Séance du
vendredi 30 novembre 2007 à
17h
56e
législature -
3e
année -
2e
session -
9e
séance
PL 10106-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
M. Olivier Jornot (L), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, à vrai dire, on n'avait pas beaucoup entendu parler de mendicité au cours des dernières années. Sans remonter à 1946, date à laquelle le Conseil d'Etat a adopté son règlement sur la mendicité, je crois pouvoir dire qu'au cours de la dernière décennie on se contentait des quelques récriminations de riverains ou de commerçants se plaignant de temps en temps de pseudo-musiciens de rue et on écoutait à ce moment-là les réponses du Conseil d'Etat qui rappelait que, lorsqu'un musicien de rue se livrait en réalité à la mendicité, cette activité tombait sous le coup du règlement. Le Conseil d'Etat l'a rappelé pour la dernière fois en mars 2007. Vous voyez que c'est plutôt récent.
Et puis, soudain, à la fin du printemps 2007, grand changement de «paradigme» - comme on aime à dire aujourd'hui - puisque tout d'un coup le département des institutions décrète que le règlement sur la mendicité est suspendu: la police se voit interdire d'agir et des amendes sont même remboursées ! On nous explique tout cela par le fait qu'en adoptant la nouvelle loi pénale genevoise en 2006 le Grand Conseil aurait abrogé un article qui fondait la base de ce règlement, alors que, comme le Conseil d'Etat le disait lui-même à l'appui de cette nouvelle loi pénale genevoise, le règlement sur la mendicité est fondé directement sur l'article 125 de la constitution genevoise.
On peut toutefois rassurer celles et ceux dans ce parlement qui auraient pu culpabiliser et se dire qu'ils avaient commis une erreur: ils n'ont pas commis d'erreur ! C'est bel et bien l'article 125 de la constitution qui fonde le règlement sur la mendicité, comme il en fonde d'autres, d'ailleurs: le règlement sur la tranquillité et l'exercice des libertés publiques - notre règlement sur les manifestations en quelque sorte - ou encore le règlement sur la propreté, la salubrité et la sécurité publique, qui fonde la plupart des interventions des forces de l'ordre dans le domaine dit des incivilités.
Bref, il n'y avait en réalité aucun problème juridique; il s'agissait en fait d'un problème purement politique. On aurait pu nous le dire, cela aurait été plus clair ! Ce problème politique, c'est le suivant: est-ce que, pour faire face au phénomène de la mendicité - le phénomène actuel, pas la mendicité du XIXe siècle - on veut recourir, peut-être parmi d'autres instruments, à l'interdiction de nature pénale ? Eh bien, c'est ce que pensent les auteurs des différents projets de lois qui ont été déposés sur ce sujet ! Chronologiquement, un projet de loi libéral, puis un projet de loi UDC.
En commission judiciaire, ces projets de lois ont été travaillés, des auditions ont été menées, et c'est finalement le projet UDC qui a servi de base de travail. C'est un projet qui allait plus loin dans d'autres domaines, puisqu'il traitait également des incivilités et d'un certain nombre de questions qui sont aujourd'hui résolues par le règlement sur la propreté et la salubrité, précisément. La commission a élagué ces questions et s'est concentrée sur la mendicité, et c'est donc le résultat que vous avez aujourd'hui: une norme pénale qui reprend l'interdiction pénale de la mendicité qui figure dans le règlement du Conseil d'Etat qui, mis à part le fait qu'il a été suspendu, est toujours là et toujours en vigueur, le Conseil d'Etat ne l'ayant pas abrogé.
Cet article est flanqué d'une deuxième disposition, issue d'un autre projet de loi libéral. Cette disposition vise, elle, à autoriser la police à prélever le montant des amendes directement, comme c'est le cas pour les automobilistes, par exemple, dans la loi fédérale sur les amendes d'ordre.
La commission a voté ce projet de loi à peu près au moment de la sortie - ou quelque peu avant - du «plan mendicité» du conseil d'Etat. La question s'est posée de savoir s'il fallait attendre ce plan et elle se pose peut-être aujourd'hui pour les uns ou pour les autres de savoir si ce plan change quelque chose au projet de loi qui vous est présenté. Eh bien, la réponse est clairement que ce plan ne change rien ! Parce que ce plan contient un certain nombre de mesures qui permettent aux autorités de remédier à la situation déplorable qui a résulté de l'interdiction faite à la police de s'occuper du phénomène de la mendicité. Pour le reste, ce plan n'est pas un plan permettant d'agir à long terme parce qu'il lui manque le message principal, à savoir que la mendicité est interdite.
De surcroît, ce «plan mendicité» contient des informations inexactes - je cite le document qui résume le plan: «L'ensemble des partenaires est convaincu qu'il convient de trouver rapidement des personnes de relais (personnes de contact) qui auront pour mission de faire passer les messages que les forces de police souhaitent transmettre (interdiction de mendier avec des enfants, les lieux de mendicité à éviter, etc.).» Or, Mesdames et Messieurs les députés, c'est faux ! Car il n'y a aujourd'hui aucun moyen de dire qu'il est interdit de mendier avec des enfants, sauf évidemment si l'on est en présence d'un cas de contrainte ou de violence. Si on ne se trouve pas dans les cas que la police a répertoriés - ce n'est heureusement pas le cas - il n'y a aujourd'hui aucun moyen de faire passer le message que les autorités entendent apparemment vouloir transmettre !
Ce qui signifie aujourd'hui qu'il s'agit non pas de travailler sur un plan, sur des mesures, sur la façon dont on veut résoudre les problèmes dans le terrain: il s'agit de savoir quel est le message que les autorités veulent communiquer. Est-ce que c'est, comme au printemps dernier, un message selon lequel la mendicité n'est pas interdite à Genève, ou bien est-ce qu'on veut un message plus clair, plus simple et plus facile à diffuser, qui dirait en effet que la mendicité est interdite ?
Le projet de loi qui vous est soumis ce soir n'a pas pour objectif de «pourrir la vie des mendiants» - pour reprendre l'expression qui a été accolée au plan sur la mendicité - il a simplement, plus simplement et plus humainement, pour objectif de dire qu'à Genève la mendicité n'est pas admise.
Je vous recommande donc d'entrer en matière sur ce projet de loi.
Mme Mathilde Captyn (Ve), rapporteuse de première minorité. Vu l'émotion politique et médiatique qu'a suscitée la mendicité ces derniers mois, il est important aujourd'hui de prendre le temps d'expliquer clairement la position de la minorité.
Relevons tout d'abord que les travaux de la commission judiciaire et de la police se sont mal passés au sujet des deux projets de lois portant en partie sur la mendicité. Cela nous a fâchés, car la pratique usuelle régissant les commissions du Grand Conseil genevois n'a pas été respectée.
D'une part, nous étions en train de traiter la loi d'application de la loi fédérale sur le partenariat enregistré, or le président d'alors - député UDC - a préféré interrompre les travaux pour traiter des projets de lois sur la mendicité, sans respecter le refus de la majorité de la commission - c'est marrant, il me revient à l'esprit le slogan édifiant de l'UDC, il n'y a pas si longtemps, qui parlait de «pacsés inféconds et aisés»; d'autre part, les libéraux, qui souhaitaient visiblement pouvoir apparaître partout sur la question de la mendicité, ont informé les médias, alors que les travaux parlementaires n'étaient pas terminés ! Bref, laissons ces questions de forme qui sont désormais de l'ordre du passé !
Sur le fond, on ne peut que déplorer l'approche strictement sécuritaire présentée par la droite, sans analyse aucune du phénomène de la mendicité. D'abord, l'exposé des motifs met en avant une banalisation des incivilités, indiquant que l'on a assisté, parallèlement à la mendicité, non seulement à une augmentation de marques d'irrespect diverses et variées, notamment les dégradations, mais également à une multiplication des crimes les plus graves. Or, aucun chiffre ne vient alimenter l'argumentation de ce projet de loi. A grands renforts médiatiques, la mendicité a été assimilée à un problème de salubrité publique, à une activité sale ! Pour les amateurs d'histoire, le courant hygiéniste du XIXe siècle en France avait alors déjà exactement la même vision de la mendicité: il s'agissait de nettoyer les rues de la gangrène que représentait la pauvreté ! Nous prenons donc acte de la modernité effarante des propos tenus à l'encontre de la mendicité.
Le fait le plus parlant qui confirme ce point de vue est d'ailleurs le contenu entier de ce projet de loi où la mendicité apparaît au côté des dégradations et souillures du domaine public que représentent les déjections canines, les détritus, les crachats, les mégots ou les chewing-gums, de même que les nuisances sonores. Mais ne parlons-nous pas d'humains, en ce qui concerne la mendicité, et non de cacas de chiens?
Ensuite, qu'en est-il exactement du projet de loi à traiter ? Il vise à pénaliser l'acte de mendier. Or, cette pénalisation s'applique dans les faits par la confiscation des gains des mendiants et par leur mise à l'amende... Mendiants qui n'ont par définition pas les moyens de payer des amendes, puisqu'ils mendient ! L'inutilité de cette mesure est confirmée dans les faits par le très petit nombre des amendes effectivement acquittées par les personnes ayant été amendées pour mendicité. Cela nous a été rapporté à l'occasion des auditions réalisées en commission.
Enfin, le recensement réalisé par la police a permis de constater que la mendicité est à 70% le fait des personnes originaires de Roumanie, appartenant souvent à la communauté Rom. Tout le monde sait que la communauté Rom a été de tout temps persécutée par les autorités, partout où elle s'est trouvée. Un seul exemple pour démontrer ce propos: les 800 000 Roms gazés dans les camps nazis ! Souhaitons-nous répondre à l'exclusion par l'exclusion ? Qu'en est-il de la tradition d'accueil qui jalonne l'histoire de Genève ? N'aura-t-elle été destinée strictement qu'aux Huguenots lors des guerres opposant catholiques et protestants ? Je rends donc attentif tous les députés ici présents à la question de la mendicité, qui n'a évidemment jamais été analysée sous l'angle du fait de racisme. Il est pourtant important de relever le nombre de réactions que j'ai entendues, du type: «Ces Roms, ils feraient mieux de ne pas exister !»
La mendicité est un problème à prendre au sérieux, car elle est l'expression, dans sa définition première, de la pauvreté; il peut arriver que, pris dans l'engrenage de la précarisation, une personne mendie. Or, en réprimant purement et simplement le phénomène, on ne fait que repousser le problème hors de notre vue, ce qui est proprement irresponsable ! En effet, peut-on vraiment interdire à un pauvre d'être pauvre ? C'est précisément à cette première définition de la mendicité que le Conseil d'Etat n'a plus voulu apporter une réponse pénale, au profit d'une approche plus intelligente. C'est d'ailleurs un point de vue qui n'est pas seulement partagé par la gauche: l'audition du conseiller administratif Pierre Maudet a permis de constater que celui-ci pense aussi qu'il est inutile de pénaliser la mendicité.
Quant à la mendicité organisée, qui pourrait s'accompagner par ailleurs de vols ou de l'exploitation d'enfants ou de personnes handicapées, tout existe déjà sur le plan pénal pour agir, comme l'a très justement rappelé le professeur Bernhard Sträuli.
L'avis de la minorité est donc qu'il faut répondre à la mendicité de manière différenciée, conformément à la complexité de la question. D'une part, en ne pénalisant pas celui qui, précarisé, tend la main à un moment de sa vie, et d'autre part en pénalisant, comme le prévoit le droit pénal, tout fait de vol ou d'exploitation d'enfants ou de handicapés qui pourrait y être lié.
Au vu de ce qui précède, ce projet de loi est donc tout simplement inutile ! C'est pourquoi les Verts vous engagent, Mesdames et Messieurs les députés, à le refuser.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de deuxième minorité. Juste une petite correction à mon rapport: quand je parle de l'aube du troisième millénaire, c'est plutôt de l'orée dont il s'agit ! Enfin, on corrigera cela. Mesdames et Messieurs les députés, effectivement, les travaux de cette commission ont été assez bizarres. Tout d'abord, il faut ici souligner que nous avons eu affaire à un projet de loi UDC, travesti et vidé de son contenu par un amendement libéral. Il faut donc rendre hommage à l'UDC qui est à l'origine de ce projet de loi. Ce soir, nous en changerons le titre.
Alors, Monsieur Jornot, vous dites une chose intéressante, vous dites que la mendicité était interdite à Genève. Je comprends qu'on ait introduit cette loi en 1946, parce que, si l'on reprend l'histoire, on a pris à cette époque les mesures pour qu'il ne soit plus nécessaire de mendier à Genève: l'Hospice général et toute une série d'institutions ont été créées, qui faisaient que les Genevois n'avaient plus à mendier, puisque ces institutions pouvaient remédier à leurs problèmes. Par conséquent, il y aurait été inconvenant de continuer de mendier dans cette nouvelle situation.
Aujourd'hui, Monsieur Jornot, le problème est que les gens qui mendient à Genève viennent d'ailleurs. Nous avons aujourd'hui une société qui s'est mondialisée, la mendicité s'est libéralisée et, en tant que telle, la mendicité passe les frontières et vient chez nous... Et comme ils viennent d'ailleurs, les mendiants n'ont pas droit aux prestations de l'Hospice. De fait, la loi de 1946 ne s'applique pas aux Roms. Alors, pourquoi ces gens - qui peuvent se déplacer, qui peuvent franchir les frontières - ne viendraient-ils pas mendier ici ?
Voyez-vous, à la limite, mendier est une activité comme une autre quand il s'agit de subvenir à ses besoins ! Ce qui m'étonne et que je ne comprends pas de la part des libéraux, c'est qu'ils soient tellement opposés à ce fait, qu'ils soient contre le fait que des gens essaient de subvenir par eux-mêmes à leurs besoins, sans aller à l'Hospice général, sans utiliser l'argent des impôts ! Vous devriez plutôt considérer que les mendiants ont une activité libérale et qu'ils travaillent à leur compte... Non, vous insistez quand même pour les pénaliser !
Je crois que votre insistance provient du fait que cette mendicité vous gêne. C'est une image que l'on vous renvoie qui vous est insupportable, une image qui vous est imposée, sur la misère qui existe aujourd'hui en Europe et dans le monde. C'est ça qui vous gêne ! C'est ça que vous voudriez gommer. Vous voulez effacer par le biais d'une loi quelque chose que vous ne voulez pas voir ! Mais c'est impossible, parce que la misère est là, elle existe !
J'ai trouvé très intéressant que M. Mettan dise à un moment donné que chacun devait gagner sa vie à la sueur de son front... Voilà un dicton très chrétien ! Mais alors ?! Il ne me semble pas que les financiers gagnent tout leur argent à la sueur de leur front ! Et quand ils spéculent, je ne crois pas qu'ils suent beaucoup... Alors, puisqu'ils ne gagnent pas leurs argent à la sueur de leur front, que faire en ce qui les concerne ? Et les mendiants, eux, sont pénalisés parce qu'ils ne gagnent pas leur vie à la sueur de leur front... Vous voyez, il y en a qui peuvent se permettre de bien vivre sans devoir gagner leur vie à la sueur de leur front et il y en a d'autres qui n'en ont pas le droit ! Il y a là une contradiction.
Par ailleurs, je me suis rappelé que dans la Grèce antique vivait un certain Diogène, qui était pauvre et mendiant. Et dans cette société antique, importante pour nous parce qu'elle est à l'origine de notre civilisation, eh bien, la mendicité était permise ! Il n'y avait pas de problème et M. Diogène a pu y vivre paisiblement, sans être embêté ni dépouillé de ses aumônes. Il n'a jamais été inquiété, bien au contraire ! Il pouvait s'adonner à ses travaux tout en étant mendiant. Aujourd'hui, si cet illustre philosophe vivait parmi nous, il serait interpellé par la police genevoise, amendé et rejeté à l'extérieur de nos frontières parce que considéré comme indésirable dans notre cité ! C'est quand même extraordinaire !
J'aimerais lire ici ma conclusion, parce qu'elle est importante: la générosité, c'est aussi accepter et vivre avec l'image que l'autre nous renvoie, alors même qu'on est dans l'incapacité de résoudre le problème de celui-ci. Une république ne se compose pas seulement d'individus catégorisés et répondant au seul critère de l'hygiène publique. C'est la diversité des êtres qui enrichit la république. Mesdames et Messieurs les députés, la mendicité n'est pas un problème facile à régler, c'est une vérité que l'on doit attaquer comme le problème qu'elle est, mais avec générosité !
Mme Michèle Künzler (Ve). J'aimerais revenir un peu en arrière. Année 1539: on déclare à Genève, à la criée, qu'il est interdit de mendier ! Mais qu'a-t-on alors pris comme mesures ? C'est peut-être là la différence avec aujourd'hui ! C'est qu'on a pris les mesures utiles pour que tout le monde retrouve du travail et ait à manger, pour que les orphelins soient soignés, que les malades soient soignés et que tout le monde ait une place dans la société. C'est peut-être là la différence !
Avec votre projet de loi, oui, on peut discuter de la mendicité. Mais il y a deux manières de l'aborder: par l'intégration ou par l'exclusion. Votre manière, c'est l'exclusion ! Parce que, pour vous, la mendicité relève du même domaine que les crachats et les déchets. Pour vous, il ne s'agit même plus d'êtres humains, et vous ne faites rien pour intégrer ces personnes, pour leur trouver du travail, ici ou ailleurs. Vous ne faites rien pour que l'on trouve une véritable solution. En privilégiant l'intégration, le but est de trouver une manière de vivre ensemble. Et c'est ça qu'on avait trouvé à l'époque de Calvin ! A l'époque, ils avaient eu la même discussion ! A Paris, on enchaînait les mendiants, faisant d'eux des forçats. On cousait sur leur épaule une petite croix jaune et rose. Cela vous rappelle peut-être d'autres souvenirs, plus tardifs ? Voilà la manière dont il ne faut pas agir !
Il me semble important que l'on renvoie ce texte en commission, avec les propositions de nos collègues socialistes. Parce que nous avons à réfléchir sur la mendicité et sur la générosité publique. Il y a des actions à mener ! D'une part, nous payons des impôts pour tous ceux qui vivent ici. D'autre part, nous pouvons aussi agir en subventionnant ou en faisant des dons aux associations telles que La Coulou, Le Carré, et j'en passe, ces associations qui s'occupent des gens d'ici et d'ailleurs. Peut-être, une troisième façon d'agir, proposée par nos collègues socialistes, c'est d'aider là-bas, en Roumanie. Pour ça, nous devons avoir un projet cohérent et pas seulement un projet qui pénalise et, en fait, génère du droit pénal - comme si c'était un crime d'avoir faim, un crime d'être pauvre ! Et bien sûr, si cela relève du droit pénal, c'est cela !
Alors, Monsieur Catelain, de l'UDC, vous mélangez les deux choses dans votre projet de loi, puisque que vous dites que les crimes de sang ont augmenté parallèlement à la mendicité... Vraiment, je crois qu'il faut maintenant agir autrement, pour avoir un projet d'intégration et qui permette aux gens de réfléchir, et pas un projet de pure exclusion.
Je vous demande de renvoyer ce projet en commission. (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Madame la députée. Vous avez proposé de renvoyer ce projet de loi en commission. Je ferai voter cette proposition, mais avant, une personne de chaque groupe peut s'exprimer - pendant trois minutes et uniquement sur le renvoi.
M. Pascal Pétroz (PDC). Nous nous opposerons à cette proposition de renvoi en commission, pour une raison toute simple. Avant qu'il y ait demande de renvoi, j'avais l'intention de vous expliquer la raison du soutien du parti démocrate-chrétien à ce projet de loi... (Brouhaha.) Madame la présidente, si vous pouviez... (La présidente agite la cloche.) Voilà ! Merci, c'est beaucoup mieux ! Ce que j'avais l'intention de vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, c'est qu'en la matière il faut une approche pluridisciplinaire: on ne peut pas considérer uniquement que la mendicité doit être amendable. D'après nous, c'est un des aspects de la question, et nous considérons que la mendicité doit être érigée en infraction, c'est comme ça depuis 1946. Je dois d'ailleurs dire qu'à Genève nous sommes quand même extraordinaires, parce que, dans ce dossier, nous vivons une nouvelle «Genferei», dans la mesure où nous disposons d'un règlement sur la mendicité... (Brouhaha.)
La présidente. Monsieur le député, vous avez trois minutes pour vous exprimer, et uniquement sur le renvoi en commission. Si le renvoi en commission est refusé, on reviendra au débat. C'est la procédure !
M. Pascal Pétroz. Madame la présidente, il est évident que je ne m'exprime maintenant que sur le renvoi en commission, mais je vais vous expliquer pourquoi nous sommes contre un renvoi. Nous y sommes opposés pour une raison très simple: la question de la mendicité doit faire l'objet d'un volet répressif et d'un autre volet, qui a été exprimé par le «plan mendicité» Maudet-Moutinot - c'est un volet que les citoyens ont vu ou entendu relater par les médias. Ce plan ne veut pas tolérer que les gens dorment sous les ponts; on doit les aider et, aussi, leur permettre de retourner dans leur pays. Ce volet, que j'appellerai «le volet Moutinot-Maudet» par mesure de simplification, n'a pas besoin de faire l'objet d'une loi. C'est pourquoi un renvoi en commission - pour intégrer dans un projet de loi ce qui n'a pas besoin de faire l'objet d'une loi - me semble être un non-sens !
C'est la raison pour laquelle il y a lieu que nous votions ce projet de loi. Bien évidemment, j'espère, Madame la présidente, que vous me donnerez la parole pour que je m'exprime sur le fond du projet de loi.
La présidente. Il n'y a aucun souci, Monsieur le député ! Je passe la parole à M. Frédéric Hohl pour le groupe radical. Uniquement sur le renvoi en commission: trois minutes !
M. Frédéric Hohl (R). Le groupe radical ne votera pas le renvoi en commission de ce projet de loi et je m'inscris d'ores et déjà pour le débat qui suivra.
M. Yves Nidegger (UDC). Le travail en commission a été fait, et bien fait. Le groupe UDC refusera évidemment un retour en commission.
M. Jean-Michel Gros (L). Madame la présidente, le groupe libéral s'opposera au renvoi en commission.
M. Roger Golay (MCG). Pareil pour le MCG ! Nous refusons le renvoi en commission.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Madame Borgeaud... Elle n'est pas là. Je donne donc la parole à M. Letellier, toujours sur le renvoi en commission.
M. Georges Letellier (Ind.). Madame la présidente, pas si vite, s'il vous plaît ! Depuis le début de l'année, j'ai encaissé beaucoup de remarques désobligeantes de la part de mes clients étrangers, qui m'ont tout simplement dit que Genève était une ville dégueulasse ! (Commentaires.) Je cite leurs mots ! Et qu'il y avait trop de mendiants ! En fait, c'est un problème latent, provoqué par une politique de droite... Non, de gauche ! Une politique complètement ridicule, et nous devons remettre les pendules à l'heure !
La présidente. Monsieur le député, sur le renvoi en commission !
M. Georges Letellier. Non, je ne suis pas pour le renvoi en commission ! Je suis pour le vote intégral du projet de loi !
Mme Véronique Pürro (S). Je dois dire que je suis particulièrement choquée de voir que vous refusez le renvoi en commission ! Pour les raisons invoquées par M. Pétroz, du reste, parce que, tout comme lui, je crois que le problème mérite des solutions pluridisciplinaires. J'aimerais rappeler aux collègues qui ne siègent pas à la «judiciaire» que M. Moutinot devait nous présenter son plan de mesures, son plan contre la mendicité, et que certains d'entre nous avaient demandé à ce que l'on attende que ce plan nous soit présenté avant de faire figurer ces projets de lois à l'ordre du jour d'une séance plénière. Or, certains ont déjà donné de nombreuses interviews médiatiques, en sachant utiliser les Roms... Aujourd'hui, on nous dit qu'il ne faut pas parler que des Roms et que le débat est plus large. Quand même ! Durant des semaines entières, on a «tiré» sur un conseiller d'Etat parce qu'il avait, à cause des mesures qu'il avait prises, provoqué un appel d'air, et on a continué à alimenter les médias avec des sujets concernant les Roms ! Alors, on élabore ce projet de loi pour éradiquer le problème, mais on n'est pas capable d'attendre quinze jours que M. Moutinot vienne nous présenter le plan de mesures qu'il a concocté avec son collègue Maudet, du conseil administratif de la Ville de Genève !
A l'époque, j'ai été particulièrement fâchée par cette impatience et par cette incapacité à attendre quinze jours. Aujourd'hui, ce plan nous a été présenté ici, et non pas en commission, parce que, lors de la dernière séance, nous n'avons pas eu le temps de le traiter bien qu'il était inscrit à l'ordre du jour... Je pense que M. Moutinot viendra nous le présenter mercredi prochain et je m'en réjouis.
Donc, renvoyons ce projet de loi en commission et traitons-le avec le «plan mendicité» que le Conseil d'Etat nous a concocté ! Traitons-le avec la proposition de motion et le projet de résolution socialiste concernant l'aide sur place, en Roumanie et dans les pays concernés ! Ainsi, nous aurons, comme M. Pétroz le souhaitait, toute la palette des réponses qu'il faut que nous apportions pour éradiquer le problème de la mendicité. Parce que c'est bien ça, Monsieur Jornot, que vous souhaitiez faire avec votre projet de loi. (Applaudissements.)
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Ces projets de lois ont été déposés par celles et ceux d'entre vous qui s'inquiétaient - ce que je peux comprendre - du fait que la mendicité n'était plus amendable. Pendant les débats en commission, il m'a été demandé ce que j'allais faire. J'ai expliqué que la collaboration avec la Ville de Genève prenait un certain temps. J'ai tenu les délais prévus pour la présentation de ce plan et nous avons tenu le délai concernant sa mise en oeuvre. Depuis vendredi, il y a dix jours, la police est intervenue et le résultat est aujourd'hui qu'un certain nombre de mendiants sont rentrés chez eux.
Il en résulte, Mesdames et Messieurs les députés, la chose suivante: c'est que vous allez, si vous poursuivez le débat, au milieu de la rivière ! Parce que ce projet de loi est destiné à remplacer mes prétendues carences ! L'accord entre la Ville et l'Etat porte ses fruits, et il en porte beaucoup plus que la seule répression ! Dès lors, le jour de l'entrée en vigueur de ce projet de loi, bien qu'il y ait évidemment le délai référendaire, on va se retrouver avec une législation qui punira des mendiants qui ne seront plus là ! Je pense que l'on pourrait éviter ce genre de situation.
M. Pierre Maudet, conseiller administratif de la Ville de Genève, et moi-même nous vous présenterons le bilan de ce que nous avons fait, juste avant Noël ou juste après, selon les disponibilités des agendas des uns et des autres. Et vous jugerez si le dispositif est complet - parce qu'il est faux de dire qu'il ne comporte pas de volet pénal ! Il comporte un volet pénal usuel, applicable à tous, à tous les étrangers. Ce sont les dispositions de la loi fédérale en matière de police des étrangers, soumettant les étrangers à visa, à autorisation de séjour, à durée, etc. Ce volet-là est appliqué, et il ne s'agit pas d'une législation stigmatisant une catégorie de personnes, mais il est faux de dire que notre plan n'a pas de volet pénal !
Alors, Mesdames et Messieurs les députés, je regrette autant que vous que cela ait pris un certain temps. Et je ne le regrette pas tellement, parce que nous avons su faire preuve de subtilité en termes juridiques, pratiques et organisationnels pour mettre ce plan sur pied - aujourd'hui, vous savez qu'il fonctionne. Je trouve assez étonnant que vous imaginiez, par ce projet de loi, aboutir dans ce processus-là. Ce ne peut être que regrettable et occasionner des tensions. Je vous suggère par conséquent d'attendre le bilan du plan que la Ville et l'Etat ont élaboré. (Applaudissements.)
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 10106 à la commission judiciaire et de la police est rejeté par 54 non contre 28 oui.
La présidente. Nous revenons donc au débat. Sont encore inscrits: Mmes et MM. Philippe Guénat, Lydia Schneider Hausser, Sandra Borgeaud, Pascal Pétroz, Frédéric Hohl, Yves Nidegger, Jean-Michel Gros, Roger Golay et Laurent Moutinot.
M. Philippe Guénat (UDC). Je voulais commencer par remercier - une fois n'est pas coutume - mon collègue Velasco pour les aimables mots qu'il a eus envers le projet de l'UDC.
Je dois dire que la mendicité est un grave problème de la condition humaine. Ce dernier ne date pas d'aujourd'hui, la mendicité a toujours existé, et on serait bien aveugle de se cacher que la mendicité existe ici aussi. La mendicité est un problème qui n'est pas celui d'une seule société, nationalité ou culture: elle est généralisée et existe partout.
Seulement, lorsque M. Moutinot a autorisé - voire encouragé - la mendicité en remboursant des amendes de plusieurs milliers de francs, il a créé un vacuum, affectant Genève bien au-delà de ses frontières. Parce que les gens ne l'ont pas compris. Et pour moi et ceux qui vivent de la clientèle d'affaires, du tourisme et du monde diplomatique, je peux vous dire qu'à Genève nous avons été immédiatement sanctionnés: plusieurs conférences ont été annulées, les gens ayant peur de ce qu'ils voyaient dans la rue ! (Commentaires.)
Voilà, c'est tout ce que j'ai à vous dire, et c'est pour cela que je demande instamment que cette loi soit votée et que l'on revienne à la situation antérieure ! (Commentaires. Applaudissements.)
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Le projet de loi présenté ce soir est inacceptable, il fait fi de la plus basique des notions d'humanité. Toutefois, quelque part, même si c'est choquant, il n'est pas étonnant que ce projet vienne de la droite et de l'extrême droite. Effectivement, l'existence de la mendicité - qu'elle soit le fait de Roms ou de locaux - est bien le miroir en négatif des mesures qui viennent de vos bancs et diminuent la solidarité sociale chaque fois que c'est possible ! On a commencé avec les abuseurs de l'assistance publique pour en arriver aux criminels de la pauvreté ! Ces mêmes partis... (Brouhaha.)
La présidente. Excusez-moi, Madame la députée ! Mesdames et Messieurs, si vous n'êtes pas intéressés par ce débat, je vous prie de poursuivre vos conversations privées ailleurs. Merci d'écouter l'oratrice ! Madame la députée, vous avez la parole.
Mme Lydia Schneider Hausser. C'est aussi vous, partis de droite, qui, par vos positions, faites que les inégalités de revenus s'accroissent ! Vous nous prouvez ainsi que les gens de plus en plus riches n'arrivent plus à supporter que la croissance de leur richesse plonge des gens dans des états de pauvreté de plus en plus marquée. Cette vérité est tellement insupportable, comme le disait d'ailleurs mon collègue Velasco, qu'il faut la criminaliser... Et après, jusqu'où ira-t-on ?!
Oser avancer l'argument que les mendiants amènent de l'insécurité est une perversion complète ! C'est le monde à l'envers ! L'insécurité n'est pas le fait des mendiants ! C'est vous qui prônez l'insécurité !
En pratique, il y a des gens qui font travailler les autres. Il y a des gens qui travaillent et qui bénéficient - heureusement ! - de la sécurité sociale quand ils vivent des moments de risques qui sont couverts, comme le chômage ou la maladie. Il y a donc des gens qui bénéficient de l'assistance, mais il y en a d'autres qui doivent mendier. Si ces personnes ne peuvent plus mendier, qu'est ce qui leur reste ? Je vous laisse deviner... Et la délinquance ne provient pas de nulle part !
Effectivement, je pense que les gens qui mendient - Roms ou Suisses - peuvent susciter de l'insécurité. Toutefois, on m'a dit aussi que c'est un sentiment de tristesse et de révolte qui a prédominé chez beaucoup de personnes de Genève: la révolte de voir qu'il faut aller jusqu'à s'humilier pareillement pour pouvoir survivre et faire survivre sa famille. C'est pourquoi, dans la deuxième partie des débats, nous vous présenterons deux objets qui vont juste un petit peu plus loin que ce qui se passe au niveau de la rue. (Applaudissements.)
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Il y a une chose qui me choque quand on veut protéger la mendicité: quelle pudeur et quelle dignité humaine y a t-il à devoir aller mendier pour survivre ? Moi, cela me choque ! Je préférerais que l'on donne du travail aux gens, qu'on les aide dans leur pays et que, de cette manière, ils puissent avoir leur fierté. Il est inacceptable de devoir aller mendier et dormir dans la rue ! Et envoyer des enfants le faire ne me paraît pas anodin non plus.
Alors, je souhaiterais ne pas me mettre en porte-à-faux, ni d'un côté ni de l'autre, parce qu'il s'agit là d'un sujet beaucoup trop important pour un clivage. D'une certaine manière, la population a peur, car elle ne sait pas forcément à qui elle a affaire. Il y a des personnes qui disent vouloir mendier pour manger, mais force est de constater que certains mendiants le font uniquement pour se procurer de la drogue. Et quand vous voulez leur proposer un sandwich, ils le refusent, ils ne veulent pas venir avec vous à l'épicerie du coin pour choisir quelque chose à manger... Donc, il y a des limites à ne pas dépasser.
Vouloir donner aux gens l'image que Genève est un Eldorado, en leur proposant de l'argent ou Dieu sait quoi, c'est faux ! Et ce n'est pas leur rendre service. Je pense que la dignité humaine n'est pas dans la mendicité, mais bien dans le fait de pouvoir gagner sa vie honnêtement, d'être intégré dans la société, de pouvoir être fier d'avoir une famille et d'être entouré. Pour moi, mendier, ce n'est franchement pas la dignité humaine !
M. Pascal Pétroz (PDC). Maintenant, je reviens «en deuxième semaine», comme on dit, sur le fond du projet de loi et vous remercie de me donner la parole. Je voudrais vous dire qu'en réalité, dans cette affaire, nous faisons à nouveau un psychodrame à la genevoise, dont nous avons le secret, dans la mesure où - et cela a été relevé par le rapporteur de majorité, tout cela figure dans le rapport - Genève connaît depuis 1946 un règlement sur la mendicité qui érige en infraction pénale le fait de mendier.
Notre Grand Conseil n'a jamais voulu supprimer politiquement ce règlement, cette base légale réprimant la mendicité. Ce qui s'est passé, c'est que lorsque nous avons, si j'ose dire, fait le toilettage de la partie générale du code pénal pour sa bonne application, nous nous sommes posé la question de la validité et de la pérennité d'un certain nombre de règlements du Conseil d'Etat en matière de tranquillité publique, et en matière de mendicité notamment. Nous avons posé la question en commission de savoir si la validité de ces règlements serait préservée: il nous a été répondu très clairement en commission que ces règlements resteraient valides.
Ensuite, lorsque la polémique a enflé et que le Conseil d'Etat a décidé que Genève ne disposait plus de bases légales pour réprimer la mendicité, malgré l'avis du Procureur général et malgré l'avis du professeur Sträuli, les auteurs ont décidé d'agir, uniquement pour restaurer la situation qui prévalait à Genève depuis 1946.
Alors, c'est cela le débat ce soir ! Il s'agit tout simplement de savoir si un règlement qui a été malencontreusement supprimé à l'occasion d'un toilettage du droit, alors qu'il était en vigueur depuis 1946, doit être restauré ou pas. La question est simplement là !
M. Frédéric Hohl (R). Je crois qu'il faut faire attention à ne pas confondre la triste problématique des Roms - la triste problématique des milliers et milliers de mendiants qu'il y a dans le monde - avec ce projet de loi qui tend à rétablir ce règlement.
On se rappellera qu'en juin 2007 le département des institutions a décidé d'autoriser la mendicité. Cela partait probablement d'un bon sentiment, mais c'était, somme toute, une fausse bonne idée, parce que vous avez donné de faux espoirs à des malheureux, qui ont pensé qu'ils seraient bien accueillis à Genève, ville qui leur est apparue comme une sorte d'Eldorado. Ce triste épisode a fait que les Genevois ont ouvert l'oeil et qu'ils ont découvert ou redécouvert la mendicité. Tout à coup, on s'est rendu compte qu'il y avait des démunis chez nous... Car, oui, Mesdames et Messieurs, il y a des démunis qui habitent à Genève ! Il y a des gens qui ont faim, il y a des gens qui doivent avoir recours à l'aide sociale, et il n'y a que trop peu d'endroits qui peuvent les accueillir.
Donc, je sais qu'on a tous vu qu'il y avait eu beaucoup plus de mendiants que d'habitude. Pendant cette période, les petits lieux d'accueil prévus pour nos démunis étaient complets, il y a même eu des jours où il n'y avait pas assez à manger pour tout le monde ! Il est tout à fait louable de vouloir s'occuper de la planète entière, je trouve que c'est juste, mais il faut qu'on s'occupe d'abord des nôtres, de nos démunis, et il faut pour cela un règlement. C'est la raison pour laquelle nous allons soutenir ce projet de loi.
M. Yves Nidegger (UDC). M. Pétroz l'a dit très bien tout à l'heure, le débat est mal cadré. C'est vrai, il y a des cultures dans lesquelles la mendicité est parfaitement intégrée, parfaitement politiquement correcte, elle fait même partie des valeurs locales et ne pose aucun problème. Pas à Genève ! Pas en Europe occidentale, où il y a des normes qui répriment la mendicité et où même les esprits les plus libertaires chantent avec les Enfoirés des Restos du coeur qu'«aujourd'hui, on n'a plus le droit ni d'avoir faim ni d'avoir froid» ! C'est très exactement ce que notre société libérale et sociale a pris comme pari: ne pas laisser les gens se geler sous des ponts, ne pas les autoriser à rester prostrés sur un pavé glacial, dans des positions humiliantes pour eux, aux fins de gagner quelques sous ! Au nom de la dignité humaine, il faut leur dire qu'on ne veut pas de cela chez nous.
Il faut agir comme M. Moutinot l'a fait: inciter au départ par des moyens doux. Et puis, faire aussi ce qui doit l'être, chaque chose étant dans son camp, dire que c'est interdit ! Puisqu'on est très mal placé pour demander à quelqu'un de ne pas faire quelque chose, que par ailleurs on considère comme licite mais qu'on ne désire pas tout en ne l'interdisant pas, en ne le recommandant pas tout en l'autorisant... Avec un discours comme celui-là, il est évident qu'on ne va absolument nulle part !
Cela a été dit à plusieurs reprises, le débat que nous avons ce soir est, au fond, non pas politique, mais une espèce de conflit entre le législateur, qui fait son boulot de législateur, et l'exécutif, soutenu par une partie du parlement, qui est en grève ! Le département de M. Moutinot, sur la question de la mendicité, ne veut pas faire son boulot ! Son boulot, c'est celui du département des institutions, c'est-à-dire la répression des choses interdites, telle que la loi le prévoit - le règlement, on l'a déjà dit, est en vigueur. C'est un département qui se met en grève, qui croise les bras et qui fait même de l'obstruction.
Et puis, on a une gauche qui, décidément - on l'a vu hier soir et on le revoit aujourd'hui, on le reverra peut-être encore plus tard dans la soirée - a un sens de la démocratie assez particulier. En tout cas, elle n'aime pas perdre et considère que, pour des raisons morales, une minorité plus des convictions roses-vertes égalent la majorité ! Et quand il y a une autre majorité, c'est très ennuyeux, eh bien on soutient qu'elle a tort ! Au nom de la démocratie ! Et puis, on hurle que l'on confisque la démocratie, dès lors que la minorité de gauche n'est plus en position de dominer ! Tout cela n'est pas sérieux !
Je m'attends encore à de l'obstruction de la part du magistrat, qui nous a déjà dit qu'il mettrait très peu de moyens à disposition de cette loi si elle était adoptée par le législateur. C'est-à-dire, en d'autres termes, que nous avons un conflit entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Je rappelle que le pouvoir législatif, en principe, est le premier pouvoir et celui qui devrait établir ce qu'est le droit.
Nous allons donc évidemment voter ce projet de loi. Nous espérons que personne n'aura la mauvaise idée de refuser le troisième débat, comme obstruction ultime. Ce texte entrera donc dans la loi et il devra bien être appliqué.
Quelques mots pour féliciter le rapporteur de majorité qui, par des prouesses tout à fait rhétoriques, est parvenu dans son rapport sur le projet de loi 10106 à parler pour l'essentiel du projet de loi 10051... (Rires.) ...qui a au moins le mérite de traiter du même sujet, sinon d'avoir la même teneur, et, aussi, de parler du projet de loi 10121 qui, lui, ne concerne pas du tout le même sujet. Mais, curieusement, ces deux projets de lois ont en commun d'avoir été lancés par les libéraux... Chapeau bas ! J'admire, et c'est tout à fait bien ! (Commentaires.)
Quelques mots pour tancer les rapporteurs de minorité, même si je l'ai déjà fait un peu. Il s'agirait, au fond, d'une menace: «on est choqué», «ce n'est pas bien», «vous prenez une mauvaise décision», «moralement, ça ne se fait pas»... Tout ça parce qu'on n'a pas réussi à avoir raison quant au nombre ! Ce n'est pas très démocratique... Avec une mention particulièrement blâmante pour Mme Captyn. Bon, je sais que le DIP n'est pas au mieux de sa forme, que tout le monde n'étudie plus le latin et le grec, et qu'il y a donc un certain nombre de problèmes dans la compréhension profonde des termes à connotation de grec ancien. Mais, de là à voir de l'homophobie dans un projet contre la mendicité, il y a à mon avis un tout petit problème ! Nous ne sommes pas tous illettrés, Madame Captyn, et nous avons tous vu que ça ne jouait pas ! Si je dis que nous ne sommes pas tous illettrés, c'est aussi parce que vous avez lu votre rapport de la première à la dernière lettre tout à l'heure, alors que nous savons lire ! Et nous l'avions lu avant que vous nous en fassiez encore la récitation. Alors, je mettrai cela sur le compte de votre jeunesse - j'allais dire: «de votre verdeur» - et d'une envie de bien faire, si tant est que, quand on est de gauche, «bien faire» ne soit pas un oxymore politique ! (Exclamations.)
Une voix. Oh ! Brillant !
La présidente. Je salue à la tribune les élèves du Collège et de l'Ecole de commerce André-Chavanne qui nous font le plaisir d'assister à nos débats. (Applaudissements.) Je passe la parole à M. Jean-Michel Gros.
M. Jean-Michel Gros (L). Le groupe libéral entrera en matière et votera ce projet de loi. Il le fera d'autant plus volontiers que, comme il vous l'a été indiqué tout à l'heure, il avait déposé quelques mois plus tôt un projet tout à fait similaire mais qu'une majorité de hasard a fait échouer en commission. Je dirais même plus, chers collègues: le groupe libéral regrette en quelque sorte de devoir accepter ce projet. Car si le département des institutions avait fait correctement son travail, nous ne serions pas en train de discuter de ce sujet.
Oui, en effet, tout n'allait pas si mal dans notre petite république ! Oh, il y avait bien quelques mendiants qui erraient ici ou là, mais il existait un règlement qui réprimait cette mendicité. Ce règlement était sans doute appliqué, mais d'une manière proportionnée, voire débonnaire. Or, ne voilà-t-il pas qu'un certain docteur Diafoirus, spécialiste en droit pénal au sein du département fit probablement la seule découverte de sa vie: que ce règlement n'avait plus de base légale. Et c'est au mois de mai dernier que ce champion de l'analyse juridique a réussi à convaincre le chef du département du bien-fondé de ses puissantes recherches. Après avoir dit exactement le contraire dans plusieurs écrits et ceci jusqu'au mois d'avril !
Cette bourde, parce qu'il faut bien appeler les choses par leur nom, a provoqué tout un remue-ménage politico-médiatique dont nous ne nous serions bien passés. Pire ! Cette même bêtise a convaincu M. Moutinot de ne plus pénaliser la mendicité, et même de rembourser les amendes, à ses yeux injustement prélevées. Le problème, c'est que la Transylvanie n'est qu'à une seconde d'internet de Genève et que la nouvelle est rapidement parvenue aux oreilles des plus pauvres d'entre les pauvres de cette région roumaine: Genève vous accueille à bras ouverts !
Alors, ce que le groupe libéral reproche à M. Moutinot, ce n'est pas tant son aveuglement, mais c'est d'avoir créé cet appel d'air qui a provoqué toute cette polémique ! L'afflux de plusieurs dizaines de ressortissants miséreux de certains pays de l'Est et notamment de Roumanie nous fait mal, à nous libéraux ! Non pas tant parce qu'ils agresseraient le regard effarouché des enfants gâtés que sont les Genevois, non ! Non pas plus parce que, comme le relèveraient certains journalistes amateurs de psychanalyse de bazar - repris par l'un des intervenants d'en face - on dirait que ces gens-là nous mettent brutalement en face de nos responsabilités vis-à-vis de la misère qui règne dans l'Union européenne. Non ! Ce qui nous a particulièrement choqués, c'est que, par cette décision maladroite, le chef du département a joué avec la dignité de ces pauvres gens ! En leur tendant un miroir aux alouettes, on les a trompés, on les a encouragés à dépenser les derniers sous qu'ils possédaient encore, eux et leurs familles, pour payer un billet d'autocar. Et l'Eldorado qu'ils ont trouvé, ce sont des trottoirs et les berges de l'Arve ! Et ça, c'est insupportable !
Depuis quelques jours cependant, conscients sans doute de l'erreur politique et humanitaire commise, Canton et Ville ont mis en place un plan de mesures: gendarmes, agents de sécurité municipaux, voirie et services sociaux sont mobilisés pour contrôler les mendiants, les évacuer de sous les ponts, les loger dans des abris de protection civile pour, au maximum, dix nuits et pour, ensuite, les mettre dans un bus en direction de leur pays ! C'est à nouveau une humiliation qui leur est infligée, pour eux qui arriveront dans leurs familles avec juste un sac à pique-nique vide et quelques francs qui n'auront sans doute même pas contribué à rembourser leur billet d'aller !
Pour les libéraux, qui reconnaissent que ce plan de mesures a quelque chose de dissuasif, le projet de loi dont nous discutons ce soir a pour but de compléter ce plan et de le rendre pérenne. Car comment pouvez-vous imaginer, Mesdames et Messieurs les députés, que le seul plan de mesures puisse avoir un effet durable ?! Allons-nous mobiliser, comme depuis le 16 novembre, tous ces gendarmes, tous ces agents de sécurité, tous ces services sociaux à longueur d'année ?! Non ! Retrouvons la situation ante et, donc, rendons la chose pérenne.
Ce projet de loi contribuera à rendre impossible ce qui s'est passé depuis début juin, il contribuera à communiquer que Genève ne vaut rien en termes de mendicité. Mais, pour atteindre ce but, nous demandons au Conseil d'Etat de communiquer dans les régions concernées - et ceci dès l'acceptation de ce projet de loi - les nouvelles modalités réglant la mendicité dans notre canton.
Je reviendrai plus tard sur la motion et la résolution, mais sachez que nous avons beaucoup de sympathie, notamment pour la résolution demandant aux autorités fédérales de consacrer en tout cas une grande partie du fonds de cohésion qu'il s'apprête à verser à la Roumanie - et à la Bulgarie accessoirement, mais nous parlons surtout de la Roumanie - en faveur de ces populations Roms discriminées. Car nous avons également le souci d'aider les gens sur place ! Pour le moment, nous vous demandons d'accepter ce projet de loi ! (Applaudissements.)
M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, puisqu'une demande de renvoi en commission est intervenue dans le débat, je profite de cet instant pour m'associer aux compliments adressés au rapporteur pour son excellent rapport. Par la même occasion, je félicite nos collègues de l'UDC qui ont concocté ce projet de loi.
En revanche, je tiens d'emblée à faire part de mes regrets que la question des incivilités ait, en commission, été supprimée par des amendements. En effet, cette question rendait un peu plus rigoureuse la propreté - les dispositions ayant trait à cette dernière - à Genève. Je vous rappelle d'ailleurs que la Ville, par l'intermédiaire de M. Maudet, fournit un effort considérable à ce propos - et même qu'il s'agisse des mégots de cigarettes, des chewing-gums... Oui, cela fait rire Mme Mathilde, mais enlever les chewing-gums collés sur la chaussée coûte un million de francs par année à la collectivité ! En voilà le prix ! Ce sujet me paraît quand même important pour l'image de Genève, quant au tourisme et même pour des usagers de notre canton.
Pour en revenir à ce projet de loi, je pense que le règlement de 1946 sur la mendicité ne servait pas à grand-chose. Pourquoi ? Simplement parce qu'aucune mesure de sûreté n'était prise par rapport à ces mendiants, lorsqu'ils étaient interpellés par les forces de l'ordre. Ce règlement était inutile, quasiment la totalité des contrevenants interpellés ne payaient pas les amendes puisqu'ils donnaient des adresses totalement bidon.
L'action de M. Moutinot, qui a décidé de supprimer ce règlement, rend finalement service à la collectivité, puisque cela a débouché sur un nouveau projet de loi, aujourd'hui amendé d'une disposition pour obtenir des garanties. Ainsi, on pourra faire en sorte que les policiers puissent intervenir en prélevant sur le moment le produit de l'amende. Finalement, ce qu'a voulu faire M. Moutinot s'est révélé bénéfique pour la suite de notre action.
Par ailleurs, je pense qu'il y a une confusion à ne pas faire: il y a le tourisme de la mendicité, qui est exercé par les gens du voyage - tous ces tziganes qui sont implantés dans des camps à l'extérieur de nos frontières, qui tendent la main le jour et qui, la nuit, brandissent les tournevis et les pieds de biche pour cambrioler chez nous - et puis, il y a les vrais mendiants, ceux que le plan d'action du Conseil d'Etat et de la Ville de Genève a pu éloigner, en tout cas de notre territoire. Restent les mendiants dont j'ai parlé, ceux qui, le jour, s'improvisent comme tels pour tendre la main. Concernant ceux-là, il faut qu'une disposition - ce projet de loi - permette d'intervenir en prélevant directement l'argent qu'ils collectent. A ce propos, je dirai à la gauche, qui s'indigne face au travail des enfants, que ces gens-là n'épargnent pas leurs enfants ! Puisqu'ils les envoient sur les trottoirs pour mendier et qu'ils s'en servent précisément pour attendrir les gens qui font preuve de trop d'angélisme, comme vous êtes en train de le faire ce soir.
Je salue donc ce plan d'action, ce projet de loi, et peux vous dire que le Mouvement Citoyens Genevois le soutiendra, particulièrement la disposition - l'amendement - qui permettra d'obtenir des garanties pour le paiement immédiat de l'amende. Je vous rappelle que le MCG est aussi intervenu de manière vigoureuse pour que cela figure dans ce projet de loi.
Mme Véronique Pürro (S). J'aimerais répondre en partie à M. Gros, si vous me l'autorisez, même si je n'aurai pas son lyrisme ni sa théâtralité.
Comment peut-on utiliser une population qui, en des temps pas si lointains, a été persécutée par les nazis ?! Comment peut-on utiliser cette population à des fins purement politiciennes... (Remarque.) ...à la veille des élections - parce que c'est bien de cela qu'il s'est agi - et, aujourd'hui, venir nous dire qu'il ne faut pas utiliser les Roms ?!
Alors, à M. Gros - et à d'autres - j'ai envie de dire que les Roms ne sont pas venus en masse suite à la décision du Conseil d'Etat de rendre la mendicité légale ! Non ! Monsieur Gros, permettez-moi de vous dire, en tant que responsable d'un service social qui, depuis des années, accueille cette population, que ce soit dans les structures de jour comme dans les structures de nuit, que les chiffres sont là pour l'attester: ces gens n'ont jamais été aussi peu nombreux que durant cette année, et en particulier cet hiver ! J'en veux pour preuve qu'il y a deux ans, alors que les conditions météorologiques étaient identiques à celles de cette année - c'est-à-dire que, la semaine de d'ouverture de l'abri PC, nous avions déjà une température en dessous de zéro - nous avions dû prendre des mesures supplémentaires parce que, la première semaine de l'ouverture de l'abri, nous avions déjà dû accueillir 127 personnes, et parmi elles plus de 80 Roms. C'était il y a deux ans, Monsieur Gros ! Deux ans après, c'est-à-dire cette année, alors que vous dénoncez l'explosion et l'arrivée en masse de cette population, eh bien, j'ai le plaisir de vous dire qu'ils n'étaient à peine qu'une vingtaine, Monsieur Gros ! (Commentaires.) C'est faux, arrêtez de dire n'importe quoi ! Le premier jour d'ouverture, je suis moi-même allée voir à l'abri PC, et tous les chiffres en attestent !
Alors, que vous ayez besoin de cela pour apparaître dans les médias, et que certains aient eu beaucoup de plaisir à faire, jour après jour, la une de l'actualité en utilisant de manière démagogique une certaine population et en incitant à la haine, c'est votre affaire ! Mais nous, nous le dénonçons ! Parce que, Monsieur Gros, admettez qu'on ne vient pas ici et qu'on ne quitte pas son pays pour venir dormir sous les ponts, simplement parce que la mendicité est légale ! Et ce que nous disons, nous socialistes, c'est qu'il ne s'agit pas d'interdire la mendicité, le problème n'est pas là, et d'autres l'ont relevé: le problème c'est la pauvreté ! Et nous souhaitons interdire la pauvreté !
Alors, les mesures sont diverses et variées... Il y a le plan que vous n'avez pas voulu, dont vous n'avez pas voulu la présentation. Il y a le plan du Conseil d'Etat et du Conseil administratif. Il se base sur plusieurs réponses: il y a la réponse répressive, celle qui vous plaît tant, que vous voulez voir appliquer de manière exclusive, mais il y a aussi la réponse humanitaire et sociale ! Le quatrième pilier que, pour notre part, nous souhaitons ajouter, avec notre motion et notre résolution, est la solidarité internationale et l'aide dans les pays où la pauvreté sévit à tel point que les gens sont amenés à venir ici pour mendier à la rue du Rhône, devant nos boutiques de luxe ! Car cela, nous ne devons pas le favoriser.
Il y a une autre chose qui, je crois, n'a pas été relevée. Vous appartenez à ces partis qui prônent la liberté, la liberté individuelle, la liberté de commerce, la liberté de déplacement; vous êtes aussi de ces partis politiques qui sont favorables à l'intégration européenne, à la liberté de circuler, à la libre circulation des marchandises et des êtres humains; vous appartenez aussi à des partis qui sont en faveur de la mondialisation... Eh bien, je crois qu'il faut aussi accepter les conséquences de tout cela ! C'est-à-dire qu'on ne peut pas vouloir que seuls ceux qui ont l'argent puissent circuler ! On doit aussi accepter que les pauvres aient envie de se déplacer pour venir chercher la richesse là où elle se trouve, c'est-à-dire dans nos villes ! Et c'est bien ça le problème, Monsieur Gros ! Vous pouvez interdire la mendicité, mais vous ne pourrez pas interdire les pauvres. C'est tout en leur honneur de vouloir améliorer leur situation ! Vous n'interdirez pas aux plus courageux d'entre eux de quitter leur famille et leur culture pour venir chercher meilleure fortune dans nos villes plus riches que les leurs.
Alors, s'il vous plaît, arrêtez ce cirque, arrêtons ce théâtre ! Ne laissons pas entendre à la population qui nous écoute qu'une loi qui interdirait la mendicité serait à elle seule capable d'éradiquer tous les problèmes de pauvreté des Roms et des autres ! Et, je vous en conjure, ne votons pas cette loi ! Suivez le groupe socialiste qui, avec force, sera contre la loi ! (Applaudissements.)
M. Olivier Jornot (L), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, que de hauts cris pour un texte extrêmement simple, qui ne contient que deux articles ! Je remercie d'ailleurs M. Pétroz à ce sujet d'avoir ramené tout à l'heure le débat à de justes proportions: nous ne sommes pas en train de refaire un grand débat philosophique, nous ne sommes pas en train de visiter le tonneau de Diogène, Monsieur Velasco ! Nous sommes simplement en train de nous demander si nous estimons que la situation qui prévalait avant la suspension du règlement était meilleure ou moins bonne que la situation que nous avons connue après ladite suspension !
Je rappelle en effet que ce projet de loi n'a pas d'autre objectif que d'introduire au niveau législatif ce que le Conseil d'Etat a refusé de continuer à appliquer au niveau réglementaire qui est le sien. Il ne s'agit pas, Mesdames et Messieurs, de criminaliser la mendicité ! J'ai même entendu ce mot tout à l'heure ! Il s'agit d'en faire, comme c'était le cas jusqu'à présent, comme c'est toujours le cas, une simple contravention. Il ne s'agit en outre pas d'introduire à Genève une réglementation particulièrement originale, puisque c'est celle qui existe dans la plupart des cantons de ce pays. C'est celle qui existe dans la plupart des villes de ce pays, lorsqu'il s'agit de compétences que le canton délègue aux villes.
Je suis frappé une fois de plus, Mesdames et Messieurs, par la candeur de M. Moutinot. Vous nous dites, Monsieur Moutinot, qu'une fois que ce plan aura été complètement appliqué, les mendiants ne seront plus là. Je vous rappelle qu'au printemps vous disiez qu'ils n'étaient pas là et vous avez demandé à la police, non seulement de ne pas les amender, mais en plus de les compter ! Maintenant vous nous dites qu'une fois que le plan sera appliqué ils ne seront plus là ! Ce n'est pas sérieux ! Ce plan prévoit des mesures massives maintenant, qui sont appliquées aujourd'hui, pour résoudre la gabegie qui existe depuis le printemps, mais ensuite il faudra bien trouver une solution à plus long terme. On ne pourra pas continuellement avoir des groupes d'îlotage communautaire chargés, je cite, «de créer des liens avec le milieu concerné». Il faut aussi savoir mettre des priorités en matière de sécurité là où elles sont et trouver des solutions simples pour résoudre des problèmes simples comme celui de la présence des mendiants dans les rues de notre ville.
Ce plan, Mesdames et Messieurs, du département, du Conseil d'Etat et de la Ville de Genève, de nombreux orateurs l'ont dit, il faut l'appliquer ! C'est juste, mais pourquoi prétendre que l'existence de ce plan nous empêcherait de voter le projet de loi ? C'est faux ! Ce sont des mesures totalement indépendantes qui, comme on l'a dit tout à l'heure, n'exigent pas qu'il y ait le vote d'une loi. Donc, ça signifie que si tout à l'heure on avait voté le renvoi en commission, on n'aurait pas pu faire des amendements entre le plan et le projet de loi, alors qu'il s'agit de choses qui sont à un niveau complètement différent. Et comme le disait un des orateurs précédemment, on n'aurait même pas besoin de tenir ce débat, si simplement le Conseil d'Etat, au lieu de suspendre son règlement, avait fait son travail et avait appliqué le règlement.
Il s'agit donc d'appliquer le plan - très bien ! - mais il s'agit aussi de ne pas être hypocrite, qu'il n'émane pas de nous des messages complètement alambiqués consistant à dire: ça n'est pas interdit, c'est permis, mais pas trop longtemps au même endroit ! Figurez-vous que c'est ça qu'on a lu dans la presse lorsque le plan a été annoncé. Le représentant de la police qui disait que la police allait faire en sorte que les mendiants se trouvent à des endroits où ce n'est pas trop gênant et s'ils restent trop longtemps au même endroit, on va les prier de se déplacer. Ça, c'est un langage qui est hypocrite et cette hypocrisie est totalement inacceptable ! Il faut voter ce projet de loi - et vite !
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Gilbert Catelain (UDC). Personnellement, je ne vois pas plus d'électoralisme dans un projet de loi - qui consiste à répondre à une attente de la population - que dans la médiatisation du don d'un rein à la veille des élections fédérales ! (Huées.)
Une voix. Vlan !
M. Gilbert Catelain. Quand j'observe la difficulté du département des institutions à régler un problème simple comme la mendicité, je me pose la question de savoir quelle est la capacité de notre gouvernement à pouvoir, un jour peut-être, régler des problèmes beaucoup plus importants au niveau de la sécurité que le sont le trafic de drogue ou le crime organisé !
Finalement, le seul but de ce projet de loi, je vous le rappelle, c'est de rétablir le droit qui était en vigueur jusqu'à ce jour et qui n'avait - jusqu'à présent - choqué personne ! Je rappelle à ce parlement qu'il a voté ce printemps une loi sur l'aide sociale. Cette loi prévoit l'aide d'urgence, à savoir que n'importe quelle personne qui se trouve à Genève en situation légale ou illégale peut faire appel à l'aide de l'Hospice général pour être nourrie et logée, aux frais du contribuable genevois. Il n'y a donc aucune raison d'autoriser la mendicité, puisque le filet social genevois bénéficie - à des degrés divers - à l'ensemble de la population qui réside sur ce territoire ou qui, n'y résidant pas, est de passage. C'est prévu dans la loi sur l'aide sociale. C'est un élément que l'UDC avait d'ailleurs fortement contesté et que vous avez voté !
Dans les faits, contrairement à ce que l'on veut bien nous faire croire, même si, pour une certaine catégorie, c'est peut-être le cas, la mendicité est lucrative ! Dans le débat en commission, on nous a signalé une étude menée en Belgique et qui a analysé parfaitement les gains des mendiants. En Belgique, la différence entre les gains d'un mendiant étranger et ceux d'un mendiant belge varie de 50%, mais ces gains correspondent grosso modo au salaire minimum français. C'est clair qu'à Genève, si vous le couplez avec l'aide sociale, ça peut effectivement aboutir à des revenus relativement intéressants. Et ne croyez pas qu'ils soient tous venus en bus depuis la Roumanie ! Certains viennent quotidiennement en voiture sans problème !
Mais s'ils viennent à Genève, c'est qu'il y a une raison ! Pourquoi ne vont-ils pas à Zurich, à Bâle ou à Lausanne ? C'est cette question qu'il faut se poser ! C'est bien parce que le département a renoncé à appliquer le règlement que nous avons constitué une sorte de pôle aimanté qui a favorisé cette activité sur la place genevoise.
Finalement, la plus grande victime de cette situation, à part les mendiants eux-mêmes, c'est la Roumanie ! Et il est inacceptable, parce que nous renonçons à appliquer le droit en vigueur dans ce canton, qu'un pays et une population entière soient victimes de l'amalgame qui est fait entre les Roms et la Roumanie. Je rappelle finalement que cette situation est davantage due à l'ancien régime communiste qui a parqué ces gens, qui les a sédentarisés en Roumanie et qui les a maintenus pendant cinquante ans dans des conditions misérables !
Une voix (bancs de la droite). Un régime que vous avez soutenu, en face !
M. Gilbert Catelain. Je rappelle aussi que, lors de la votation sur les accords bilatéraux, l'UDC avait préconisé, pour que la Suisse puisse conserver sa capacité à attribuer son aide en fonction des besoins, qu'elle puisse choisir quels projets elle allait financer. Le parlement fédéral a renoncé à cette compétence, il s'est aplati devant la volonté de Bruxelles. Il y a de fortes chances que demain il en soit de même lorsque nous devrons discuter de l'aide que nous apporterons à la Bulgarie et à la Roumanie. Si vraiment nous voulons aider les Roms, j'enjoins nos conseillers nationaux - et ceux qui vont le devenir prochainement dans ce parlement - à militer pour que la Suisse puisse effectivement décider elle-même à qui elle apportera son aide !
Pour ces motifs, je vous invite à voter ce projet de loi !
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de deuxième minorité. On a reparlé de la loi de 1946, mais c'est une loi totalement anachronique par rapport au monde d'aujourd'hui. On nous parle d'une loi d'une époque où la République et canton de Genève avaient une frontière située à la Versoix ou à Coppet et une frontière avec la France. Or aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, il n'y a plus de frontières ! Et le douanier d'en face, M. Catelain, devrait quand même le savoir ! Eh bien non, il persiste ! Il ne l'entend pas, il s'en fout ! (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) Comment voulez-vous appliquer une loi datant de 1946 ?! Aujourd'hui, elle ne peut plus s'appliquer ! Monsieur Catelain, si les capitaux se sont mondialisés, la misère s'est mondialisée de même ! Et vous pourrez faire tout ce que vous voulez, les pauvres reviendront ! M. Moutinot et le Conseil d'Etat peuvent bien renvoyer les pauvres chez eux, ils reviendront, et ils ont le droit de revenir !
Vous avez évoqué les pays de l'Est... Parlons-en ! A l'époque des régimes communistes, chaque fois qu'un Roumain arrivait ici, puisqu'il échappait à un régime que l'on avait qualifié d'enfer, on lui offrait des bourses d'études, un appartement et tout ce que vous voulez... Il était accueilli à bras ouverts ! Maintenant que le gouvernement roumain - démocratique ! - nous envoie ses pauvres, parce qu'il dit en avoir trop, eh bien on dit non ! Là, on ne veut plus ! C'est quand même bizarre ! Avant, on accueillait ces gens-là parce que, soi-disant, ils étaient persécutés par un régime, et maintenant on ne veut plus les accepter ! Là, il y a un problème, Monsieur Catelain ! D'accord ? Si on ne veut plus les accueillir, c'est parce qu'il s'agit de pauvres ! Et les pauvres, on ne les veut pas ! (Brouhaha.) Si demain une horde de Roumains arrive en Suisse avec ses capitaux, pour les placer, et qu'elle va à Gstaad, comme Johnny par exemple, eh bien on recevra ces gens, il n'y aura pas de problèmes ! Mais ce que l'on ne veut pas accueillir, c'est la misère ! (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) Madame la présidente, je crois que certains de mes collègues ont envie de boire un verre... Ils devraient aller à la buvette ! (Brouhaha.)
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur Gros, Monsieur Nidegger, merci de vous asseoir et d'écouter l'orateur ! Il y a également de nombreux libéraux qui discutent sur les côtés de la salle... Merci de faire silence ! Monsieur le rapporteur, vous pouvez continuer.
M. Alberto Velasco. Je trouve un peu inadmissible que M. Gros dise que c'est M. Moutinot - le Conseil d'Etat par conséquent - qui a provoqué un appel d'air et que c'est M. Moutinot et le Conseil d'Etat qui ont permis, par leur attitude, l'arrivée de ces personnes. Monsieur Gros, vous êtes un homme intelligent et sensible, sur quoi vous basez-vous pour dire de pareilles choses ? Sur rien du tout ! Non Monsieur ! Ces gens-là ne sont pas venus parce qu'ils avaient appris que la loi n'existait plus ! Ce n'est pas vrai, personne ne le savait ! Le rapporteur de majorité l'a très bien dit, personne ne savait que cette loi avait disparu «par inadvertance» à un moment du toilettage des dispositions légales. Et ces mendiants étaient déjà là, à ce moment ! Ce n'est donc pas vrai, ce n'est pas du tout le Conseil d'Etat qui a abrogé cette loi ! Et les Roms ne sont pas venus parce qu'ils savaient que cette loi n'existait plus: ils sont venus parce qu'ils viennent d'eux-mêmes, et ils reviendront ! Ils reviendront à Genève, ils reviendront à Bâle, à Zürich, à Paris et ailleurs... Tant qu'il y aura de la misère, ils reviendront ! (Brouhaha.)
Je salue donc la résolution du parti socialiste qui demande une aide pour ces gens... (Brouhaha.) Madame la présidente, ce n'est pas possible de travailler comme cela !
La présidente. Monsieur le député, avez-vous terminé ?
M. Alberto Velasco. Il faut dire à nos collègues de droite qu'ils partent boire un verre... Ils ont peut-être envie de boire du champagne, c'est pourquoi ils sont si excités ! (Huées.) Mais oui ! Taisez-vous, quoi ! (Brouhaha.) Taisez-vous !
La présidente. Monsieur le rapporteur, terminez votre intervention. Je rappelle que nous allons suspendre nos travaux à 19h et les reprendre à 20h30.
M. Alberto Velasco. Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande donc de faire preuve de générosité, même si je n'aime pas employer ce terme, ainsi que d'humanité ! Genève est une cité où l'argent déborde ! Il y a quand même des capitaux, beaucoup d'argent, dans cette ville ! Pourquoi ne pourrait-on pas accueillir vingt Roms ou vingt familles de Roms ? Même cinquante ou cent familles ? Il y a les moyens de les accueillir ! Et je trouve cette loi insupportable, pour ne pas dire inique ! (Applaudissements.)
Fin du débat: Session 02 (novembre 2007) - Séance 10 du 30.11.2007
La présidente. Merci ! Mesdames et Messieurs les députés, il est 19h, je vous rappelle que nous sommes tous invités dans la grande tente installée dans le parc des Bastions par les responsables de la Course de l'Escalade.
Nous arrêtons là nos travaux, nous les reprendrons à 20h30.