Séance du
jeudi 21 février 2008 à
17h
56e
législature -
3e
année -
5e
session -
23e
séance
PL 10030-A
Premier débat
Mme Christiane Favre (L), rapporteuse de majorité. La situation financière des familles qui se retrouvent, suite à un divorce, brutalement privées d'un salaire, quelquefois le seul et souvent le plus important...
La présidente. Pardonnez-moi, Madame la rapporteure, il y a trop de bruit ! Merci à tous de faire silence, et que ceux qui ont des discussions probablement très intéressantes aillent les poursuivre ailleurs ! Je vous cède la parole dans un plus grand silence, Madame la rapporteure !
Mme Christiane Favre. Merci, Madame la présidente ! Je croyais avoir une voix forte, qui recouvrait le brouhaha, mais ce n'était pas le cas !
Je vous expliquais que la situation financière des familles qui se retrouvent, suite à un divorce, brutalement privées d'un salaire, quelquefois le seul et souvent le plus important, est très difficile, nous en sommes tous conscients. Le législateur a prévu de leur venir en aide de deux manières différentes: d'une part, avec l'aide sociale, que tout un chacun peut solliciter quand il se trouve dans une situation financière difficile et, d'autre part, avec les prestations du SCARPA, soit le versement d'avances sur les pensions alimentaires non versées par l'ex-conjoint, et l'aide au recouvrement de ces pensions.
L'aide sociale est accordée tant qu'il existe une nécessité, mais l'Etat ne peut pas indéfiniment se substituer à qui n'assume plus ses charges de famille; de plus, la récente modification de la LARPA a fixé des limites aux prestations du SCARPA, limites acceptées, je vous le rappelle, par ce Grand Conseil quasi unanime en juin 2006.
Si le service d'aide au recouvrement n'est pas limité dans le temps et agit tant que les pensions n'ont pas été recouvrées, le versement d'avances sur les pensions alimentaires doit lui être vu comme une prestation temporaire, qui permet aux familles de se retourner, le temps de percevoir leurs pensions alimentaires ou, le cas échéant, de faire face à une nouvelle situation, soit pour le conjoint restant en charge de la famille de retrouver du travail ou d'augmenter son taux d'activité. Le temps nécessaire à ces adaptations ou à ces changements d'habitudes de vie a été évalué par le législateur à trois ans, quatre si la famille compte au moins un enfant en âge préscolaire.
Toutes les familles concernées par cette modification de loi ont bénéficié de ces trois ou quatre ans, et certaines ont même pu profiter des six mois supplémentaires octroyés par le département entre la date d'entrée en vigueur de la loi et celle de sa mise en oeuvre. Une information préalable et personnelle envoyée à toutes les familles concernées dès l'acceptation de la loi par ce Grand Conseil a permis par ailleurs de porter le temps de réaction des familles arrivées en fin de droit à une année pleine.
Enfin, durant ce laps de temps, le département a mis sur pied des séances d'information, afin que les cas relevant de l'aide sociale puissent bénéficier rapidement des prestations de l'Hospice général. Septante-six familles, ou plus exactement chefs de famille, ont répondu à cette invitation du département et ont pu bénéficier d'informations et, le cas échéant, de prestations sociales.
Par conséquent, accorder à 600 familles, tous revenus confondus - comme le demande ce projet de loi, et pour de surprenantes raisons d'équité - jusqu'à trois ou quatre ans supplémentaires, en faisant redémarrer leur droit de recevoir des avances au jour d'entrée en vigueur de la loi, soit au 1er janvier 2007, serait non seulement injustifié, mais créerait une injustice encore plus grande pour toutes les autres familles, qui ne bénéficient d'avances du SCARPA que depuis lors.
Pour ces motifs, et en vertu des explications contenues dans le rapport de majorité, la commission des affaires sociales vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre ses conclusions et de rejeter ce projet de loi.
La présidente. Madame Fehlmann Rielle, vous demandez dans votre rapport de minorité le renvoi en commission. Alors, si vous êtes d'accord, je mettrai d'abord aux voix le renvoi en commission avant de faire voter la prise en considération.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S), rapporteuse de minorité. Tout à fait, Madame la présidente ! Je crois qu'il faut être clair ! Notre propos serait de pouvoir examiner ce projet en commission.
Comme vous le savez, l'objet de ce texte est simple: il s'agit d'accorder à toutes les bénéficiaires du SCARPA un délai de trente-six mois à partir de l'application de la nouvelle loi. Il est donc question de remettre les compteurs à zéro, pour que tout le monde soit sur pied d'égalité, à partir du moment où les personnes concernées ont su que les avances sur les pensions alimentaires allaient être limitées dans le temps.
Je vous rappelle aussi que le projet de loi avait été adopté très rapidement; le département l'avait justifié par la surcharge du SCARPA, par la nécessité de faire des économies, et également par le fait que le SCARPA n'était pas un service social. Or, si l'on peut admettre les problèmes d'organisation qu'a connus le SCARPA et le fait que ce n'est effectivement pas un service social, on doit aussi se souvenir que de l'autre côté de la barrière se trouvent des centaines de familles qui dépendent de ces avances sur les pensions alimentaires et que, à ce niveau-là, il s'agit de faire une pesée d'intérêts.
Il est indispensable que les femmes concernées puissent disposer d'un délai un peu plus confortable pour pouvoir se retourner, notamment s'organiser par rapport à une formation en cours ou pour trouver un nouveau logement - et vous savez qu'à Genève ce n'est pas chose facile !
Le département avait reconnu - je crois que cela a été également dit par la rapporteure de majorité - qu'il y a environ 650 familles concernées par les conséquences de la modification législative, et cela confirme tout à fait la légitimité de nos préoccupations. A notre sens, il n'est en effet pas normal que des familles se retrouvent à l'aide sociale parce qu'elles sont victimes d'une défaillance, généralement du père, qui ne veut pas ou ne peut pas assumer ses responsabilités.
Les socialistes ont reconnu qu'ils avaient voté un peu hâtivement ce projet de loi, notamment en ce qui concerne les délais variables selon les cas, et nous estimons qu'il n'y a pas de honte à reconnaître s'être trompé. Par contre, une fois qu'on a constaté une erreur, il serait éminemment critiquable de persister, surtout quand la situation de familles monoparentales est en jeu. Il importait donc de pouvoir corriger cela, au moins au niveau des délais.
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé ce projet de loi, qui a malheureusement été balayé à la suite d'une discussion très sommaire, sans que les commissaires aient accepté d'entendre les représentantes des familles monoparentales, qui ont entre-temps recueilli un certain nombre de témoignages de familles concernées. Je crois du reste savoir qu'elles sont en train de mener une enquête pour voir ce qu'il en est des personnes touchées. Tous ces éléments auraient donc été extrêmement intéressants et éclairants pour la commission, mais cela a malheureusement été refusé, raison pour laquelle nous demandons que ce projet retourne en commission.
M. Christian Bavarel (Ve). En préambule, le groupe des Verts tient à dire que la situation des familles monoparentales dans notre canton est visiblement très difficile, et qu'il va certainement falloir que nous légiférions pour trouver des solutions à ces situations particulières, qui ont pour conséquence qu'il y a une personne de moins pour organiser la vie familiale et différentes choses de ce genre.
Néanmoins, cela n'est pas lié à la question de savoir si un homme de mon propre sexe, comme dirait Woody Allen, assume ses responsabilités ou pas. Aujourd'hui, le SCARPA agit dans des situations de familles monoparentales, lorsque les hommes sont des salopards et ne paient pas ce qu'ils devraient. En revanche, si l'on se trouve dans une situation de même revenu, de même précarité, mais que l'homme assume ses responsabilités, le SCARPA n'intervient pas du tout. Il était donc clair, lorsque nous avions voté la loi sur le SCARPA, que ce dernier doit accomplir la tâche qui est la sienne, à savoir du recouvrement.
Je rappelle en outre que le fait de ne pas payer ses pensions alimentaires est pénal. Les gens croient qu'il s'agit simplement d'une dette, mais ce n'est pas vrai, c'est un détournement de biens saisis, et c'est grave ! Il convient donc aussi que la justice intervienne et condamne ces personnes, et que le SCARPA continue à faire son travail de recouvrement. Mais on ne se trouve pas dans la problématique de l'aide sociale.
Aujourd'hui, les délais sont passés, la loi est en application, et nous refuserons donc le renvoi en commission. Cela dit, nous invitons les socialistes et d'autres groupes à se pencher sur cette problématique particulière des familles monoparentales, mais avec un système social qui englobe tout le monde et qui donne une réponse à cette situation particulière de la famille monoparentale, qui est spécialement fragilisée dans notre société. Et laissons le SCARPA faire son travail de recouvrement, tel que nous l'avons prévu dans la loi ! Pour nous, les deux débats sont séparés, et c'est la raison pour laquelle nous vous invitons à refuser ce projet de loi.
Mme Virginie Keller Lopez (S). Dois-je m'exprimer uniquement sur le renvoi en commission ?
La présidente. Non, j'ai proposé tout à l'heure à la rapporteure de minorité, puisqu'elle a fait dans son rapport une demande de renvoi en commission, qu'on vote cette dernière avant l'entrée en matière. Nous sommes donc dans le débat et vous disposez de sept minutes.
Mme Virginie Keller Lopez. D'accord, je vous remercie, Madame la présidente !
Je suis heureuse d'apprendre que le point de vue des Verts a quelque peu changé depuis le débat en commission, puisqu'ils avaient alors une position beaucoup plus fermée, qui consistait à dire que, finalement, après trois ans d'aide, les familles monoparentales devaient se débrouiller et qu'il en allait de la responsabilité de chacun de s'en sortir dans la vie. On entend aujourd'hui les Verts proposer de légiférer en la matière et de trouver de nouvelles solutions, nous en prenons donc acte et nous réjouissons de commencer à travailler sur ce sujet.
Voici quelques chiffres, Mesdames et Messieurs les députés, que vous avez d'ailleurs déjà reçus par e-mail il y a quelques semaines: la dernière étude de Caritas, qui date de novembre 2007, confirme qu'il y a en Suisse environ 160 000 familles monoparentales. Sur ces 160 000 familles, une sur quatre est considérée comme pauvre, et une pension alimentaire sur cinq n'est pas payée. Vous imaginez donc le nombre de familles monoparentales qui se retrouvent en grande difficulté sur le territoire helvétique.
Le grand argument avancé par tous les partis en commission, devant la proposition socialiste, consistait à dire que le SCARPA n'est pas une aide sociale, qu'on accorde un soutien pendant un certain temps, mais qu'ensuite les familles doivent se débrouiller. Certes ! La loi sur les pensions alimentaires est effectivement cantonale et non fédérale, et dans chaque canton les familles monoparentales ont un traitement différent. Dans certains cantons, les avances sont illimitées, dans d'autres, un plafond maximal est fixé, ou encore des aides d'autres types sont instaurées. On voit donc toutes sortes de systèmes se mettre en place.
Mesdames et Messieurs, il existe une différence injuste entre un enfant - et c'est un cas grave et douloureux - dont un parent est décédé, et un autre, dont le père ou la mère a abandonné le domicile conjugal. En effet, pour le premier il existe une loi fédérale, qui assure une égalité de traitement pour tous les enfants en Suisse, à savoir que ces derniers touchent une rente d'orphelin jusqu'à la fin de leurs études. Eh oui, dans ce cas-là, l'Etat entre en matière et accepte d'aider la femme ou l'homme qui reste seul avec ses enfants. En revanche, que se passe-t-il pour un enfant abandonné par l'un de ses parents ? Dans ce cas de figure, les partis de notre parlement ont décidé qu'il n'y avait pas d'aide à apporter. Pour quelle raison, je vous le demande ! Je n'ai pas compris pourquoi, Mesdames et Messieurs, et je me réjouis de vous entendre sur ce sujet.
Il existe donc une grande inégalité entre des enfants qui souffrent du décès d'un parent et d'autres qui sont abandonnés.
Par ailleurs, nous regrettons évidemment le vote en commission, puisque nous déplorons le fait que des familles n'aient même pas eu le temps minimal, prôné du reste par M. François Longchamp lui-même, de trois ans pour pouvoir se retourner. Bien sûr, ces familles-là avaient déjà disposé de trois ans auparavant, mais elles ne savaient pas qu'elles allaient perdre cet argent, et il est tout à fait différent de le savoir et d'essayer de s'en sortir, ou de l'apprendre et d'avoir six, huit mois ou une année à peine pour se retourner.
Mesdames et Messieurs, vous connaissez la situation économique du travail à Genève, ainsi que celle du logement. Quand on dit à ces femmes - parce que la plupart du temps, à 95%, ce sont des femmes - qu'elles n'ont qu'à trouver un logement moins cher ou augmenter leur temps de travail, c'est une réponse un peu difficile à entendre pour ces femmes et ces enfants.
Par ailleurs, certains cantons proposent d'autres solutions. Aujourd'hui, comme l'a très bien dit Mme Emery-Torracinta tout à l'heure, les avancées sociales et le progrès dans ce domaine sont une question de volonté politique. Nous pouvons tout à fait décider, nous, canton de Genève, d'apporter une aide à long terme à des familles qui sont - tout le monde le reconnaît, de même que toutes les études sur la pauvreté - les plus démunies de notre société. C'est donc une question de volonté ! Et cette volonté-là, notre parlement ne l'a pas aujourd'hui, il le montre en ne souhaitant pas adopter le projet de loi proposé par les socialistes, qui améliore un tout petit peu la loi que l'on a votée l'année passée, mais insuffisamment.
Pour cette raison, Mesdames et Messieurs, nous ferons, nous l'espérons avec les Verts, et peut-être avec d'autres partis, une proposition, peut-être pas dans le cadre de ce parlement, mais plutôt sous la forme d'une initiative populaire. En effet, le congrès socialiste a voté à l'unanimité, il y a une semaine je crois, de pouvoir faire des propositions d'aide aux familles monoparentales dans le canton de Genève, qui soit un soutien à long terme, qui assume finalement ce qu'aujourd'hui vous refusez d'endosser.
Nous regrettons que vous refusiez ce renvoi en commission, car nous estimons qu'il vaudrait la peine d'étudier à nouveau ce texte, même s'il est vrai que la loi est déjà entrée en vigueur et que c'est peut-être un peu tard aujourd'hui. Toutefois, le parti socialiste pense qu'il y a malgré cela beaucoup de suggestions à faire dans ce domaine, pour intégrer les familles monoparentales dans une architecture de propositions: des allocations familiales, ainsi qu'une politique familiale novatrice et qui constitue une aide réelle. Parce que ce sont quand même les familles qui souffrent le plus aujourd'hui dans notre canton !
Mme Patricia Läser (R). Je ne vais pas répéter ce qu'a très bien expliqué la rapporteure de majorité, mais j'aimerais simplement insister sur le fait que le département de la solidarité et de l'emploi a tenu les engagements qu'il avait pris lors du vote sur le projet de loi modifiant la LARPA en juin 2006. Ces engagements étaient de ne laisser aucune personne en retrait, pour autant qu'elle en fasse la demande. Si, malgré les courriers et les séances d'explication, certaines se sont retrouvées sur le bord de la route, ce n'est en tout cas pas de la faute de l'Etat.
Nous avons tous voulu en juin 2006 redonner au SCARPA la possibilité de travailler sereinement et surtout efficacement, il n'est dès lors pas admissible de revenir aujourd'hui sur une décision prise à la quasi-unanimité de ce parlement. Par conséquent, le parti radical refusera l'entrée en matière sur ce projet de loi.
M. Olivier Wasmer (UDC). Il est clair que le problème du recouvrement des pensions alimentaires est véritable, d'autant qu'il y a de plus en plus de divorces et de séparations. Le SCARPA, institué par la loi sur l'avance et le recouvrement des pensions alimentaires, avait prévu à l'époque d'accorder des avances ad aeternam mais, malheureusement, le système s'est très vite bloqué. En effet, le SCARPA n'arrivait plus à suivre et, surtout, les finances de l'Etat ne permettent hélas plus aujourd'hui de faire des avances à des familles monoparentales, séparées, ou à des mères de famille qui ont plusieurs enfants. C'est simplement devenu impossible ! Vous connaissez les finances de l'Etat, et ce dernier n'en a plus les moyens.
C'est ainsi que le législateur a décidé en 2006, il y a deux ans, de limiter ces avances sur les pensions alimentaires à trente-six mois, et non plus de les accorder ad aeternam comme c'était le cas auparavant. A la suite de cela, l'UDC reconnaît qu'il y a effectivement un problème, nous en sommes parfaitement conscients, mais nous n'approuverons malheureusement pas ce projet de loi, tout simplement parce qu'il y a un mélange des genres.
Aujourd'hui, le service de recouvrement des pensions alimentaires est un organisme qui, faut-il le rappeler, agit sur mandat des crédits rentiers par voie de poursuite, par voie pénale, pour récupérer les pensions alimentaires. Il est donc clair que ce service n'est pas l'assistance publique. De plus, comme l'a dit tout à l'heure la rapporteure de majorité, lorsque le département, s'inquiétant du fait qu'il pouvait y avoir 600 familles dans le besoin, a envoyé des courriers en juin 2006, il n'a reçu qu'environ 80 réponses de ces familles. Cela ne signifie pas que ces dernières n'existent pas, mais il faut croire que ce besoin n'est pas aussi important qu'on veut bien le décrire aujourd'hui.
De toutes les manières, ce n'est pas au service de recouvrement des pensions alimentaires d'accorder des avances de trois ans supplémentaires par rapport au délai qui était fixé initialement, puisqu'effectivement les familles qui sont dans le besoin peuvent aujourd'hui recourir à l'Hospice général, comme la loi le leur permet.
Pour tous ces motifs, même si la question du recouvrement des pensions alimentaires est un véritable problème, qui est d'ailleurs endémique, puisque vous savez qu'il y a de plus en plus de divorces, celui-ci n'est malheureusement pas du ressort du SCARPA et de la LARPA; il devrait être examiné dans le cadre de l'assistance publique, et l'UDC vous demande donc de rejeter ce projet de loi.
M. Eric Stauffer (MCG). Le groupe MCG va lui aussi s'opposer à ce projet de loi, mais pas tout à fait pour les mêmes motifs.
Il est vrai que nous avons modifié cette loi il n'y a pas si longtemps, afin de limiter dans le temps les avances faites sur les pensions alimentaires. Au MCG, nous avons estimé que ce délai était suffisant pour régler certaines situations. Il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas là pour légiférer sur des cas précis, mais bien pour faire des lois dans leur globalité, qui s'appliquent au plus grand nombre. Et là, nous avons un problème d'évaluation par rapport à cela. En effet, certains pères - ou mères - ne respectent pas leurs engagements, ce qui est dramatique et tout à fait incorrect. Un grand nombre d'entre eux sont en revanche respectueux, mais les circonstances de la vie font qu'ils ne peuvent plus assumer le montant de la pension alimentaire qu'ils ont été astreints à payer lors de leur jugement de divorce. Cela peut constituer un réel problème, parce que l'engorgement des tribunaux genevois est tel que la révision d'un jugement de divorce peut prendre entre huit mois, pour les plus chanceux, et plus de deux ans, quand il est contesté par l'ex-conjoint. Cela pose donc problème, car le SCARPA continuait à accorder des avances sur les pensions alimentaires, et les pères ou mères qui étaient dans la situation de ne pas pouvoir payer se retrouvaient avec des procédures pénales, ce qui évidemment n'améliorait pas leur quotidien, ni celui des enfants, puisque s'il y a pension, il y a enfants.
Pour toutes ces raisons, nous, MCG, estimons que le temps durant lequel ces avances sont octroyées est largement suffisant pour régler les problèmes, mais nous vous demandons à brûle-pourpoint comment faire pour trouver une solution permettant de décharger les tribunaux de la révision des montants des pensions alimentaires, lors de ce genre de procédures de divorce.
Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Pour le groupe démocrate-chrétien, il s'agit d'un problème qu'on ne peut pas nier, il a été évoqué, et les familles monoparentales sont dans ces cas-là les premières exposées. Nous avions déposé en mai 2007 une interpellation urgente écrite pour faire part de notre inquiétude quant à certaines familles qui allaient se trouver en grande difficulté, et nous avons obtenu des réponses du Conseil d'Etat.
Pour les familles qui sont dans des situations très difficiles, il existe l'aide sociale. D'autres, en situation de moyenne difficulté, connaissent de vraies galères. Mais nous ne devons pas confondre la problématique des familles monoparentales, qui sont effectivement dans certains cas dans une très grave situation, et l'histoire du SCARPA, qui doit se substituer à des hommes qui ne paient pas.
Madame Keller Lopez, je suis désolée de vous le dire, la différence entre un orphelin et un enfant dont le père devrait verser une pension, c'est que l'un des deux a un père qui est un salaud, et je ne suis pas d'accord que l'Etat se substitue et finalement allège la responsabilité de ce type d'hommes. La justice doit faire son travail, ne pas les lâcher, et leur prendre l'argent là où ils l'ont, c'est-à-dire généralement sur leur salaire ou sur leurs indemnités de chômage, mais je ne suis pas d'accord que l'Etat allège la vie de ces hommes ! Pour cette raison, le parti démocrate-chrétien ne peut pas soutenir cette loi, parce qu'elle ne correspond pas à la préoccupation que nous avons tous, à savoir d'aider les personnes qui se trouvent dans une vraie situation de précarité. Là, nous parlons des hommes qui ne remplissent pas leur rôle de père.
Une voix. Bravo !
La présidente. Je passe la parole à Mme Keller Lopez.
Mme Virginie Keller Lopez (S). Merci, Madame la présidente, cela me permettra de répondre à Mme von Arx.
Je suis tout à fait d'accord avec vous, Madame von Arx, qu'il n'est pas normal que les pères - ou les mères, mais elles sont très rares - ne paient pas la pension alimentaire, mais ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi vous voulez punir les enfants dans cette histoire. Pourquoi ce sont les enfants... (Protestations.)
Toute la problématique des familles monoparentales - dont traitent les associations qui défendent ces familles en Suisse - les rapports le relèvent, c'est la question de la pauvreté des enfants qui vivent dans ces dernières. Ce n'est pas la question... (L'oratrice est interpellée.) Bien sûr qu'il faut poursuivre les pères, on est tous d'accord ! Le SCARPA fait un travail qu'il convient de reconnaître, et il faudra d'ailleurs certainement augmenter ses moyens - ce sera le deuxième point de mon intervention - mais on parle ici du droit des enfants à vivre dignement.
Un enfant n'a pas à être privé de vacances, de cours d'appui ou de bien manger, parce que son père l'a abandonné. C'est tout ! C'est aussi «basique» que cela ! Si on y veille au niveau fédéral pour les enfants qui ont perdu un de leurs deux parents, cela nous semble la moindre... (Commentaires.) Et de nombreux autres cantons le font ! Nous n'étions pas une exception à Genève ! De nombreux cantons accordent des avances illimitées. C'est vrai qu'elles sont plafonnées, et je pense que c'est normal qu'elles le soient, car ceux qui touchent des salaires élevés n'ont pas besoin de recevoir cet argent, mais nous, nous parlons surtout des familles qui n'émargent pas à l'aide sociale, parce que celles-ci ont été repérées par les services de M. Longchamp, et je pense qu'elles sont prises en charge, et correctement.
L'association des familles monoparentales s'inquiète surtout pour les familles qui ont des revenus compris entre 3500 et 4000 F par mois, avec deux enfants à charge, qui sont juste au-dessus du fameux seuil de pauvreté - dont on sait qu'il est très bas ici - et qui, tout d'un coup, perdent 600 F par enfant de revenus par mois. C'est énorme pour une famille ! Ce sont toutes ces petites choses en plus qu'on pourrait mettre dans l'éducation qu'on enlève à ces enfants ! Or ce ne sont pas eux qui doivent être punis, Madame von Arx, de l'absence des pères.
D'autre part, j'ai l'impression qu'il y a un grand mélange dans ce qui a été dit ce soir, et j'aimerais donc vous dire que le SCARPA doit continuer à traiter ses dossiers, il n'a par conséquent pas moins de travail, la loi n'a rien changé au volume du travail que doit continuer à accomplir le SCARPA. Au contraire, il ne fait qu'augmenter, et d'ailleurs M. Longchamp nous avait donné tous les tableaux et nous avait même dit que, en 2001, le SCARPA comptait 17 collaborateurs alors que, en 2005, il y en avait déjà 27,7. Il nous a donné lui-même ces chiffres ! On voit bien que, concernant la question du recouvrement - d'autant plus si on arrête de recouvrer les pensions alimentaires - il faudra des moyens supplémentaires pour poursuivre les pères et avoir une chance qu'ils paient ! En effet, si on laisse en plus tomber le recouvrement, alors on aura vraiment complètement abandonné les personnes dans le besoin.
Par conséquent, tout le travail du SCARPA, qui consiste à suivre les dossiers, à tracer ces pères, à essayer de recouvrer les pensions alimentaires, continue à augmenter, parce que, chaque année, il y a des cas supplémentaires - je pense que M. Longchamp le confirmera tout à l'heure - chaque année, le nombre de divorces, comme vous le savez, augmente, de même que le nombre de pensions non payées. Le SCARPA continue donc de toute façon à faire son travail. La seule chose qui a changé avec la loi, c'est que, simplement, on arrête de verser l'argent.
L'Etat, on le sait, nous a fait peur avec son plan P1, il y a trois ans, en nous disant qu'il fallait absolument qu'on arrête de verser cet argent, parce qu'il était en faillite; alors quand je vois que, le 12 janvier dernier, M. Longchamp déclare dans «La Tribune de Genève» qu'il se rallie à des baisses d'impôt, je me demande si notre Etat est vraiment en faillite, et si ce sont vraiment les enfants et les familles qui doivent payer les pots cassés ! Je m'étonne qu'on veuille aujourd'hui baisser les impôts, alors que des personnes ne reçoivent plus les aides versées par l'Etat. (Applaudissements.)
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S), rapporteuse de minorité. Je ne peux que confirmer les craintes de Mme Keller Lopez et serais vraiment intéressée d'entendre le département concernant le point sur le SCARPA. En effet, je doute que son travail se soit allégé, même si des économies sont faites, puisqu'on limite le recouvrement des pensions alimentaires.
Ce que je regrette dans ce débat, c'est qu'on ait voulu régler une difficulté administrative sans penser au problème social que cela soulève, ni au fait que nous étions finalement en train de rejeter vers l'assistance sociale ou publique des familles monoparentales qui ne sont pas dans cette catégorie et qui se trouvent, on l'a dit, parmi les personnes les plus pauvres, comme les statistiques le montrent.
Je regrette également énormément que le Grand Conseil soit sourd à ce genre de revendications, même par rapport à l'objectif assez modeste de ce projet de loi, à savoir qu'on aurait au moins pu offrir à toutes les femmes la possibilité d'avoir un délai de trois ans - même si, pour certaines, le délai était un peu plus long - afin que celles à qui il ne restait plus que six mois ou une année puissent aussi bénéficier de ces trois ans pour se retourner.
Je vous engage par conséquent à y réfléchir encore et demande l'appel nominal. (Appuyé.)
M. François Longchamp, conseiller d'Etat. Pendant des années, le SCARPA a été un modèle du genre dans la façon dont il a réussi à régler un certain nombre de problèmes, pour essayer de recouvrer des pensions alimentaires de pères généralement - ou parfois de mères - qui venaient à défaillir. Pendant des années, ce service, qui a été voulu par l'Etat de Genève et votre parlement, a rempli sa mission avec talent et efficacité, pour le bienfait de l'équilibre social et des familles, monoparentales notamment, qui se trouvaient dans des situations difficiles, dues à des ruptures, parfois brutales, et des départs parfois rapides de pères ou de mères qui abandonnaient leurs enfants et n'étaient pas en mesure de payer des pensions alimentaires, ou refusaient de le faire.
Il y a sept ans maintenant, ce parlement a voté une modification de la mission du SCARPA. Cette modification, qui partait certainement d'un bon sentiment, visait à offrir des prestations sociales par l'intermédiaire de ce service. Il était jusque-là un organisme de recouvrement et d'assistance juridique pour les familles de personnes divorcées. Or cette nouvelle mission, qui n'était donc pas dans la nature de l'activité du SCARPA, a engendré des effets inattendus, qui ont mené ce service au bord de l'implosion.
Quand j'ai repris la responsabilité de ce département, la première des priorités politiques que j'ai dû établir a été de vous proposer un projet de loi. Je ne l'ai pas fait de gaieté de coeur, Madame Keller Lopez, mais parce que le SCARPA n'était simplement plus en mesure d'accomplir sa tâche. Je ne pouvais plus moi-même prendre la responsabilité politique d'assurer la mission originelle du SCARPA. Je suis venu devant vous, au nom du Conseil d'Etat, avec mon collègue Charles Beer, qui partageait mon avis, comme vous le savez. Ce dernier avait la responsabilité du SCARPA et il me l'a transférée en parfaite connaissance de cause et en me disant clairement quelle était la situation de ce service, à savoir une situation extrêmement préjudiciable. Je suis venu vous expliquer en commission parlementaire, sur la base d'un projet de loi déposé par le Conseil d'Etat, les tenants et aboutissants de l'affaire. Nous avons procédé à un certain nombre d'auditions larges - les familles monoparentales, l'Hospice général, le service lui-même - nous avons analysé les raisons pour lesquelles des pensions étaient payées ou non et examiné les problématiques de divorces binationaux ou de familles qui se trouvent à l'étranger. Nous avons également étudié des situations où l'on ne pouvait pas attendre que des sommes découlant de jugements suisses soient versées à des gens qui étaient retournés dans leur pays d'origine et qui, manifestement, lorsqu'ils étaient redevenus espagnols, algériens ou italiens, ne pouvaient plus prétendre à des paiements de pensions alimentaires fixées selon des barèmes suisses, malgré leur bonne volonté. Mille exemples vous ont été donnés, ainsi que de nombreuses informations.
Sur cette base, le parlement unanime a trouvé un accord. Toutes les forces politiques se sont ralliées à l'idée qu'il fallait mettre fin à ce système, car il avait des effets inattendus. Cela était dû au fait d'accorder, sans limite de revenus et de temps, à quiconque le demandait au motif qu'il y avait un jugement exécutoire, le paiement par l'Etat de pensions alimentaires. Cela a amené un certain nombre de dérives, que personne ici ne soutient et auxquelles il a bien fallu mettre un terme. Nous en étions arrivés, à l'apogée de ce système, jusqu'à des divorces fictifs et des accords entre avocats, passés sur le dos de l'Etat. Des gens se sont même laissé condamner sciemment à des pensions alimentaires qu'ils savaient ne pas être en mesure de payer.
Nous avons mis fin à ce système sur la base d'un accord politique. J'aimerais rendre ici hommage à votre ancienne présidente Mme Marie-Françoise de Tassigny, qui a été un élément déterminant pour arriver à cet accord, avec un appui du Conseil d'Etat que, très humblement, je me permets quand même de souligner. Le parti socialiste, les Verts, le PDC, les radicaux, les libéraux, l'UDC et le MCG ont admis que ce système était à bout de course, indéfendable et que le SCARPA était en train de couler.
Mesdames et Messieurs, vous avez voté ce projet de loi en parfaite connaissance de cause, y compris les délais qui faisaient partie - et c'était un point important - de l'accord politique entre les différents groupes. Cet accord a été scrupuleusement appliqué et tenu, comme cela a été souligné par des députés, et je les en remercie. Nous avons tenu tous les délais et organisé toutes les séances d'information qui étaient nécessaires. En outre, un assistant social de l'Hospice général a été présent en permanence, à disposition de tous les cas qui se sont présentés. C'était précisément son rôle.
Le SCARPA a pris des mesures. Six cents dossiers sont sortis de ce service sur la base de cette loi. Six cents ! Sur ces 600 dossiers, 37 pouvaient bénéficier des prestations de l'Hospice général et ont été pris en charge par ce dernier. Cent soixante et un d'entre eux y étaient déjà et y sont donc restés. Les autres n'ont pas fait l'objet d'une demande, alors même que l'information avait été donnée, car les personnes concernées savaient qu'elles étaient au-delà de ces barèmes d'assistance. Certaines personnes étaient largement à l'abri du besoin parmi les cas qui ont été cités. Nous vous avons donné des exemples.
Cela a permis au SCARPA, avec l'appui de l'Hospice général - et je tiens à remercier les collaborateurs de ces deux services - de sortir enfin, depuis le 1er juillet de l'année dernière, la tête de l'eau. Ses collaborateurs, qui travaillaient dans des conditions, y compris immobilières, intenables, ont pu reprendre le contrôle de la situation. Aucun de ces collaborateurs n'a démérité. S'ils avaient perdu le contrôle de la situation, ce n'était pas leur faute, mais bien celle du système juridique que nous leur avions demandé d'appliquer.
Or, quelques jours, quelques semaines plus tard, après cette année de délai dont vous étiez tous convenus, après que cet accord a été passé, après que chacun a reçu toutes les informations nécessaires, j'ai appris qu'un mouvement politique comptait revenir sur cet accord, en indiquant qu'il ne l'avait pas compris. Après cinq séances de commission parlementaire, après des auditions multiples, après les informations qui avaient été données, je ne vois pas quelles indications supplémentaires j'aurais pu fournir - d'ailleurs personne ne m'en a réclamé - ni ce que nous aurions pu faire de différent.
Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande donc de refuser ce projet de loi, qui revient sur un accord politique et qui remettra, si nous l'acceptons, le SCARPA dans une situation intenable. Je vous rappelle que nous avons réglé la situation des familles les plus délicates et qu'aucune ne mange pas à sa faim suite à ce changement de mesures. L'Hospice général y veille, j'y veille également personnellement. Il n'y a donc aucune raison de revenir sur cet accord. Il est même malhonnête de prétendre le contraire.
Je vous invite par conséquent à refuser ce projet de loi et à vous en tenir à la décision certes difficile, mais courageuse et nécessaire, que vous avez prise il y a un an. (Applaudissements.)
La présidente. Nous allons d'abord voter sur le renvoi de ce projet de loi en commission, tel qu'il a été demandé dans le rapport de minorité.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 10030 à la commission des affaires sociales est rejeté par 71 non contre 15 oui et 1 abstention.
Mis aux voix à l'appel nominal, le projet de loi 10030 est rejeté en premier débat par 70 non contre 15 oui et 2 abstentions.