Séance du
jeudi 22 juin 2006 à
17h
56e
législature -
1re
année -
10e
session -
45e
séance
GR 445-A
M. Damien Sidler (Ve), rapporteur. M. M.B. est né le 17 janvier 1976, ressortissant de Guinée, domicilié à Meyrin. Arrivé en Suisse en 1999 comme demandeur d'asile, sa demande a été rejetée. M.B. a interjeté un recours qui a été considéré comme irrecevable en raison du non-paiement de l'avance des frais de la cause. C'est suite à une erreur d'orthographe dans son prénom que M. M.B. a néanmoins bénéficié d'un permis B et qu'il a pu rester à Genève.
Le 17 février 2000, il a été condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis pour des infractions à la loi sur les stupéfiants. En avril 2000, il a été condamné une deuxième fois à une peine de trois mois d'emprisonnement, assortie d'un sursis de cinq ans et d'une expulsion du territoire suisse pendant dix ans, puisqu'il s'agissait d'une récidive.
Depuis ce jugement, les faits nouveaux qui nous amènent à évaluer sa demande de grâce sont que M. M.B. a pu rester en Suisse après avoir purgé sa peine, malgré son expulsion du territoire. En décembre 2001, il a rencontré Mme M.F., de nationalité suisse, née en 1982, avec qui il a rapidement emménagé. Le 16 avril 2005, après trois ans de vie commune, ces personnes se sont mariées à Genève. L'OCP a alors découvert que M. M.B avait deux prénoms et que cela posait un problème, car il avait un permis B qui n'aurait pas dû lui être octroyé. L'OCP lui a donc proposé en septembre 2005 de solliciter la grâce auprès du Grand Conseil.
Depuis lors, M. M.B travaille dans une entreprise à Meyrin et il arrive - je ne vous donnerai pas les détails - à «tourner» en cumulant ses revenus avec ceux de son épouse. Ils ont un loyer relativement modeste et ils arrivent à s'en sortir, ils ont à peu près une dizaine de milliers de francs d'économies communes qui font que ce couple est tout à fait intégré dans la vie genevoise.
M. M.B. n'a plus commis aucune infraction, il a pu passer son permis de conducteur d'élévateur et travaille régulièrement. La seule chose qui lui manque est un permis, puisque son permis B octroyé par erreur lui a été retiré et qu'il lui faut l'autorisation de travailler. M. M.B. peut rester en Suisse - car on ne peut pas l'expulser - mais il est dans une situation illégale et demande que l'on réduise sa durée d'expulsion de dix ans à cinq ans, pour qu'il puisse solliciter un permis B et, donc, travailler dans la légalité. La commission a considéré... (Brouhaha.) Excusez-moi, Monsieur le président, j'ai un peu de peine...
Le président. Je regrette beaucoup, Monsieur le député, mais je vous écoute très attentivement. Parlez pour moi, à défaut de parler pour les autres !
M. Damien Sidler. La commission a estimé - à égalité des voix - qu'il faudrait réduire à cinq ans la durée de l'expulsion de M. M.B., afin qu'il puisse solliciter un permis et régulariser sa situation, étant donné qu'il n'a plus commis les erreurs du passé et qu'il restera de toute façon en Suisse puisque son expulsion n'est pas exécutable.
M. Christian Luscher (L). J'aimerais attirer l'attention du Grand Conseil sur le type de dérives que risquent d'entraîner les préavis rendus par la commission des grâces. Voilà que maintenant notre commission des grâces commence à s'immiscer dans les peines et à y pratiquer des sortes d'«actes chirurgicaux» en déclarant: «Cette personne a pris trois mois, mais nous, à la commission des grâces, on se demande si l'on ne devrait pas infliger deux mois... Donc, on va réduire cette peine de trois mois à deux mois.... Et peut-être que l'expulsion judiciaire était un peu sévère, alors on va l'atténuer un petit peu...». Je trouve ce procédé extrêmement dangereux ! Parce que, d'une part, l'autorité judiciaire est aussi bien armée que vous pour prendre une décision et que, d'autre part, parce qu'il existera - en tout cas à partir du 1 janvier 2007 - un tribunal d'application des peines et mesures, le TAPEM, qui aura précisément pour compétence d'apprécier ce genre de cas.
Notre commission des grâces, me semble-t-il, a un autre rôle à jouer que celui que vous vous êtes attribué dans cette affaire-là et dans celle qui suit. Parce qu'on commence vraiment à apprécier des peines à la place du juge... En fait on se substitue au juge ! Or j'entends avec plaisir qu'en commission il y a eu autant de votes négatifs que de votes positifs au sujet de cette grâce... Nous sommes, une fois encore, face à une affaire de stupéfiants, et je crois pouvoir dire, au nom du groupe libéral, qu'il n'est pas question que nous votions en faveur de cette grâce !
M. Olivier Wasmer (UDC). L'UDC partage cet avis car, comme vous le savez, c'est à nouveau un problème de séparation des pouvoirs. Il existe un pouvoir - encore - en Suisse: le pouvoir judiciaire. Il a notamment le pouvoir de juger; il est composé de plusieurs juridictions - des juridictions d'appel; et il y a un tribunal fédéral. Et les juges sont tout à fait à même, dans ces degrés de juridiction, de peser l'application d'une peine.
Dans les premiers cas que l'on nous soumet aujourd'hui, on veut faire un nouveau procès sur l'application d'une peine mais ce procès a eu lieu jusqu'à la dernière instance judiciaire; cela n'est manifestement pas admissible ! Le Grand Conseil n'a pas vocation de juger: le Grand Conseil a vocation d'édicter des lois. Nous pouvons accorder une grâce à des condamnés - peut-être condamnés à tort - mais nous ne pouvons en tout cas pas abréger une peine - ni l'allonger d'ailleurs, mais j'imagine que personne n'interviendrait au Grand Conseil pour ce faire.
Le Grand Conseil n'est pas une juridiction et il n'a pas moyen de revoir une peine. Pour ces motifs, je vous demande de rejeter cette grâce.
M. Antoine Droin (S). Je m'insurge, Monsieur le président, contre les propos tenus ici sur la commission des grâces. Les personnes qui s'expriment n'ont pas participé au débat et, en plénière du Grand Conseil, elles portent un grave discrédit sur le travail de notre commission.
Le travail que nous accomplissons à la commission des grâces se fait consciencieusement, pas du tout dans un esprit de revoir un quelconque jugement énoncé par les instances juridiques concernées. La commission traite de cas particuliers: elle traite tous ces dossiers à la lumière de faits nouveaux qui peuvent éventuellement permettre d'accorder ou de rejeter une grâce ou de diminuer une peine.
Partant de là, Monsieur le président, on ne peut pas laisser dire ce qu'on a entendu ! (Applaudissements.)
Mis aux voix, le préavis de la commission (réduction de la peine d'expulsion) est rejeté par 41 non contre 23 oui et 4 abstentions.