mon avis, se fonde sur une crainte justifiée, mais qui doit être dissipée. En créant des conditions-cadres pour retenir ces talents, on se dit que le dommage collatéral qui en résulte est le pillage des cerveaux d'Afrique ou des pays du Sud. Cette crainte est légitime, mais elle n'est pas fondée, et pour les raisons suivantes: quand une personne formée en Suisse a décidé de ne pas rentrer dans son pays d'origine, cette personne restera en Occident; elle ira dans un autre pays d'Europe ou aux Etats-Unis, dans un pays qui lui offrira des conditions-cadres plus favorables. On ne peut pas forcer quelqu'un à rentrer chez lui et on ne pas l'empêcher de ne pas retourner chez lui ! Nous pensons qu'il s'agit d'ailleurs d'instaurer de véritables politiques de développement, pour créer des conditions-cadres favorables dans les pays d'origine des migrants plutôt que d'essayer de régler les questions par une politique plus ou moins restrictive en matière d'immigration. Je rappellerai encore que la plupart des personnes qui travaillent ici participent au développement des pays du Sud, puisque la diaspora qui travaille en Occident finance très souvent, en grande partie, la vie des familles restées au pays.
Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'une quarantaine de députés ont signé ces deux résolutions. J'espère que nous serons davantage à l'approuver ce soir et je préciserai enfin qu'il ne s'agit pas ici de pinailler pour savoir si les invites correspondent exactement à ce que tous les députés souhaiteraient, mais bien de donner un signal politique fort, provenant d'un canton universitaire.
J'ajouterai encore qu'une telle démarche est en cours actuellement dans le canton de Vaud et qu'une motion signée par l'ensemble, ou presque, des conseillers nationaux de tous les partis genevois représentés à Berne a été déposée par le conseiller national Luc Barthassat. Elle sera traitée en mars et elle demande exactement la même chose que ces deux résolutions qui viennent donc un peu en retard par rapport à l'ordre du jour du Conseil national. Toutefois, il est important qu'en tant que canton universitaire nous donnions un signal clair au Conseil fédéral qui, pour l'instant, n'a pas entendu les desiderata des diverses instances académiques et économiques de ce pays.
M. Patrick Saudan (R). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe radical est relativement favorable à cette résolution ainsi qu'à la suivante. Néanmoins, il reste lucide sur les réalités dans lesquelles s'inscrivent ces deux résolutions.
Alors, quelles sont ces réalités ? La première réalité, c'est celle de nations occidentales qui ont un système universitaire très performant, très compétitif et, comme l'a rappelé justement mon estimé collègue Guillaume Barazzone, qui sont en compétition pour accueillir les étudiants étrangers les plus performants qui ne proviennent pas de l'Espace économique européen ou des nations favorisées. Ça, c'est la première réalité !
La deuxième, c'est celle de nations vieillissantes, avec une démographie déclinante et qui, dans beaucoup de secteurs économiques, techniques et sociaux manquent de jeunes cerveaux pour faire tourner leurs sociétés. Alors, il ne faut pas jouer aux tartuffes, les statistiques sont accablantes... Considérez les statistiques de l'OIM, Organisation internationale pour les migrations: l'Afrique avait besoin en 2004 d'un million de scientifiques; elle n'en disposait que de 20 000 ! Il y a plus de médecins ghanéens dans la banlieue de Liverpool qu'au Ghana ! Il y a plus de médecins béninois en Ile-de-France qu'au Bénin ! Et si vous prenez le cas de la Suisse, un article dans «Le Temps» d'il y a deux jours relevait le manque d'informaticiens... Par ailleurs, vous n'avez qu'à vous promener dans les hôpitaux de ce pays et vous constaterez que 40% des internes et des chefs de clinique sont d'origine étrangère.
Nous sommes d'accord avec le paragraphe 5 de l'exposé des motifs. Il est vrai que ce n'est pas une politique d'immigration sélective qui va régler ce problème et qui va empêcher les jeunes cerveaux des pays du Sud de rester dans les pays occidentaux où ils étudient, c'est plutôt une politique de partenariat. Et je profite de mon temps de parole pour rendre hommage à la Faculté de médecine de Genève: vous êtes peu nombreux à le savoir, mais cela fait trente ans qu'un partenariat existe avec l'Université de Yaoundé au Cameroun; il s'agit d'un partenariat sérieux, encadré, et qui se traduit par un taux de retour au pays des médecins camerounais qui est supérieur à 95%.
Une voix. Bravo !
M. Patrick Saudan. Il faut quand même être clair - je ne dis pas qu'il faut être cynique - mais ces résolutions s'inscrivent dans une perspective d'immigration sélective qui se fait au détriment des pays du Sud qui vont y perdre leurs élites. Il est vrai que la Suisse n'a pas le choix, si elle veut lutter à armes égales avec les autres pays occidentaux pour maintenir un système universitaire performant qui a besoin de ces jeunes élites. C'est vrai qu'un système qui leur permettrait de travailler rendrait notre système universitaire plus compétitif. Toutefois, ces résolutions nécessitent une étude plus approfondie pour savoir vraiment quelles en sont les implications. C'est pour cela que le groupe radical vous propose le renvoi de ces résolutions à la commission de l'enseignement supérieur.
M. Christophe Berdat (L). Mesdames et Messieurs les députés, disons-le d'emblée, et peut-être même osons de grands mots: la résolution qui nous est proposée ce soir est importante, parce qu'elle l'est pour le marché du travail et qu'elle l'est pour le développement de notre économie. Et plusieurs points militent en définitive pour son soutien.
Vous savez que, actuellement, plusieurs étudiants - et même très nombreux - qui sont inscrits dans nos universités et dans nos HES proviennent non pas des pays de l'Union européenne, non pas des pays de l'Association européenne de libre-échange, mais des autres pays du monde. Ces étudiants sont donc très nombreux et, après l'obtention de leurs diplômes, ils ne peuvent obtenir de permis de travail, même si la Suisse - et Genève en particulier - a financé tout ou partie de leurs études. Notre pays se prive ainsi de compétences et, donc, de cerveaux, même s'il a énormément investi pour leurs formations ! Vous le savez, le canton de Genève se trouve fréquemment confronté à ce genre de situations, puisqu'il possède sur son sol une université et des Hautes écoles spécialisées qui sont parmi les meilleures du monde.
A ce constat, Mesdames et Messieurs les députés, il faut ajouter un fait important: l'économie suisse et l'économie genevoise en particulier pâtissent actuellement d'un manque de personnel qualifié dans certains secteurs d'activité qui sont pourtant en expansion. Cela, du fait de l'évolution technologique, de la tertiarisation de l'économie et, évidemment, du vieillissement de notre population. C'est le cas de certains métiers des technologies de l'information, par exemple - de l'informatique en particulier - mais aussi de la finance, de l'assurance, de l'ingénierie industrielle ou même de la santé.
L'adaptation de notre système de formation est sans doute la solution pour répondre de manière efficace et sans doute pérenne à ces besoins, mais cette adaptation demande évidemment du temps, pendant lequel il faut faire autre chose. Et dans certains secteurs de pointe, comme l'informatique, comme la biotechnologie, des campagnes de recrutement ont été autorisées dans des pays étrangers, vous le savez ! On cherche des spécimens rares en Europe, mais également dans les pays émergents: en Chine, voire en Inde.
Toutefois, vous en conviendrez avec moi, l'information ne fait pas tout ! Il faut constater, Mesdames et Messieurs les députés, que le statut des étudiants qui sont formés par notre université et par nos HES est souvent tel qu'il empêche une véritable intégration des étudiants durant leurs études et qu'il entraîne le départ de ces spécialistes dès qu'ils sont diplômés. Seuls ceux qui ont comme perspective d'avoir une activité lucrative qui pourrait être d'un intérêt scientifique prépondérant, seuls ceux-ci peuvent aujourd'hui résider plus de six mois en Suisse après l'obtention de leur diplôme. Et six mois, Mesdames et Messieurs les députés, c'est beaucoup trop peu !
La situation est particulièrement illogique aujourd'hui, en ce qui concerne les étudiants doctorants ou en master. Ceux-ci séjournent trois ou quatre années, voire davantage, dans notre université, en étant parfois même rémunérés comme assistants. Ils bénéficient de revenus qui leur permettent même parfois de fonder une famille. Ils ont même l'âge pour pouvoir l'envisager, néanmoins, ils ne sont généralement pas au bénéfice d'une autorisation de séjour de type B, qui admettrait évidemment le regroupement familial.
N'oublions pas non plus, Mesdames et Messieurs les députés, que la formation d'un jeune chercheur en Suisse et à Genève coûte au budget près de 500 000 francs à 1 million de francs, selon que le candidat a effectué tout ou partie de sa formation dans notre canton. La Suisse consent donc un effort financier considérable pour former des universitaires, des scientifiques, mais elle les soumet à un statut qui ne vise malheureusement ni à les intégrer, ni à les retenir ! Il faut que cela change !
Mesdames et Messieurs les députés, la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd'hui est essentielle, pour notre économie et pour notre canton, je l'ai dit. Elle est loin, évidemment, d'être un acte parlementaire isolé, M. Barazzone l'a rappelé tout à l'heure. Ma collègue, Mme Hagmann, a rappelé que le parlement vaudois était particulièrement rapide, qu'il avait épuisé son ordre du jour rapidement. Il est vrai aussi que certains députés vaudois, dont des membres du groupe libéral, ont à plusieurs reprises saisis les instances de Mme Anne-Catherine Lyon, conseillère d'Etat, pour changer cela. Ils ont également proposé que le canton de Vaud saisisse son droit d'initiative auprès de la Berne fédérale pour faire changer cela. Et comme l'a dit également M. Barazzone, les membres des chambres fédérales sont conscients de ce problème...
La présidente. Monsieur le député, il vous faut conclure !
M. Christophe Berdat. Je vais conclure, Madame la présidente ! Le groupe libéral estime que s'il est réjouissant de constater que nos Hautes écoles contribuent à la formation de jeunes qui retourneront sans doute dans leurs pays avec un bagage académique, il est important de constater que ces mêmes diplômés devraient aussi pouvoir compléter leur formation au sein d'entreprises suisses afin d'acquérir des compétences en dehors du milieu académique. Ils n'en seront que plus performants de retour dans leur pays ! C'est la raison pour laquelle le groupe libéral vous demande de soutenir pleinement ces deux propositions de résolutions. (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le député. Je vous rappelle que nous traitons ensemble les points 38 et 39 et que vous disposez de cinq minutes de temps de parole par groupe. Je passe la parole à Mme Catherine Baud, pour le groupe des Verts.
Mme Catherine Baud (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, vous savez que les Verts ont toujours lutté contre la loi fédérale sur les étrangers et ses dispositions discriminatoires. Malheureusement, les craintes ont prévalu. La méfiance a prévalu et l'a emporté: les étrangers non ressortissants de l'Union européenne sont toujours personae non gratae en Suisse, et cela quel que soit leur niveau de formation.
Alors, ces propositions de résolutions visent à instaurer un petit peu plus de souplesse et à permettre à ces jeunes de rester en Suisse s'ils le souhaitent, et ça c'est une bonne chose. Mais il est vrai que, lorsque ce texte nous a été proposé, nous ne l'avons pas signé, parce que nous avons trouvé qu'en fait ces propositions s'appliquaient exclusivement à des diplômés universitaires de haut niveau et qu'il y avait aussi d'autres personnes qui pouvaient avoir effectué leur formation en Suisse et pouvaient mériter d'y rester. C'est cela qui justifie notre petit mouvement d'humeur, dirai-je, sur ce projet de résolution.
Cela dit, il s'agit quand même de revenir à du bon sens et de considérer que cette proposition doit être rediscutée au niveau fédéral; elle doit faire l'objet d'un examen attentif parce qu'il faut absolument revenir sur ces dispositions qui ne sont pas acceptables dans un pays comme la Suisse, qui a une tradition universitaire importante.
Donc, les Verts vont soutenir ces propositions, bien sûr, mais par un petit oui, parce que nous aimerions que les autres étrangers puissent aussi être acceptés en Suisse avec les mêmes possibilités de réussite. Cela dit, ce petit oui, nous allons le formuler, mais nous ne soutiendrons en tout cas pas un renvoi à la commission de l'enseignement supérieur. Il n'aurait pas de sens puisqu'il s'agit ici d'une proposition pour une discussion au niveau fédéral, et ça ne concerne pas le canton de Genève qui n'a pas à s'immiscer dans la discussion sur la Loi sur les étrangers. Il s'agit d'une décision qui doit être discutée au niveau des Chambres fédérales !
M. Gilbert Catelain (UDC). Comme vous le savez, la Suisse et Genève en particulier consentent à des efforts très importants pour former des étudiants suisses qui, finalement, émigrent et travaillent aux Etats-Unis. Il serait de bon ton de prévoir une résolution qui permette finalement à ces étudiants et chercheurs suisses d'exercer dans leur pays !
Quand je vois que cette motion provient du PDC, alors que le PDC à Berne a plébiscité la loi sur les étrangers, je me pose une ou deux questions ! Je m'en pose davantage encore quand ce même PDC milite pour l'aide au développement, d'une main, et, de l'autre main, vise à piller et à détruire tout ce qui est fait via l'aide au développement ! Pour étayer ce discours, je vais vous lire quelques citations. Le 9 janvier 2004, dans un article publié dans le journal «Le Monde», le président d'un pays africain disait ceci: «De nombreuses déclarations ont été prononcées sur le transfert de cerveaux des pays en voie de développement vers les pays développés. Mais à vrai dire, rien n'a été fait en dehors de pures incantations, pour ne pas dire de conjurations, sans aucune efficacité. Les pays en voie de développement, soit par des dépenses directes, soit par l'aide internationale, forment depuis des décennies des cadres qui, malheureusement, à la fin de leurs études et de leur formation, sont absorbés par l'économie des pays développés. Ce détournement des cerveaux n'a pas seulement un coût financier, mais il crée un vide dans le plan d'utilisation des ressources humaines des pays en voie de développement.»
En somme, la proposition qui nous est faite ce soir est celle d'un pillage généralisé de la première richesse des pays pauvres, leur matière grise, sous l'impulsion des Etats-Unis ! Pillage auquel participe aujourd'hui l'Europe, et la Suisse en particulier ! Les pays du Maghreb sont particulièrement touchés par cette problématique et le ministre de la justice du Maroc disait ceci: «L'émigration des compétences se traduit par une perte préjudiciable au développement économique et social du Maroc à court et à moyen terme. En effet, le nombre d'informaticiens et de cadres de haut niveau qui quittent le pays devient inquiétant.» Je rappellerai encore le plan de santé de l'OMS, Organisation mondiale de la santé, qui a fixé comme objectif d'arriver à faire en sorte qu'il y ait un médecin pour 5000 habitants au moins, alors que dans les pays les plus touchés par l'épidémie de sida on en est à un médecin pour 25 000 habitants !
L'UDC ne rejette pas en bloc cette résolution...
Une voix. Non, puisqu'elle l'a signée !
M. Gilbert Catelain. ...Pas forcément parce que l'un ou l'autre de ses membres l'a signée...
Une autre voix. Non, non ! (Rires.)
M. Gilbert Catelain. ...mais parce qu'elle introduit un droit absolu ! A savoir que, par le simple fait que vous avez eu la possibilité en tant que ressortissant étranger - sans payer de taxe universitaire, mais grâce aux subventions de l'Etat de Genève - de bénéficier d'une formation universitaire, vous pouvez accéder automatiquement à un marché de l'emploi, même si ce dernier n'affiche aucun besoin et qu'il introduit de facto un droit à rechercher un emploi.
Nous avons parlé pendant des heures du chômage, du chômage des jeunes dans notre canton... Aujourd'hui, dans nos sociétés, toute une catégorie de la population n'a pas accès aux études universitaires, du simple fait qu'elle n'a pas les ressources financières pour y accéder.
La proposition de résolution que vous nous soumettez favorisera une catégorie de personnes venant de l'étranger, leur permettant d'accéder à un marché de l'emploi automatiquement, du simple fait que vous aurez financé leurs études ! C'est inacceptable ! Nous pouvons soutenir une résolution qui vise à accorder, selon les besoins de notre économie, au cas par cas, un accès au marché du travail, mais en tout cas pas un accès généralisé à une recherche d'emploi !
Finalement, je vous donnerai encore un exemple: la France a fait exactement la même démarche, il y a quelques années; en l'espace de trois ans, le nombre d'étudiants étrangers dans les universités françaises a quadruplé !
Pour tous ces motifs, nous ne renverrons pas ces propositions de résolutions au Conseil d'Etat, mais nous soutiendrons leur renvoi en commission pour les amender.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Mesdames et Messieurs les députés, plusieurs députés socialistes ont signé ces deux résolutions; d'autres étaient plus réticents, pour certaines raisons qui ont déjà été évoquées et que je vous expliquerai.
J'aimerais simplement préciser que si nous soutenons ces résolutions, le but des signataires n'est en tout cas pas d'aboutir à un système d'immigration sélective, comme cela a été évoqué tout à l'heure, puisque, vous le savez, les socialistes soutiennent également les sans-papiers qui ont un travail en Suisse et qui méritent aussi de pouvoir y rester. Pour nous, c'est un autre problème. (Bruit. Eclats de voix à proximité de la salle du Grand Conseil.) Finalement, c'est une autre partie d'un tout et nous estimons qu'il ne s'agit pas seulement de soutenir l'élite, mais nous avons besoin de forces vives à tous les échelons de la société. (Nouveaux éclats de voix.)
La présidente. Il faut qu'on demande...
Mme Laurence Fehlmann Rielle. Pour en revenir à cette résolution, ce qui chiffonne effectivement certains socialistes, mais qui ne nous empêchera pas quand même de soutenir cette résolution et de la renvoyer au Conseil d'Etat, c'est justement cette question du risque de piller de leurs cerveaux les pays du Sud. Je relève le chapitre V de l'exposé des motifs de la résolution 549 où il est écrit: «A notre sens, la problématique de la fuite des cerveaux des pays du Sud ne peut pas se régler par le biais de la politique d'immigration [...]»... (Eclats de voix et cris près de la tribune du public. L'oratrice s'interrompt. Plaintes. Bruit.)
Une voix. Au secours ! Au secours ! Au secours !
Mme Laurence Fehlmann Rielle. Que se passe-t-il ? (La présidente agite la cloche. Quelques instants s'écoulent. Le bruit s'estompe.)
La présidente. Vous pouvez continuer, Madame la députée !
Mme Laurence Fehlmann Rielle. Bien, je vais poursuivre: «[...] mais par des programmes d'aide au développement dignes de ce nom, prenant véritablement en compte les besoins des pays du Sud.» C'est bien là, à mon avis, que souvent le bât blesse et nous espérons que les députés signataires de cette motion, notamment les promoteurs, les PDC, se rappelleront cela et s'engageront aussi de manière déterminée quand il s'agira de continuer à soutenir les programmes de coopération avec les pays du Sud.
Je vous rappelle que le canton de Genève a voté une loi qui établit que nous devons investir 0,7% de notre budget dans des programmes de coopération. Je vous signale qu'actuellement nous en sommes à peine à 0,2% ! Cette loi n'est donc absolument pas appliquée ! Il y a une motion socialiste qui en parle - et qui est toujours renvoyée aux calendes grecques - et nous souhaiterions vraiment qu'elle soit aussi soutenue, de façon à avoir une certaine cohérence avec ce que nous allons voter ce soir ! A ce sujet-là, ça me fait doucement sourire, quand j'entends l'UDC qui commence à nous parler du pillage des cerveaux des pays du Sud... Parce que les UDC sont aussi les premiers à vouloir diminuer les budgets de la coopération internationale et des services qui s'en occupent ! Alors, un tout petit de cohérence !
Nous renverrons donc ces résolutions au Conseil d'Etat, mais nous souhaitons aussi que vous soyez plus cohérents en d'autres occasions et que vous vous souveniez aussi de ce qu'il y a moyen et nécessité de s'engager concrètement, et au-delà de simples paroles ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. Pierre Kunz, pour le groupe radical - il vous reste deux minutes trente.
M. Pierre Kunz (R). En complément de ce qu'a dit mon collègue Patrick Saudan, je crois qu'il est bon de rappeler ici que ce sont les contribuables genevois qui paient intégralement les études des étudiants étrangers qui suivent leur formation à Genève, à l'Université de Genève en particulier. Il s'agit, Mesdames et Messieurs, d'une dépense de 15 000 à 45 000 francs par année et par étudiant, selon le type de faculté. Ce qui correspond à un montant entre 50 et 80 millions de francs annuellement !
Pour bien montrer l'absurdité de la situation dans laquelle nous vivons actuellement, je souligne que pour les étudiants provenant des autres cantons suisses, le canton de Genève est indemnisé à raison des montants que je viens de vous indiquer: 15 à 50 000 F par étudiant et par année ! Par qui ?! Tout simplement par les cantons d'origine de ces étudiants !
Eh bien, Mesdames et Messieurs, au lieu - au moins ! - de pouvoir conserver au profit de notre collectivité les compétences acquises par ces étudiants, à nos frais, dans notre université - parce que c'est de cela qu'il s'agit, Monsieur Catelain - que sommes-nous forcés de faire ?! Eh bien, à cause d'une loi fédérale d'un autre âge, nous sommes obligés de les faire, pour la plupart d'entre eux, quitter le pays !
Certains remarqueront qu'il serait contraire aux intérêts des pays en voie de développement que de faciliter la domiciliation en Suisse de ces étudiants et nouveaux diplômés... Mais, Mesdames et Messieurs, c'est le problème de ces pays, ce n'est pas le nôtre ! C'est le problème des pays d'origine de ces étudiants, pays qui, je le dis avec clarté, au lieu d'acheter des canons avec l'argent dont ils disposent, feraient mieux de contribuer financièrement à la formation de leurs ressortissants dans notre université et d'exiger en contrepartie que ces gens-là, contractuellement, retournent dans leur pays une fois leur formation achevée.
M. Claude Jeanneret (MCG). Voilà un projet qui est quand même ambigu ! D'une part, il apparaît comme souhaitable d'offrir une formation adéquate à des jeunes compétents ou intelligents qui viennent de pays n'ayant pas les moyens de les former pour qu'ils puissent ensuite, éventuellement, aussi aider leur pays à leur retour, et puis, paradoxalement, on se dit qu'on investit beaucoup pour former ces jeunes, que ce serait quand même dommage de perdre l'investissement et qu'il faut donc les garder ici... Entre ces deux arguments, il me semble qu'il y a peut-être une réflexion à mener.
C'est pour cela que, en l'état un peu brut de cette proposition, il est difficile de choisir. Avant d'aller plus loin, je crois qu'il serait souhaitable - et c'est l'avis du MCG - qu'on renvoie cette proposition à la commission de l'enseignement supérieur, de manière qu'elle soit étudiée plus sereinement et qu'on envisage tous les domaines, y compris celui de logement. On ne loge plus personne à Genève, on n'a pas assez de logements à fournir à ceux qui veulent venir travailler chez nous et on doit les loger en France voisine... Et on voudrait maintenant laisser les étudiants s'installer à Genève, alors qu'on n'a pas les moyens de leur offrir l'hospitalité !
Il y a donc quelque chose de paradoxal dans cette proposition et il me semble qu'on devrait l'étudier d'une manière plus globale, disons moins limitée, pour avoir une vue d'ensemble. Ce pourrait être quelque chose de nouveau chez nous, mais ce serait quand même intéressant.
C'est pourquoi, Madame la présidente, nous allons demander le renvoi de ce projet à la commission de l'enseignement supérieur.
La présidente. Très bien, Monsieur le député, mais je vous rappelle qu'il est question de deux résolutions. Demandez-vous le renvoi des deux propositions de résolutions 549 et 550 à la commission de l'enseignement supérieur, comme cela a déjà été proposé tout à l'heure ? (M. Claude Jeanneret acquiesce.) On est bien d'accord. Nous procéderons au vote tout à l'heure. Je passe la parole à M. Guillaume Barazzone, à qui il reste deux minutes quarante-cinq.
M. Guillaume Barazzone (PDC). S'agissant de la proposition de renvoi en commission, je crois qu'il faut s'y opposer, dans la mesure où l'instrument utilisé est une initiative cantonale qui s'adresse à l'Assemblée fédérale. Par définition, on demande à l'Assemblée fédérale de travailler et ce n'est donc pas au parlement d'effectuer cette gâche. C'est un geste politique: on donne une intention et c'est à l'Assemblée fédérale de la transformer en motion ou en proposition concrète, voire au Conseil fédéral de proposer un projet de loi, si les Chambres fédérales devaient acquiescer à nos demandes.
S'agissant de la question qui est soulevée par les partis de gauche, ceux-ci disent dans le fond qu'il y a un petit bémol et qu'il faudrait que cette proposition concerne d'autres étrangers que ceux qui sont visés par la résolution, à tort ou à raison. Moi j'étais de ceux qui étaient contre la loi sur les étrangers, mais je dois vous dire que, malheureusement, la marge de manoeuvre est mince, dans la mesure où le peuple a adopté la nouvelle loi sur les étrangers, dont l'esprit est clairement de dire qu'on veut une immigration qualifiée en premier lieu, intégrée, plutôt qu'une immigration «totale». C'est pour cela que la marge de manoeuvre reste mince. Mais elle permet tout de même de trouver une solution, s'agissant de cette catégorie-là d'immigrés.
Maintenant, en ce qui concerne la question soulevée par certains députés sur la loi existante, la loi sur les étrangers mentionne, à l'article 30, l'octroi d'un permis lorsqu'il y a un intérêt scientifique prépondérant. Les milieux universitaires ont dénoncé la formulation de cet article, dans la mesure où elle est très restrictive. Elle reste très ambiguë et, comme l'a rappelé mon collègue Berdat, ces dispositions ne permettent que l'octroi d'un permis pour une période beaucoup trop courte, c'est-à-dire pour une période de six mois.
Enfin, l'UDC accuse tout d'un coup le PDC de vouloir créer des chômeurs à Genève et de piller les pays du Sud de leurs cerveaux... Allons, soyons sérieux ! Cette préoccupation est légitime, nous vous l'avons dit, et la question du pillage des pays du Sud se pose ! Toutefois, ce n'est en tout cas pas en refusant la résolution que nous allons régler ce problème. Comme l'a rappelé Mme Fehlmann Rielle, c'est en mettant en place des politiques de développement novatrices et importantes, telles que celles qui sont préconisées par la Direction du développement et de la coopération, et que le PDC soutient, contrairement à l'UDC au niveau fédéral ! C'est en faisant des efforts particuliers dans les cantons, c'est en soutenant le professeur à la retraite qui s'occupe, en médecine, de conclure des accords entre l'Université de Genève et l'Université de Yaoundé, au Cameroun. C'est par toutes ces actions que nous parviendrons à faire en sorte qu'il y ait moins de médecins burundais dans la banlieue de Liverpool qu'au Burundi !
S'agissant de la proposition de M. Catelain, je l'invite à aller boire un café avec son collègue André Reymond, conseiller national UDC, qui a soutenu la motion de M. Luc Barthassat, qui reprend exactement les termes de la proposition présentée ce soir ! Il faut que vous vous mettiez d'accord entre vous, à l'UDC, parce que je crois qu'il y a déjà à ce niveau des avis contradictoires: ça va dans tous les sens !
En tout cas, nous, nous sommes clairs ! Nous défendons une politique de développement au niveau fédéral et ce n'est pas pour autant que nous voulons nous priver des gens qu'on a formés ici. C'est clair, c'est limpide, tandis que vous, vous êtes embrouillés ! Franchement, pour un sujet aussi complexe et aussi délicat...
La présidente. Monsieur le député, il vous faut conclure !
M. Guillaume Barazzone. ...je pense que vous auriez pu vous abstenir de lancer des accusations un peu faciles et qui ne mènent à aucune solution concrète !
M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat a eu l'occasion d'examiner ces résolutions. Il vous demande de bien vouloir les renvoyer à la commission de l'enseignement supérieur. Visiblement, un certain nombre d'informations gagneraient à être diffusées. Elles concernent des pratiques dans le cadre des lois existantes et qui seront également permises avec l'adoption de l'article 47 de l'ordonnance fédérale.
J'aimerais aussi attirer votre attention sur certaines situations, toutes récentes, qui ont fait l'objet de demandes et pour lesquelles les réponses méritent quelques nuances. Lors de sa dernière séance, la commission tripartite qui accorde, comme vous le savez, des permis aux personnes ressortissantes de pays non membres de l'Union européenne, a été amenée à examiner trois cas d'étudiants ayant achevé leurs études en Suisse et titulaires de diplômes de l'Université de Genève, pour lesquels un certain nombre d'autorisations de travail ont été accordées.
D'autres demandes ont toutefois été rejetées pour des raisons qui me paraissent devoir être étudiées en commission. Lorsqu'un ressortissant marocain au bénéfice d'une bourse de son pays, diplômé de la faculté de sciences de l'Université de Genève en biologie demande un permis de travail en qualité de serveur pour un salaire de 3400 F par mois, cela pose un certain nombre de problèmes que la commission tripartite se doit d'examiner ! Lors de son avant-dernière séance, le Conseil d'Etat a dû se prononcer sur un recours concernant une titulaire bulgare d'une maîtrise en études européennes auprès de l'Institut européen de l'Université de Genève. Ayant achevé ses études, elle avait accepté un poste de secrétaire-réceptionniste-archiviste à 2300 F par mois pour un poste à mi-temps. De tels cas posent d'autres problèmes qu'il faut parfois pouvoir nuancer.
J'aimerais enfin que les services de l'OCIRT puissent vous indiquer quelle est la procédure utilisée. Lors de ces mêmes séances, d'autres diplômés obtiennent des permis, comme par exemple cette ressortissante croate titulaire d'un diplôme de l'Université de Zurich qui a été engagée, en qualité de scientifique cette fois, par une grosse entreprise de pharmacie genevoise pour un salaire parfaitement conforme aux usages de la branche, puisque son salaire d'entrée était de 7500 F par mois.
Je crois qu'il faut pouvoir être capable de nuancer, sur la base de ces trois exemples traités lors des dernières séances de commissions. Les problématiques sont plus complexes que des préjugés peuvent le laisser penser. Le Conseil d'Etat souhaite que vous puissiez examiner l'entier de la situation en commission de l'enseignement supérieur, auprès de laquelle il vous demande de renvoyer ces deux résolutions.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 549 à la commission de l'enseignement supérieur est adopté par 37 oui contre 29 non.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 550 à la commission de l'enseignement supérieur est adopté par 32 oui contre 29 non.