Séance du
jeudi 12 octobre 2006 à
17h
56e
législature -
1re
année -
12e
session -
57e
séance
PL 9793-A
Premier débat
Mme Emilie Flamand (Ve), rapporteuse. Le projet de loi 9793 visait à l'origine à réintroduire la possibilité pour les députés d'interpeller oralement le Conseil d'Etat sur des points d'actualité, possibilité qui avait été retirée lors de la dernière législature. Saisie de ce projet de loi, la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil a préféré le modifier en réintroduisant effectivement une interpellation urgente orale par groupe et en supprimant par ailleurs les interpellations urgentes écrites.
Les interpellations urgentes orales ont en effet été perçues par la commission comme plus politiques. Elles sont adressées à un conseiller d'Etat qui doit y répondre immédiatement, prouvant ainsi sa bonne connaissance des dossiers. Le délai de réponse des interpellations urgentes écrites étant fixé à la session suivant leur dépôt, leur rédaction est souvent confiée à l'administration.
Ainsi, en remplaçant les interpellations écrites par les interpellations orales, les députés pourront obtenir des réponses plus directes et plus politiques à leurs interrogations existentielles, tout en soulageant l'administration d'une tâche qui ne devrait pas lui échoir.
Pour toutes ces raisons, je vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre la quasi-unanimité de la commission et d'accepter ce projet de loi.
M. Claude Aubert (L). J'aimerais commencer par vous parler de la bouteille. Cela vous paraît peut-être incongru dans un débat de ce niveau, mais vous comprendrez vite pourquoi je vais commencer par la bouteille. Il y a des jours où nous sommes heureux, détendus, et nous pensons que nos semblables, que les êtres humains sont bons, gentils, généreux et que leurs intentions sont pures. C'est à ce moment-là qu'on pense que la bouteille est à demi pleine. D'autres jours, on est maussade, on se dit que l'homme est un loup pour l'homme et que les intentions des uns et des autres sont secrètes et que l'on instrumentalise beaucoup de choses. Ce sont ces jours-là où l'on pense que la bouteille est à moitié vide.
Les députés libéraux qui ont participé aux discussions étaient probablement optimistes, heureux et contents de pouvoir travailler en commun dans une atmosphère sereine de commission. Lorsque les libéraux, dans leur ensemble, ont repris ce projet de loi, ils étaient plutôt dans un état d'esprit négatif, pessimiste - certains diront réaliste. En effet, réintroduire ou introduire les interpellations orales urgentes ferait que le temps consacré serait évidemment plus grand à ce propos.
Sans vouloir allonger, je citerai l'excellent rapport de Mme la rapporteure qui indique ce que j'appelle une instrumentalisation de l'interpellation orale urgente; comme elle vient d'ailleurs de le dire, l'interpellation urgente orale a pour mérite de ne réclamer qu'une réponse orale du magistrat concerné, ce qui permet de juger de sa connaissance des dossiers. Par conséquent, on passe au fond de l'interpellation urgente orale au grand oral, examen de la connaissance des dossiers par les conseillers d'Etat. C'est une dérive qui nous semble négative.
Mme le rapporteur donne encore un autre exemple en disant qu'il est particulièrement pertinent d'introduire ces interpellations dans le traitement de faits d'actualité brûlante. Nous savons depuis notre enfance qu'il ne faut jamais toucher quelque chose de brûlant, sous peine de sursauter, de convulser. En tout cas, on ne réfléchit jamais quand on est face à quelque chose de brûlant. Il faut attendre que l'objet tiédisse, se refroidisse, pour qu'on puisse prendre de la distance et l'étudier.
C'est pourquoi le groupe libéral ne soutiendra pas ce projet de loi, en disant oui à un Grand Conseil qui travaille et non à un Grand Conseil qui cherche le spectacle. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Eric Bertinat (UDC). Sans doute, pour reprendre l'image de notre ami le député Aubert, l'esprit du représentant UDC au sein de la commission des droits politiques était-il aussi de voir la bouteille à moitié pleine. En effet, après discussion au sein du groupe, nous avons décidé que nous refuserons ce projet.
Dans les explications données par les auteurs de ce projet de loi, l'argument de l'actualité brûlante peut être retenu pour valider le retour des interpellations urgentes orales. L'interpellation urgente orale est certes plus dynamique qu'une interpellation urgente écrite, mais elle est aussi moins précise. Et dans le cadre de ce parlement, j'ai quelque crainte que la réponse donnée soit reçue différemment par les députés siégeant dans cette enceinte.
Nous connaissons tous le célèbre proverbe «Les écrits restent, les paroles s'envolent». Nous avons pu en faire l'expérience récemment au sujet de la réduction, annoncée par le Conseil d'Etat, de 5% des charges salariales réparties sur quatre ans et qui a paru dans le Point Presse du Conseil d'Etat du 6 décembre dernier - réduction dont les modalités ont fait l'objet d'une longue explication contradictoire de la part du chef du département des finances. C'est pourquoi certaines déclarations doivent impérativement être faites avec précision, par écrit. Et même dans ce cas, il y a encore de quoi nuancer ces écrits.
Pour l'UDC, la réintroduction des IUO compliquera notre travail plutôt qu'elle ne permettra de régler des problèmes d'actualité au sujet desquels une seule question suivie d'une seule réponse ne suffira sans doute pas à satisfaire l'appétit de l'auteur de l'interpellation. C'est pourquoi nous refuserons ce projet de loi.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Contrairement aux deux préopinants, nous soutiendrons ce projet de loi, qui nous semble même ne pas aller assez loin. Nous pensons que les travaux de la commission ont été menés de façon sérieuse et j'ai de la peine à comprendre ces revirements subits, mais il est vrai que, parfois, on peut avoir des discussions dans les groupes, qui ne sont pas conformes à celles des commissions.
Contrairement à M. Aubert, je ne pense pas que le rôle d'un politique soit de fuir systématiquement ce qui est brûlant ! Un député a le droit, sans excès, de demander certaines choses au Conseil d'Etat, parce qu'on n'a pas tout le temps l'occasion de le faire en commission. Et les interpellations urgentes orales, si elles sont pratiquées avec une certaine mesure, peuvent être tout à fait bénéfiques.
Lors de la précédente législature, il y a eu des abus, on est prêts à le reconnaître, mais on constate aussi qu'avec les interpellations urgentes écrites il peut aussi y avoir certains abus. Nous avons vu tout à l'heure que M. Stauffer en a déposé un nombre impressionnant. C'est pourquoi nous pensons qu'il serait très bien de réintroduire ces interpellations urgentes orales. Mais, contrairement à ce qui a été décidé en commission, une par parti nous semble un peu juste. C'est pourquoi nous avons, avec les Verts, déposé un amendement qui consistait à demander deux par groupe.
Vu la tournure que prennent les discussions, il serait peut-être plus sage de renvoyer ce projet de loi en commission - parce que je crois que les avis sont assez partagés. Il pourrait être intéressant que nous fassions un tour d'horizon maintenant et que nous reprenions ce projet de loi en commission, car il semblait quand même qu'un certain nombre de partis étaient prêts à réintroduire ces interpellations urgentes orales.
Le président. Nous sommes donc saisis d'une demande de renvoi en commission. Je donne la parole à M. le député Yves Nidegger.
M. Yves Nidegger (UDC). Sur la demande de renvoi en commission ? J'aurais renoncé pour le reste, mais nous nous opposons évidemment au renvoi en commission, Monsieur le président.
M. Gabriel Barrillier (R). Cette demande de renvoi en commission nous coupe notre effet, mais enfin... Le groupe radical s'oppose au renvoi en commission. Nous voulons une discussion sur cette affaire.
M. Pascal Pétroz (PDC). Je dois dire que je me demande pourquoi il s'agit de renvoyer en commission quelque chose qui a été longuement discuté. Peut-être s'agit-il de gagner du temps pour pouvoir discuter et ramener - je ne veux pas dire à la raison... - ceux qui, après avoir soutenu avec force le projet de loi, le combattent aujourd'hui.
Je crois qu'il faut faire un petit peu d'histoire pour comprendre la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Initialement, l'interpellation urgente écrite a été instaurée pour permettre aux députés, dans un dialogue présentant une certaine immédiateté, de poser des questions au gouvernement. Par exemple: «Il y a eu un embouteillage à la rue Machin: qu'est-ce qui se passe ?» Le Conseil d'Etat répond tout de suite. Et puis, au fil des années, on a constaté un certain nombre d'abus, puisque certains députés avaient tendance à poser une quinzaine de questions et que, finalement, nous passions une bonne partie de notre session à poser des questions - il fallait un quart d'heure pour poser chaque question, parce qu'en réalité chacune était prétexte à une intervention politique - et le Conseil d'Etat devait répondre... Raison pour laquelle, pour lutter contre ces abus, puisqu'on perdait trop de temps pendant les séances plénières à régler ces questions d'interpellations urgentes orales, on a décidé de les présenter par écrit.
C'est un système qui a fonctionné pendant relativement peu de temps et certains députés se sont dit que, finalement, le système de l'interpellation urgente écrite pose quand même des problèmes, puisque la réponse du Conseil d'Etat, qui doit intervenir lors de la session ultérieure, c'est-à-dire un mois après, arrive en quelque sorte comme la grêle après les vendanges. Et comme le but d'une interpellation urgente orale est d'obtenir une réponse immédiate, si la réponse à une question urgente intervient un mois après, ce n'est pas un délai raisonnable.
Raison pour laquelle la commission des droits politiques a essayé de trouver une formule équilibrée permettant de garantir l'immédiateté. Les députés pourraient poser une question tout de suite, lors de notre session, et le Conseil d'Etat pourrait répondre immédiatement, peut-être en effet avec une précision moins grande que dans le cadre d'une question écrite. Mais je dirai à ce propos à M. Bertinat que la question écrite qui est prévue à l'article 163 de notre Grand Conseil perdure, donc si une question doit être posée par écrit pour que la réponse soit faite par écrit, parce que c'est quelque chose de particulièrement complexe, notre règlement permet d'avoir cet instrument. (Brouhaha.) L'idée, c'est qu'il faut pouvoir de manière immédiate et rapide obtenir une réponse à une question d'actualité. En même temps, on limite les abus en ne permettant qu'une seule interpellation par groupe.
De l'avis du parti démocrate-chrétien, cette formule est équilibrée, à l'exception d'un petit détail, mais qui a toute son importance: la loi, telle qu'elle est libellée actuellement, permet à quelqu'un de poser une question en trois minutes; cela ne nous convient pas. Nous estimons qu'une minute, c'est suffisamment long pour poser une question, et M. Mettan et moi-même avons rédigé un amendement dans ce sens.
Si le renvoi en commission devait être refusé et l'entrée en matière acceptée, nous demanderons que le temps maximum pour poser la question soit d'une minute. Parce qu'en réalité, si on octroie plus de temps, le temps supplémentaire ne sera pas utilisé pour poser la question, mais - parce que l'être humain est ainsi fait qu'il se laisse parfois un peu déborder par sa verve - pour essayer de se livrer à des discours politiques devant Léman Bleu.
Nous estimons donc qu'une minute est amplement suffisante et c'est pourquoi le parti démocrate-chrétien vous demande de rejeter la demande de renvoi en commission, de voter l'entrée en matière et, ultérieurement, de voter l'excellent amendement rédigé par M. Mettan et celui qui vous parle.
Mme Sandra Borgeaud (MCG). Le groupe MCG soutiendra ce projet de loi ainsi que l'amendement des socialistes, en demandant qu'il puisse y avoir deux interpellations urgentes orales par groupe. En revanche, nous ne soutiendrons pas le renvoi en commission, car nous avons effectué assez de travail, ce qui nous a pris passablement de temps, et je pense que l'amendement est suffisant. Nous voterons ce projet de loi dans son ensemble.
M. Claude Aubert (L). Si nous sommes optimistes, nous pouvons penser que le travail en commission sera fructueux; si nous sommes pessimistes, nous pouvons déjà penser que les enchères sont là. Nous passons d'une interpellation, c'est-à-dire vingt et une minute, à deux interpellations, c'est-à-dire quarante-deux minutes, sans compter le temps de réponse du Conseil d'Etat.
Si on limite le temps de réponse du Conseil d'Etat à trois minutes, on peut se demander comment on peut, en trois minutes, parler avec pertinence d'un sujet complexe... Mais l'excellence de nos conseillers d'Etat leur permet probablement de répondre en une minute d'une manière absolument claire.
Personnellement, je pense que les sujets difficiles que l'on doit examiner nécessitent des réponses circonstanciées et, par conséquent, les libéraux s'opposent au retour en commission.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Juste brièvement, puisque je vois que tout le monde veut continuer le débat, je retire ma demande de renvoi en commission.
Mis aux voix, le projet de loi 9793 est adopté en premier débat par 44 oui contre 28 non.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'article 162 A (nouvelle teneur).
Le président. Un premier amendement nous est présenté à l'article 162 B, alinéa 2, par Mmes Gabrielle Falquet, Catherine Baud, Laurence Fehlmann-Rielle, Anne Emery-Torracinta et M. Antonio Hodgers. Le voici: «Les députés ne peuvent développer plus de deux interpellations urgentes orales par groupe.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 39 non contre 36 oui.
Le président. Un second amendement nous est proposé à l'article 162 B, alinéa 1, par MM. Mettan et Pétroz. Il se lit ainsi: «L'interpellation urgente orale n'est pas annoncée et son auteur la développe en une minute au point de l'ordre du jour figurant à la première séance de chaque session.»
M. Roger Deneys (S). Concernant cet amendement, j'invite dans tous les cas les députés PDC qui en sont auteurs à montrer l'exemple et à faire dorénavant toutes leurs interventions en une minute. Comme cela, on pourra voir si c'est réaliste ou pas ! A mon avis, les questions compliquées méritent aussi des explications, pour qu'elles soient compréhensibles pour tout le monde.
Le président. Monsieur le député, je vous félicite: vous avez mis vingt-quatre secondes à développer votre point de vue, ce qui prouve que vous avez raison. Je mets aux voix... La parole est demandée. Monsieur Pétroz, vous voulez vraiment vous exprimer ? Vous avez mis quatre minutes tout à l'heure... (Remarques. Brouhaha.)
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 42 oui contre 28 non et 6 abstentions.
Mis aux voix, l'article 162B (nouvelle teneur) ainsi amendé est adopté, de même que les articles 162D (nouvelle teneur) et 162E (nouvelle teneur).
Mis aux voix, l'article 1 (souligné) est adopté, de même que l'article 2 (souligné).
Troisième débat
M. Alberto Velasco (S). On a voté ce soir toute une série de projets de lois qui sont en réalité en train de limiter le pouvoir de ce Grand Conseil. Je trouve dramatique que l'on dise à un député qu'il n'a qu'une minute - une minute ! - pour développer une interpellation urgente... (Exclamations.) C'est à l'image de ce qui se passe actuellement: on limite les capacités d'expression des députés de ce Grand Conseil. (Applaudissements.)
Le projet de loi 9793 est adopté article par article en troisième débat.
Mis aux voix, le projet de loi 9793 est rejeté en troisième débat dans son ensemble par 47 non contre 34 oui.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons passer... (Brouhaha.) Je n'ai pas levé la séance ! Je rappelle que votre présence sur ces bancs est facultative, en conséquence de quoi vous pouvez vous retirer si vous avez d'autres sujets de discussion qui vous préoccupent davantage.