Séance du
jeudi 11 octobre 2007 à
17h
56e
législature -
2e
année -
12e
session -
59e
séance
GR 475-A
Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse. Mesdames et Messieurs les députés, nous traitons ce soir le cas d'une personne dont nous avons déjà eu l'occasion de parler en 2006, puisqu'une première demande de grâce lui avait déjà été refusée, malgré le préavis positif de la commission. Je vous redis d'emblée que la commission s'est réunie lundi et qu'elle propose à nouveau d'accorder la grâce à cette femme.
Il s'agit de Mme C. C., une Suissesse âgée de 35 ans qui élève seule sa fille de 17 ans, qu'elle a presque entièrement à sa charge puisqu'elle ne touche qu'une modeste pension alimentaire de 227 F par mois. Je précise également que sa fille fait des études, elle est au collège, et qu'elle ne pourra donc pas gagner d'argent avant un certain temps pour pouvoir aider éventuellement sa maman.
Voici un rappel des faits: Mme C. C. a en quelque sorte disjoncté à un moment donné de son existence et n'a pas su faire face à ses responsabilités. Elle a notamment accumulé un nombre impressionnant de contraventions entre mai 2001 et septembre 2004. J'aimerais toutefois préciser qu'il s'agissait d'amendes pour des questions de stationnement et en aucun cas pour des faits plus graves. Cela dit, la somme est considérable, puisque si l'on compte aussi bien les amendes que les frais, elle en a eu pour environ 24 000 F. De plus, à la même époque, elle a aussi contracté des dettes d'autres types, ce qui fait que le montant total de ce qu'elle devait s'élevait environ à 40 000 F.
Il faut en outre préciser que cette personne n'avait qu'un petit salaire, puisqu'elle travaillait à 80% dans un musée genevois et que, déductions faites, il ne lui restait que 3600 F nets. Néanmoins, elle a décidé de remonter la pente. Elle a tout d'abord abandonné sa voiture en septembre 2004 et n'a d'ailleurs plus reçu aucune contravention liée à son véhicule depuis lors. Elle a aussi pris contact avec le Centre d'action sociale et de santé des Eaux-Vives - son quartier - afin qu'on l'aide à entreprendre des démarches administratives pour régler sa situation.
Dès octobre 2005, elle a pris un arrangement avec le service des contraventions, en vertu duquel elle a payé 200 F par mois. Il faut aussi savoir que, en plus de cette somme, elle devait 550 F par mois jusqu'à fin 2005 puis 400 F à partir de début 2006 - il y avait une saisie sur son salaire - pour les autres dettes qu'elle avait contractées.
Compte tenu de la situation difficile dans laquelle elle se trouvait, Mme C. C. a entamé en avril 2006 une première procédure de grâce que nous avons donc refusée en décembre dernier. Aujourd'hui, où en est-on, et qu'est-ce qui peut motiver une nouvelle demande ?
Tout d'abord, sachez que Mme C. C., qui avait perdu son emploi début 2006, en a retrouvé un. Elle travaille maintenant à 60% et s'occupe de la collection d'art d'une grande régie de la place. Son employeur, qui est tout à fait satisfait d'elle, lui paie même une formation en muséologie, de manière qu'elle puisse obtenir un titre qui lui permettra, le cas échéant, de travailler un jour pour un salaire plus élevé.
Depuis avril 2007, elle a conclu avec le SAPEM un arrangement concernant les amendes pour lesquelles une procédure de conversion avait été entreprise. Depuis lors, elle respecte consciencieusement cet arrangement, qui se monte à 600 F par mois. Or son revenu actuel net - je rappelle qu'elle travaille à 60% - est d'environ 4000 F par mois, si l'on rajoute les allocations familiales et la pension alimentaire. Vous comprendrez donc bien, Mesdames et Messieurs les députés, que, lorsqu'on a une fille à charge de 17 ans, il est extrêmement difficile de vivre à Genève avec une somme qui, si on enlève les 600 F de l'arrangement, ne s'élève plus qu'à 3400 F par mois. En outre, comme elle nous l'a écrit dans sa demande de grâce, et répété également au téléphone: «Je réduis certes ma dette envers le service des contraventions, mais je l'augmente ailleurs.» Actuellement, elle m'a dit avoir un loyer et demi de retard et des factures de dentiste en souffrance.
Qu'en est-il en définitive de ce qu'elle doit, en termes d'amendes ? Aujourd'hui, il lui reste environ 4600 F à payer, auxquels s'ajoutent les 7723 F de frais qui y sont liés. Si sa demande en grâce devait être acceptée, il faut bien le comprendre, elle devrait tout de même payer encore plus de 7700 F.
Lorsque la première demande avait été refusée, certains d'entre vous s'étaient posé une question qui n'avait pas reçu à l'époque de réponse, c'était de savoir si elle ne pourrait pas s'acquitter de sa dette envers la société par le biais de travaux d'intérêt général. Je me suis donc renseignée auprès du service des contraventions et du SAPEM, et il se trouve que, avec le nouveau code pénal, ce type de travaux ne pourrait concerner que les amendes pour lesquelles il y a une demande en conversion, c'est-à-dire un jugement, en d'autres termes les amendes pour lesquelles elle est en train de payer ces 600 F et qu'elle aura totalement réglées d'ici très peu de temps, un mois sauf erreur.
Par conséquent, les amendes qui sont en souffrance ne peuvent pas être converties en travaux d'intérêt général, à moins qu'une nouvelle procédure de poursuites soit entamée mais, d'après le service des contraventions, cela ne semble être le cas ni dans l'immédiat ni probablement dans l'avenir.
En conclusion, je vous invite très vivement à suivre le préavis favorable de la commission. N'oublions pas qu'en acceptant la grâce nous ne ferons en définitive que d'alléger de 4600 F la peine de cette femme, puisqu'il lui restera tout de même près de 7800 F à payer.
De plus, c'est une personne qui a cherché à s'en sortir, qui a retrouvé le droit chemin, en quelque sorte, et dont on peut dire qu'elle a fait «amende honorable». Son dossier de suivi administratif a été classé par le Centre d'action sociale et de santé des Eaux-Vives, elle ne reçoit actuellement aucune forme d'assistance de l'Etat et paie même des impôts, c'est donc une femme parfaitement intégrée... (Commentaires.) Monsieur le député, je voudrais vous dire que j'entends très souvent dans cette enceinte des gens reprocher à certaines personnes d'être assistées et de ne pas payer d'impôts, mais ici il est question d'une personne qui a retrouvé le droit chemin, qui règle ses dettes dans la mesure de ses moyens, qui paie ses impôts et ne reçoit aucune forme d'assistance. Donc, le choix est simple: voulons-nous l'aider à continuer dans cette voie ou prendre le risque de la voir couler à nouveau ? J'ajouterai simplement en conclusion que ce n'est pas une question d'humanité mais de bon sens, et je vous invite à suivre le préavis favorable de la commission. (Applaudissements.)
M. Jean-Michel Gros (L). Le plaidoyer de Mme Emery-Torracinta m'a touché et j'accorderai donc la grâce à titre personnel, puisque nous n'avons aucune consigne de vote dans notre parti concernant les demandes de grâce.
Je suis pour que l'on gracie cette personne qui s'en est sortie. Mais sortie de quoi ? Sortie de l'enfer mis en place par la Ville de Genève ! Il faut bien le savoir ! Parce que la Ville de Genève, en engageant outre mesure des agents municipaux qui harcèlent les automobilistes pour des questions de stationnement, met en péril...
La présidente. Monsieur le député, nous n'allons pas faire de débat sur les amendes !
M. Jean-Michel Gros. J'explique simplement pourquoi j'accorderai la grâce ! Et j'attire votre attention - puisque nous sommes sur Léman Bleu et que la Ville de Genève nous regarde - sur le fait que c'est un exemple de situation dans laquelle cette commune place certains de nos concitoyens. C'est donc aussi pour cette raison que j'accorderai la grâce à cette dame. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Roger Deneys (S). Une fois de plus, les propos de M. Gros sont absolument inacceptables, parce que je trouve scandaleux de reprocher à une commune d'appliquer les lois en vigueur ! C'est bien un syndrome libéral, de voter des lois, des interdictions et, après, de protester parce qu'elles sont respectées...
La présidente. Monsieur le député, j'aimerais que nous traitions de la grâce...
M. Roger Deneys. La Ville de Genève, en appliquant les lois, sauve des vies humaines ! Donc, en ce qui me concerne, je m'abstiendrai.
La présidente. Nous n'allons pas faire de débat sur ce sujet. Nous ne sommes pas au Conseil municipal mais au Grand Conseil ! La parole est à M. Eric Stauffer, sur la grâce !
M. Eric Stauffer (MCG). Madame la présidente, il me semble que nous sommes dans un parlement, c'est donc pour parler ! Alors, si chaque fois que je vais m'exprimer ce soir, parce que vous êtes stressée à cause du projet de loi sur les SIG, vous allez me couper la parole, ça ne va pas aller !
Ce que je voulais dire, c'est que nous allons accorder la grâce, et à double titre. J'approuve en effet totalement les propos du député Jean-Michel Gros, parce que la Ville de Genève, sur délégation du canton, de l'Etat, c'est-à-dire de cet hémicycle, a pris les contraventions des automobilistes en otage et a même été jusqu'à budgéter les futures incivilités ! C'est lamentable ! Et je vous rappelle qu'un projet de loi du MCG visant à retirer ces droits, que nous avons octroyés à la Ville de Genève notamment, est actuellement en commission judiciaire et de police.
M. Gilbert Catelain (UDC). J'aimerais juste dire que chaque cas est particulier et que ce serait une erreur de tirer des généralités. Certains votent des lois et ne les appliquent pas et d'autres reprochent à ces derniers de se glorifier de faire appliquer les lois alors qu'ensuite ils votent des amnisties générales relatives à certaines applications de ces lois... Donc, à chacun de prendre sa décision en son âme et conscience et de voter ou non cette demande de grâce.
M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Nous ne sommes pas là pour faire le procès de l'activité des services de sécurité municipaux, mais pour estimer si nous voulons, en toute conscience, accorder ou non la grâce à une personne qui, indépendamment des fautes commises et reconnues, est dans une situation difficile mais démontre qu'elle a décidé de se remettre en cause et de tenter de redresser la barre. Pour cette raison, personnellement, je voterai en faveur de la grâce. Je vous remercie.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce des arrêts en conversion et du solde des amendes) est adopté par 51 oui contre 10 non et 5 abstentions.
La présidente. Aucune candidature n'étant parvenue à la présidence, l'élection 1511 est reportée à la session des 15 et 16 novembre prochain.