Séance du
jeudi 24 mai 2007 à
20h30
56e
législature -
2e
année -
8e
session -
37e
séance
M 1685
Débat
La présidente. Je vous rappelle que notre débat est en catégorie II et que chaque groupe peut s'exprimer pendant trois minutes. (Brouhaha.) Monsieur Cerutti, vous êtes le premier de la liste des auteurs ayant déposé cette motion: je vous donne la parole. (Remarques. La présidente agite la cloche.)
M. Thierry Cerutti (MCG). Certains pensent que la tenue vestimentaire à l'école n'est pas un sujet d'actualité. S'ils font référence à la hiérarchie des problèmes que connaît l'enseignement en général et public en particulier, ils ont raison ! Son état de délabrement actuel est autrement plus préoccupant. Si ces mêmes personnes pensent que toutes les relations sociales sont fondées sur le respect, elles ont tort de négliger le problème de la tenue vestimentaire en milieu scolaire. Elle en est l'expression la plus visible. Uniformiser la tenue est un moyen efficace de réinstaurer le respect, tout comme c'est un moyen efficace de lutter contre les disparités sociales, si chères en théorie à certains partis politiques et dont c'est le principal étendard de propagande.
Si tout le monde peut comprendre que ce sujet constitue un changement de pratique, donc sujet à de fortes résistances, en revanche personne ne comprendra que les mêmes, qui se plaignent de la déliquescence des comportements en milieu scolaire, ne s'intéressent pas, par pur dogmatisme, à l'étude de solutions qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs dans le monde, à des échelles autrement plus grandes et dans des contextes sociaux bien plus tendus que ceux que nous connaissons à Genève.
Le groupe du Mouvement Citoyens Genevois estime en outre que l'introduction d'une tenue standardisée pour tous les élèves permettra principalement d'éviter les disparités sociales entre les élèves. Accessoirement, elle permettra de valoriser l'appartenance au milieu estudiantin. Il faut savoir que l'une des principales causes de racket en milieu scolaire porte principalement sur les habits. (Brouhaha.)
Certains, dans cet hémicycle, ne cessent de vilipender le consumérisme et la place de plus en plus grande de l'identification par les marques... Ils ont là une belle occasion de battre en brèche cette tendance. Le refus d'entrer en matière sur ce moyen efficace de lutter contre ce phénomène de société serait un signal fort ! Leur refus démontrera qu'ils ne sont capables que de belles théories mais incapables de passer à l'acte. Faire de la politique ne consiste pas uniquement à échafauder des théories clientélistes, mais aussi d'avoir le courage de prendre des décisions qui, bien qu'en rupture avec des habitudes fort installées, sont de nature à enrayer des dérives avérées de la société.
Le Mouvement Citoyens Genevois pense que le concept même de la tenue unique aura un effet rassembleur, nouveau, mettant de côté le statut social et l'appartenance religieuse.
En dernier lieu, Genève, véritable fenêtre ouverte sur le monde, est certainement l'un des lieux où l'intégration des multiples cultures est un facteur de cohésion très important. La tenue unique est, sur ce plan, également une excellente solution. Je vous rappelle que le professeur Alexander Grob, éminent psychologue, a écrit que, ainsi: «Les jeunes économisent beaucoup de temps et leur concentration s'améliore parce qu'ils ne doivent pas se préoccuper de questions de mode.»
La présidente. Il vous faut conclure, Monsieur le député !
M. Thierry Cerutti. Je vais conclure, Madame la présidente. C'est pourquoi nous vous demandons de soutenir cette motion.
M. Sébastien Brunny (MCG). Dans notre société dite moderne, le capitalisme est omniprésent et s'affiche outrageusement partout. La réussite de sa vie privée passe malheureusement d'abord par une réussite professionnelle avec, si possible, un salaire mirobolant qui sera en corrélation avec des signes extérieurs de richesse.
Ces déviances de notre société actuelle sont poussées à leur paroxysme avec le leitmotiv universel qui s'appelle argent. Ce phénomène commence déjà à l'école chez les plus jeunes, ceux qui ont la chance d'avoir des parents aisés et les autres. Les plus démunis commenceront leur apprentissage de la vie en étant bannis et mis à l'écart car ils n'auront pas l'opportunité d'avoir des parents qui leur offrent des vêtements, des chaussures, des casquettes, des lunettes de marque ou d'autres signes extérieurs de richesse. Lesdits signes sont devenus les nouveaux repères de notre société. (Brouhaha.) De ce fait, il serait puéril de penser que l'on pourrait changer cet état de fait d'un coup de baguette magique. Par contre, nous pourrions commencer à inverser la tendance en adoptant une tenue vestimentaire unique et identifiable pour les élèves se trouvant en scolarité obligatoire. De la sorte, tous les enfants venant de tous les milieux se trouveraient sur pied d'égalité. (Brouhaha.)
Il sied de préciser que ce procédé a fait ses preuves dans d'autres pays, et nous pourrions, Mesdames et Messieurs les députés, être les précurseurs en Suisse romande d'une nouvelle pensée. C'est pourquoi je vous serai reconnaissant de soutenir la motion 1685.
Mme Christiane Favre (L). Mesdames et Messieurs les députés, pour motiver son invite - imposer l'uniforme aux élèves genevois - cette motion s'appuie notamment sur deux considérations: d'une part, il existe de la violence et un racket de vêtements à la mode dans les préaux scolaires; d'autre part, les tenues des élèves, souvent inadaptées ou indécentes, sont source de discriminations contraire aux enseignements d'égalité et de solidarité républicaine.
Pour commencer, pardonnez-moi ce raccourci, mais si l'on pouvait ôter toute idée violente de la tête des gens en les obligeant à porter un uniforme, les Chemises rouges et les Gardes brunes seraient devenues des enfants de choeur, et j'ai l'impression que nous l'aurions su. (Applaudissements.)
Ensuite, je ne suis pas certaine que les enseignements d'égalité et de solidarité républicaine soient une affaire d'apparence et qu'il faille porter un uniforme pour être sûr d'y souscrire. Exiger la décence vestimentaire, en revanche, c'est important, nous sommes tous d'accord, mais la plupart des établissements scolaires le font déjà par l'intermédiaire d'un règlement. On ne peut qu'encourager le chef du département à soutenir cette pratique.
Venons-en au racket de vêtements à la mode, blousons à capuche, casquettes à l'envers, baskets et pantalons flottants, puisque c'est ainsi que les élèves se vêtent aujourd'hui, assez uniformément. Eliminer le racket en supprimant ces vêtements est une idée intéressante, mais elle pose quand même une question de fonds: lorsque l'on veut éradiquer le vol de blousons à capuche, vaut-il mieux supprimer les voleurs ou les blousons ? Les auteurs de la motion répondent avec assurance: supprimons les blousons. Ainsi, sans blousons à voler, le voleur rentrera dans le rang et la violence cessera. Sauf si, bien sûr, poussé par un réflexe de conservation assez compréhensible, il se transforme en voleur de vélo ! De vélos, de tamagotchis, de montres, de téléphones portables ou de picnics, car l'appétit des racketteurs, je vous le rappelle, est sans limite. Si bien qu'il faudra se résoudre à tout uniformiser ou à tout interdire... Ce qui punira plus sûrement le volé que le voleur et ce message n'est pas très pédagogique !
Nous sommes tous confrontés, Mesdames et Messieurs, à des gens qui sont habillés plus richement que nous et si nous résistons finalement assez bien à l'envie de les détrousser, c'est que nous avons appris l'illégalité et la stupidité du geste. Cet apprentissage passe par la cour d'école où le message doit être clair. Ce n'est pas contre le blouson qu'il faut lutter, bien sûr, c'est contre le racket ! En encourageant la victime à dénoncer le délit, en punissant sévèrement son auteur, en soutenant les enseignants dans les démarches qu'ils entreprennent, et je sais qu'elles sont nombreuses, pour lutter contre la violence et pour encourager le respect des différences et des règles.
Vous l'aurez compris, Mesdames et Messieurs les députés, nous ne soutiendrons pas cette motion qui se trompe un peu de moyens pour atteindre sa cible. (Applaudissements.)
Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). L'uniforme à l'école pour lutter contre la violence et les inégalités sociales, voilà en quelques mots ce que poursuivent les auteurs de cette motion. La proposition du MCG vise entre autres le racket et si nous sommes tous préoccupés de voir cette forme de violence inadmissible se développer autour des écoles, n'oublions pas que ces méfaits ont surtout lieu en dehors du périmètre scolaire. Par ailleurs, pour lutter contre le racket à l'école, l'uniforme serait une mesure largement insuffisante. Vous devriez aller bien plus loin ! Bannir de l'école les MP3, les montres, les bijoux en tous genres, les natels, et même, comme le disait ma préopinante, les goûters à l'école pour les plus petits. Bref, tous les biens qui peuvent attiser la convoitise.
Autre but recherché par ce texte: la justice sociale. L'uniforme rendrait, selon vous, les enfants égaux... C'est oublier que les inégalités sociales se combattent dans leur origine et non avec ce genre de propositions simplistes. Si l'enjeu est le combat des inégalités sociales, donnons des moyens supplémentaires à l'école, offrons des cours d'appui, développons des institutions culturelles, tout ça sera autrement plus efficace qu'imposer un uniforme. Mais aussi, accepter les différences et les respecter fait partie de l'apprentissage de la vie ensemble. Vouloir contourner cette réalité me paraît bien plus néfaste que l'hypocrisie de les nier. Les adolescents ont besoin de s'exprimer, de se positionner par rapport aux adultes; ils le font entre autres au travers de leur habillement. Nous devons leur laisser cet espace de liberté, sans nier que les parents et l'école ont la mission de leur rappeler les règles de décence.
En conclusion, je voudrais souligner que les jeunes méritent un peu plus de confiance de notre part dans leur capacité à être des individus libres et autonomes, y compris dans le choix de leurs vêtements. Pour toutes ces raisons, les Verts refuseront cette motion.
La présidente. La parole est à M. Maurice Clairet, à qui il reste une minute dix.
M. Maurice Clairet (MCG). Je n'ai pas beaucoup de temps. J'avais préparé un grand discours, mais comme je dois me dépêcher... Derrière cette motion, il y a la pauvreté. Parler de la pauvreté dérange beaucoup, je suis bien placé pour le savoir.
Je vais être rapide. Il y a un article de Paul Ariès, politologue et essayiste, et les essayistes on ne les pratiques pas beaucoup en terre genevoise... Cet essayiste lyonnais, dans «Le Matin» du 6 mai 2007, parlait de la nouvelle mode chez les jeunes, le «baston-business», dernière trouvaille des écoliers lyonnais. On sait parfaitement que quand il se passe quelque chose de grave en France, quelque temps après cela arrive à Genève; le meilleur exemple en est celui des synagogues avec le récent incendie... (Protestations.) Attendez voir... (Rires.) Je vais clore par cette interview de M. Paul Ariès.
La présidente. Il faut conclure, Monsieur le député !
M. Maurice Clairet. Dans cette interview, il est demandé à Paul Ariès: «Vous dénoncez depuis des années l'hypercapitalisme et la surconsommation dans notre société: ce fait divers lyonnais représente-t-il une étape de plus ?» Ariès répond: «Oui, c'est un pas de plus dans la barbarisation des rapports sociaux. Nous sommes au summum de la logique de consommation. Nous consommons, surconsommons et finissons par consommer des êtres humains. Nous récoltons ce que nous semons depuis des décennies. Une société qui réduit ses valeurs aux seules valeurs cotées en bourse ne peut qu'aboutir à ce type de transgression.»
Je vous le dis, Mesdames et Messieurs, cette motion est une des meilleures motions que j'ai lue depuis que je suis député. Vous pensez qu'elle est ringarde, mais parfois, dans la société...
La présidente. Il faut conclure, Monsieur le député, votre temps de parole est écoulé !
M. Maurice Clairet. ...il suffit de reculer un peu pour mieux se relancer. Je vous dis que cette motion, il faut la renvoyer au Conseil d'Etat, en commission du Conseil d'Etat. (Remarques. Applaudissements.)
M. Eric Bertinat (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai vraiment conscience que cela ne pas servir à grand-chose de défendre cette motion, et pourtant je partage tout à fait ce qui vient d'être dit du côté du MCG. Et ça, je pense bien que vous n'en doutez pas.
Je ne crois pas que cela ait un lien avec le capitalisme. Je ne crois pas que ça ait un lien avec le libéralisme presque porté à outrance comme on l'a entendu sur les bancs libéraux. Je rappellerai quand même qu'il y a moins d'une année les radicaux suisses était tout chauds pour cette proposition. Un sondage avait eu lieu en interne au parti et les résultats avaient été relativement surprenants puisque 60% des personnes sondées était tout à fait favorables, y compris le vice-président du parti radical, qui admettait que s'il était dans l'obligation de voir ses filles porter l'uniforme, cela ne lui poserait pas de problèmes majeurs.
Il semble que les choses soient tout à fait différentes à Genève. Outre la question de l'intégration citée dans la motion, il me semble qu'il pourrait être utile de mettre en avant l'égalité des classes sociales que l'uniforme favorise. Egalité toute extérieure, certes, mais également propre à favoriser le respect mutuel.
Je comprends également qu'il est difficile d'imaginer, après avoir toléré pendant tant d'années un certain laxisme vestimentaire, imposer l'uniforme à l'école. On voit des choses qui sont... en classe. Je ne parle pas dans la vie privée, en dehors du périmètre de l'école. Mais on voit quand même des tenues qui sont provocantes. Il se commet à l'école des actes sexuels forcés, des choses qui ne vont pas du tout et qu'a relevées la «Tribune de Genève», l'été passé. (Commentaires.) Je regrette de le dire, Mesdames et Messieurs, le fait d'avoir de mauvaises tenues procure bien des problèmes à tout le monde ! Et la modestie vestimentaire ne serait pas inutile aujourd'hui, Il faut avoir le courage de voir ces problèmes et d'en rediscuter. Je me permettrai de citer l'exemple du Japon où les écoliers sont en uniforme depuis leur plus tendre enfance, cela jusqu'à l'entrée à l'université, et ça ne pose pas de problèmes. Les gens n'en sont pas scandalisés, bien au contraire.
Ces raisons font que le groupe UDC soutiendra le renvoi en commission.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Puis-je vous demander dans quelle commission vous souhaitez un renvoi ? La commission de l'enseignement, je suppose ? Je pense que c'est aussi ce que M. Clairet souhaitait. Je vous ferai donc voter cela tout à l'heure.
M. Hugues Hiltpold (R). Mesdames et Messieurs les députés, il est vrai que le parti radical suisse, dans le cadre de sa campagne pour les élections fédérales de cet automne, a développé un programme qui comportait quatre éléments, dont l'un d'entre eux était «Une Suisse de l'ouverture» qui a été débattu en assemblée des délégués au mois d'août 2006. Et l'un des éléments de ce programme était précisément le port de l'uniforme à l'école publique.
La question sous-jacente qui était posée était de savoir si l'uniforme scolaire - habit unique - permettait une meilleure intégration des étrangers en créant un sentiment d'appartenance à une institution. L'habit unique pouvait laisser entendre qu'on raffermissait le lien des élèves avec l'école. En ce sens, le postulat de base, le postulat de départ entre notre position et la position du MCG, était complètement différent: nous n'estimions pas que le port de l'uniforme permettait de résoudre un problème de racket et de violence à l'école. Nous sommes d'accord avec vous qu'il y a un problème et qu'il faut le traiter, mais nous n'approuvons pas les moyens que vous proposez.
Les 180 délégués radicaux qui avaient débattu de cette question ont refusé à la quasi-unanimité de permettre le port de l'uniforme à l'école primaire. Et, Monsieur Bertinat, ce n'est pas le président du parti qui décide, mais les délégués.
En ce qui concerne la question de fond sur l'uniforme, on s'est simplement rendu compte que ce dernier n'est pas garant d'une meilleure intégration, il n'y a qu'à constater les expériences qui ont été relevées à l'époque: je vous rappelle que le canton de Bâle a lancé une expérience pilote en octobre 2006, expérience qui devait durer six mois et qui a été abandonnée au mois de mars. Elle n'a duré que quelques mois parce qu'on s'est rendu compte que ça ne marchait tout simplement pas. Les élèves n'en voulaient pas et il n'y avait pas de meilleurs résultats scolaires par rapport à cela.
L'uniforme scolaire ne résoudra pas le problème de la compétition acharnée à laquelle se livrent les élèves par rapport à leurs habits. Cela a été évoqué par un certain nombre de préopinants du groupe MCG, c'est vrai qu'il y a une concurrence entre les élèves en ce qui concerne les habits, les parents sont en ce sens complices, mais nous n'estimons pas qu'instituer un uniforme résoudra ce problème-là. Il sera simplement reporté sur les accessoires, que ce soient les souliers, les natels ou autres éléments d'accessoires.
Et puis, il y a un point qui n'a pas été évoqué ce soir: celui du coût. Le coût d'un uniforme scolaire est grosso modo de 900 F à 1000 F par élève. Si l'on applique cela sur les 35 000 élèves de l'école primaire, cela fait, bon an mal an, 35 millions de francs, sans compter l'arsenal que nous devrions prévoir. On peut aisément penser qu'il s'agit d'un investissement de l'ordre de 40 millions de francs.
C'est vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, si nous ne pouvons pas souscrire à ce qui est proposé par cette motion. Je dirai simplement, en guise de conclusion, que l'habit ne fait pas le moine et les habits ne feront pas l'école.
M. François Thion (S). Tout d'abord, concernant ce problème de racket et de violence à l'école, je crois que nous n'avons pas entendu cette motion pour en discuter et s'inquiéter. Le département de l'instruction publique et les députés ont travaillé ensemble à la commission de l'enseignement sur deux motions: la motion 1581 déposée par les socialistes, intitulée: «Violence de la population jeune du canton: des solutions possibles», et une motion radicale qu'on a traitée en même temps. On a dressé un inventaire de tout ce qui se faisait à l'école genevoise et on est arrivé à la conclusion qu'on pouvait retirer nos deux motions - radicales et socialistes - parce que le département s'était déjà inquiété bien avant nous de ces problèmes et que le travail se faisait.
Maintenant, en ce qui concerne l'uniforme, parce qu'on mélange un peu tout dans votre motion, j'aimerais relever d'abord que l'école ne devrait pas être un lieu qui est neutralisé... Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Alain Touraine. Selon lui, l'uniforme à l'école signifierait que l'école deviendrait un lieu neutralisé estompant les différences; l'école deviendrait alors un lieu ayant de moins en moins de repères par rapport au monde extérieur; l'école serait dès lors une bulle isolée, séparée. Nous pensons qu'il faut, au contraire, intégrer chaque élève sans oublier son histoire personnelle. Pour cela, il faut donner aux enseignants les moyens d'apprendre à leurs élèves les bienfaits du multiculturalisme et des différences. C'est à notre avis le premier pas dans l'apprentissage de la tolérance. J'aimerais aussi rappeler les propos d'Albert Jacquard qui dit: «Notre richesse collective est faite de notre diversité. L'autre, l'individu ou société, nous est précieux dans la mesure où il nous est dissemblable.»
Concernant les marques... Bien sûr, chaque élève porte des marques. C'est un problème, mais, à mon avis, l'uniforme ne le règlera pas, il faut en parler en classe. Dans ce débat, la question des marques me paraît un argument totalement hypocrite dans un monde marchand tel que le nôtre: prenons le temps d'expliquer dans les écoles la stupidité de porter telle ou telle marque de chaussures ou de pantalon !
L'uniforme renforce-t-il l'égalité des chances à l'école ? Cette égalité, on le sait très bien, n'est pas garantie totalement par l'école. Ce serait hypocrite d'avancer un tel argument en pensant au port de l'uniforme. Tout le monde sait que l'origine sociale des enfants est primordiale dans la réussite scolaire, quelle que soit la couleur de l'uniforme. D'ailleurs, dans la loi sur l'instruction publique, l'article 4 indique qu'il faut tendre à corriger les inégalités des chances de réussite scolaire des élèves, dès le premier âge...
La présidente. Il va falloir conclure, Monsieur le député.
M. François Thion. Et l'on sait très bien qu'on a énormément de difficultés à le faire, mais seuls les moyens pédagogiques adéquats le pourraient, et non une tenue vestimentaire unique.
L'uniforme au secours des parents ? Non ! Je me plais à relever que vous critiquez très clairement la démission des parents par rapport à l'éducation de leurs enfants...
La présidente. Il faut conclure !
M. François Thion. ...et là, vous souhaitez leur ôter la responsabilité de les vêtir !
En conclusion, votre motion est insultante pour les parents, elle est insultante pour les enseignants, elle est insultante pour les acteurs de l'éducation à Genève. Et nous, socialistes, disons non à l'uniforme scolaire et oui au pari éducatif ! (Applaudissements.)
M. Mario Cavaleri (PDC). C'est peu dire que cette motion date déjà... Parce qu'en réalité l'expérience bâloise a bien démontré que, si l'on voulait régler les problèmes que vous dénoncez - et c'est assez confus parce que vous mélangez tout - eh bien, de ce melting-pot il faudrait ressortir quelque chose de valable, et c'est assez difficile.
Alors voici ce que l'expérience bâloise a démontré. D'abord, il faut se souvenir des arguments avancés pour instaurer une tenue scolaire uniforme. Ce n'étaient pas tant les questions de racket mais plutôt celles ayant trait aux budgets des familles - budgets effectivement très difficiles pour une bonne partie de la population. Et puisque vous vous préoccupez, vous aussi, de l'intégration des enfants qui arrivent en Suisse pour suivre leur scolarité, eh bien, il y a peut-être d'autres moyens pour tenter de résoudre ce problème.
Nous sommes confrontés à une motion souhaitant régler des difficultés qui sont déjà prises en compte, et mon collège François Thion en a parfaitement bien rappelé la genèse. (Brouhaha.) Vous voyez, que ce soit la motion socialiste ou la radicale, nous avions obtenu un consensus sur la base des renseignements que nous avait fournis le chef du département, M. le président du Conseil d'Etat. (Brouhaha.)
J'aimerais simplement rappeler - et peut-être est-ce l'intérêt de renvoyer cette motion en commission - que l'évaluation de cette expérience pourrait nous éclairer sur les raisons pour lesquelles cette dernière n'a finalement pas atteint ses objectifs. C'est pourquoi l'évaluation de l'échec de cette mesure - mesure que nous combattrons et évaluation qui devait être présentée, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui puisque l'abandon date de fin mars de cette année - mériterait le renvoi en commission. (Brouhaha.) Raison pour laquelle le groupe PDC, non pas pour aller dans le sens de votre motion mais pour évaluer le résultat d'une expérience qui a échoué, accepte d'aller en commission pour examiner l'évaluation de cette expérience.
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Mesdames et Messieurs les députés, je vais aussi soutenir le renvoi de cette motion à la commission de l'enseignement et de l'éducation. Il y a un peu plus de vingt-cinq ans, dans les pensionnats et les internats, les enfants étaient munis d'une simple blouse... Dans tel pensionnat régnait le multiculturalisme, des gens venaient de tous les pays, que ce soit d'Afrique, d'Europe ou d'Asie, et il n'y avait effectivement pas de problèmes de jalousie puisque tout le monde était à la même enseigne. De plus, le port de la blouse avait un intérêt, tout simplement celui de protéger les habits qui étaient portés en dessous, ce qui évitait de les trouer ou de les tacher.
D'autre part, il me semble que la façon de s'habiller montre du respect envers les gens qui nous côtoient... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) En effet, être vêtu correctement est une preuve de respect envers autrui, ce qui relève de notre société et qu'il est encore temps de rétablir.
Ce qui m'inquiète le plus est de voir sur les bancs d'école certaines jeunes filles - de plus en plus jeunes, d'ailleurs - s'habiller d'une certaine manière... comme des «Lolitas», pourrait-on dire, et qui, à leur âge, ne comprennent malheureusement pas... (Rires.) Moi j'ai 36 ans, j'assume ! (Commentaires.) Merci ! Donc, une jeune fille de 10 ou 11 ans ne se rend pas compte qu'elle se met en danger face à ce que j'appellerai des hommes pédophiles ou face à des ados - de plus en plus jeunes - qui s'en prennent à des jeunes filles et commettent des actes sexuels d'une certaine violence sans savoir eux-mêmes réellement ce qu'est la sexualité.
Il serait peut-être utile que le Conseil d'Etat ou la commission de l'enseignement établissent un règlement, si vous ne voulez pas passer par une loi, puisque, comme il l'a été rappelé, à Bâle, le port de l'uniforme a échoué - et en trouver les raisons serait une piste. Un règlement permettrait aux parents d'expliquer aux enfants qu'on ne va pas à l'école habillé n'importe comment et qu'on se doit de respecter les gens. Cette mesure favoriserait aussi l'intégration. Je ne parle pas des personnes étrangères mais de l'intégration sociale, celle des gens pauvres avec les gens riches, celle des gens qui n'ont pas les moyens de payer des vêtements de marque à leurs enfants, victimes de moqueries sur les bancs de l'école, chose qui ne devrait pas se produire dans notre société.
La présidente. Il va falloir conclure, Madame la députée.
Mme Sandra Borgeaud. Pour toutes ces raisons, je vous invite à renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement et de l'éducation afin d'y trouver les meilleures solutions possibles, car il en va de l'avenir de nos jeunes.
La présidente. Je vois que sont encore inscrits Mme Janine Hagmann et M. Pierre Weiss... Il va vous falloir choisir, il vous reste dix secondes. (Exclamations. Rires.)
Mme Janine Hagmann (L). Quinze secondes me suffiront !
Une voix. Dix !
Mme Janine Hagmann. Alors dix ! C'est simplement pour rapporter un témoignage. Lors du deuxième débat organisé par le département de l'instruction publique, appelé les «Rendez-vous de l'instruction publique», qui a regroupé plus de 200 élèves à Uni-Mail et qui a eu un immense succès, M. Descaillet, journaliste à Léman Bleu, a demandé aux élèves lesquels d'entre eux voudraient avoir l'obligation de porter un uniforme. Réponse: aucun ! (Commentaires.)
La présidente. Je vous remercie. Je donne la parole à M. Charles Beer, président du Conseil d'Etat.
M. Charles Beer, président du Conseil d'Etat. Très rapidement, je dirai que la préoccupation du MCG est infiniment louable dans le sens où ce que souhaite ce mouvement, c'est incontestablement plus d'égalité, et finalement plus d'égalité par davantage d'ordre, par le respect de certaines directives. Je crois que c'est la préoccupation de l'ensemble des députés, des représentants des autorités scolaires et du conseil d'Etat.
Mesdames et Messieurs les députés, là où nous divergeons, c'est sur la question des réponses. Tout simplement parce que, nous devons le constater, quand il y a des problèmes liés au comportement de la jeunesse, leur ancrage se trouve très souvent chez les adultes. A savoir que c'est bien dans la société en général que nous trouvons le maximum de problèmes liés à la discipline, le maximum de problèmes de violence, le maximum de respect des règles, et, tout à coup, nous estimons - ou plutôt vous estimez, Mesdames et Messieurs les députés - que c'est en fonction d'une nouvelle norme qui ne toucherait en rien la société que nous allons régir l'ordre de cette dernière, et surtout l'ordre scolaire !
Mesdames et Messieurs les députés, je crois que les problèmes que vous relevez sont complexes et méritent des réponses extrêmement claires, sur lesquelles le département de l'instruction publique, avec l'appui des députés, s'est largement engagé. A savoir: des réponses en matière de prévention, des réponses en matière de médiation lors des problèmes rencontrés; des réponses en termes de partenariat avec les différentes autorités, de manière que, par exemple, dans les transports en bus - et nous l'avons vu avec le cycle d'orientation du Renard - on puisse éviter un certain nombre de débordements que l'on peut retrouver ensuite à l'arrivée et dans l'école.
Et puis, il y a la mesure des faits de violence... Parce que cela donne bel et bien à discuter, mais nous devons aussi remarquer que les éléments de mesure n'existent que peu et que, malheureusement, nous en avons largement besoin. En ce sens-là, le département de l'instruction publique s'est engagé à mesurer ces incidents, notamment en recourant au logiciel Signa qui permet aujourd'hui de répertorier les faits de violence dans l'ensemble des établissements.
Dernier élément, important, c'est celui des sanctions et des règlements. D'abord les règlements, pour un ordre logique que vous avez tout à fait compris. Aujourd'hui le règlement nous invite à dire par directives à l'ensemble des établissements scolaires et aux directions en particulier qu'ils sont chargés de faire en sorte que les élèves viennent habillés correctement à l'école. Ce qui, heureusement, est très largement suivi dans la plupart des cas.
Nous avons effectivement des problèmes qui peuvent apparaître dans les écoles quant aux questions d'appartenance et d'identité. Nous nous employons à les régler, notamment en sanctionnant quand cela déborde, ce qui arrive malheureusement dans quelques cas. Et il y a des sanctions extrêmement graves.
Dernier élément important, il faut le signaler, c'est qu'une collaboration avec la police a été instituée à nouveau, de manière que la police trouve un interlocuteur par établissement scolaire. Comme on le voit, les travaux sont nombreux. Et par rapport aux enseignants qui sont confrontés à des agressions et peuvent en souffrir, le département a changé de politique: non seulement il conseille les enseignants victimes d'agressions, mais il participe aussi aux frais de justice le cas échéant. Ainsi, depuis quelques années, les faits de violence sont largement combattus au moyen d'une politique globale.
Alors, l'uniforme est-il finalement la bonne réponse ?! Mesdames et Messieurs les députés, là où il était évoqué comme un exemple, il faut remarquer qu'il représente une tradition, une tradition scolaire, ce qui n'est pas le cas dans notre canton qui n'a jamais connu l'existence de l'uniforme. Donc, si vous faites référence à la société d'antan, qui était bien structurée et permettait un certain ordre, notamment à l'école, eh bien, cela ne relevait en aucun cas du port de l'uniforme puisqu'il n'a jamais existé dans notre canton !
Je vous invite donc à poursuivre une politique globale de responsabilité, qui examine toutes les pistes mais qui évite également les faux-semblants qui ne sont malheureusement que poudre aux yeux.
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons procéder au vote.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1685 à la commission de l'enseignement et de l'éducation est rejeté par 42 non contre 22 oui et 3 abstentions.
Mise aux voix, la proposition de motion 1685 est rejetée par 47 non contre 12 oui et 5 abstentions.
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous nous retrouverons demain à 16h. Je vous souhaite un bon retour chez vous.