Séance du
jeudi 22 juin 2006 à
17h
56e
législature -
1re
année -
10e
session -
45e
séance
IN 129 et objet(s) lié(s)
Débat
Mme Anne Emery-Torracinta (S), rapporteuse de majorité. Ce sujet étant très important, je vais bien évidemment faire un certain nombre de remarques.
J'aimerais tout d'abord, en guise de préambule, rappeler quel est le rôle de ce parlement par rapport à cette initiative. Il ne s'agit en aucun cas de nous prononcer sur le fond de l'initiative, c'est-à-dire de déterminer si oui ou non nous désirons supprimer la fumée dans les lieux publics: il s'agit uniquement de nous prononcer sur sa recevabilité formelle et matérielle.
Je voudrais également, à ce propos, tordre le cou à l'une des affirmations qui se trouve dans le rapport de minorité, selon laquelle il ne serait pas possible d'émettre des réserves d'interprétation sur une initiative et qu'elle devrait être déclarée recevable sur la base de son texte uniquement. Je vous le signale, dans un arrêt de 2002 - que je tiens à la disposition du rapporteur de minorité, s'il le souhaite - le Tribunal fédéral a rappelé que: «L'autorité appelée à statuer sur la validité matérielle d'une initiative doit en interpréter les termes dans le sens le plus favorable aux initiants. Lorsque, à l'aide des méthodes reconnues, le texte d'une initiative se prête à une interprétation - j'insiste sur ce dernier mot - la faisant apparaître comme conforme au droit supérieur, elle doit être déclarée valable et être soumise au peuple. L'interprétation conforme doit permettre d'éviter autant que possible les déclarations d'invalidité.»
En d'autres termes, Mesdames et Messieurs les députés, lorsque la commission législative examine une initiative, elle doit le faire d'un point de vue positif, c'est-à-dire toujours en essayant de la sauver - si c'est nécessaire - en faisant en sorte que les droits populaires soient respectés et que cette initiative soit soumise au peuple.
J'en viens maintenant au coeur du problème, à savoir l'initiative 129 qui s'intéresse à la fumée passive. Vous imaginez bien que la question sous-jacente que peut éventuellement poser cette initiative ne portera pas sur l'unité de la matière, l'unité du genre ou de la forme... Elle se posera au niveau de la liberté personnelle, puisque, au fond, dans un Etat de droit comme le nôtre, la question fondamentale est de savoir où s'arrête la liberté personnelle de l'individu et à quel moment l'Etat doit être amené à trancher entre le respect des uns et le respect des autres.
En ce qui concerne plus particulièrement la question de la fumée, le Tribunal fédéral ne s'est jamais prononcé, quant à la liberté personnelle, sur un quelconque droit à fumer.
D'autre part, la Constitution fédérale de la Suisse, en son article 36, que j'ai d'ailleurs repris in extenso à la page 4 de mon rapport, admet une restriction possible des droits fondamentaux pour autant qu'un certain nombre de règles soient respectées - j'y viendrai tout à l'heure.
La question qui va donc se poser pour nous aujourd'hui, c'est d'examiner le texte de l'initiative et de déterminer s'il n'est pas disproportionné en interdisant totalement la fumée dans les lieux publics.
En ce qui concerne la proportionnalité, le droit suisse la décompose en trois parties. Premièrement, l'aptitude: à savoir si la mesure préconisée va atteindre le but visé. Deuxièmement, la nécessité: n'y aurait-il pas, par hasard, des moyens moins incisifs permettant d'atteindre le même résultat ? Et troisièmement, c'est ce qu'on appelle la proportionnalité au sens étroit: à savoir la mise en balance des intérêts des uns et des autres.
Voilà, au fond, la question qui s'est posée à la commission, avec, je dois le dire, un certain nombre de documents très contradictoires à disposition. Nous avions tout d'abord le rapport du Conseil d'Etat qui - j'y reviendrai tout à l'heure - propose que cette initiative soit soumise au peuple telle quelle. Nous avions aussi un avis de droit, rédigé par le professeur Auer, à la demande d'une entreprise de cigarettes, et qui avait suscité la polémique à l'époque, certains s'interrogeant sur l'indépendance réelle du professeur Auer dans cette affaire... Nous avions encore une analyse proposée par les initiants sur la validité de cette initiative.
Dans ces circonstances, la commission a estimé qu'un avis de droit neutre et, si possible, objectif - c'est-à-dire rédigé par quelqu'un qui serait en dehors du sérail genevois - était nécessaire. Pour suivre la suggestion du rapporteur de minorité, deux personnes ont été proposées. L'une n'a pas pu accepter pour des raisons de calendrier, et c'est le professeur Martenet de l'Université de Lausanne qui a, en définitive, rédigé ce rapport. Vous trouverez dans mon rapport de majorité tous les détails concernant les analyses faites par les uns ou les autres - je ne vais pas y revenir pour l'instant.
Je souhaiterais simplement mettre en évidence les points de synthèse sur lesquels nous sommes arrivés à la commission législative.
Premièrement, il n'y a au fond que les initiants ou leurs proches qui estiment que cette initiative ne pose strictement aucun problème au niveau du droit. Les trois avis de droit que nous avions - à savoir celui du Conseil d'Etat, celui du professeur Auer et celui du professeur Martenet - concluent tous que, par sa radicalité même, aucune exception n'étant prévue, cette initiative ne peut pas être totalement compatible avec le droit supérieur. Se posait notamment la question des lieux privatifs à l'intérieur des lieux publics, telles que les chambres d'hôpitaux, les chambres d'EMS, les chambres d'hôtels ou les cellules de prison.
Par ailleurs, la question de la liberté économique a également été soulevée en ce qui concerne les bars à cigares ou à narghilé... Au fond, si les avis de droit étaient en quelque sorte unanimes pour soulever un certain nombre de difficultés dans cette initiative, les conclusions qu'en tiraient les uns et les autres étaient différentes.
Le Conseil d'Etat, en vertu du principe in dubio pro populo...
Le président. Il va vous falloir conclure bientôt, Madame le rapporteur...
Mme Anne Emery-Torracinta. Ecoutez, Monsieur le président, ce sujet est important: il a suscité beaucoup d'émissions, et il me semble légitime que nous puissions en parler !
Le président. Onze personnes ont déjà demandé à prendre la parole, et si chacun croit que le sujet est plus important que l'application du règlement, nous n'en sortirons pas !
Mme Anne Emery-Torracinta. Alors, je vais faire vite ! Une personne a estimé que cette initiative pouvait être sauvée moyennant une invalidation très partielle, je veux parler du professeur Martenet, et c'est ce que nous vous proposons aujourd'hui, avec la commission législative. J'y reviendrai peut-être tout à l'heure...
Ce que je voudrais dire, c'est que cette proposition permet de respecter les droits populaires, puisque cette initiative très partiellement invalidée sera soumise au vote. C'est une solution qui permet également de respecter le droit supérieur, puisqu'elle restreint la définition des lieux publics, dont le professeur Auer reconnaît lui-même qu'elle est sujette à interprétation. Et c'est une décision qui permettrait également de respecter, contrairement à ce qu'en pense, du reste, le rapporteur de minorité, la liberté économique, puisque la Constitution fédérale permet de telles atteintes et que le Tribunal fédéral s'est déjà prononcé sur le fait que la liberté économique n'était pas absolue.
C'est en ce sens, Mesdames et Messieurs les députés, que je vous demande de suivre l'avis de la commission.
M. Christian Luscher (L), rapporteur de minorité. La démonstration est faite par la rapporteuse de majorité - ou «rapportrice», je ne sais pas comment on dit... (Exclamation.) Mme le rapporteur de majorité ! ... que cette initiative est inconstitutionnelle. Parce que, lorsqu'il faut autant de temps pour expliquer pourquoi une initiative est constitutionnelle, c'est que, de toute évidence, elle pose un problème majeur. Du reste, Mme le rapporteur de majorité a reconnu que toutes les personnes qui font preuve d'honnêteté intellectuelle et qui ont analysé cette initiative sont arrivées à la conclusion qu'elle était inconstitutionnelle, qu'elle posait de très sérieux problèmes sous l'angle du respect du principe de la proportionnalité.
Pour remédier à cette violation de la Constitution fédérale, deux thèses s'affrontent: celle du professeur Auer, qui considère que cette initiative n'est pas «sauvable», et celle du professeur Martenet, qui a été mandaté par le Bureau du Grand Conseil et qui, au terme d'un certain nombre de ce que je qualifierai objectivement de «contorsions intellectuelles» parvient à sauver cette initiative. Mais il y arrive non sans la toucher, non sans l'atteindre dans sa chair même ! Et nous considérons, du côté de la minorité, que, lorsqu'on en arrive à devoir retrancher des bouts de phrases dans une initiative pour pouvoir admettre qu'elle respecte le droit supérieur, c'est qu'elle pose un gros problème. Et cela viole, soit dit en passant, le problème de l'inaltérabilité de l'initiative populaire, surtout lorsqu'elle est formulée.
Et puis, vous constaterez, au-delà des «frappes chirurgicales» que le professeur Martenet nous propose d'effectuer à l'intérieur même du corps de cette initiative, qu'il y a toutes sortes de restrictions d'interprétation - deux pages entières - dans lesquelles le professeur Martenet arrive à la conclusion que l'on peut, oui, peut-être, en faisant telle et telle réserve d'interprétation et en fonction d'une interprétation conforme à la constitution, parvenir à la conclusion qu'éventuellement l'initiative est conforme à la constitution...
Et ce dernier va beaucoup plus loin encore - il fait, à mon sens, preuve d'une incohérence juridique absolue s'agissant des bars à narghilé - en disant qu'il y a une atteinte extrêmement grave au principe de la liberté économique, mais que, finalement, ces bars à narghilé sont peu nombreux et que, le temps que cette initiative soit votée, les personnes en question n'ont qu'à cesser de faire des investissements, que cela leur laisse le temps de résilier leur bail, etc. Le professeur Martenet le reconnaît lui-même: s'il était arrivé à la conclusion - terrain extrêmement glissant pour lui - qu'il y avait un problème en ce qui concerne les bars à narghilé, il aurait dû arriver à la conclusion de l'invalidation complète de cette initiative. Il le reconnaît lui-même ! Il dit d'ailleurs qu'un risque non négligeable demeure que le Tribunal fédéral casse la décision du Grand Conseil, si celui-ci la déclarait recevable. C'est vous dire à quel point le professeur Martenet émet lui-même des réserves !
Quoi qu'il en soit, il faut, en fin de compte, se référer à la volonté des initiants eux-mêmes ! Des initiants qui continuent à claironner ! Et qui continuent à marteler dans la presse qu'ils ne sont pas d'accord avec les réserves d'interprétation, qu'ils ne sont pas d'accord que l'on prévoie un certain nombre d'exceptions parce que - ils nous l'ont dit en commission, et ils le disent aujourd'hui encore dans la presse - cette initiative est extrêmement simple: elle demande l'interdiction de fumer partout, et il ne saurait y avoir d'exception, que ce soit dans les hôpitaux, dans les prisons, ou ailleurs !
Alors, je trouve quand même incroyable que le Grand Conseil, pour déclarer cette initiative recevable, aille à l'encontre de la volonté des initiants, qui - j'insiste - ont fait signer une initiative réclamant clairement l'interdiction de la cigarette partout, absolument partout, et que c'est pour cette raison que l'initiative est soumise au vote ! Toute personne sérieuse qui a analysé cette initiative ne peut que parvenir à la conclusion qu'elle est contraire à la constitution. Alors, respectons la volonté des initiants !
Hier, dans «la Tribune», M. Burkhardt, ici présent à la tribune, indiquait le total désaccord des initiants par rapport aux exceptions que le professeur Martenet veut introduire dans cette initiative pour qu'elle puisse être considérée constitutionnelle. Alors, respectons la volonté des initiants et déclarons cette initiative totalement contraire à la constitution !
J'aimerais finir sur ce point: déclarer cette initiative irrecevable ne signifie nullement qu'aucune mesure ne doit être prise dans la lutte contre le problème grave et sérieux que représente le tabagisme ! Madame Fehlmann Rielle, je vous vois réagir... Mesdames et Messieurs, pourquoi ne déposez-vous pas un projet de loi, avant de lancer cette initiative qui repose sur des bases biaisées pour ne pas dire pourries... (Exclamations.) ... dans lequel seraient respectées toutes... (L'orateur est interpellé.) Pourquoi ne faites-vous pas en sorte qu'un projet de loi qui contienne toutes ces exceptions soit tranquillement discuté devant une commission, alors que cette initiative viole, de toute évidence, la constitution comme tout un chacun l'admet et est prêt à le reconnaître ? Alors, discutons ensemble d'un projet de loi sérieux !
En ce qui me concerne, je suis prêt - je m'engage à le faire - à intervenir auprès de mon groupe pour que, une fois cette initiative déclarée irrecevable, nous présentions un projet qui aille dans le sens de ce que nous faisons tous en Europe. D'autant que l'un des leitmotiv du professeur Martenet est de dire que c'est ce qui se fait partout en Europe... Mais dans tous les autres cantons de Suisse et dans tous les pays d'Europe, des exceptions ont été prévues, ce que le professeur Martenet relève expressément dans son avis de droit !
Alors, arrêtons de nous singulariser en lançant des initiatives qui sont complètement contraires au droit supérieur et présentons des projets de lois avec les exceptions que toute personne raisonnable ayant analysé cette initiative considère comme indispensables pour que cette initiative respecte le droit supérieur !
Je le répète: déclarer cette initiative irrecevable ne signifie pas que nous ne voulons pas lutter contre le problème du tabagisme - c'est un député non-fumeur qui vous le dit - mais arrangeons-nous, ensemble, pour présenter un projet qui soit conforme à la constitution ! (Applaudissements.)
M. Pascal Pétroz (PDC). Il s'agit effectivement d'un sujet exceptionnel et de la plus haute importance qui déchaîne les passions... Et cela parce qu'il touche à ce que nous avons de plus cher: notre liberté. La liberté de ceux qui ne veulent pas être incommodés par la fumée passive et celle de ceux qui souhaitent ne pas être discriminés et pouvoir fumer dans des conditions raisonnables.
Comme ce sujet déchaîne les passions et nous touche dans notre chair, le groupe démocrate-chrétien - je dois vous le dire aujourd'hui - n'a pas adopté une position unanime. Il votera très majoritairement en faveur des conclusions du rapport de la majorité, mais il se trouve ici un trublion - il est là devant vous et vous parle: votre serviteur - qui entend désormais s'exprimer pour indiquer les raisons pour lesquelles il estime que cette initiative doit être déclarée irrecevable. Ce joyeux trublion votera donc, bien sûr, contre la recevabilité de cette initiative.
Comme cela a été rappelé, nous sommes dans un cadre exclusivement juridique: il ne s'agit pas d'aborder le fond. Nous avons disserté et nous allons encore beaucoup le faire au cours de ce débat sur les conclusions du rapport du professeur Martenet. Un certain nombre d'éléments doivent être posés clairement, car tant le professeur Martenet que la commission législative - cela a été rappelé par le rapporteur de minorité - estiment que, dans sa forme actuelle, cette initiative est irrecevable. Si vous examinez les votes, vous verrez que personne n'a déclaré en commission législative que cette initiative était recevable en tant que telle.
Après avoir admis l'irrecevabilité de cette initiative en tant que telle, la commission législative, suivant en cela l'avis de droit du professeur Martenet, s'est livrée à un certain nombre de tours de passe-passe qui ont été rappelés tout à l'heure... Des bouts de phrase ont été biffés pour essayer de dénaturer le sens de cette initiative, et puis, on a émis - M. le rapporteur de minorité Luscher l'a rappelé - des réserves d'interprétation.
J'aimerais revenir brièvement sur ces réserves d'interprétation. Il existe un principe dit «d'interprétation conforme à la constitution». Cela veut dire grosso modo que, lorsqu'une disposition légale ou constitutionnelle cantonale peut être interprétée de manière différente, il faut choisir l'interprétation qui est la plus conforme à la constitution, de manière à ne pas violer cette dernière.
Mais, Mesdames et Messieurs les députés, une interprétation conforme à la constitution ne veut pas dire qu'il faille faire dire à un texte le contraire de ce qu'il veut dire expressis verbis ! Or c'est bien de cela qu'il s'agit !
Et j'aimerais illustrer mon propos par un exemple: l'article 178B, alinéa 3, lettre a) de l'initiative, qui indique que sont concernés par cette mesure, je cite: «tous les bâtiments ou locaux publics dépendant de l'Etat et des communes ainsi que de toutes autres institutions de caractère public;». Que nous dit à ce propos le professeur Martenet ? Que les prisons sont, à l'évidence, concernées par la lettre a), puisqu'il s'agit d'un bâtiment public dépendant de l'Etat... Mais il ajoute que les prisons sont concernées par cet article tout en ne l'étant pas vraiment... Car empêcher un prisonnier de fumer en prison est une atteinte disproportionnée à sa liberté personnelle. Le professeur Martenet le précise expressis verbis !
J'ai par conséquent un peu de peine à comprendre comment nous pourrions voter un texte indiquant que l'on n'a pas le droit de fumer dans une prison, en l'interprétant comme étant un droit de fumer dans cette prison. Je suis désolé, Mesdames et Messieurs les députés, mais c'est de la schizophrénie pure et simple !
Plutôt que de se livrer à des contorsions juridiques de mauvais aloi, je crois qu'il vaudrait mieux déclarer cette initiative irrecevable, et, comme le rapporteur de minorité l'a suggéré tout à l'heure, remettre l'ouvrage sur le métier, parce qu'elle soulève un véritable problème. Nous ne pouvons pas ne pas nous en préoccuper, non pas parce que nos voisins l'ont fait, mais parce qu'il représente un véritable problème de santé publique.
Quoi qu'il en soit, je le répète, nous sommes appelés aujourd'hui à nous prononcer sur la recevabilité de cette initiative. Et ce qui m'attriste dans le cadre de ce débat - je le sais pour en avoir discuté de manière informelle avec un certain nombre de députés dans cette enceinte - c'est que beaucoup sont d'accord avec le rapporteur de minorité et avec celui qui vous parle et estiment que cette initiative est irrecevable... Et, lorsque je leur ai demandé pourquoi ils allaient voter la recevabilité d'une initiative dont ils admettent qu'elle est irrecevable, ils m'ont répondu qu'il fallait que je me rende compte que cette initiative avait recueilli 20 000 signatures et que, politiquement, ils ne pouvaient pas voter contre sa recevabilité !
Je suis navré, Mesdames et Messieurs les députés, mais il faut savoir ce que nous voulons dans cette enceinte ! La constitution nous impose de nous prononcer sur la validité des initiatives et de déclarer nulles celles qui ne sont pas valides. Il y a par conséquent lieu de respecter la constitution, et je vous demande de bien vouloir déclarer cette initiative irrecevable ! (Applaudissements.)
M. Guy Mettan (PDC). Maintenant que notre trublion préféré a parlé, le parti peut s'exprimer... Pascal Pétroz a dit tout le mal qu'il pensait de cette initiative quant à sa forme... Et notre parti partage largement ce jugement ! (Exclamations.) Mais tout à l'heure, M. Michel Forni, cancérologue réputé, va nous dire tout le bien qu'il en pense quant au fond. Parce que, finalement, c'est aussi de cela qu'il est question ce soir.
Le texte qui nous est proposé est l'un de ces textes qui mettent mal à l'aise: ils sont si extrémistes qu'ils en deviennent inacceptables, parce qu'ils constituent une atteinte aux libertés et aux droits, alors même que la cause qu'ils défendent est bonne.
Par conséquent, le parti démocrate-chrétien votera malgré tout la recevabilité de cette initiative, parce qu'il estime nécessaire de lutter contre la fumée passive et de protéger les non-fumeurs. Il proposera donc en commission de lui opposer un contreprojet fixant une liste exhaustive et précise des exceptions, afin de sauver l'esprit de ce mauvais texte et d'en adopter un nouveau, qui soit satisfaisant tant sur la forme que sur le fond.
Maintenant, je passe la parole à M. Forni... (Rires et exclamations.) Enfin, Monsieur le président, je vous laisse...
Le président. Monsieur le député, vous me permettrez d'exercer la très rare prérogative qui est la mienne, puisque je n'interviens pas dans le débat mais qu'en revanche c'est moi qui donne la parole ! Par conséquent, je la donne à M. le député Forni, qui va nous parler naturellement de la recevabilité et pas du fond ce cette initiative, contrairement à ce que son préopinant a pu vouloir indiquer sans aucune autorisation de sa part...
M. Michel Forni (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, il est toujours intéressant pour un médecin d'entendre des juristes manipuler le verbe avec brillance, avec une phraséologie et une idéologie qui respectent les particularités de la loi... Et nous, docteurs, d'arriver quand les choses ne vont pas très bien, et en ce qui concerne le tabac quand les choses ne vont pas bien du tout !
Cette initiative demande, il est vrai, une interdiction totale de fumer dans des lieux publics, et sans restriction. Mais elle n'intervient nulle part dans le cadre juridique, qui a très bien été déterminé, et aussi dans celui de la santé publique ! Elle vise prioritairement à protéger les non-fumeurs - c'est l'aspect fumée passive - mais également à protéger le personnel de certains établissements publics et le public, c'est l'aspect protecteur.
Enfin, cette initiative, reconnaissons-le, a bénéficié d'un nombre important de signatures de citoyens - peut-être pas de juristes, mais des citoyens - et elle bénéficie de la caution de quelques professionnels de la santé - pas des moindres, en tout cas à Genève - dans lesquels je reconnais certains de mes collègues, notamment pneumologues et cancérologues. Soyons francs, elle n'est pas nouvelle - vous l'avez dit - puisque ce débat a déjà eu lieu au Tessin, dans d'autres pays, qui ont probablement un arsenal juridique aussi puissant que le nôtre, et, je pense, des juristes aussi brillants que les nôtres, en Espagne ou en Italie.
Une recommandation du Conseil fédéral de mars 2006 considère que le renforcement des protections contre le tabagisme passif doit intervenir et accorde un rôle primordial au canton. Et c'est dans ce contexte que nous voulons replacer cette initiative.
Je tiens aussi à dire que nous sommes un peu aveugles dans cette République et qu'il serait bon de se souvenir de ce que nous avons un centre médical important qui s'appelle l'OMS et que, même dans l'avis minoritaire, la communauté scientifique, qui dépend de l'OMS, a reconnu le caractère de dangerosité et, surtout, le lien de causalité qui existe entre un toxique appelé «fumée» et le développement de maladies avec lesquelles nous travaillons tous les jours; maladies pulmonaires, certes, mais pas seulement: je pense aux maladies cardio-vasculaires !
Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu'en dépit des avertissements la santé part en fumée, puisque le tabagisme induit aussi un l'état - cela n'a pas été dit, mais il faut le mentionner - de dépendance ! Et cet aspect ne figure pas dans vos rapports ! Dépendance psychologique, mais qui peut aussi s'associer à d'autres addictions.
Les conditions de validité de cette initiative populaire ont été analysées sous l'angle du droit, et, finalement, le débat de ce soir débouche à deux niveaux. L'un: interdire selon les initiants du projet; l'autre: interdire d'interdire selon le rapport de minorité ! Cela comporte des dangers: il y a une autorité, une éthique, une morale, et, en fin de compte, c'est sous cet angle que les initiants de ce projet - dont bon nombre appartiennent et oeuvrent, c'est vrai, dans le domaine de la cancérologie - ont développé une éthique de convictions se préoccupant des conséquences de l'action du tabac, que ce soit en prison, en plein air, mais principalement dans les lieux publics. Et ils demandent que l'autorité des lois, qui énoncent le bien comme le mal, soit privilégiée en évaluant les actes et les conséquences.
C'est l'une des raisons pour laquelle le fossé s'est creusé ce soir, car vouloir faire le bien de la population, malgré elle, en la protégeant du tabac et de la fumée passive, et souhaiter qu'elle respecte des règles contraignantes de salubrité restent associés pour certains à une sorte de manichéisme abusif - et cela a été dit...
Relisez bien ce qui figure sur le paquet de cigarettes qui est à la base du débat de ce soir: «Le tabac tue; fumer tue !». Il ne s'agit pas d'un simple problème législatif... Il s'agit d'une conséquence qui est déjà une conclusion !
L'Etat s'est accommodé et s'est dégagé de certaines de ses responsabilités... Certains ont même parlé de dérives. Ce soir, nous ne voulons pas que ces dérives perdurent. Je ne parlerai pas de sevrage, je ne parlerai pas d'addiction, je ne parlerai pas de condamnation !
Ce que nous tenons à dire ce soir, c'est que notre propos n'est pas de critiquer ceux qui pensent que les interdits d'interdire peuvent retarder une forme de combat anti-tabac et une forme de protection de la santé. Par contre, ce qui nous paraît important, c'est de protéger les non-fumeurs.
En guise de conclusion, je citerai un proverbe chinois qui dit ceci: «Il vaut mieux tout perdre que de perdre la face, car en perdant la face vous perdez tout et la face avec !»
C'est la raison pour laquelle je vous propose de donner suite à l'initiative 129, en l'accommodant éventuellement aux propositions du professeur Martinet.
M. Gabriel Barrillier (R). On l'a bien compris: si cette initiative provoque autant de réactions émotionnelles, c'est qu'elle concerne les rapports entre la liberté individuelle et un impératif social de protection de la santé du plus grand nombre.
Dans quelle mesure la société peut-elle accepter que le comportement des uns puisse altérer la santé des autres ? En effet, la nocivité du tabac n'est plus contestée et la nécessité de lutter contre cette dépendance est admise. Toute la question réside dans la fixation de mesures acceptables, proportionnées, respectueuses du maximum de libertés individuelles, possibles, tout en protégeant la santé des non-fumeurs... Vous me direz: c'est la quadrature du cercle... Mais, enfin, nous devrons la résoudre ! C'est l'éternel dilemme entre la liberté personnelle absolue et la prohibition absolue !
En fait, ce sont deux intégrismes qui s'affrontent ! Et il faut trouver une voie médiane, chers collègues, qui permette d'atteindre les objectifs généreux de protection de la santé publique ! Tout en évitant que nos concitoyennes et concitoyens n'aient à se cacher et soient mis à l'index pour avoir osé fumer !
Parmi les cinq critères examinés dans le détail par la commission législative, seul un critère: la conformité au droit supérieur - c'est un critère important ! - mais seul un critère n'a pas été admis complètement. Une majorité, dont font partie les radicaux, ont décidé d'invalider partiellement l'initiative 129 en modifiant son alinéa 3, modification qui va assouplir les dispositions d'exécution qui permettent précisément de déplacer le balancier de la proportionnalité en faveur de la possibilité de fumer dans les locaux visés par l'initiative, à certaines conditions. C'est la solution médiane.
Et c'est la raison - je ne vais pas allonger le débat beaucoup plus longtemps, puisque nous devons décider de la recevabilité de cette initiative - pour laquelle notre groupe approuve le rapport de majorité et propose de renvoyer cette initiative à la commission de la santé, en formulant, comme le Conseil d'Etat, le souhait qu'un contreprojet plus raisonnable soit élaboré, afin que les citoyennes et citoyens puissent choisir ! Monsieur le rapporteur de minorité, c'est aussi un problème de recevabilité: donner le choix ! Choisir la solution la plus raisonnable compte tenu des deux buts visés: protéger un maximum des libertés mais protéger aussi la santé du plus grand nombre.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, nous avons un point fixe à notre ordre du jour et nous avons encore un grand nombre d'inscrits... Le Bureau a d'ailleurs décidé de clôturer la liste. Je vous cite les personnes inscrites: Mme Janine Hagmann, Mme Sandra Borgeaud, Mme Loly Bolay, Mme Laurence Fehlmann Rielle, Mme Brigitte Schneider-Bidaux, M. Damien Sidler, M. Alain Charbonnier, M. Claude Marcet et Mme le rapporteur de majorité.
Nous reprendrons donc ce débat après l'interruption habituelle de la pause du dîner.
Fin du débat: Session 10 (juin 2006) - Séance 46 du 22.06.2006
Le président. Avant de passer au point fixe de notre ordre du jour, je voudrais présenter à notre chère collègue et ancienne présidente, Marie-Françoise de Tassigny, les félicitations du Bureau pour son élection à l'Assemblée représentative des Français de l'étranger. Je lui adresse ces félicitations avec regret, puisqu'elle l'a accompagnée de l'intention affichée de nous quitter pour n'être que dans une seule assemblée à la fois. Je ne sais pas si cette décision est irrévocable, mais nos félicitations, elles, le sont ! (Applaudissements.)