Séance du
jeudi 16 novembre 2006 à
17h
56e
législature -
2e
année -
1re
session -
1re
séance
Discours de M. Michel Halpérin et objet(s) lié(s)
Discours de M. Michel Halpérin, président sortant
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, vous l'avez constaté, la première année de cette législature a été à bien des égards meilleure que la précédente. Je le dis sans modestie inutile et sans vanité. Car cela est dû à la bonne volonté de chacun et, avant tout, à la sagesse des électeurs genevois qui, lassés des cacophonies de ces dernières années, des gesticulations gratuites, des agressions idéologiques, ont mis un terme - au moins provisoire - à la confiscation de la démocratie par quelques agitateurs professionnels.
Le résultat s'est rapidement fait sentir: soucieux d'efficacité et d'économies, notre parlement, en 2006, a resserré son rythme. Pour être précis, nous avons eu 61 séances contre 72 l'an passé ou 78 l'an précédent. Et nous avons donc consacré en 2006 le même temps à nos travaux que nous l'avions fait en 1993, qui était aussi une année de début de législature, tout en traitant en 2006 deux fois plus d'objets qu'en 1993. Ce qui prouve que, lorsque le parlement souhaite travailler sérieusement, il le peut.
Je bornerai à cette remarque les comparaisons statistiques. J'ajoute simplement que mes efforts n'avaient pas pour objet de ménager les députés, mais de mettre un terme à la dangereuse spirale qui nous conduisait inexorablement vers une professionnalisation de cette fonction dont il est, à mes yeux, indispensable qu'elle demeure milicienne. Nous n'avons que faire, dans notre démocratie semi-directe, d'un parlement professionnel.
Les mesures prises visaient aussi à nous permettre de choisir ce qui, par son importance politique, méritait de longs développements et ce qui, au contraire - parce qu'il s'agissait d'un sujet consensuel ou parce que le problème était secondaire - ne devait pas distraire la députation de ses responsabilités primordiales.
Nous avons d'ailleurs adopté, lors de notre dernière session, et à l'unanimité, une révision de la loi portant règlement du Grand Conseil qui nous permettra, à l'avenir, d'organiser nos travaux en fonction de leur importance politique. Le nouveau Bureau disposera d'un instrument grâce auquel il devrait être mis un terme aux débats anarchiques ou inutilement longs.
Ce nouveau règlement a d'ailleurs parfois été appliqué par anticipation. Ce faisant, nous avons montré aux Genevois, de plus en plus nombreux à suivre nos travaux par le truchement de la chaîne de télévision Léman Bleu - à laquelle, soit dit en passant, nous avons pu apporter d'importantes améliorations d'infrastructure - que nous traitions les sujets qui les préoccupent avec sérieux et un minimum de dignité. Les très nombreux témoignages que j'en ai reçus tout au long de l'année me convainquent que cela répondait à une attente et qu'il importe de poursuivre dans cette voie. Il ne suffit pas, pour cela, d'avoir au cours des débats une attitude posée. Encore faut-il s'intéresser aux vraies questions contemporaines, ne pas se contenter des jeux de la politique politicienne et oeuvrer, collectivement, toutes tendances confondues, au bien de la République.
La principale faiblesse de la démocratie, nous le savons bien, consiste dans l'attentisme. Les élus, trop souvent préoccupés de la prochaine échéance électorale, ont tendance à attendre, pour traiter un sujet majeur, que la pression des électeurs soit devenue si forte qu'il soit impossible de l'éviter. Or nous devrions au contraire anticiper. C'est à nous qu'il appartient d'identifier à temps les problèmes qui se poseront plus tard au lieu de nous contenter, comme souvent à l'heure actuelle, d'une approche passive - et même poussive - qui n'est pas satisfaisante. Je le répète: les problèmes de demain doivent constituer le menu d'aujourd'hui des politiques. C'est pourquoi, au cours de cette année, le Bureau et l'ensemble du Grand Conseil se sont délibérément intéressés à des questions dont l'importance est encore presque imperceptible, mais qui sont appelées à dominer la vie du canton dans les années qui viennent. Quatre thèmes nous ont particulièrement retenus.
Première question: le fonctionnement des institutions. Le Bureau du Grand Conseil s'est beaucoup intéressé cette année à l'articulation de la séparation des pouvoirs. Ce parlement a eu l'occasion, à plusieurs reprises, de marquer son soutien au Conseil d'Etat, tout en lui rappelant régulièrement qu'il n'est pas pour autant une chambre d'enregistrement et qu'il entend exercer la plénitude de ses compétences.
Cela implique parfois des tensions avec l'exécutif. Quoi de plus normal ? Certains s'en inquiètent parfois au sein de la députation. Pour ma part, j'atteste ici de la très grande qualité des rapports que le Bureau a entretenus et que j'ai personnellement eus avec nos sept conseillers d'Etat, qui sont estimables, honorables et appréciés par la députation. Je saisis d'ailleurs cette occasion pour les remercier de l'excellente collaboration que nous avons eue, en particulier avec M. le président du Conseil d'Etat Pierre-François Unger, que j'ai eu le plaisir de côtoyer régulièrement cette année. J'étends ces remerciements à la Chancellerie et au service du protocole, avec lesquels j'ai aussi beaucoup eu l'occasion de travailler.
Dans le même esprit, le troisième pouvoir de l'Etat, celui de la justice, doit disposer d'une totale indépendance et un projet de loi a été déposé en ce sens hier encore. Nous devons en effet renforcer l'institution judiciaire et rappeler à ceux qui la servent et qui remplissent une tâche essentielle que nous les considérons comme des magistrats à part entière et non comme des fonctionnaires. Le projet de loi que je viens d'évoquer renforcera la séparation des pouvoirs en même temps qu'il donnera aux juges la plénitude de leur responsabilité institutionnelle.
Une deuxième question importante est celle du fédéralisme. De plus en plus de concordats sont signés entre les cantons, ou certains d'entre eux, qui permettent de gérer avec eux des sujets d'intérêt commun, par exemple les Hautes écoles spécialisées ou les centres de détention. Il existe déjà plusieurs centaines de concordats. Une fois conclus, leur mise en oeuvre s'effectue, jusqu'ici sans grande difficulté, mais en l'absence de tout véritable contrôle parlementaire, ce qui est propre à entraîner d'importants déficits démocratiques à l'avenir. Le Bureau a créé des mécanismes qui devraient permettre à notre Grand Conseil - au travers de sa Commission des affaires communales, régionales et internationales, dont le rôle et les moyens seront renforcés - de suivre, dans les années qui viennent, l'évolution de ces instruments de la vie fédérale plus attentivement que par le passé.
Troisième question : la région franco-valdo-genevoise. Elle est confrontée aux mêmes types de singularités: elle se développe tout naturellement, presque à notre insu. Il faut donc que notre parlement s'assure qu'aucune décision majeure ne peut être prise sans sa participation, et dans le respect des règles générales de la démocratie.
Quatrième question: encore et toujours celle des perspectives économiques de Genève. Ce sujet a donné lieu, il y a quelques jours seulement, à un séminaire, au sein même de cet Hôtel de Ville, auquel ont participé bon nombre d'entre vous, des membres de la haute administration et des représentants des milieux économiques et syndicaux: une occasion de mieux se connaître et, pour nous députés, de disposer d'une vision d'ensemble de la situation économique. Car l'avenir de Genève est - et doit être - au coeur de nos préoccupations, et dans l'immédiat, pour apporter des réponses aux trois thèmes cruciaux pour les Genevois d'aujourd'hui que sont: l'emploi, si malmené à Genève; le logement, devenu inaccessible; les déficits du budget de l'Etat et la réduction de sa dette. Donc, une politique de développement, mais en prenant la mesure de nos choix: la prospérité a un coût et il nous faudra l'intégrer à nos projets. Cela s'appelle le développement durable et nous devons, sans attendre, nous pencher sur les meilleurs équilibres possibles entre le bien-être de nos contemporains et la qualité du monde que nous léguerons à ceux qui nous suivent.
En résumé, l'activité parlementaire exige à la fois une haute conscience de notre responsabilité politique et une sérieuse organisation de notre travail. Elle nous impose de privilégier les vrais débats et d'avoir le courage et l'honnêteté d'ignorer les autres.
Cette considération m'amène à exprimer ici des remerciements à tous ceux qui ont favorisé l'avènement de cet état d'esprit nouveau qui, j'espère, se prolongera: vous tous, Mesdames et Messieurs les députés, puis les chefs de groupes et les membres du Bureau. D'abord, Mme Anne Mahrer, vice-présidente pour encore une minute, puis votre présidente de ce parlement, avec qui j'ai eu plaisir à travailler, pour son sérieux, son intelligence et sa fermeté. M. Jacques Baudit, vice-président, pour sa fidèle et efficace disponibilité. Mme Caroline Bartl, pour sa présence attentive et encourageante. Mme Loly Bolay, pour son ardeur militante et consciencieuse. M. Thierry Cerutti, pour la fraîcheur et pour l'application. Mme Patricia Läser, pour son engagement déterminé. Ensemble, nous avons travaillé dans une atmosphère de respect et d'estime, et presque toujours dans une totale convergence de vues. Je vous souhaite - je nous souhaite ! - Madame la présidente, de poursuivre dans un environnement aussi favorable, ce qui pour vous est essentiel.
Je tiens aussi à exprimer ma chaleureuse gratitude à notre sautier, Mme Maria Anna Hutter, dont le sourire, l'efficacité, la créativité, la compétence polyvalente sont remarquables. Son adjoint, M. Laurent Koelliker, s'est également montré à la hauteur de nos attentes, comme tous les membres du service du Grand Conseil que je renonce, à regret, à nommer tous, me bornant à adresser un salut particulier à nos principales mémorialistes, Mme Françoise Chételat et Mme de Cerval, à nos huissiers Christian Roy et Stéphane Baldassari, ainsi qu'à celui du Conseil d'Etat, Paul Perrin, toujours aimables et prompts à l'ouvrage, ainsi que Messieurs Yvan Reynard et Didier Thorens dont dépend notamment la technique - c'est à dire désormais l'existence même de nos séances, puisque sans eux l'informatique, donc les amplifications vocales et le décompte des votes, ne sont plus opérationnels, ni par conséquent notre assemblée.
Mesdames et Messieurs, permettez-moi de conclure. Pour des raisons que vous connaissez, qui sont à la fois géographiques et historiques, Genève occupe une place à part sur la carte du monde. Nous bénéficions, depuis des décennies, sur le plan matériel, d'une situation particulièrement enviable et, sur celui des idées, de la chance extraordinaire d'accueillir des organisations internationales, gouvernementales ou non, qui oeuvrent pour l'amélioration de la condition humaine et donnent ainsi une espérance à tant de populations privées des ressources les plus élémentaires ou confrontées à l'exil, à la guerre ou au fanatisme.
Cela bien sûr nous donne des devoirs, vis-à-vis de nous-mêmes d'abord, mais aussi vis-à-vis du monde entier. Pour les assumer, pour perpétuer l'héritage reçu de nos parents et pour donner à nos enfants des motifs d'éprouver à leur tour de la fierté à l'égard de ceux qui les ont précédés, nous devons être simples mais pas simplistes, car le monde est complexe. Nous devons être économes, mais prêts à investir dans l'enseignement et la recherche. Soucieux de développement et de croissance, mais attentifs à l'environnement. Réceptifs aux expectatives de nos concitoyens mais préoccupés du sort du reste de la planète. En d'autres termes, lucides et déterminés dans la défense de nos intérêts, mais fervents dans celle de nos idéaux.
C'est beaucoup et c'est la moindre des choses. C'est en tout cas ce qu'attendent de nous - je le sais, ils me l'ont dit tout au long de ces rencontres magnifiques que mes fonctions m'ont donné la chance de faire - tous les Genevois. C'est ce qu'ils font eux-mêmes, dans leur famille, à leur travail, dans les associations amicales ou politiques. C'est ce que font quotidiennement tous ceux qui, ici même, dans cette salle, et partout dans cette «parvulissime république» chère à Voltaire, célèbrent le privilège et la fierté, l'honneur et la responsabilité, d'être citoyens de Genève. (Les députés se lèvent et applaudissent. La présidente remet des fleurs à M. Michel Halpérin. Applaudissements.)
Madame la présidente, je vous donne le fauteuil et je vous souhaite bonne chance.