Séance du
vendredi 23 mars 2007 à
20h30
56e
législature -
2e
année -
6e
session -
30e
séance
P 1579-A
Débat
Mme Fabienne Gautier (L), rapporteuse de majorité. Nous ne referons pas l'historique de l'affaire de la Boillat de Reconvilliers, il se trouve dans l'excellent rapport de minorité de M. François Thion.
Il est important de préciser que le texte de la pétition adressée au Grand Conseil ne reflète que succinctement celui de la pétition destinée à récolter des signatures dans plusieurs cantons et qui nous a été distribuée par le «Comité genevois pétition Boillat 2006» lors de son audition. Ce texte est annexé au rapport de majorité.
Le but de la pétition a été rappelé par les pétitionnaires, il s'agit de trouver au sein d'instances similaires à notre parlement, je cite: «Une majorité pour impulser une initiative parlementaire demandant aux Chambres fédérales de revisiter le droit des sociétés.» Comme l'a fait remarquer un commissaire, le sujet est éminemment politique. En lisant les invites des pétitionnaires, on voit bien qu'il n'était en aucun cas possible pour la commission de trouver un consensus. Je vous rappelle ces invites: «Mise sous tutelle avec suspension des pouvoirs du chef d'entreprise»; «Expropriation avec passage de l'entreprise dans une fondation ou dans une coopérative»; «Evaluation et recommandations formulées par l'organe de mise sous tutelle».
Je vous laisse imaginer que, pour bon nombre d'entre nous, il n'est pas acceptable de violer à ce point des droits fondamentaux comme la garantie de la propriété et la liberté économique.
Le gouvernement fédéral a été clair, comme se plaît le relever le rapporteur de minorité. Il n'appartient pas au gouvernement de se prononcer sur la rentabilité des investissements d'une entreprise en se substituant à sa direction. La liberté économique constitue un autre fondement de notre système, que le Conseil fédéral entend respecter. Quoi de plus professionnel pour un entrepreneur que de trouver - dans le respect de la bonne gestion de son entreprise - les meilleures solutions pour maintenir ses activités, voire les développer ? Si cette gestion doit passer par une restructuration, une fusion ou que sais-je encore, c'est au chef d'entreprise de prendre les décisions qu'il juge utiles, car lui seul porte la responsabilité de trouver les solutions qui permettront de maintenir les activités et les emplois, plutôt que de voir son entreprise fermer à plus ou moins court terme pour cause de faillite et, cette fois, mettre tout son personnel au chômage. Mais ancrer dans une loi fédérale ou cantonale les invites de la pétition, cela reviendrait à instituer un droit de confiscation totalement incompatible avec notre ordre juridique et nos libertés.
Certes, Mesdames et Messieurs les députés, l'Etat a un rôle à jouer pour les entreprises, mais il est de les aider à se créer, à se développer, à créer des emplois et à encourager la formation. Il a un autre rôle également, celui d'alléger - comme nous l'avons vu hier avec la motion 1705 renvoyée en commission de l'économie - les lourdeurs administratives, et non de les augmenter - comme avec le nouveau certificat de salaire - pour permettre aux entrepreneurs de mettre toute leur énergie dans leur savoir-faire et dans leur vrai métier, pour le bien et la prospérité de notre économie.
C'est pour toutes ces raisons que je vous remercie de suivre l'avis de la majorité de la commission et de voter le classement de cette pétition.
M. François Thion (S), rapporteur de minorité. Merci, Madame la rapporteure de majorité, du compliment à propos de mon rapport de minorité. Je ne suis pas sûr que tout le monde l'ait lu, je me permets donc de rappeler quelques points sur ce conflit.
La Boillat est une entreprise saine, moderne et performante. Elle comptait environ 350 employés, mais au début de l'année 2006, elle a connu une grève d'un mois suite à l'annonce du futur transfert de la fonderie de Reconvilliers à Dornach. Ce fut certainement un des conflits du travail les plus durs que notre pays ait connus. Cette grève n'avait pas pour cause une revendication salariale, elle voulait s'opposer au démantèlement programmé de l'entreprise et sauver un outil de travail performant.
Nous pouvons tout à fait admettre qu'une restructuration puisse être nécessaire pour sauver une entreprise. Mais, dans certains cas, on licencie pour maintenir de hauts taux de rentabilité, afin de répondre favorablement aux actionnaires. Cela n'est pas normal à nos yeux, c'est pourtant ce qu'il s'est passé dans l'usine de la Boillat.
Malheureusement, malgré le courage et la détermination du personnel gréviste, malgré l'appui extraordinaire de la population, rien n'a fait reculer Swissmetal dans cette opération suicidaire.
Après cette grève, 112 ouvriers et 21 cadres ont été licenciés. Un peu plus d'une année après, le sentiment du personnel sur place est celui d'un incroyable gâchis par la destruction progressive d'une entreprise florissante. Cette grève a donc été un échec.
Venons-en aux raisons de la pétition. Le droit helvétique n'offre pas d'instruments légaux pour s'opposer à la liquidation d'une société florissante et ultramoderne. J'aimerais rappeler aussi le texte de la pétition 1579, et je vais le citer pour que cela soit clair: «Notre pétition s'adresse aux autorités des cantons suisses pour qu'elles décident d'impulser une initiative parlementaire demandant aux Chambres fédérales de revisiter le droit des sociétés pour y introduire la faculté des organes politiques du pays de protéger certaines entreprises et de les soustraire à la désorganisation économique consécutive à la maladresse ou au souci de lucre de leur propriétaire.»
Pour nous socialistes, la liberté d'entreprendre est certes indispensable, mais elle n'est pas absolue. Le droit au travail et la protection des régions périphériques doivent être pris en compte dans le débat. Il n'est pas bon que des pans entiers de notre tissu industriel soient détruits au nom du profit de quelques actionnaires. C'est pourquoi, avec une forte minorité de la commission des pétitions - je tiens à le souligner - nous vous demandons de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
Mme Françoise Schenk-Gottret (S). La démarche des pétitionnaires est originale, c'est sans doute pourquoi elle a pris au dépourvu la majorité de la commission des pétitions, mais elle est légitime et mérite certaines mises au point essentielles vis-à-vis du rapport de majorité, car elles rappelleront quel message exact les pétitionnaires sont venus délivrer.
En tant que membre du comité genevois de soutien à la Boillat, je me fais le relais de ces mises au point.
Tout d'abord, la rapporteure se demande si Genève peut intervenir dans une affaire qui concerne un autre canton. Dans le texte original de la pétition, deux demandes sont formulées. La première s'adresse à l'Etat de Berne pour qu'il exerce un droit de préemption sur les actions d'un fournisseur de l'industrie horlogère en danger, puisqu'en mars 2006 le groupe Swissmetal était disposé à vendre son usine à la Boillat.
La seconde demande s'adresse, je cite: «...aux autorités des cantons suisses pour qu'elles décident d'impulser une initiative parlementaire demandant aux Chambres fédérales de revisiter le droit des sociétés pour y introduire la faculté des organes politiques du pays de protéger certaines entreprises et de les soustraire à la désorganisation économique consécutive à la maladresse ou au souci de lucre de leur propriétaire.» Donc, oui, Genève peut intervenir.
Puis, le rapport mentionne le fait que huit cantons sont nécessaires pour déposer une initiative fédérale. On compte vingt-six autorités des cantons suisses, cette pétition s'adresse à toutes, donc aussi au canton de Genève.
En page 2 du rapport, je cite: «...cette pétition demande à Genève de faire un travail qui n'est pas le sien...». Il faut rappeler que Genève est un canton apte à impulser une initiative parlementaire... (Le micro de l'oratrice ne fonctionne plus. Brouhaha.)
Une voix. Le système a été privatisé !
La présidente. La séance est suspendue cinq minutes, le temps de trouver pourquoi cela ne fonctionne pas.
La séance est suspendue à 21h20.
La séance est reprise à 21h23.
La présidente. Nous reprenons nos débats.
Mme Françoise Schenk-Gottret (S). En page 2 du rapport, on lit, je cite: «...cette pétition demande à Genève de faire un travail qui n'est pas le sien...». Mais, Genève étant un canton apte à impulser une initiative parlementaire, son législatif doit admettre qu'il peut débattre de la problématique générale et plus particulièrement de la seconde invite. Il s'agit bien de son travail que de décider s'il entend participer avec d'autres parlements cantonaux à une détermination sur un objet dont ils sont tous saisis.
Toujours en page 2, il est dit que le texte de base a été modifié pour Genève... C'est faux. La seule modification est le report de la date de clôture pour la récolte des signatures, initialement prévue au 1er mai et reportée au 28 mai. Jamais les demandes n'ont été modifiées depuis le lancement de la pétition, le 8 avril 2006.
Les deux points de la pétition, le droit de préemption du canton de Berne et l'aménagement du droit pour préserver les entreprises, ont été lancés simultanément et non pas l'un après l'autre, comme le laisse croire une phrase du rapport de majorité.
En page 3 du rapport, il est écrit que la pétition n'a pas été traitée dans d'autres cantons. Mais, à la date d'audition des pétitionnaires, le 18 septembre 2006, la pétition avait déjà été déposée dans les cantons de Berne, Neuchâtel et Vaud. Et il est normal qu'en tant que premier canton saisi de la pétition Genève soit le premier canton à étudier les demandes des pétitionnaires.
Toujours en page 3, la rapporteure parle d'une mise sous tutelle ou d'une expropriation. Or, la pétition demande...
La présidente. Il va falloir conclure, Madame la députée.
Mme Françoise Schenk-Gottret. La pétition demande à créer une procédure juridique appropriée qui prévoirait une mise sous tutelle et une évaluation des faits, au terme de laquelle des recommandations seraient formulées. C'est un processus semblable à celui des organes de conciliation collectifs. Une mise en vigueur des recommandations serait suivie d'un rétablissement des pouvoirs du chef d'entreprise, à défaut seulement de l'autorité qui pourrait décider de l'expropriation.
Il y a encore d'autres corrections à apporter au rapport de majorité, cela fera l'objet d'une intervention ultérieure. En attendant...
La présidente. Il faut conclure.
Mme Françoise Schenk-Gottret. Je rappelle que cette pétition ne se limite pas au seul problème de la Boillat à Reconvilliers, car elle suggère d'élaborer des solutions pour tous les cas semblables qui pourraient subvenir en Suisse. C'est pourquoi les corrections apportées au rapport de majorité ont tout leur sens et toute leur importance, et je souhaiterais qu'elles convainquent la majorité, qui a décidé de classer cette pétition, de l'envoyer au Conseil d'Etat.
M. Eric Leyvraz (UDC). A la commission des pétitions, nous avons écouté avec beaucoup d'attention les pétitionnaires de la Boillat qui étaient des représentants genevois soutenant les employés de l'entreprise de Reconvilliers. La situation des travailleurs de la Boillat n'a pas toujours été d'une grande transparence ! Et est il triste de voir qu'un savoir-faire si ancien - un patrimoine - est prêt à être bradé sur l'autel de la mondialisation, laquelle, entre parenthèses, a déjà fait disparaître en Suisse, en quinze ans, la moitié des paysans, sans que cela ne soulève tant d'émois.
Tout le monde a en tête cette grève dure et longue qui a marqué les esprits. Mais le texte de la pétition comporte des invites irréalistes d'ingérence de l'Etat dans des affaires privées, de mise sous tutelle d'une entreprise et surtout, en cas extrême, d'expropriation, ce qui, évidemment, est totalement inacceptable.
De plus, cette affaire extra-cantonale échappe complètement à la compétence de notre parlement. Je signale aussi que l'entreprise existe toujours et qu'elle dégage des bénéfices.
Malgré la compassion que l'on peut avoir pour les travailleurs licenciés de cette entreprise, il ne nous reste comme possibilité que le classement de cette pétition, et c'est ce que choisira le groupe UDC.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Je remercie aussi le rapporteur de minorité pour l'excellence de son rapport. Nous voyons ce problème comme un cas d'école et nous voulons nous poser des questions de fond.
La pétition pose trois questions: doit-on s'interroger sur les délocalisations, pertes d'emplois et de savoir-faire, qui sont viables économiquement ? Faut-il chercher à aider les grandes entreprises dont le management fait l'objet de graves erreurs ? Et enfin, faut-il effectivement chercher à améliorer le droit des sociétés au niveau fédéral ? Pour nous, la réponse est oui. Hier encore, M. Catelain disait que l'Etat doit aider les petites entreprises. Mais si l'on doit les aider, on doit aussi les protéger.
Peut-être que cette pétition n'est pas le meilleur moyen pour aborder ce débat, c'est possible, mais classer cette pétition serait à nos yeux un signe de mépris, d'indifférence et de désolidarisation face au drame professionnel de Reconvilliers. Cela s'est passé là-bas hier, cela peut se passer à Genève demain.
Je pense que le minimum est de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat pour qu'il prenne position sur ces questions économiques de fond.
M. Pierre Kunz (R). Vous le savez tous, les radicaux, depuis toujours, ont éprouvé compréhension et compassion à l'égard de ceux qui, pour diverses raisons, se trouvent exclus du fonctionnement de leur communauté.
Simultanément, nous avons toujours conservé la conviction que l'économie de marché et les entreprises privées forment le système économique le plus efficace, celui qui est le plus à même d'allouer intelligemment et rationnellement les ressources et celui qui peut au mieux créer les richesses indispensables au fonctionnement de l'Etat social.
La législation sociale et économique que certains ou certaines viennent de critiquer - le droit suisse des sociétés, le droit suisse du travail, le code des obligations - constitue aujourd'hui un modèle de libéralisme mesuré que tous nos voisins nous envient.
Certes, dans le cas de la Boillat, on ne peut pas dire que les patrons de Swissmetal aient agi de manière exemplaire. Et ils n'ont manifestement pas fait les efforts nécessaires pour nouer un dialogue constructif avec l'autre partie. Mais, Mesdames et Messieurs, les exigences exorbitantes que la pétition formule remettent en cause ce modèle d'une manière suicidaire pour les travailleurs eux-mêmes. La pétition ne réclame en effet pas autre chose que les prémisses d'une économie planifiée, même si elle est limitée, moyennant - je cite de mémoire - une mise sous tutelle de l'entreprise, la suspension du pouvoir du management et l'expropriation des propriétaires. C'est de cela qu'il s'agit, Mesdames et Messieurs !
Il me semble qu'ici nous devrions tous savoir où conduisent les systèmes de cette nature, après l'expérience de presque un siècle, à laquelle nos parents et grands-parents ont assisté, dans les pays de l'Est. Cette pétition est une véritable folie qui ne peut s'expliquer que par le désespoir des travailleurs de la Boillat.
Il faut vraiment stigmatiser le fait que ces travailleurs ont été poussés à cette extrémité et à ce désespoir par des syndicalistes aussi dangereux qu'incompétents qui les ont littéralement pris en otage. Ils les ont convaincus de mener une véritable guerre des tranchées - ce n'est pas moi qui invente ces termes, c'est le médiateur, M. Rolf Bloch, dans un récit de son aventure - qui manifestement était vouée à l'échec et qui, comme le titrait «Le Temps» il y a quelques semaines, n'a évidemment débouché sur rien. Ces syndicalistes, pour continuer dans la logique de Mme Leuenberger, persistent à mener une guerre anachronique contre l'adaptation de nos structures économiques et sociales à la mondialisation de notre environnement.
La présidente. Il va vous falloir conclure, Monsieur le député.
M. Pierre Kunz. Je termine. Les radicaux éprouvent respect et sympathie pour les travailleurs de la Boillat, mais il faut condamner cette pétition; il faut la classer, parce qu'elle a été rédigée par des gens qui n'ont absolument pas mesuré les conséquences de leur action.
M. Pierre Weiss (L). Fait-on des règles pour les exceptions ? Doit-on, comme le demande la pétition, revisiter le droit des sociétés, parce qu'il y a eu des problèmes dans une entreprise ? Ma réponse est clairement non ! Ma réponse est d'autant plus négative que, dans cette affaire, il y a eu non seulement des problèmes internes, mais aussi la médiatisation excessive dont elle a fait l'objet et qui a ému un certain nombre de personnes. L'émotion l'a emporté sur la raison, et peut-être ce soir encore, pour certains d'entre nous.
Il faut se rappeler qu'il y a eu rupture de la paix du travail. Il est vrai que le management de l'entreprise a pu sembler à certains ne pas suivre toutes les règles de bon comportement auxquelles nous sommes habitués dans ce pays, mais il faut aussi rappeler qu'il y a eu rupture de la paix du travail de la part de collaborateurs manipulés par un syndicat avide d'une publicité que l'on doit resituer dans la restructuration du monde syndical actuel.
Dans cette affaire, il faut rendre hommage au médiateur, Rolf Bloch, pour le rôle qu'il a joué: il a pallié certaines insuffisances, certains vides - des deux côtés - et, en l'occurrence, cette irresponsabilité à laquelle je faisais allusion.
Vous avez vu - et cela a été cité - que la pétition est à certains égards plus inoffensive, si j'ose dire, que les déclarations de la commission. Plus inoffensive quand elle dit avec une certaine bonhomie vouloir revisiter le droit des sociétés pour y introduire la faculté des organes politiques du pays de protéger certaines entreprises en les soustrayant à la désorganisation économique... Mais que disent les personnes interrogées ? Elles disent notamment, et c'est entre guillemets dans le rapport de majorité, qu'il s'agit de procéder à une «mise sous tutelle» ou à une «expropriation» de ce type d'entreprises. Non, nous ne pouvons pas avoir un droit d'exception dans notre pays, compte tenu de la culture de la paix du travail que nous avons depuis l'avant-guerre ! Non, nous ne pouvons pas nous comporter de manière opposée à ce que vient de faire le parlement chinois qui, lui, a légalisé la propriété privée, quand nous, nous voudrions ici nationaliser ou exproprier les entreprises privées, sous prétexte que, dans un seul cas, il y aurait une hypothétique erreur de management !
C'est la raison pour laquelle la proposition de classement de cette pétition est la seule réponse qu'il faille apporter. Au surplus, je relève que nous sommes ici un peu comme les carabiniers d'Offenbach ou, pour parler genevois, comme les camarades de l'Escalade qui sont arrivés de Sézegnin en renfort en 1602.
M. Roger Golay (MCG). Intolérables, inacceptables, les élucubrations de M. Kunz à l'encontre des syndicats et de la masse ouvrière ! Inacceptables, car ce sont quand même des personnes qui sont jetées en pâture pour des questions de bénéfices de certaines sociétés !
Il est temps de revisiter le droit des sociétés afin d'y fixer quelques règles, car il n'est pas du tout tolérable que des centaines, voire des milliers de personnes soient jetées à la rue, à la charge des collectivités publiques. Donc, il est temps d'agir. Aujourd'hui, nous sommes dans une période de croissance: tant mieux, car on ne sait pas de quoi sera fait demain... Et précisément, il est important de corriger les défaillances de ces entreprises qui délocalisent pour faire bénéficier seuls les actionnaires d'un peu de profit.
Le Groupement Citoyens Genevois soutient le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.
La présidente. Je passe la parole à Mme la rapporteure de majorité, à qui il reste vingt-cinq secondes pour s'exprimer.
Mme Fabienne Gautier (L), rapporteuse de majorité. Je reviens simplement pour souligner ce qui a déjà été dit: c'est un cas particulier qui a ému toute la Suisse et les signataires de cette pétition veulent en faire une généralité pour prendre toutes les entreprises en otage.
Je vous rappelle que le tissu économique suisse est constitué de plus de 90% de PME, dont je fais partie puisque je suis à la tête d'une toute petite entreprise indépendante. Après avoir lu cette pétition et auditionné les pétitionnaires, je ne peux pas l'accepter, c'est pourquoi je vous demande le classement de cette pétition.
La présidente. Votre temps de parole est écoulé. Je passe la parole à M. Thion à qui il reste trente-sept secondes.
M. François Thion (S), rapporteur de minorité. Eh bien, je vais vous donner les cours de la Bourse. Fin octobre 2005 - avant la grève - Swissmetal: 13,90 F. Le 1er février 2007, une année après la grève: 32 F. Aujourd'hui, 22 mars: 26,35 F. L'action Swissmetal est en train de descendre, mais, bonne nouvelle pour les actionnaires, des rumeurs circulent que de nouveaux licenciements vont se produire. On parle de quarante licenciements à Reconvilliers, d'une centaine à Dornach... Je pense que les actions vont remonter !
Je regrette que dans ce parlement un certain nombre d'entre vous ont décidé de mettre les habitants de notre pays au service de l'économie, alors que nous, nous estimons que l'économie doit être au service des habitants.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. L'histoire de la Boillat consacre un drame. Et c'est la première chose que l'on doit mesurer. Ce drame, c'est deux-cents personnes licenciées, et c'est autour de l'entreprise qui fait le noyau économique d'un endroit des milliers d'emplois sont eux-mêmes menacés par la disparition de l'employeur phare d'une région. Alors, c'est un drame et il se doit d'être reconnu. En plus du drame que cela représente, l'histoire de la Boillat est un scandale: scandale lorsqu'il y a désertion. Et, clairement dans ce cas-là, désertion patronale, du partenariat social.
Tout le monde peut comprendre qu'une entreprise ait besoin pour sa survie économique, ou pour accroître son périmètre de marché - ce qui sera utile pour tout le monde, y compris les travailleurs - de se reconstituer différemment de ce qu'elle est. Mais rien n'excuse un comportement tel qu'on l'a vu à la Boillat, qui méprise la valeur clé sur laquelle la Suisse a construit sa richesse économique, c'est-à-dire non pas l'interventionnisme étatique réclamé par la pétition, mais bel et bien les qualités du partenariat social.
On l'a rappelé à plusieurs reprises, une entreprise digne de ce nom doit servir avec la même qualité et la même conviction ses clients, pour les garder, ses collaborateurs, pour qu'ils se développent, et ses actionnaires, pour qu'ils continuent à investir. Mais le moindre déséquilibre entre ces trois éléments méritant un service optimal est un déséquilibre qui peut être fatal pour l'entreprise.
Cela dit, quand on prétend que la part est trop belle pour les actionnaires, c'est souvent vrai. Cependant, il faut peut-être rappeler qui sont ces actionnaires - on a l'habitude de les caricaturer comme des hommes en costume noir avec un chapeau claque et un gros cigare. A l'heure actuelle et dans ce type de structure, ce sont d'abord des fonds de pension d'employés, eux-mêmes ouvriers, qui, face à la désespérance des problèmes liés aux retraites, ont des exigences en termes de rendement qui sont supérieures à celles qu'ils auraient pu tolérer quand ils étaient employés.
Alors, c'est tous ces équilibres qu'il convient de respecter et dont on doit parler. A mon avis, il n'y a pas à nous renvoyer cette pétition. D'abord nous sommes tard, ensuite elle ne serait suivie d'aucun effet. En revanche, le classement qui est proposé me paraît inutilement méprisant vis-à-vis de ceux qui, de bonne foi, dans la souffrance des pertes d'emploi, dans le scandale du comportement antisocial de la direction de l'entreprise, se sont mal comportés. Mesdames et Messieurs, ma suggestion serait de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement, tant il est vrai que l'on ne peut pas gommer d'un seul coup de l'épisode de la Boillat.
Enfin, et permettez-moi de conclure là-dessus, les volontés d'interventionnisme étatique surgissent toujours quand il se passe des choses aussi dramatiques qu'à la Boillat. Mais chaque fois qu'elles ont eu lieu, le remède s'est révélé plus grave que la maladie elle-même: pour une entreprise mise aux soins intensifs par la puissance étatique, ce sont des dizaines d'autres qui, face à de telles interventions, décident qu'elles n'ont qu'un seul salut, celui de fuir.
Je vous remercie de votre attention et vous suggère de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
La présidente. Je mets aux voix les conclusions de la commission... (Remarques.) On demande le vote nominal. Etes-vous soutenu... Vous l'êtes.
Mises aux voix à l'appel nominal, les conclusions du rapport de majorité de la commission des pétitions (classement de la pétition 1579) sont rejetées par 42 non contre 35 oui.
La présidente. Je vais vous faire voter le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat... (La présidente est interpellée.) Oui, c'est juste: je vous soumets le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil... (Exclamations.) Non, non ! Nous devons d'abord nous prononcer sur ce que le rapporteur de minorité - avec la minorité de la commission - a voté ! Je vous soumets donc le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat. (Brouhaha.)
Mises aux voix, les conclusions du rapport de minorité de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 1579 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 55 oui contre 14 non et 7 abstentions.
(Exclamations à l'annonce du résultat. Applaudissements. Brouhaha.)