Séance du
jeudi 21 septembre 2006 à
20h30
56e
législature -
1re
année -
11e
session -
53e
séance
M 1688
Débat
Mme Brigitte Schneider-Bidaux (Ve). Cette motion a le mérite de poser un vrai problème, celui de la prise en charge des médicaments et des prises en soin pour les personnes qui ne peuvent plus payer leurs cotisations d'assurance-maladie. Ce qui a été fait, c'est que le Conseil d'Etat a déjà répondu à cette motion dans l'urgence, il y a déjà plus de trois mois. Donc, cette motion est - heureusement - sans objet et je vous demande de la retirer.
M. Michel Forni (PDC). A la lecture d'une motion de ce type, vous avez probablement été choqués par une mesure qui, il faut le dire, est inacceptable et honteuse. Parce que malheureusement, d'une part, elle s'applique à Genève - et je rappelle que Genève est une ville qui a un certain prestige, notamment par l'OMS - et qu'elle a, d'autre part, aboutit à suspendre les frais de prestations, c'est-à-dire en non-remboursement des frais de traitement de patients chroniques.
Il est vrai qu'il y a eu des abus et que certaines démarches ont été faites à Berne. Mais derrière ce type de démarches, il faut bien comprendre qu'il y a trois conséquences. La première est que c'est une menace pour la santé du patient, puisqu'on aboutit à une interruption dans le plan thérapeutique et, vu son non-remboursement, elle frappe bien sûr les patients les plus vulnérables, c'est-à-dire, ceux qui ont besoin d'un traitement et qui, dans un combat quotidien, franchissent les limites d'une maladie et de complications sévères. Et malheureusement, on frappe une seconde fois des gens qui sont victimes de leur précarité.
Le deuxième problème, c'est le transfert des charges par l'assurance maladie à l'Etat, Etat bienveillant par certains côtés, mais aussi providence par d'autres côtés. Et ce genre de raté coûte très cher sur le plan économique, sur le plan médical et sur le plan social. Cette stratégie, il faut bien le comprendre, a aussi d'autres répercussions. Elle met en cause d'autres partenaires de la santé, notamment des médecins et des pharmaciens qui, à cause de ce type de traitements, éprouvent très souvent les mêmes difficultés que les patients, puisqu'ils ne sont pas remboursés et qu'ils se retrouvent dans une galère économique de plus en plus dangereuse.
Le troisième problème qui découle de l'absence de prise de position de la Confédération reflète visiblement une panne de fonctionnement de la LAMal, qui traduit probablement un grave malaise, puisque le principe de solidarité qui est à la base de la LAMal est trahi et que le temps des indigences est peut-être difficile à défendre ou à justifier aujourd'hui. Il est quand même assez symptomatique de voir que les premiers qui ont été ciblés étaient des patients qui souffraient du SIDA. Je rappelle qu'à ce jour 25 millions de personnes sont mortes de cette maladie et que nous avons une certaine chance en Suisse de pouvoir faire en sorte que cette maladie soit relativement neutralisée. A l'opposé, il faut le signaler, il y a une généreuse et courageuse démarche de l'Etat de Genève et de ses autorités pour poursuivre le traitement de ces patients et leur permettre simplement de survivre. Bien sûr, cette procédure se fait sur le compte des deniers publics, il faut être franc. Elle peut être associée à une escalade financière et elle représente inévitablement une forme d'injustice pour les autres patients, qui assument une part importante de leur traitement onéreux.
Par ailleurs, il n'est pas forcément stupide de penser que ceux qui sont à l'origine de cette mesure en développeront d'autres ciblant également des patients à haut risque qui peuvent générer des frais thérapeutiques importants. Dans le catalogue des autres futures victimes, dans un délai bref, on peut facilement voir les cancéreux, les psychiatriques, les patients souffrant du cardio-vasculaire et j'en passe. Faut-il redouter que ces patients soient traités en coupables ou en victimes ? Trop de bienveillance permet d'imposer la loi du plus fort, à laquelle s'associent causes perdues d'avance et mises en danger de la vie de ces démunis.
Dans ce contexte, il est faux de supposer qu'on a essayé tout ce qui ne marche pas, qu'on a célébré et cultivé les dépenses et, finalement, ignoré le déficit au profit des bénéfices. Pire encore, les experts de l'inégalité issus du monde de l'assurance-maladie ont mis au point des subtiles modèles mathématiques pour saisir au franc près les écarts entre citoyens. Nous en observons déjà les premières répercussions.
C'est la raison pour laquelle nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à réserver un bon accueil à cette motion des démocrates-chrétiens, qui va permettre non seulement de clarifier l'obscurité du positionnement de Berne, mais aussi de bien laisser la marge de manoeuvre au Conseil d'Etat pour négocier à Berne.
Si vous avez eu le temps de lire une ancienne motion qui est présentée ce soir, la M 865, vous verrez que la réponse de M. Couchepin n'est pas tout à fait claire et qu'il y a encore beaucoup de travail à faire pour arriver à une situation plus compréhensible. C'est la raison pour laquelle nous vous invitons à faire en sorte que cette motion puisse être renvoyée à la commission de la santé.
M. Claude Aubert (L). Si vous me permettez de faire un tout petit peu d'humour dans un sujet aussi compliqué, on pourrait envisager une modification d'un article de la LAMal en indiquant qu'il est conseillé de payer ses primes, par opposition au fait qu'il est obligatoire de payer des primes. Jusqu'à présent, comme vous le savez, lorsque quelqu'un ne payait pas ses primes, l'assurance payait les traitements jusqu'au moment où l'Etat les prenait en charge. Maintenant, le sujet est un peu différent: la caisse maladie peut refuser de payer et l'Etat prend plus rapidement en charge ces questions. Par conséquent, il y a un problème de cohérence: ou on paie des primes, ou on n'en paie pas, et si on ne paie pas de primes, il faut quand même qu'il y ait une conséquence quelque part, sinon on doit modifier l'article de la LAMal en disant qu'il est simplement conseillé de payer ses primes.
Par ailleurs, comme il est dit très clairement que le Conseil d'Etat a déjà pris ce problème en main, il nous semble difficile d'envoyer une motion à un Conseil d'Etat qui a déjà oeuvré. Nous avons dans quelques minutes à aborder une motion qui a été déposée il y a vingt ans auprès du Conseil d'Etat; il serait dommage que, maintenant, nous déposions des motions qui engagent le Conseil d'Etat à effectuer ce qu'il est en train de faire. Par conséquent, nous pensons aussi que cette motion est sans objet. Message terminé.
Le président. Merci pour ce message laconique, mais percutant.
M. Eric Stauffer (MCG). Nous allons soutenir le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat. Il n'est pas normal de condamner une partie de la population qui est défavorisée et de lui supprimer les soins. C'est totalement inadmissible dans une ville comme Genève et en 2006. Cela ne doit juste pas exister.
Le président. La parole est encore à M. Alain Charbonnier.
M. Alain Charbonnier (S). Ce n'est pas «encore», c'est la première fois de la soirée ! Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, effectivement, cette motion a tout son sens. Il n'est pas normal que des patients, des personnes souffrantes, et pas seulement de SIDA et de cancer, je tenais à le dire, Monsieur Forni, mais tout un chacun qui voudrait se faire soigner et qui, malheureusement, n'a pas pu payer ses primes, ne puisse pas se faire traiter ou vienne avec grande réticence.
Je parle avec mon expérience de physiothérapeute: il y a des patients qui viennent avec grande réticence, il se demandent s'ils peuvent venir se faire traiter en sachant qu'ils ont ce genre de problème avec leur assurance. Evidemment que s'ils n'ont pas payé leurs primes, ils ne vont pas, non, plus pouvoir payer de leur poche les traitements de physiothérapie qui viennent en deuxième plan, après la visite chez un médecin. (L'orateur est interpellé.) C'est peut-être trop cher, d'après M. Gros, toujours est-il que c'est un traitement qui vient après un autre traitement, celui du médecin qui pose son diagnostic et envoie le patient chez d'autres prestataires de soins.
Cette motion a donc tout son sens, mais sa forme est peut-être à revoir, parce qu'il semblerait que le Conseil d'Etat a fait sa part de travail sur le sujet relativement rapidement en début d'année. Et le président Unger et moi - en tant que président de la commission de la santé - avons précisément été auditionnés dernièrement, à propos des ambulances, à la commission de la santé du Conseil des Etats. On pourrait imaginer de renvoyer cette motion en commission sous forme de résolution afin de déterminer quelle forme est la plus utile pour aller éventuellement un peu plus loin et l'envoyer sous forme de résolution aux Chambres fédérales. Nous aurions peut-être ainsi une chance d'être auditionnés là-bas et de faire entendre notre voix - Monsieur Forni, je suis désolé, mais c'est à vos collègues de parti qu'il faut que nous nous adressions en particulier. Parce que, lors de notre audition, nous avions en face de nous une brochette de conseillers aux Etats PDC qui sont bien placés dans les plus grandes assurances-maladie, qui sont dans les conseils d'administration, présidents ou vice-présidents. Eux semblent manier habilement ces arguments sur la LAMal et contre les patients qui ne paient malheureusement pas leurs primes d'assurance-maladie. Alors, je pense qu'il y aurait un effort à faire, peut-être directement au sein de vos partis - je regarde tous les bancs de la droite... Il y a fort à faire au niveau du lobbyisme de ce côté-là, sans forcément passer par les voies parlementaires pour arriver à un bon résultat.
Le président. Vous aurez compris que l'utilisation de «encore» n'était pas la manifestation d'une lassitude quelconque à votre endroit et s'il était nécessaire que je vous rassure, je le fais maintenant. C'était pour dire que vous étiez le dernier intervenant inscrit, mais vous avez stimulé les compétences et la parole est maintenant à M. Jacques Follonier.
M. Jacques Follonier (R). Lorsque la décision est tombée, de ne plus accepter tous les traitements comme c'était le cas auparavant, le département a effectivement fait un travail excellent et très rapide. Je tiens à le remercier, puisque nous, les pharmaciens, étions en première ligne de ce genre de problèmes, notamment par rapport à certains médicaments destinés au traitement de maladies particulièrement difficiles, qui coûtent extrêmement cher.
Là où j'aimerais quand même intervenir, et je pense que cette motion a tout son sens, c'est à cause de la dérive que l'on perçoit. Je crois qu'il est important que vous soyez mis au courant de certains problèmes que nous rencontrons quotidiennement. Par rapport au fait que certaines personnes n'ont pas payé leurs primes, qu'elles ne peuvent peut-être plus le faire et qu'elles ont un retard important, vous devez savoir qu'aujourd'hui certaines caisses maladie ont pris des décisions relativement malsaines. Pas plus tard qu'hier, j'ai eu une personne qui s'est vu refuser entièrement son traitement médical, simplement parce qu'elle avait un retard de prime de vingt francs, qui datait de l'année 2005... Et sur ce simple fait, une caisse maladie a refusé de payer ses médicaments. Je pense que ça, c'est une dérive de plus en plus grave ! Dès lors qu'on permet aux caisses maladie de mettre le doigt dans cet engrenage, elles vont s'engouffrer de plus en plus dans ces possibilités qu'on leur a offertes... Et je pense que dans ce cadre-là cette motion a tout son sens.
Il faut effectivement envoyer cette motion à la commission de la santé, pour pouvoir aller au fond de ce problème, peut-être ressortir les petites malveillances qu'on voit arriver, de manière que ces dérives ne se produisent pas trop longtemps.
M. Gilbert Catelain (UDC). Vu l'importance du sujet que le groupe PDC a présenté dans cette motion, il me semble qu'elle mérite un vrai débat en commission afin que les députés concernés puissent se forger une vraie opinion et prendre conscience des problèmes qui se posent aujourd'hui avec les différentes révisions de la LAMal. Nous avons d'ailleurs un certain nombre d'objets concernant les coûts de la santé qui sont pendants en commission.
La question est encore de savoir à quelle commission renvoie cette motion, si c'est plutôt la sociale ou la santé. En principe, ce qui concerne les assurances sociales devrait plutôt aller à la commission sociale, qui gère d'ailleurs d'autres problèmes tels que les normes SIAS ou la prise en charge des soins médicaux. Cette commission me semblerait plus habilitée à traiter ce sujet.
Quoi qu'il en soit, cette demande de renvoi en commission ne vise pas à plomber la motion qui nous est présentée ce soir, mais bien à l'appuyer et à comprendre l'intégralité du problème qui nous est présenté, puisque, sur la base du seul exposé des motifs, il est difficile de se forger une opinion objective sans avoir des connaissances préalables. Je vous propose, Monsieur le président, de soumettre au vote le renvoi de cette motion à la commission sociale.
M. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat. Vous êtes abondamment revenus sur les circonstances dans lesquelles mon collègue François Longchamp et moi-même sommes allés à Berne prendre des décisions très rapides; il s'agissait ni plus ni moins que de la vie de quelques personnes qui était menacée. Cette motion était évidemment adaptée. Elle date du mois de mai et c'est vrai que depuis le mois de mai, votre invite a été remplie.
Nous avons non seulement pris contact avec la conférence des directeurs sanitaires, mais nous nous sommes également réunis pour cela, nous avons rencontré M. Couchepin pour cela, et j'ai reçu avant-hier une consultation concernant la modification de l'ordonnance d'application de la LAMal sur ce sujet. M. Couchepin a été sensible à nos arguments. Il pensait d'abord qu'ils étaient purement genevois, mais il a très vite pu s'apercevoir que les vingt-six cantons avaient été concernés par des situations du même ordre.
Cela ne doit pas vous empêcher de renvoyer cette motion en commission de la santé pour qu'on puisse vous donner toutes ces explications et pour qu'on puisse les compléter avec l'exposé qu'on vous fait chaque année sur la hausse des coûts, sur les causes, sur ce qui va mieux et ce qui va moins bien. Vous verrez ensuite s'il est indispensable de la garder tout en évitant, le cas échéant, de donner trop de travail à des fonctionnaires pour répondre à une motion dont l'invite est déjà remplie, ce qui ne vous empêche pas de la joindre à la cohorte des autres sujets qui touchent aux coûts de la santé.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 1688 à la commission de la santé est adopté par 34 oui contre 28 non.