Séance du
vendredi 7 avril 2006 à
20h30
56e
législature -
1re
année -
7e
session -
34e
séance
PL 9624-A
Premier débat
M. Pierre Kunz (R), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente... (La présidente fait tinter sa cloche.)
La présidente. S'il vous plaît ! S'il vous plaît !
M. Pierre Kunz. Eh bien ! Dans le climat de franche camaraderie, franco-, sénégalo-, québéco-genevoise qui règne ce soir, je vais prendre la liberté de répondre à ceux qui, hier soir, au sujet des deux projets de lois précédents, m'accusaient de n'avoir pas tenu compte des gens que nous avions auditionnés en commission. Pour cela j'aimerais simplement, en toute sérénité puisque ce soir l'ambiance est bonne, lire mon rapport afin que les gens qui me reprochaient cela et dont je ne me souviens plus du nom se rendent compte qu'ils n'ont pas bien lu le rapport en question. Je cite. «La majorité de la commission était évidemment peu encline à entrer en matière...» (Brouhaha. L'orateur s'interrompt.) Un petit coup de cloche, Madame la présidente ? (La présidente agite sa cloche.) Merci, vous êtes bien aimable. (Il reprend la citation.) «La majorité de la commission était évidemment peu encline à entrer en matière sur des textes rédigés dans la précipitation, sans cohérence entre eux et ne s'inscrivant absolument pas dans la politique genevoise suivie en matière fiscale et économique. Mais...» et ça c'est important pour mes interlocuteurs d'hier soir, «...étant donné la gravité de la situation du chômage à Genève, cette majorité a finalement accepté de procéder aux onze auditions listées plus haut. Sans enthousiasme, certes, et sans illusion...» Et là j'aimerais un tout petit moment de silence pour me dédouaner auprès de vous, Mesdames et Messieurs... (La présidente agite sa cloche. L'orateur reprend sa citation.) «...sans illusion puisque, moins d'un an auparavant, tous ces acteurs avaient déjà apporté leur contribution lors des travaux de la commission relatifs à la réforme de la loi cantonale sur le chômage.» Toutes ces auditions ont fait l'objet d'un excellent rapport de mon collègue Pierre Weiss que vous avez tous certainement en mémoire.
Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, je me suis permis dans les deux premiers projets de lois de ne pas reprendre la totalité des auditions. J'espère qu'ainsi vous voudrez bien remettre les choses en l'état. Mais vous aurez constaté que dans le projet de loi qui nous occupe maintenant, le 9624, j'ai cité les propos des personnes auditionnées, qui soit avaient un éclairage différent à amener à la discussion soit voulaient souligner leurs points de vues. D'où la liste des, une, deux, trois, quatre citations que vous trouvez dans le rapport de majorité relatif à ce projet de loi. Je voulais profiter de l'occasion de ce projet de loi qui fait un peu penser à des mémoires d'outre-tombe puisqu'il a été rédigé par des personnes qui ne sont plus ici, mais je n'ai pas l'intention de commenter le rapport de minorité au-delà.
La présidente. Je passe la parole à M. Deneys qui, je pense, remplace M. Pagani.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité ad interim. Je ferai le «Pagani» de ce rapport. Je ne sais pas si c'est dans le dictionnaire de l'Académie française, mais on pourrait le rajouter pour l'occasion. Ce projet de loi avait été déposé par mes collègues de l'Alliance de gauche dans le but de favoriser l'engagement de chômeurs par les entreprises qui font des bénéfices de plus de 1 million de francs, notamment en obligeant ces entreprises à financer des emplois temporaires. Les socialistes n'ont pas forcément la même vision que l'Alliance de gauche qui considère que les bénéfices sont immoraux et qu'il faudrait les interdire ou les supprimer. Toutefois, il est vrai qu'il y a un problème dans notre société quand des entreprises, notamment des grandes entreprises, font des bénéfices importants et, alors qu'elles font des bénéfices, procèdent à des plans sociaux et licencient des personnes parce qu'elles disent vouloir anticiper. Evidemment, c'est le grand mot en économie: anticiper. On anticipe une évolution des marchés, on anticipe sur une concurrence qui va se développer. Evidemment, cela se fait sur le dos des personnes qu'on emploie: on rationalise, on supprime, on délocalise. Les socialistes, même s'ils ne partagent pas exactement le point de vue de l'Alliance de gauche, estiment que c'est problématique et qu'on ne peut pas accepter cela dans une société comme la nôtre, à Genève, où nous avons, il faut le rappeler, plus de 20 000 personnes sans emploi alors que de nombreuses entreprises font des bénéfices de plus de 1 million de francs.
M. Pagani, dans son rapport de minorité, l'a très bien relevé. En 2003, 596 personnes morales ont fait un bénéfice imposé de plus de 1 million de francs, alors que ce nombre d'entreprises n'était que de 371 en 1996, moins de 10 ans plus tôt. On peut donc considérer avec raison que ces entreprises devraient contribuer à la lutte contre le chômage, même modestement. Ce que déplorent ici les socialistes, ce n'est pas le refus de ce projet de loi tel qu'il a été formulé par l'Alliance de gauche, c'est le fait que la commission de l'économie, après de nombreuses auditions, n'ait pas accepté d'entrer en matière. Pour nous, ce n'est pas forcément sous cette forme que ce projet de loi aurait dû être adopté, notamment parce que plusieurs personnes auditionnées ont relevé que le projet de loi serait très difficile à appliquer, ou que la loi ne proposait pas forcément la méthode optimale pour toucher les entreprises. Il n'empêche que le problème reste posé. Comme il se pose à la Boillat aujourd'hui, avec Swissmetal. Nous avons là des entreprises qui font des bénéfices et qui cherchent à faire des bénéfices supérieurs encore, en se débarrassant des personnes qui ont du travail. Et ça, ce n'est pas acceptable dans notre société, notamment parce que cela crée des différences importantes par rapport au niveau de vie des uns et des autres. Les socialistes déplorent qu'on n'ait pas refait une étude plus poussée et qu'on n'ait pas pu faire des amendements, pour voir comment on pouvait toucher ces entreprises qui réalisent des bénéfices importants.
J'aimerais revenir sur les propos initiaux de M. Kunz et sur son rapport. Certes, Monsieur Kunz, vous avez dit des choses, mais j'aimerais quand même insister sur le fait qu'un rapport de commission doit essayer de relater les propos des différentes personnes auditionnées, même si elles ont déjà été entendues dans un autre cadre. C'est important parce que ces personnes sont auditionnées pour répondre à des questions sur des projets spécifiques, en général un projet de loi. Il est important d'entendre leurs réponses, qu'elles vous plaisent ou qu'elles ne vous plaisent pas. Encore une fois, Monsieur Kunz, vous avez le droit de ne pas penser comme moi; vous avez le droit de penser que ces projets de lois sont inutiles et incohérents. Seulement, dans un rapport, vous avez la possibilité d'exposer les travaux de la commission, si possible objectivement, par exemple en mettant des italiques pour vos citations et vos jugements de valeur. Parce que ce qui restera dans la mémoire de ce Grand Conseil, c'est, je dois le dire, un rapport franchement pas très fourni, pour un sujet qui concerne plus de vingt mille personnes à Genève, et ça, c'est regrettable.
M. Edouard Cuendet (L). On peut regretter une chose dans ce rapport, et en cela je suis d'accord avec M. Deneys, c'est qu'il ne contient pas l'exposé des motifs. Parce que, dans l'exposé des motifs, les initiateurs du projet s'en prennent directement et nommément à deux secteurs, le secteur bancaire et l'horlogerie, en les accusant des pires turpitudes possibles. Je cite d'ailleurs la conclusion de l'exposé des motifs qui, pour le secteur bancaire, vous fera peut-être sourire. «Les responsables de ces entreprises doivent embaucher du personnel en respectant les conventions collectives, si elles existent, avec des contrats de durée indéterminée et des salaires qui permettent de vivre décemment dans le canton.» Ces deux secteurs florissants engagent beaucoup de monde et il paraît totalement scandaleux et irresponsable de les stigmatiser de la sorte. Donc, le PL 9624 propose une augmentation d'impôt massive pour punir les entreprises les plus dynamiques du canton, qui sont non seulement les plus gros contribuables, mais aussi les plus gros employeurs à l'heure actuelle.
Pour mémoire, ça intéressera peut-être ce parlement, selon les derniers chiffres de l'OCSTAT, l'horlogerie et le secteur bancaire fournissent déjà 46% de l'impôt sur le bénéfice perçu par le canton. De plus, parmi les 20 plus gros employeurs du canton, on trouve huit groupes bancaires et trois horlogers, ce qui fait déjà plus de la majorité. A cela s'ajoute qu'en 2005 c'est le secteur horloger qui a créé le plus d'emplois à Genève. Donc, si par le plus grand des hasards et par impossible, le Grand Conseil venait à entrer en matière sur cette loi, quel signe donnerait-il à ces deux secteurs, les plus dynamiques, les plus gros employeurs et les plus gros pourvoyeurs d'impôts ? En plus, ce qu'il ne me paraît pas non plus inutile de rappeler, c'est qu'en matière de fiscalité des personnes morales Genève est en queue de peloton en Suisse. Seul le canton des Grisons a une fiscalité plus défavorable pour les entreprises que Genève, dans la moyenne suisse. Cette loi est absolument inique puisqu'au fond elle veut punir les employeurs qui sont les plus gros contribuables, qui embauchent le plus et qui créent le plus d'emplois avec la plus grande valeur ajoutée. En conséquence, je vous invite à ne pas entrer en matière sur le PL 9624 et à le rejeter.
M. Gilbert Catelain (UDC). Je suis étonné qu'un groupe - qui se dit pour une caisse maladie unique en Suisse, pour une prime maladie unique, pour la garantie d'une équité de traitement entre tous les cotisants - puisse se prononcer pour des impôts sur le bénéfice différents au niveau suisse. Avec la même logique, on pourrait prendre en considération le taux moyen suisse d'imposition et, à ce moment-là, il faudrait baisser l'impôt sur les entreprises et sur le bénéfice des entreprises. Donc, il y a quelque chose que je ne comprends pas, quand on sait que le principal argument pour inciter des entreprises à s'implanter dans ce canton, notamment dans le secteur tertiaire, c'est encore l'aspect fiscal.
Toutefois, ce n'est pas ce qui nous dérange le plus dans ce projet de loi. D'une part et essentiellement, il vise non pas forcément, en tout cas pour les initiants de l'Alliance de gauche, à uniquement augmenter la contribution des entreprises à la fiscalité. Il s'agit aussi d'affecter cet impôt à la création d'emplois temporaires. Je ne suis pas sûr que ce soit le but du parti socialiste et de M. Deneys en particulier, dont je me souviens que, lors d'une édition de la course de l'Escalade des députés, il s'était empressé de découper le symbole du sponsor qui se trouvait sur son dossard. Ceci explique clairement pourquoi M. Deneys s'est empressé de reprendre ce rapport de minorité: parce qu'il est antibanque, tout simplement.
Une voix. Comme Tornare !
M. Gilbert Catelain. Revenons-en aux emplois temporaires. Qu'a dit le professeur Flückiger lors de son audition ? Il a dit une chose et tout le monde était d'accord, car il n'y a pas un commissaire qui a relevé cette déclaration de M. Flückiger. Il a dit que les emplois temporaires ne permettaient pas d'intégrer les chômeurs, ne permettaient pas de les remettre sur le marché du travail. Il l'a dit et, dans une précédente législature, il y a eu une sorte d'accord magnifique au Grand Conseil entre les différents partis pour vouloir un traitement social du chômage. Tout le monde savait que ce projet engendrerait des effets pervers et que jamais il ne permettrait aux chômeurs de réintégrer le marché du travail. Cela, le professeur Flückiger l'a dit et M. Deneys, qui était dans la commission, ne l'a pas contesté. Donc, la position du groupe socialiste ce soir n'est pas de vouloir financer des OTC dont ils savent très bien qu'ils ne servent à rien. Le but est uniquement fiscal et vise à augmenter les recettes fiscales de l'Etat, et je crois qu'il faut effectivement dire ce qu'il en est. Ce projet de loi est inique. Le but visé par le groupe socialiste est malsain et trompeur. Pour ce motif, je vous propose de suivre le vote de la commission et de refuser ce projet de loi.
M. Alberto Velasco (S). J'aimerais dire à M. Catelain que c'est plutôt son discours qui est malsain. Je vais vous dire pourquoi votre discours est malsain. Parce que si vous avez lu le projet de loi, Monsieur Catelain, on ne parle pas ici d'emplois temporaires. Si vous avez lu le projet de loi... (L'orateur est interrompu par M. Catelain.)
La présidente. C'est à M. Velasco de parler, Monsieur le député.
M. Alberto Velasco. On est encore en démocratie, Monsieur Catelain ! Ce projet ne concerne pas uniquement les emplois temporaires, il concerne les chômeurs en général ! Il ne sert donc à rien de faire un procès d'intention à ce projet de loi.
Revenons au sujet ! Mesdames et Messieurs les députés, j'ai entendu l'exposé de notre ami Cuendet. Je dis «ami» entre guillemets, évidemment, dans le cadre de ce débat. Il est vrai que la philosophie du projet de loi est problématique. Je suis d'accord avec le fait que, quand une entreprise a simplement besoin de x personnes pour satisfaire ses besoins de production, il ne faut pas l'obliger à employer x+3 ou x+50 personnes. Les banques peuvent bien licencier des personnes par dizaines ou par centaines, si elles n'ont pas besoin de ces personnes. On ne va pas obliger une entreprise à employer plus de personnes qu'elle n'en a besoin. Là, on est d'accord ! Vous voyez jusqu'où je vais !
Par contre, que propose le projet de loi ? Ces mêmes personnes morales qui licencient des personnes et font que c'est l'Etat qui devra s'en occuper ensuite, par le biais de l'Hospice général, de l'office cantonal du chômage, ou même de l'Hôpital pour soigner les dysfonctionnements conséquences de la situation de ces gens. Madame, vous n'avez pas besoin de rire, le sujet est suffisamment grave. De telles situations engendrent des coûts importants pour la société et puisque les entreprises licencient des gens, qu'elles participent donc aux coûts sociaux ! Il est vrai que cette loi englobe un projet fiscal, un projet de redistribution. En réalité, ce projet est juste. On peut discuter des conditions de son application, de l'importance de la place financière suisse, des banques qui vont s'écrouler, des dizaines et des dizaines de chômeurs qu'il y aurait en plus. Mais on ne peut pas tout avoir: on ne peut pas licencier des gens comme on veut, payer le moins d'impôts possible et demander à l'Etat ensuite de s'occuper des conséquences de cette attitude en finançant le chômage. Il y a là un problème. Soit vous demandez à l'Etat de garantir et financer une protection sociale aux gens sans emploi, mis au rebut par l'économie, et, dans ce cas, vous donnez à l'Etat les moyens de le faire. Et les moyens de l'Etat, c'est l'impôt. Soit, dans le cas contraire, vous assumez la charge de ces personnes: vous payez moins d'impôts, vous gardez vos bénéfices, mais vous vous occupez de ces gens-là.
Que dit en outre ce projet de loi ? Il s'appliquerait à partir de 1 million de francs de bénéfice. En plus, le projet propose de dégrever la fiscalité des entreprises qui auront engagé un certain nombre de chômeurs ou de personnes d'un certain âge. C'est cela que dit le projet de loi ! Je veux bien que vous discutiez le projet de loi sur le fond, mais pas que vous le discréditiez comme vous le faites. Vous ne l'avez même pas lu ! Cette attitude ne me surprend pas, venant des gens de l'UDC, car à la limite je ne sais même pas s'ils comprendraient le projet, s'ils le lisaient ! Pour les autres, pour les libéraux, attaquez le projet de loi sur le fond ! Là, il est toutefois inattaquable. En ce qui concerne son application, Monsieur Cuendet, on pourra peut-être discuter, mais sur le fond je ne peux qu'être d'accord avec la philosophie défendue par ce projet. Le soutien du parti socialiste à ce projet de loi n'est pas aussi incrédule que vous le pensez, il est bien réfléchi.
M. Georges Letellier (Ind.). Je pense que nous sommes placés devant un dilemme. D'un côté, vous voulez imposer les sociétés qui font plus de 1 million de francs de bénéfice, en particulier dans l'horlogerie alors que c'est dans ce secteur qu'il ne faudrait surtout pas faire de bêtises. Il ne faut pas tirer sur l'ambulance: l'horlogerie, on en a besoin ! Elle crée des emplois, elle promeut l'image de marque de la Suisse et de Genève et je pense qu'il faut laisser ce secteur tranquille. Par contre, en ce qui concerne les banques, j'ai une autre opinion. Je serais d'accord que l'on impose les bénéfices spéculatifs des banques et des privés ! Parce qu'aujourd'hui le grand mal de notre société est celui-là: nous n'investissons plus dans l'économie, nous investissons uniquement pour faire des profits et même des «superprofits». Cela ne peut plus durer et le monde ne peut pas tourner comme ça. Je propose qu'on renvoie cette loi et qu'on la change peut-être, car il y a quelque chose à faire du côté des banques.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité ad interim. Pour répondre brièvement à M. Catelain, effectivement, il y a des banques, telles que l'UBS, que je n'aime pas forcément beaucoup, pour différentes raisons dont notamment son passé en Afrique du Sud durant l'apartheid. (Huées.) Monsieur Catelain, je suis actionnaire d'une banque et j'en suis très fier: il s'agit de la Banque alternative, qui a une politique transparente, qui fait des placements éthiques et qui défend le tissu économique local de proximité.
Je pense qu'en l'occurrence M. Letellier a quand même dit quelque chose de très juste, aujourd'hui. On a un problème: l'économie de l'argent pour l'argent et l'économie réelle comme l'industrie, ce sont deux choses très différentes.
Nous, les socialistes, nous ne sommes pas opposés aux bénéfices. Simplement, quand on fait plus de 1 million de francs de bénéfice, la question se pose de savoir si on peut contribuer à lutter contre le chômage, alors qu'il y a plus de 20 000 personnes au chômage. C'est ça la question ! Je rappelle les taux proposés par le projet de loi à M. Cuendet. Pour un bénéfice situé entre un et deux millions de francs, le taux appliqué passerait de 10% à 10,5%. On ne peut pas dire qu'on assassine les bénéfices. Peut-être qu'on pourrait discuter de l'application de la loi; cela a été relevé tant par les milieux syndicaux que patronaux: dans sa forme actuelle, ce projet de loi n'est que très difficilement applicable. Par contre, nous, socialistes, regrettons que l'on ne cherche pas un mécanisme qui organise la contribution des gros bénéfices à la lutte contre le chômage. Monsieur Catelain, une fois de plus, vous ne lisez pas bien les textes soumis. Le chiffre 2 de l'article 20A parle effectivement des emplois temporaires (ETC) en premier, mais il mentionne ensuite les stages, les allocations de retour en emploi (ARE) et tous les dispositifs existants. Je sais que vous n'aimez pas les ETC et c'est votre droit, mais soyez honnête: quand vous lisez un chiffre dans un projet de loi, lisez-le jusqu'au bout !
M. Gilbert Catelain (UDC). Admettons qu'on soit d'accord avec la loi elle-même. La valeur qui a été prise en compte pour déterminer comment et quand il faut que les entreprises participent fiscalement aux mesures d'indemnisation des chômeurs est, de mon point de vue, fausse. Pourquoi ? Considérons une entreprise de 40 000 employés, par exemple la Société générale de surveillance. Si elle fait 1 million de francs de bénéfices, elle sera proche de la faillite, ou en tout cas à la limite du déficit, si elle doit se soumettre à cette loi, contrairement à une entreprise qui n'emploierait que deux personnes. La base du raisonnement utilisé pour déterminer l'indemnisation n'est pas bonne. Prendre cette seule valeur du bénéfice comme base pour déterminer la contribution d'une entreprise à l'indemnisation des chômeurs est une erreur. Pour ce motif, seul le refus du projet de loi doit être envisagé.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité ad interim. Pour répondre à cette dernière remarque, c'est bien pour cela que nous, socialistes, nous n'étions pas forcément très chauds sur ce projet de loi, tel qu'il était formulé. Nous aurions souhaité une entrée en matière pour pouvoir l'amender. Votre remarque sur le bénéfice par employé est évidemment très pertinente, parce que ce n'est pas le bénéfice uniquement qui doit être déterminant. Il faut aussi prendre en considération le nombre de collaborateurs dans l'entreprise. Pour nous, cet aspect aurait dû être étudié en commission. Comme on l'a dit aussi, l'applicabilité de ce projet de loi tel quel semble trop questionnable. Toutefois, on peut imaginer et concevoir que les entreprises qui font d'énormes bénéfices contribuent à la lutte contre le chômage à Genève. Cela devrait même être un devoir moral.
M. Alberto Velasco (S). Je voudrais dire à M. Catelain que quand il débat comme ça, cela devient intéressant, voyez-vous. Je reprends l'exemple cité tout à l'heure. Vous dites qu'une entreprise de 40 000 employés serait à la limite de la faillite avec un bénéfice de 1 million de francs si elle était soumise à la loi. Non ! A la rigueur, elle serait dans une situation de «break even point»... (Commentaires.) C'est-à-dire à la limite du résultat zéro. Cela ne veut pas dire, Monsieur Catelain, qu'elle serait en faillite. Je suis d'accord avec vous qu'il serait injuste de taxer une entreprise qui fait un bénéfice de 1 million de francs. Le projet de loi prévoit une imposition à partir de 1 million de francs.
Une voix. Cela se négocie !
M. Alberto Velasco. Ce n'est pas la même chose ! Cela concerne les entreprises qui font 2, 3, 4, 5 ou 6 millions de francs de bénéfice. On ne dit pas qu'à partir de 1 million, on enlève tout. A partir de 1 million, on écrème seulement d'un ou deux pourcents. Ce n'est pas grand-chose. C'est cela que dit le projet de loi.
M. Pierre Kunz. Cela va être renvoyé en commission ! Arrête ! Toutes les caméras te filment.
M. Alberto Velasco. D'un point de vue idéologique, je comprends que vous soyez contre cela: idéologiquement, vous êtes contre tout impôt. Bon, mais derrière cela, il faut reconnaître un esprit de justice quand même, vis-à-vis des gens qui s'occupent des chômeurs. Il faut bien payer ces prestations. Avec quels moyens ? L'Etat n'a pas de mines ou de terres agricoles. Il n'y a qu'un moyen pour payer ces prestations, c'est l'impôt républicain. C'est le seul moyen à la disposition de l'Etat et ces messieurs-là, chaque fois que l'on décide de s'attaquer au problème, n'ouvrent même pas leur esprit au débat. L'applicabilité est peut-être problématique, mais, sur le fond, ce projet de loi a un sens, un sens social !
M. David Hiler, conseiller d'Etat. J'ai entendu et, je crois, compris les arguments des uns et des autres. J'ai en revanche, je m'excuse de vous le dire, les plus grands doutes que les arguments développés par M. Deneys et par M. Velasco s'appliquent exactement à ce projet de loi, cela pour plusieurs raisons.
Je crois qu'il faut repartir de quelques éléments factuels. A Genève, en 2005, les personnes morales ont versé 1 milliard de francs d'impôts. Lorsqu'ils peuvent comptabiliser une contribution des entreprises ascendant à 10% ou 12% de l'ensemble des impôts de leur canton, mes collègues de Vaud ou de Neuchâtel, considèrent déjà cela comme énorme. Chez nous, à Genève, la contribution totale des entreprises équivaut à 20% des impôts perçus par le canton. Les bénéfices des entreprises financent les prestations publiques à hauteur de 1 milliard de francs. Or, l'impression qui se dégageait du débat, c'était, qu'en somme les entreprises n'étaient pas des contribuables. Si, elles le sont ! C'est un premier élément.
Deuxièmement, je suis très surpris par la mise en cause de l'industrie horlogère. L'industrie horlogère, aujourd'hui, engage. Elle n'engage pas des chômeurs, peut-être, mais elle engage du monde. Pour le reste, je comprends parfaitement - et le Conseil d'Etat ne peut que comprendre in corpore - ce sentiment de l'absurdité d'un monde où on met au chômage des dizaines de millions de personnes et où, par derrière, il faut construire des systèmes sociaux coûteux et généralement inefficaces, pour non pas replacer, mais simplement permettre à ces personnes mises au chômage de survivre - car c'est souvent malheureusement juste de cela dont il s'agit.
Ce qui est certain dans le cas d'espèce, c'est que la réponse proposée n'est pas la bonne, quelles que soient les modifications proposées. Nous avons une chance extrême, je vous le redis. Je vois bien la différence entre Genève et Neuchâtel, quand je parle avec M. Studer. Nous avons la chance extrême d'avoir à notre disposition un chèque d'un milliard de francs permettant d'améliorer la capacité des personnes qui résident à Genève à retrouver un emploi, en renforçant leurs compétences, en améliorant leurs formations, en donnant des possibilités réelles d'obtenir un certificat de capacité pour celles qui n'en ont pas, et cela quel que soit leur âge. La question que vous avez posée déjà hier et à laquelle mon collègue Longchamp vous a répondu, je crois, portait sur ce que nous allions faire pour venir au secours de ceux qui aujourd'hui ne trouvent pas de travail, de ceux dont j'ai pu dire ici qu'ils étaient enfermés dans la cage de l'assistance. De quoi les pouvoirs publics sont-ils capables ? Sont-ils capables de développer des plans qui permettent d'agir efficacement, avec les sommes colossales qui sont investies aujourd'hui: 350 millions de francs rien que pour les emplois temporaires et l'aide individuelle fournie par l'Hospice. Sommes-nous capables de développer une politique qui permette à chacun de revenir sur le marché de l'emploi, dans une région où, contrairement à d'autres, des emplois se créent chaque jour ? Sommes-nous capables, avec un budget de l'instruction publique tout de même fort avantageux par rapport à une bonne partie du monde et, même par rapport à d'autres cantons suisses, de donner la formation qui permette à chacune et à chacun de nos jeunes d'être employable demain ?
En dernière analyse, - et c'est pour cela que ce genre de discussion m'inquiète toujours un peu - plutôt que d'imaginer toutes sortes de projets qui visent à augmenter une fiscalité pour finalement seulement subvenir aux besoins de plus de chômeurs, sommes-nous capables, en lieu et place de cela, de réinventer un partenariat social et de parler de ces enjeux avec les entreprises ? En ce qui les concerne, les banques - surtout les grandes, pour tout arranger, il faut quand même le dire - font partie des entreprises qui forment le plus de personnes. Tout simplement parce qu'elles sont de grande taille et qu'elles n'ont pas de problèmes par rapport aux différentes subtilités des lois sur l'apprentissage. Est-ce vraiment la voie qui est proposée là ? Non ! Je doute aujourd'hui, si l'on veut vraiment convaincre des entreprises de participer à la solution du chômage, si l'on veut lutter contre la stigmatisation des chômeurs, si l'on veut assurer un avenir aux jeunes, je doute que cela puisse se faire parle biais de ce type de projet de loi. Je pense bien plus certainement que cela doit se faire par une revitalisation des rapports entre l'Etat de Genève et les partenaires sociaux, non pas par le biais de toutes sortes de commissions, officielles ou non, mais bien en essayant de se fixer un projet pour Genève. D'autres pays l'ont fait, dans le Nord de l'Europe. Nous aussi, Monsieur Velasco, nous avons des moyens. La question est de savoir si nous affectons toujours ces moyens à juste titre. Je suis toujours scandalisé, comme homme de gauche, que l'on puisse dire que Genève manque de moyens. C'est une insulte au reste de la population du monde. Nous avons des moyens, nous devons trouver aujourd'hui les bonnes méthodes pour les utiliser et visiblement nous avons jusque là fait fausse route, y compris sur les emplois temporaires. Toutefois, comme vous, j'ai refusé et je refuse toujours que l'on abandonne cette solution tant que l'on n'aura pas trouvé mieux.
Maintenant, il s'agit - et c'est ce que mon collègue Longchamp vous a promis hier - de venir avec un projet qui permette une meilleure réinsertion des chômeurs, avec les mêmes millions si ce n'est même un peu plus, parce que c'est une priorité. De sorte à obtenir enfin des résultats et redonner espoir aux personnes privées de travail. Vous m'excuserez de vous le dire, le fait que nous taxions un peu plus les entreprises par-ci ou par-là, ce n'est pas ça qui redonnera aux chômeurs leur place dans la société, ni même ce qui leur redonnera espoir. Si jamais nous devions être amenés à demander plus d'impôt, ce ne serait pas pour l'une ou l'autre idée, ce serait plutôt pour améliorer les conditions-cadre des chômeurs; ce ne serait certainement pas sur un seul objet. Il est certain que nous avons aujourd'hui, en millions, les sommes nécessaires pour faire une bonne politique. Il est certain aussi que nous avons à Genève un tissu économique exceptionnellement vivant. Je crains parfois que ces polémiques - où les uns paraissent, je m'excuse de le dire, justifier l'injustifiable et les autres chercher des boucs émissaires à l'injustifiable - ne soient pas de nature à faciliter demain le partenariat social vivifié dont nous avons besoin pour résoudre nos problèmes. (Applaudissements.)
Mis aux voix, le projet de loi 9624 est rejeté en premier débat par 66 non contre 13 oui.
La présidente. Mesdames et Messieurs, l'ordre du jour appelle le traitement des RD 581 et 602, rapports de la commission de réexamen en matière de naturalisation. Ces points seront traités à huis clos.
La séance publique est levée à 22h10.
Le Grand Conseil continue de siéger à huis clos.