Séance du
jeudi 8 juin 2006 à
20h30
56e
législature -
1re
année -
9e
session -
41e
séance
RD 544
Débat
Le président. Je donne la parole à Mme Schenk-Gottret. (Brouhaha.)
Mme Françoise Schenk-Gottret (S). J'attends que cela se calme un peu... (Brouhaha.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, les palabres se font en dehors de cette salle ! Nous sommes, nous, totalement concentrés sur ce que Mme Françoise Schenk-Gottret doit nous dire. Madame la députée, vous avez la parole, et vous seule.
Mme Françoise Schenk-Gottret. La LDTR est là comme un garde-fou, elle vise à éviter le dépeuplement du centre ville au profit de bureaux ou de commerces... (Brouhaha.) Elle vise aussi à réglementer les travaux sur les immeubles existants, de manière à en minimiser l'impact sur les loyers. Elle comprend des dispositions sur les congés-vente, les changements d'affectation, l'expropriation et les démolitions. Si le Conseil d'Etat se félicite de ce que la LDTR atteigne ses objectifs, à savoir le maintien de logements abordables en ville, nous en sommes heureux.
En effet, les attaques contre cette loi, heureusement rejetées en votation populaire, sont significatives d'un combat perdu d'avance. Le précédent Conseil d'Etat l'a bien compris. L'analyse des autorisations délivrées permet de constater qu'il y a autant de projets de rénovation globale que d'interventions ponctuelles. Elle montre que la LDTR, contrairement à ce que dit sa légende, n'est pas un frein à la rénovation. En effet, d'après les statistiques fédérales sur les dépenses effectuées par les propriétaires en travaux de rénovation, le canton de Genève apparaît en troisième place des plus fortes dépenses par habitant.
Nous sommes heureux que le précédent Conseil d'Etat se distancie des recommandations de la CEPP. Il déclare qu'il ne saurait entrer en matière sur la recommandation de la commission visant à inscrire les loyers plafond correspondant aux besoins prépondérants de la population dans un règlement.
Sur le plan des infractions commises en matière LDTR, nous regrettons, tout comme la commission, leur nombre, mais nous ne pouvons évidemment pas suivre les recommandations de la commission sur ce sujet et sommes rassurés que le Conseil d'Etat n'envisage pas non plus de le faire. Il serait plus judicieux de donner plus de moyens aux services concernés afin de mieux veiller à l'application de la LDTR, mais ceci est un problème de budget, et l'actuelle majorité se moque des répercussions de ses restrictions budgétaires sur les petits et moyens revenus et sur les 80% de la population que sont les locataires genevois concernés.
Ce rapport conforte la LDTR et nous en prenons acte. Maintenant, dans une perspective d'avenir, nous demandons au nouveau Conseil d'Etat, et plus particulièrement au nouveau conseiller d'Etat en charge du logement, de garder la même sagesse à l'égard de la LDTR. En effet, pendant quatre ans, alors qu'il était député, M. Muller a amené des projets de lois qui visaient à démanteler la LDTR et la loi générale sur le logement et la protection des locataires. Ces projets ont fort heureusement été rejetés en votation populaire. Nous supposons que seules feront foi les propositions de M. Muller, concrètes, sur le terrain.
Une voix. Bravo !
M. Olivier Jornot (L). Ce rapport de la commission d'évaluation des politiques publiques est déjà un petit peu ancien. Il remonte en effet à 2003, ce rapport sur l'impact de la LDTR. A l'époque, les libéraux en avaient pris connaissance avec intérêt. C'était un rapport pondéré, un rapport mesuré. Parfois même un peu timoré, il faut le dire, mais ses auteurs avaient au moins le courage d'ouvrir le débat sur un certain nombre de questions... (Brouhaha.) ... que pose la LDTR, sur plusieurs insuffisances, sur divers effets pervers. Ce rapport avait le mérite de faire des propositions concrètes.
Puis il y a eu le rapport du Conseil d'Etat, celui dont nous sommes saisis ce soir. Là, Mesdames et Messieurs les députés, nous avons au contraire été extrêmement déçus de voir le conservatisme de ce Conseil d'Etat qui prend la peine, pour chacune des huit propositions concrètes formulées par la commission d'évaluation des politiques publiques, d'expliquer combien chacune d'entre elles est absolument idiote et combien il n'est surtout pas nécessaire de réfléchir sur la LDTR. Cela, Mesdames et Messieurs, c'est inadmissible. Même la remarque que la commission a faite sur la lenteur des procédures d'autorisations de construire a été balayée par le Conseil d'Etat: non, tout va bien dans ce canton.
Or, Mesdames et Messieurs, arriver à la conclusion, comme le Conseil d'Etat et Mme Françoise Schenk-Gottret l'ont fait tout à l'heure, de dire que ce rapport faisait la démonstration que la LDTR n'avait finalement aucune incidence sur l'état des rénovations dans ce canton, c'est une conclusion qui est absolument inadmissible. La commission d'évaluation des politiques publiques pose la question, elle n'arrive pas à un résultat tranché, mais elle ouvre le débat, et ce débat, le Conseil d'Etat le referme.
Alors que le rapport de la commission date de 2003, je l'ai dit tout à l'heure, il y a quelques semaines, un établissement bancaire vient de sortir un rapport sur l'état des rénovations dans notre canton. Il arrive, s'agissant de Genève en comparaison avec les autres cantons suisses, à la conclusion suivante: le manque de rénovations est le plus marqué en ville de Genève. Ici, seuls 10% des appartements construits entre 1961 et 1980 ont été rénovés durant les trente-cinq années passées. Eh bien, ce seul constat, Mesdames et Messieurs, doit nous inciter impérativement à étudier cette question ! Nous ne pouvons pas simplement nous dire que le lien de causalité entre la LDTR et les rénovations n'est pas établi. Nous avons le devoir de réfléchir à cette question de façon approfondie et c'est la raison pour laquelle le groupe libéral vous propose de ne pas prendre simplement acte ce soir de ce rapport, mais de le renvoyer en commission du logement pour qu'il fasse l'objet d'une étude approfondie.
M. Mario Cavaleri (PDC). C'est peu dire qu'affirmer que le rapport du Conseil d'Etat est plus qu'insatisfaisant, c'est peu dire. Puisque l'on doit se prononcer sur le renvoi en commission, cela me permettra de dire, au nom du groupe démocrate chrétien, par exemple au sujet du point 1, qu'on se demande ce que l'on attend pour faire en sorte que cette fameuse fourchette soit adaptée et qu'on applique enfin l'indexation qui est, elle, bien ancrée dans la loi.
Et puisque c'est aussi la conclusion au point 8 du rapport du Conseil d'Etat sur ce même sujet, on peut se demander aujourd'hui, le rapport datant de 2004, quelles sont les raisons pour lesquelles il n'y a pas été apporté de complément. On nous disait que les modifications importantes des lois fiscales de ces dernières années n'ont pas permis au Conseil d'Etat de procéder à cette réévaluation à l'heure actuelle, alors on espère que le nouveau Conseil d'Etat fera en sorte d'examiner ces chiffres et de revoir cette fameuse fourchette des loyers, puisque les données sont disponibles maintenant, on n'en doute pas un seul instant.
Sur le point 3, puisqu'on est justement dans le sujet de la réadaptation de cette fourchette, on se demande également quelle sera la position du Conseil d'Etat sur la question du loyer en fonction de la surface. Il y a une contradiction par rapport à l'issue du vote sur la modification de la LDTR, qui a été refusée le 26 septembre 2004. Il y a aussi une incohérence en ce sens que, lorsque l'Etat autorise des rénovations financées ou soutenues dans le cadre de l'application de la LGL, à ce moment-là, comme par hasard, l'état locatif est effectivement réparti en fonction de la surface des logements. Alors, cette incohérence doit être levée et il sera tout à fait utile que l'on puisse revenir sur ces éléments en commission du logement.
Enfin, je ne voudrais pas accaparer trop longtemps la parole, mais j'ai relevé une question. Il sera intéressant d'entendre à la commission du logement, car nous espérons que ce rapport sera bien renvoyé à la commission du logement, M. le conseiller d'Etat Mark Muller sur la manière dont le DCTI harmonise les lois - on nous dit, ou plus précisément on essaie de nous faire croire que le Conseil d'Etat est soucieux d'harmoniser l'application des lois, donc la LDTR et la LGL. On aimerait bien savoir comment. Parce que si l'on nous dit que c'est le cas, on aimerait bien que ce soit dans la totale transparence et que l'on réponde très clairement à ces questions, et pas seulement avec quelques phrases à l'emporte-pièce.
Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, chers collègues, le groupe démocrate chrétien vous demande d'appuyer le renvoi à la commission du logement.
Une voix. Bravo ! (Quelques applaudissements.)
M. Olivier Wasmer (UDC). L'UDC s'est toujours battue contre cette LDTR, puisque cette loi est une véritable entrave à la liberté de commerce et à l'industrie, de même qu'à la liberté tout court. L'UDC a tenté et va, bien entendu, retenter de modifier cette loi, n'en déplaise à certains milieux. En effet, aujourd'hui, de grands promoteurs, de grands institutionnels propriétaires dans l'immobilier n'investissent plus un sou à Genève, et pour cause: chaque fois qu'ils ont des grands projets, ils attendent des mois avant d'obtenir du DCTI et de l'ancien DAEL des autorisations pour transformer, et après huit mois, parfois une année et demie, quand ils les ont obtenues, quand ils commencent les travaux, ils sont dénoncés par les locataires qui prétendent qu'il ne s'agit pas de travaux de plus-value mais de travaux d'entretien réguliers. Ils vont à l'ASLOCA, qui dénonce ces institutionnels en particulier, comme tout autre propriétaire grand ou petit, pour dire que la plupart de ces travaux ont été faits sans autorisation, ce qui aboutit très souvent à des amendes.
Donc, quand le Conseil d'Etat vient nous dire aujourd'hui que tout est beau, tout est parfait, c'est absolument contraire à la réalité économique actuelle, à la réalité des faits d'une manière générale. Il faut préciser à ce sujet qu'en ce qui concerne les procédures cela ne va pas beaucoup mieux. Tout le monde sait que, quand le département a pris une décision, bien entendu, les propriétaires, qui doivent entretenir de nombreux appartements, saisissent les tribunaux. Et l'on voit parfois que ces procédures durent un, deux ou trois ans, quand il n'y a pas de recours au Tribunal fédéral.
Donc, ce rapport est totalement insatisfaisant en l'état, il ne résout en rien du tout les problèmes de construction et de rénovation puisque, comme je viens de le souligner, les propriétaires sont pieds et poings liés pour effectuer des travaux de rénovation ou des nouvelles constructions à cause de cette loi qui, comme je l'ai dit tout à l'heure, est une véritable entrave à la rénovation.
Pour ces motifs, l'UDC propose purement et simplement le renvoi au Conseil d'Etat.
M. Gabriel Barrillier (R). Paradoxalement, ce rapport, qui a figuré vingt fois à l'ordre du jour de notre Grand Conseil (j'ai compté) est le fruit d'un Conseil d'Etat de droite. Il repose sur une enquête de la commission d'évaluation des politiques publiques qui était vraiment une enquête très bien faite, courageuse. On aura peut-être l'occasion de revenir sur le rapport du Conseil d'Etat et sur les rapports de la CEPP. Et aujourd'hui, on se trouve à discuter de ce rapport alors que le Conseil d'Etat n'est plus à droite, mais à gauche, enfin au centre gauche. Mais en matière de logement, en matière de procédure, on a pu apprendre aujourd'hui que l'on allait prendre des mesures pour accélérer les procédures d'autorisation de construire ou d'exploiter; on a un gouvernement qui donne l'impression de vouloir s'attaquer sans préjugés à un certain nombre de vaches sacrées de la République. Et la LDTR, vous le savez bien, c'est une vache sacrée. Pour finir, même un gouvernement de droite n'osait pas s'y attaquer, parce que c'est vrai que nous étions chaque fois battus devant le peuple. Pourtant, des campagnes, on en a mené ! Votre serviteur en a mené. Et puis, à force de se faire «baffer» sans arrêt, on arrive à la conclusion que la concertation est peut-être une meilleure solution...
Une voix. Ah !
M. Gabriel Barrillier. C'est la raison pour laquelle je suis fort déçu, Madame Schenk-Gottret - je m'adresse à vous, Monsieur le président, mais aussi au groupe socialiste. Donc, je suis fort déçu ! Je ne veux pas être méchant, chère collègue, mais j'ai trouvé que vous avez lu votre texte. C'est-à-dire que vous l'avez préparé et lu comme une espèce de profession de foi qui ne bouge pas depuis vingt-cinq ans, quels que soient l'atmosphère, l'environnement, la volonté, le changement des circonstances... enfin peu importe. Vous avez lu votre position: rigide. La LDTR, c'est de la réussite, tout va bien... (Commentaires.) Mais que Genève rénove deux fois moins vite que le reste de la Suisse, cela fait trente ans qu'on le sait ! Tout cela, ce sont des faits: vous passez dessus. Pourquoi ? Parce que vous avez-là votre lit électoral.
Moi je pense qu'avec la nouvelle équipe, avec des magistrats qui ont un oeil nouveau, on peut revoir le logement. Je sais qu'il y a des concertations - je ne suis plus à la commission du logements, mais je sais qu'il y a des concertations. Pourquoi ne pas renvoyer la LDTR et cette problématique à la commission du logement - on a le temps, de toute façon - pour voir si l'on ne pourrait pas améliorer la situation... J'ai noté qu'avec les socialistes il n'y a rien à faire; quant aux Verts, je ne sais pas, ils ne se sont pas exprimés sur cette problématique. Mais j'aimerais bien, Mesdames et Messieurs les députés du parti écologiste, que vous puissiez avoir l'ouverture d'esprit nécessaire pour appuyer le renvoi en commission du logement. Vous prouveriez par là que vous êtes ouverts à la discussion et que vous êtes un parti moderne, libéral... enfin, dynamique.
Une voix. Radical ! (Exclamations.)
M. Gabriel Barrillier. Donc, renvoi à la commission du logement !
M. Mark Muller, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat, il y a un an et demi environ, a rendu ce rapport sur le rapport de la commission externe d'évaluation des politiques publiques concernant la LDTR. Le rapport du Conseil d'Etat contredit effectivement sur un grand nombre de points les conclusions de cette commission et parvient à la conclusion que la LDTR ne pose pas de problème particulier, que la LDTR a atteint ses objectifs et que, en gros, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes dans ce domaine-là.
C'est effectivement assez troublant de constater une telle différence de perception entre la CEPP et le Conseil d'Etat. Et les différentes réactions que l'on a pu entendre ce soir dans le cadre de ce débat montrent qu'il y a probablement un juste milieu entre les deux et qu'il n'est pas inutile que ce rapport du Conseil d'Etat soit renvoyé en commission. En effet, il n'est pas inutile que l'on puisse de façon sereine, je dirai en dehors de toute pression liée à un projet de loi, à des propositions très concrètes et très ciblées, généralement sujettes à la polémique, examiner ce qu'il en est réellement, que l'on puisse entendre la commission externe d'évaluation des politiques publiques, que le Conseil d'Etat puisse expliciter sa position et que l'on essaie de voir s'il y aurait moyen, pour autant que l'on s'entende sur un certain nombre de constats, d'améliorer, sur la base d'un consensus, les quelques points qui pourraient éventuellement le mériter.
C'est dans cet esprit que le Conseil d'Etat ne s'oppose pas au renvoi en commission de son rapport et se tient à disposition des membres de la commission du logement pour répondre à ses questions.
Mis aux voix, le renvoi du rapport du Conseil d'Etat RD 544 à la commission du logement est adopté par 43 oui contre 17 non.