Séance du vendredi 25 mai 2007 à 16h
56e législature - 2e année - 8e session - 38e séance

P 1249-B
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la pétition pour la sauvegarde des emplois chez British American Tobacco

Débat

M. Philippe Guénat (UDC). Je saisis l'occasion de ce rapport - nous devrons évidemment voter oui, Monsieur Barrillier, et le classer - pour parler des dessous de cette affaire qui a débouché sur 250 licenciements.

Deux groupes de tabac ont fusionné. Ils ont créé une nouvelle entité et sont allés voir la ministre des finances de l'époque, Mme Calmy-Rey, pour lui demander un ruling: elle a refusé. On lui a précisé lors d'un deuxième meeting que l'entreprise allait s'élargir et la production augmenter, qu'il fallait à tout prix que l'entreprise et l'administration restent au même endroit, et que, si un accord ne pouvait pas être trouvé, ceux-ci allaient être délocalisés dans le Jura. La réponse de Mme Calmy-Rey fut: «Envoyez l'usine dans le Jura, ça leur fera du bien, ils ont besoin de travail, mais gardez la direction générale à Genève.» La direction de BAT informa la ministre que cela n'était pas possible. Cette dernière répondit: «Chiche, transférez dans le Jura, vous verrez, vos cols blancs refuseront de déménager.»

Nous savons ce qu'il est advenu. A l'époque, BAT payait 10 millions d'impôts au Canton de Genève; aujourd'hui, avec l'ampleur de l'entreprise et son nombre d'employés - bien au-dessus de 250 personnes - les impôts payés seraient de 40 millions par année. Nous avons donc perdu 280 millions.

Je vous disais simplement cela pour que l'on comprenne qu'en 1998-1999 les finances étaient excellentes - il y avait peut-être une certaine complaisance, une certaine arrogance, face aux bénéfices des impôts.

Je demande donc à M. Charles Beer, président du Conseil d'Etat, de mettre tout en oeuvre pour que pareille chose ne se reproduise plus et que nous maintenions les emplois à Genève.

M. Christian Brunier (S). On ne va pas faire un débat sur l'histoire, mais tout de même... Vous nous dites connaître les dessous de l'affaire, mais vous n'avez vraisemblablement que la version des cigarettiers. On a vu dans d'autres cas que les cigarettiers prétendaient souvent détenir la vérité mais que cette dernière ne faisait pas toujours le poids face à la contradiction. Je vous rappelle que le parlement - dans lequel vous n'étiez pas à l'époque - a été informé régulièrement par le Conseil d'Etat de l'avancée du dossier relatif à la délocalisation de cette entreprise. Et ce n'était pas un débat gauche-droite. Le Conseil d'Etat in corpore, avec Micheline Calmy-Rey, s'est battu pour maintenir cette société à Genève. Il y a même eu une séance de l'ensemble des gouvernements, qui faisaient du dumping fiscal pour attirer l'entreprise - dumping fiscal qui provoque d'ailleurs le dumping social. Il fallait donc arrêter cela et trouver un accord. Le gouvernement a donc fait son travail, mais, à un moment donné, l'accord n'a pas pu être trouvé entre les cantons: on sait que certains d'entre eux ont bradé leur fiscalité pour attirer l'entreprise. Et on ne peut pas tout faire pour conserver une entreprise ! Une entreprise rapporte de l'argent, mais je rappelle qu'elle coûte aussi en infrastructures, en logements, etc. Donc, le gouvernement genevois dans son ensemble - et c'était une majorité de droite à l'époque - a fait son travail, et Micheline Calmy-Rey a aussi fait son travail. Malheureusement, ils n'ont pas réussi, mais ce n'est pas la faute du gouvernement genevois, c'est la faute des cantons qui ont peu de fierté et, surtout, qui bradent leur fiscalité pour attirer n'importe quelle entreprise !

M. Pierre Kunz (R). Une fois n'est pas coutume, mais j'aimerais dire que je suis au moins partiellement d'accord avec ce que vient de dire M. Brunier... (Exclamations.) Etant entendu que le problème essentiel n'est pas absolument de garder des emplois, surtout dans une période où les 25% de la force de travail de Genève habitent à l'extérieur du canton et que le vrai problème fiscal se pose à ce niveau.

Cela me permet de revenir à la RPT. Pourquoi la RPT nous est-elle si défavorable ? Eh bien, Mesdames et Messieurs, parce que pendant trente ans nous avons suivi une politique complètement absurde en matière d'aménagement du territoire et en matière de logement ! Une politique qui - et là je ne suis plus d'accord avec les thèses de M. Brunier - était largement voulue et maintenue d'arrache-pied par la gauche, et qui s'est traduite par le fait que 25% des contribuables genevois ont été expédiés, exportés, ailleurs qu'à Genève. C'est vrai, les Français frontaliers nous versent quelques oboles, mais il n'en reste pas moins que ceux qui ont le plus d'argent ont été expédiés dans le canton de Vaud.

Là est l'origine de la RPT et, dans cette logique, il faudrait commencer à limiter le nombre d'emplois.

M. Pierre Weiss (L). Ce que viennent de dire mes collègues, chacun à sa manière, est exact. Les réponses données aux entreprises ont tenu compte d'une conjoncture particulière et, vis-à-vis du développement à long terme de l'assiette fiscale de ce canton, il y a des conceptions qui sont, ma foi, malthusiennes.

Mais il faut peut-être ajouter une quatrième perspective. Certaines entreprises sont bienvenues chez nous, d'autres le sont moins. Par exemple, tel magistrat municipal fait preuve, à l'égard du secteur bancaire ou du secteur financier en général, d'un certain scepticisme quant à l'origine des fonds gérés avec une scrupuleuse attention par notre pays, notamment si on la compare avec ce qui se fait dans d'autres places financières, comme Londres.

Il est vrai aussi que le secteur de la cigarette n'est pas actuellement - actuellement ! - politiquement correct. Et qu'il convient probablement d'avoir à son égard un traitement égalitaire, mais un petit peu moins égalitaire qu'à l'égard d'autres secteurs économiques. Bref, il y a ceux qui sont aimés, il y a ceux qui sont adorés, et il y a ceux qui sont tolérés. Et, de ce point de vue-là, il y a une responsabilité - de nous tous, et évidemment du Conseil d'Etat - pour qu'à l'avenir ce type de dérive ne se reproduise pas. Parce, quand on additionne les dizaines de millions de non-recettes fiscales les unes aux autres, on arrive à des dérives dans les recettes de notre canton.

C'est la raison pour laquelle, bien que cette pétition fasse partie de l'histoire, il convient d'en tirer les leçons, pour l'avenir de la place économique genevoise et, aussi, pour celui des recettes fiscales de ce canton.

M. Eric Stauffer (MCG). Eh bien, le parti radical, écoutez: le MCG vous aime ! (Exclamations.)

Une voix. Merci !

M. Eric Stauffer. Je vous en prie ! Vos propos, Monsieur le député Pierre Kunz, reflètent exactement ce pourquoi le Mouvement Citoyen Genevois se bat. Evidemment que tout entrepreneur doit pratiquer une égalité de traitement, qu'il soit cigarettier, commerçant, banquier ou je ne sais quoi... Ce qui est important pour le tissu économique de notre canton, c'est que de grands groupes, de grandes entreprises, viennent s'y installer. Vous avez, ô combien, raison de dire que la politique d'aménagement a provoqué l'exportation de nos travailleurs. Et plus exactement, aujourd'hui nous les importons, seulement pour qu'ils travaillent, mais ils résident à l'étranger. Ou dans le canton de Vaud, ce qui est encore pire, puisque les recettes fiscales pour Genève sont équivalentes à zéro. Au moins, avec les travailleurs frontaliers, il reste une petite manne à notre canton.

Pour le calcul de la RPT, on est passé de 1,5 million à 90 millions, puis de 90 millions à 140 millions, et je vous dis d'ores et déjà que la France va renégocier l'accord de 1973 conclut avec la Confédération sur la péréquation des impôts. Cette bagatelle coûtera 340 millions aux finances publiques de Genève... Nous verrons bien comment le Conseil d'Etat réagira pour boucler ses budgets.

Il est notre rôle et notre responsabilité d'anticiper les situations et de faire en sorte que les finances soient équilibrées dans notre canton. Partant de ce principe, il faut tirer les enseignements de cette pétition ancienne. Je conclurai en disant qu'à force de convoiter l'argent des riches, on finit par voler l'argent des pauvres. (Exclamations.)

La présidente. Pour répondre à des interrogations de députés, je rappelle que nous sommes en débat accéléré. Il s'agit de l'article 72 D. En débat accéléré, seuls ont droit à la parole les rapporteurs et un représentant par groupe, et ils ne peuvent s'exprimer qu'une seule fois. J'en suis désolée, mais je ne fais qu'appliquer le règlement.

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Je ne vais pas souligner tel ou tel aspect relevé dans ce débat qui a débordé du sujet, mais un élément n'a pas été évoqué. L'élément principal qui a prévalu à la délocalisation de British American Tobacco s'appelle l'«arrêté Bonny», qui permet à un certain nombre de régions mal desservies de ne pas imposer l'impôt fédéral direct.

S'agissant du Jura, je ne vous cache pas que l'arrêté Bonny ne me paraît pas indécent. C'est un canton qui a été totalement délaissé sur le plan de l'accessibilité, sans bien sûr que l'on puisse imaginer une vengeance quelconque vis-à-vis de son désir d'indépendance, mais toujours est-il qu'il n'est pas relié au reste du pays par une autoroute, ni par des voies ferroviaires convenables. Et c'est cela qui a provoqué la délocalisation de British American Tobacco.

Si j'insiste sur ce point, c'est qu'une motion déposée par le groupe démocrate-chrétien va nous demander d'intervenir ces tout prochains jours vis-à-vis de la consultation de la Confédération dans le cadre de ce que l'on appelle «la nouvelle politique régionale», qui comprend un certain nombre de volets, dont un volet de reconduction semi-automatique de l'arrêté Bonny.

Alors, que l'on soit clair ! Cet arrêté Bonny existe pour des régions excentrées, difficiles d'accès, où une entreprise aurait de la peine à imaginer s'installer, à part avec un bonus fiscal. Mais cet arrêté Bonny porte également sur un certain nombre de districts vaudois de l'Arc lémanique, notamment Tolochenaz, à 500 mètres de l'Ecole Polytechnique Fédérale, commune qui peut, par des avantages fiscaux refusés au canton de Genève, attirer des entreprises sous prétexte qu'elle se situe dans un pays reculé et inaccessible... C'est là le vrai scandale.

Et j'espère, Mesdames et Messieurs les députés, que vous soutiendrez avec autant d'énergie que le Conseil d'Etat ce combat contre ces distorsions de concurrence, qui sont tout simplement intolérables.

Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat sur la pétition 1249.