Séance du
vendredi 19 mai 2006 à
20h30
56e
législature -
1re
année -
8e
session -
39e
séance
M 1670
Débat
Le président. La parole n'est pas demandée... Si ! Elle l'est par Mme Carole-Anne Kast, à qui je la donne.
Mme Carole-Anne Kast (S). Cette motion met en exergue un certain nombre de problèmes au sein du pouvoir judiciaire, notamment un problème évident: dans les conditions actuelles, les audiences de conciliation n'arrivent pas à atteindre leur but. Maintenant, la question est de savoir si le remède que les motionnaires proposent est satisfaisant. En effet, les motionnaires, tout soucieux d'économie et d'efficacité de la justice, se disent qu'on n'a pas le temps de concilier, que cela fait une audience de plus, que ça n'en vaut pas la peine et qu'il faut supprimer les audiences de conciliation... Pourtant, Mesdames et Messieurs les motionnaires, dans les domaines où la conciliation peut être faite - il y en a deux où elle l'est avec succès: les baux et loyers et les Prud'hommes - elle donne des résultats. Elle pourrait être encore améliorée, mais elle donne de bons résultats. On est bien loin des 3% évoqués dans votre texte, les chiffres de conciliation oscillent plutôt entre 25 et 50%. Genève n'est pas véritablement le canton champion en la matière, puisqu'on y est plutôt proche des 30% alors que les autres cantons suisses sont généralement un peu plus haut.
Il s'agirait plutôt de se demander comment rendre la conciliation efficace. Fondamentalement, il y a un vieil adage qui dit qu'il vaut mieux un mauvais accord qu'un bon procès: je pense qu'un accord ne peut pas être mauvais du moment qu'il est accepté librement par les deux parties. Puis, finalement, une affaire conciliée, c'est une affaire qui ne charge pas les tribunaux.
Par conséquent, même si cette motion met en exergue un certain nombre de problèmes qui sont vrais, nous considérons que les solutions apportées ne sont pas satisfaisantes et nous estimons qu'il convient de rejeter cette motion.
M. Damien Sidler (Ve). Les Verts, sur beaucoup de points, approuvent ce qui vient d'être dit. Effectivement, les 3% évoqués sont une perspective bien pessimiste de ce que l'on peut concevoir de cette conciliation, mais il nous semble qu'elle est quand même plus efficace que vous ne l'avez indiqué dans votre motion.
Cependant, on remarque quand même un problème, étant donné que c'est quelque chose de récurrent. Pour preuve, un projet de loi a déjà été déposé devant ce Grand Conseil - il se trouve d'ailleurs actuellement à la commission législative. Il a été déposé en 2000, par le parti radical - ou en tout cas par des membres du parti radical. Donc, on a déjà eu beaucoup d'auditions sur ce sujet qui proposait une suppression totale de la conciliation. Ce projet est d'ailleurs toujours dans cette commission; il est suspendu, étant donné qu'on attend que des choses se précisent au niveau fédéral, sauf erreur. Mais il y a eu un paquet d'auditions, des procès-verbaux qui sont déjà bien fournis, et le rapport est prêt à être rédigé.
Je vous demanderai, si l'on entre en matière, de renvoyer cette motion devant cette commission pour, éventuellement, grouper les deux objets pour achever d'examiner cette question qui, semble-t-il, mérite quand même d'être étudiée.
Le président. Monsieur le député, votre conclusion est-elle que vous souhaitez le renvoi de cette motion à la commission législative ou que vous ne l'envisagez que si la motion est adoptée ? Parce que ce n'est pas la même démarche: la motion peut être soit renvoyée au Conseil d'Etat, ce qui est son objet ou en tout cas celui des proposants, soit renvoyée en commission, soit rejetée. Je vous laisse réfléchir, vous nous direz quelle est votre position. La parole est à M. Olivier Wasmer.
M. Olivier Wasmer (UDC). Vous entendez parler à chaque occasion, dans ce parlement, des grands problèmes de la justice, on en parle en matière pénale et en matière civile. Les juges sont aujourd'hui débordés à tel point que, lors des audiences d'appel des causes, certains d'entre eux nous distribuent de petits papiers pour nous informer que, malheureusement, les affaires ne pourront plus être appointées avant le mois de septembre. On est donc au mois de mai et l'on reçoit des petits papiers de plusieurs chambres du tribunal, les juges croulent totalement sous le travail puisque les procédures ont carrément doublé ou triplé. A ce sujet, je vous renvoie aux directives de l'administration du Palais de justice qui vous donne des statistiques à ce sujet.
La conciliation, comme l'a dit la députée Carole-Anne Kast tout à l'heure, est un préalable à toutes les procédures civiles. Dans les procédures ordinaires, quand une demande a été déposée - comme dans le cas de la BCGe dont on parle beaucoup, qu'il s'agisse d'une affaire à 6 millions de francs, à 20 millions de francs ou à 9000 francs, elle doit passer devant le juge de conciliation, qui en a environ une centaine voire jusqu'à deux cents à traiter entre 14h et 16h... Inutile de vous préciser que le juge n'a absolument pas le temps d'entendre les parties. Je fais, bien entendu, abstraction de la procédure devant le Tribunal des prud'hommes et devant le Tribunal des baux et loyers.
De toute façon, les parties ne sont pas du tout disposées à transiger, puisque chacune d'elles est convaincue de son bon droit. Il est vrai qu'à peu près 20% des affaires sont conciliées, mais, cela étant, les juges n'ont plus le temps de concilier parce qu'ils ont beaucoup trop de jugements à rendre. Aujourd'hui, la conciliation doit être supprimée. Mais dans ce projet, dans cette motion que l'UDC a déposée, nous souhaitons également que, le cas échéant, la conciliation puisse devenir totalement facultative, ce qu'elle n'est pas encore tout à fait aujourd'hui, alors que c'est le cas dans plusieurs autres cantons. Cela permettrait aux parties, le cas échéant, de solliciter expressément la conciliation si le besoin s'en fait sentir. Il est vrai qu'il vaut mieux un mauvais arrangement qu'un bon procès, tout le monde le sait, chaque avocat le dira à son client. Mais aujourd'hui, le problème est que les juges n'ont pas le temps d'entendre les parties en conciliation et que les demandes déposées font parfois 20, 30 ou 40 pages... Inutile de vous préciser que les juges, avec tout le respect que je leur dois, n'ont pas le temps de lire 20 ou 30 pages pour une audience de conciliation. Donc cela, c'est le premier point, s'agissant des conciliations, et, comme je l'ai souligné, cela ne touche ni le Tribunal des baux et loyers, ni le Tribunal des Prud'hommes, dans lesquels, il est vrai, le système de la conciliation aboutit parfois à de très bons résultats.
Autre volet du dossier: les audiences d'introductions. Après l'audience de conciliation, il existe une audience d'appel des causes où toutes les affaires nouvelles sont appelées, généralement le jeudi matin, quand les chambres du tribunal se réunissent. A ce moment-là, chaque avocat a l'obligation de se présenter pour qu'on lui fixe un délai et qu'on renvoie cette affaire à une audience de plaidoirie. Et cela fait se déplacer tous les avocats genevois, ou en tout cas leurs collaborateurs, devant cette chambre... Les systèmes vaudois, fribourgeois et valaisans sont tout à fait différents: dès qu'un juge est saisi d'une demande, en dehors, bien entendu, du domaine du bail et de celui des prud'hommes, le juge téléphone à l'avocat - au lieu de le convoquer à une audience spéciale qui dure une heure - et il lui demande de quel délai il a besoin pour répondre à cette demande. C'est bien plus simple ! Je signale à ce sujet que les audiences d'appel des causes durent de 8h à midi, tous les jeudis matin.
Les juges sont donc totalement mobilisés pour une seule raison: pour fixer les délais - ou recevoir des dossiers de plaidoiries. Dans tous les autres cantons qui nous entourent, cette audience d'introduction n'existe pas puisque, comme je vous l'ai dit, les juges donnent des délais à réception d'une demande quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse d'une demande en divorce, d'une demande en paiement, ou d'une demande de dommages et intérêts.
Donc, ce qu'on sollicite aujourd'hui, c'est de supprimer cette audience d'appel des causes, de façon que la procédure soit simplifiée et que, plutôt que de perdre leur temps pendant près d'une heure chaque matin devant une chambre, les avocats soient tout de suite fixés par courrier, ou même verbalement, sur le délai que le tribunal leur accordera.
M. Olivier Jornot (L). Il y a des projets de lois ou des motions qui sont inspirés par des considérations purement idéologiques. Celui-là est au contraire inspiré par des considérations purement pragmatiques. A sa lecture, on ne peut s'empêcher d'éprouver de la compassion pour ce jeune avocat, décrit errant d'une audience à l'autre, en passant quelques minutes ici, quelques minutes là, en mal de «time sheet». J'ai trouvé ce texte extrêmement émouvant.
Mais, pour maintenant redevenir sérieux et parler des choses comme elles sont, j'aimerais rappeler aux motionnaires que, depuis quelques années, il y a un processus en cours sur le plan fédéral qui est le processus d'unification de la procédure civile. Les membres de la commission législative qui, comme M. Sidler l'a rappelé tout à l'heure, ont dû étudier un projet portant exactement sur le même objet sont précisément arrivés à la conclusion qu'il ne servait à rien de dépenser de l'énergie sur un projet de ce type puisque, précisément, la procédure civile fédérale allait tout régler.
L'avant-projet de nouvelle procédure civile fédérale institue l'essai obligatoire de conciliation ! Et il consacre très exactement 13 articles à l'essai obligatoire de conciliation: dans quels cas il est vraiment obligatoire, dans quels cas il y a des dispenses, dans quels cas les parties peuvent le demander ou ne pas le demander. Par hypothèse, cela signifie que si nous devions accéder à la proposition qui est faite et qui en soi, évidemment, n'est pas dépourvue d'intérêt, si nous devions considérer que le taux de réussite des conciliations était insuffisant et devait nous inciter à supprimer l'essai obligatoire de conciliation, ce serait pour le réintroduire dans quatre ans, à la faveur de l'introduction de la procédure civile fédérale unifiée. Il y a là, il faut bien le dire, quelque chose qui ne serait pas parfaitement cohérent, ce d'autant moins que cette nouvelle procédure civile fédérale est annoncée pour l'horizon 2010. Compte tenu du temps nécessaire pour traiter cette motion en commission, puis pour, le cas échéant, la faire revenir devant l'ordre du jour, la renvoyer au Conseil d'Etat afin qu'il élabore une modification législative, nous arriverons, comme les carabiniers d'Offenbach, une fois que la bagarre sera complètement terminée.
Raison pour laquelle le groupe libéral, tout en ayant, encore une fois, beaucoup de compréhension pour les situations évoquées dans cette proposition de motion, vous suggère de ne pas la suivre et de ne pas encombrer inutilement le rôle de l'une ou l'autre des commissions de ce parlement.
M. Pascal Pétroz (PDC). Nous vivons depuis quelques mois dans une osmose absolument extraordinaire qui fait que, alors qu'il y a quelques mois cela n'aurait pas été possible, le représentant des Verts peut avoir exactement les mêmes propos sur le fond que le représentant du parti libéral ! En l'occurrence, tant le parti écologiste que le parti libéral ont totalement raison. Le groupe démocrate-chrétien s'associera bien évidemment aux propos très sensés qui viennent d'être tenus dans cette enceinte.
De fait, la procédure civile fédérale unifiée entrera en vigueur sous peu, de sorte qu'il n'y a absolument aucune raison de modifier notre procédure cantonale pour quelque chose qui va être changé tout à fait prochainement au niveau fédéral. J'aimerais dire à nos amis de l'Union démocratique du centre que leur proposition est très intéressante et qu'elle mérite le respect. En même temps, si l'UDC, qui était représentée dans ce parlement lors de la précédente législature, l'avait correctement été à la commission législative qui a eu l'occasion de traiter de ces questions, comme M. Sidler l'a rappelé, elle aurait été au courant du fait que la question de la conciliation obligatoire a été traitée dans de nombreuses séances de cette commission législative. Et, M. Sidler l'a rappelé à bon escient tout à l'heure, la commission législative a décidé de geler les travaux sur cette question, compte tenu de l'entrée en vigueur prochaine de la législation sur la procédure civile unifiée.
Alors, merci à l'UDC de vouloir réinventer la roue ! Merci à l'UDC de vouloir proposer des projets que des gens ont proposés avant eux ! Merci beaucoup pour cette contribution très adéquate au débat politique ! Cela étant, soyons sérieux, Mesdames et Messieurs les députés: la prochaine procédure civile fédérale entrera en vigueur bientôt, il convient par conséquent de refuser cette motion avec clarté et énergie.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. J'aimerais tout d'abord rendre hommage à M. le député Damien Sidler, qui est le seul non-avocat à s'être risqué dans cette matière délicate. La motion qui vous est proposée va à l'inverse de ce qui est souhaitable, sur un point, parce que vous avez à maintes reprises - et à juste titre - insisté sur la nécessité de trouver des mécanismes de médiation, de conciliation et d'apaisement des conflits extrajudiciaires. Dès lors, supprimer la conciliation est exactement l'inverse de ce qu'il faut faire. Il conviendrait, au contraire, de la renforcer pour lui permettre d'atteindre le degré de réussite qu'elle a lorsqu'elle bien organisée, comme c'est le cas devant le Tribunal des baux et loyers ou devant le Tribunal des Prud'hommes. Toutefois, et plusieurs d'entre vous l'ont relevé, les projets de procédure civile fédérale unifiée sont tels qu'il n'est pas très raisonnable qu'à quelques années de cet avènement-là nous refassions notre système genevois.
En ce qui concerne l'audience d'introduction, qui est un problème totalement différent, il est vrai qu'aujourd'hui, Monsieur le député Wasmer, ce n'est pas très satisfaisant. On pourrait se demander si, sans se lancer dans des travaux parlementaires compliqués, on ne pourrait pas trouver une solution qui permette, dans un certain nombre de cas, d'éviter cette audience d'introduction. Cela ne nécessiterait pas forcément des travaux très importants et ça n'est pas en contradiction avec le fait que nous attendons la procédure civile unifiée. Je suggère que nous en rediscutions. Pour des motifs d'économie de procédure parlementaire et d'économie de moyens, je crois qu'aujourd'hui cette motion doit être rejetée et que l'on reprenne de manière adéquate la question de l'audience d'introduction.
Mise aux voix, la proposition de motion 1670 est rejetée par 61 non contre 9 oui et 2 abstentions.