Séance du
jeudi 30 août 2007 à
10h15
56e
législature -
2e
année -
10e
session -
53e
séance
RD 640
Débat
M. Jean Rossiaud (Ve), rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, durant la législature précédente, la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) a été interpellée par certaines affaires traitées par la presse, mettant en cause la réputation de hauts fonctionnaires ou de personnalités politiques. Il est au fond question du respect de la personnalité dans les médias et c'est un problème récurrent. Durant les travaux mêmes de la commission et durant la rédaction du rapport, de nouveaux événements - des faits divers - relatés par la presse laissent à penser que des personnes peuvent avoir subi un préjudice du fait d'avoir été mises en cause médiatiquement.
Il nous faut également rendre hommage à l'ensemble de la profession - que ce soient les éditeurs ou les journalistes - qui s'est prêtée à ce jeu des questions-réponses pendant pratiquement une année et a consenti à jouer le jeu du débat. Il faut aussi rendre hommage à M. Michaël Flacks - de l'ex-département de l'intérieur, de l'aménagement et de l'équipement - qui nous a accompagnés, ainsi qu'à Mme Eliane Monin qui a fait le rapport.
Au terme de cette réflexion, les commissaires sont convaincus du fait que, dans le domaine en question, les droits de l'Homme et de la personne ne sont pas menacés, et toute la profession doit s'en féliciter. Il n'en demeure pas moins que des dérapages médiatiques ont lieu occasionnellement, qui peuvent causer des dommages inutiles ou disproportionnés, souvent irréparables pour les personnes mises en cause dans les affaires administratives ou judiciaires ou encore relevant de faits divers. A une époque où la presse connaît de profondes mutations technologiques et commerciales, et pour que la situation actuelle ne se dégrade pas - ou mieux encore, pour qu'elle s'améliore - la commission des Droits de l'Homme a le devoir de continuer à exercer sa vigilance dans le domaine.
La première question à laquelle il fallait répondre était une question-piège. On nous a demandé de répondre à la question de la présomption d'innocence... Or il n'est en aucun cas question de la présomption d'innocence. La première chose qui nous est apparue est que nous nous étions fourvoyés dans la manière d'aborder la question. La seule question importante, du point de vue du citoyen comme de celui du journaliste, est celle de la protection de la personnalité. Et cette question concerne aussi bien les coupables que les innocents, et aussi bien leurs familles et leurs proches. C'est cette norme-là qui, parfois, entre juridiquement et éthiquement en conflit avec le droit des citoyens à être informés.
Il y avait donc erreur de perspective - une erreur de juristes et d'avocats. Cette erreur consiste souvent, aussi du côté des médias, à considérer que la liberté de la presse est un droit de la presse, un droit des journalistes et de ceux qui mettent la liberté de la presse en oeuvre, les éditeurs. Alors que non, Mesdames et Messieurs les députés, cette liberté de la presse est substantiellement au service des citoyens ! Qui, pour se faire une opinion, doivent pouvoir disposer d'une appréciation objective et positive des faits, à laquelle on peut adjoindre un commentaire, le cas échéant.
En conséquence, la commission a adopté une formulation différente, qui sera valable pour les législatures prochaines et qui est de savoir comment défendre ensemble le respect de la sphère privée et le droit à une information de qualité indispensable au bon fonctionnement de la démocratie.
La question qui se pose à la commission des Droits de l'Homme dans la durée, sur le long terme, est de savoir comment élaborer une politique publique qui relève à la fois de la promotion des droits démocratiques, dont font partie le droit à une information de qualité et le respect de la dignité des citoyens, la prévention des conséquences de la médiatisation des affaires judiciaires et des faits divers.
Une chose est claire: entre le droit du public à être informé, la liberté de la presse qui en découle et le respect de la sphère privée - notamment le principe de la présomption d'innocence - la tension ne pourra jamais être résolue. Ce n'est pas une question juridique qui se pose in fine, mais une question éthique à laquelle chaque journaliste est confronté, une question déontologique à laquelle chaque média doit répondre. Il serait ainsi faux de légiférer plus que nécessaire dans le domaine.
Cependant, il y a intérêt à discuter avec la profession entière pour qu'un certain nombre de règles éthiques et déontologiques soient appliquées. Tous les médias n'apportent d'ailleurs pas le même soin à cette question. On s'est entretenu avec l'ensemble de la presse écrite, orale et télévisuelle. On peut dire que les médias publics, notamment la Télévision suisse romande et la Radio suisse romande, font un travail extrêmement rigoureux en la matière, ce qui est moins le cas de certains journaux quotidiens ou hebdomadaires.
Ce qui est au coeur de notre réflexion sur le long terme, c'est la promotion d'une information de qualité et la prévention des dommages que peuvent causer la médiatisation de certaines affaires. La commission est convaincue que la démocratie et l'Etat de droit reposent sur la promotion d'une information de qualité aussi bien que sur le respect de la dignité des citoyens. Une promotion d'une information critique et une formation à l'image pourraient être systématisées. Par ailleurs, les conséquences de la médiatisation pourraient être prévenues, et c'est ce que nous avons fait dans cette commission en nous entretenant avec les journalistes, avec les rédacteurs en chef et avec des représentants d'éditeurs de journaux comme Ringier et Edipresse.
La présidente. Il va falloir conclure, Monsieur le rapporteur.
M. Jean Rossiaud. Je vais prendre les trois minutes de temps de parole réservées aux Verts.
La présidente. Ces trois premières minutes sont largement dépassées. Vous utilisez déjà tout le temps qui vous est imparti, c'est-à-dire six minutes, et vous arrivez au bout !
M. Jean Rossiaud. Je vais donc conclure. Le volet de prévention et de promotion doit s'accompagner d'un volet pénal quand la loi est violée et d'un volet de réparation quand les personnes ont été atteintes dans leur honneur. C'est une politique permanente, et elle doit reposer sur un échange de vues régulier avec la presse.
Avec ce rapport, nous avons posé la première pierre - et je conclurai là-dessus. Nous avons posé un état des lieux en la matière et, aux prochaines législatures, il s'agira de remettre à jour et d'actualiser les données que nous avons obtenues, pour savoir si la presse respecte toujours à la fois la vie privée et le droit à l'information sans entrer dans le détail de la vie privée des gens.
Mme Janine Hagmann (L). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais d'abord commencer en vous faisant remarquer la chance que nous avons que la fonction de député soit aussi variée, si l'on songe à la diversité des sujets traités par les différentes commissions. Par exemple, en commission des travaux, on s'occupe d'épaisseurs de fenêtres et de hauteurs de portes alors qu'à la commission des Droits de l'Homme, une commission relativement jeune, on s'occupe de problèmes hautement philosophiques. Je pense que nous pouvons être satisfaits de la variété des sujets abordés dans notre fonction !
Comment la commission des Droits de l'Homme en est-elle arrivée à se pencher sur le problème du droit à l'information sans qu'il y ait pour autant empiètement sur la sphère privée ? Eh bien, je crois que nous sommes tous concernés ! Parce que vous vous souvenez de ce qu'un problème réel concernant un ancien député émérite avait provoqué cette longue réflexion. Pour nous, commissaires, la question était de savoir si les textes légaux suffisaient. La liberté d'expression, quel privilège ! Mais la présomption d'innocence, quel concept inviolable ! Ces deux principes, l'un individuel, l'autre collectif, sont d'égale valeur et catalogués comme des droits de l'Homme importants - mais ils se font face et s'opposent l'un à l'autre. Il s'agit de deux principes judiciaires fondamentaux et c'est peut-être la première fois qu'une commission avait à réfléchir sur un sujet aussi philosophique.
Vous avez peut-être parcouru l'excellent et épais rapport de M. Rossiaud, que je tiens à remercier car les auditions des journalistes ont été fidèlement retranscrites; vous avez pu constater que tous sont venus - dans la limite topologique définie, évidemment - et ils ont tous accepté de collaborer à la réflexion de la commission. Peut-être aurions-nous même dû aller plus loin et entendre des journalistes spécialisés dans les questions judiciaires ? Car, souvent, les auditionnés ont essayé de définir ce qu'était un bon journaliste: est-ce celui qui permet un échange, une interaction de la pensée ou celui qui sait et qui informe, qui énonce clairement les faits en les commentant après avoir enquêté et procédé à des vérifications ? Aujourd'hui, les lecteurs veulent pouvoir exprimer ce qu'ils pensent, se sentir les égaux des journalistes, voire leurs supérieurs ! Claude Monnier écrivait dans la Tribune de Genève: «Le journaliste de déclamation du haut d'une chaire est donc mort et le temps est venu du dialogue universel où la parole de chacun vaudra celle de tous les autres, ou tout ne sera plus qu'échange, interaction, démocratie totale de la pensée.»
La présidente. Il va falloir conclure, Madame la députée.
Mme Janine Hagmann. Dans ce courant, on peut se demander si, dans les faits, la présomption d'innocence et la protection de la sphère privée sont respectées d'une façon égalitaire, c'est-à-dire dans chaque situation. Là, on constate que pour des personnes dites publiques les enjeux sont encore plus grands. Un journal nomme quelqu'un pour qu'il soit identifié, le dénommé n'a toutefois pas choisi d'être connu. Il peut lui arriver d'être pourfendu, lynché ! Ce n'est pas acceptable, c'est même amoral ! Notre société démocratique se doit d'être respectueuse des droits de l'Homme. Ce respect commence toujours par le respect de l'individu. Entre les deux droits sur lesquels portait la réflexion, je privilégierai la présomption d'innocence et le respect de la sphère privée, car un système qui privilégierait le droit à l'information serait un système qui tendrait à une dictature de l'ombre.
En conclusion, je dirai que nous avons dans ce rapport un magnifique catalogue de la philosophie des médias à ce jour. Ils se sont rendu compte de l'intérêt que les politiques leur portent, et c'est réciproque. Pour terminer, la commission des Droits de l'Homme a aussi une vocation pédagogique. Si j'appartiens au groupe libéral...
La présidente. Madame la députée, il vous faut conclure !
Mme Janine Hagmann. ... c'est que mes convictions m'incitent à préserver l'individu contre le nombre plutôt que le nombre par rapport à l'individu. C'est un choix de société qu'il a été intéressant de discuter avec les représentants des médias, dans la marge de manoeuvre qui est la leur, et je vous recommande de prendre acte de ce rapport.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai assisté aux séances de la commission des Droits de l'Homme réservées à l'étude de cet objet. Il est vrai que nous avons eu l'occasion de procéder à de nombreuses auditions d'éditeurs, de rédacteurs en chef et de spécialistes des médias.
A titre personnel, je ne peux pas dire que je considérais ce sujet comme un véritable problème de violation des droits de l'Homme dans la République et canton de Genève, mais il n'empêche qu'il est vrai que des personnes sont parfois mises en causes et qu'on peut se demander si toutes les garanties sont réunies pour que cela se passe dans le respect de règles bien délimitées.
Je pense que le rapport est excellent, parce qu'il dresse un état des lieux et comprend même une conclusion sous la forme de trois propositions qui concernent la formation des journalistes, l'adoption d'une charte et l'échange de vues entre les politiques - souvent mis en cause, à tort ou à raison, dans des affaires précisément dévoilées par la presse. Ce sont par ailleurs des pistes qui ne vont pas dans l'idée d'une norme légale supplémentaire.
Concernant le rapport, après coup, j'étais quand même un petit peu déçu sur un aspect. Mon nom a été évoqué une fois dans un article de la «Tribune de Genève»; j'étais assez perplexe parce que ce qui était relaté était faux. J'ai téléphoné au rédacteur en chef du journal, qui m'a dit qu'on me donnait la possibilité de répondre. Le problème, c'est qu'on y a mis des conditions, il fallait que cette réponse ait une certaine forme... On m'a dit que je ne pouvais pas répondre de telle façon ou de telle autre façon et que le texte que je proposais ne convenait pas. J'ai donc été un peu déçu par le rapport, bien qu'il aborde la question du traitement des personnes mises en cause et relève que les rédacteurs en chef et les éditeurs donnent beaucoup de preuves de bonne volonté pour dire qu'ils entrent en matière et qu'ils sont prêts à accorder des droits de réponse.
Mais concrètement, nous ne sommes pas suffisamment entrés dans le détail pour voir comment cela se passe en réalité. Je pense qu'il y a là quelque chose qui devrait être étudié de manière plus approfondie, pour voir comment cela se passe dans les faits. D'ailleurs, ma brillante collègue et députée Loly Bolay me faisait remarquer qu'elle avait justement évoqué ce fait et avait proposé en commission que, dans le cadre de la formation des journalistes à Lausanne, il soit fait appel à des victimes d'acharnement médiatique - appelons-les comme ça - pour que ces personnes puissent parler aux futurs journalistes et témoigner des conséquences de certains comportements médiatiques. Je dirai que c'est une bonne piste, car il est vrai que les journalistes ne mesurent peut-être pas toujours les conséquences de ce qu'ils disent et écrivent. On devrait donc les sensibiliser quant à cet aspect.
Pour le reste, dans les propositions, il y a aussi la question de la charte d'éthique. En ce qui me concerne, je pense que c'est un outil indispensable qui devrait s'appliquer à tous les médias, et à tous les journaux en particulier parce que ceux-ci ont une particularité: il s'agit souvent d'entreprises privées et leurs éditeurs sont des entrepreneurs commerciaux dont le but est de faire de l'argent. En l'occurrence, la charte d'éthique permettrait peut-être aussi d'éviter que les médias acceptent de diffuser des affiches honteuses telles que les affiches racistes de l'UDC !
M. Pierre Kunz (R). Mesdames et Messieurs les députés, permettez que je m'étonne. Que je m'étonne d'abord qu'une commission du Grand Conseil décide de traiter - en profondeur ! - un sujet qui n'a strictement rien à voir avec les compétences de ce Grand Conseil, sur la base de on-dit, sur la base de rumeurs et sur la base d'articles parus dans une certaine presse ! Le sujet en question relève strictement du droit fédéral !
Permettez que je m'étonne aussi que cette commission consacre à ce sujet - irrelevant, faut-il le rappeler - des dizaines de séances de travail, des dizaines d'auditions et des dizaines de milliers de francs de jetons de présence ! Permettez aussi que je m'étonne que l'on rédige à la fin de tout ça un rapport qui est illisible, excusez-moi, puisqu'il comporte 100 pages ! Un rapport d'une centaine de pages qui ne sert à rien, qui ne peut servir à rien !
Mesdames et Messieurs les députés, s'informer est une responsabilité que chacun de nous a prise lorsqu'il a accepté son élection en tant que député. Améliorer nos connaissances d'un domaine qui nous intéresse, qui nous est cher - qu'il soit de notre ressort en tant que députés dans ce parlement ou non - fait partie des responsabilités de chacun de nous. Ce n'est pas une responsabilité que peut s'arroger une commission qui s'est fait plaisir aux frais de la République, disons-le clairement !
Ce cas et ce rapport, Mesdames et Messieurs les députés, illustrent bien combien il est urgent que ce Grand Conseil réduise - les radicaux vous l'ont proposé il y a déjà bien longtemps - le nombre de commissions qui le composent et que ces dernières se mettent à centrer leurs travaux sur les sujets qui nous concernent réellement et qui sont vraiment de notre responsabilité ! Je vous remercie de votre attention et j'espère que nous en retirerons tous ensemble les conséquences qui s'imposent.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Monsieur le rapporteur, vous avez exactement une minute pour répondre.
M. Jean Rossiaud (Ve), rapporteur. Je serai bref ! M. Kunz ne sait pas de quoi il parle ! La commission des Droits de l'Homme a été instituée par le Grand Conseil à l'unanimité. La commission des Droits de l'Homme a décidé à l'unanimité, radicaux compris, que la question du respect de la sphère privée était un des objets centraux pour notre commission. Ça, c'est la première chose !
Deuxièmement, ce rapport est effectivement volumineux, parce qu'il redonne la parole à chacun des représentants des médias. Si vous êtes flemmard, Monsieur Kunz, vous pouvez ne lire que les dix premières pages et les trois dernières !
Par ailleurs, le rapport pose aujourd'hui simplement les bases d'une réflexion qui doit être maintenue dans la durée. On ne peut pas, au moment où les médias sont en train de changer de figure, se permettre de laisser cette question sans réflexion. Et un Grand Conseil, un parlement, qui ne serait pas capable de mener cette réflexion, s'inscrirait dans une politique à la courte vue, que le parti radical peut promouvoir s'il le souhaite mais à laquelle nous n'adhérerons pas !
Le Grand Conseil prend acte du rapport divers 640.
La présidente. Avec l'objet prochain, rapport divers 661, je rappelle que nous traiterons aussi la résolution 533.