Séance du
vendredi 17 mars 2006 à
14h
56e
législature -
1re
année -
6e
session -
26e
séance
RD 625
Débat
M. Christian Brunier (S). Les offices des poursuites et des faillites ont occupé sérieusement ce parlement pendant plusieurs mois, à l'époque où le scandale - il faut l'appeler par son nom - avait été révélé. Aujourd'hui - le rapport l'indique en ces termes - des progrès incontestables ont été effectués. Néanmoins, cette réorganisation a eu lieu en 2002, c'est-à-dire il y a quatre ans, et je pense que c'est le moment de faire un bilan. Il est vrai qu'une réorganisation nécessite du temps pour prendre corps, pour porter ses fruits, et ce laps de temps de quatre ans paraît raisonnable pour connaître les premiers retours sur investissement.
Je vous le rappelle qu'il y a de cela une année, ici même, j'avais été assez critique sur l'avancement de ce dossier, et la conseillère d'Etat en charge de ce dossier m'avait demandé d'avoir de la patience... J'ai donc pris patience, mais il faut bien constater que le résultat de cette réforme est encore mince.
Comme c'est indiqué dans le rapport, il manque des ressources humaines dans de nombreux secteurs - mais c'est peut-être un peu de notre responsabilité... C'est en tout cas de la responsabilité de ceux qui ont quasiment bâti leur programme politique sur les coupes budgétaires !
Quoi qu'il en soit, si l'on s'intéresse de plus près au dossier des offices des poursuites et des faillites et que l'on sait lire ce rapport entre les lignes, que l'on questionne les personnes qui y travaillent ou les clients, on peut se rendre compte que de nombreux problèmes subsistent: problèmes de management - je crois que c'est reconnu - la structure hiérarchique est encore complexe, peu lisible, peu compréhensible, et elle ne fonctionne pas encore très bien. Il y a des problèmes comptables, cités dans ce rapport. Par ailleurs, l'informatique est peu efficace, peu performante. La rigueur dans l'application des lois reste insuffisante. La compétence globale doit se développer; les lourdeurs administratives restent trop nombreuses; le climat de confiance n'est pas encore au rendez-vous.
Alors, certes, le parlement peut faire encore preuve de patience... Aujourd'hui le gouvernement semble avoir envie - en tout cas plus que les gouvernements précédents - de réformer l'Etat, ce qui est un élément réjouissant. Je lui souhaite bon courage, parce que je crois que le travail à effectuer au niveau des OPF est encore important - c'est un dossier fort difficile.
M. Olivier Wasmer (UDC). J'ai lu avec intérêt le rapport de la commission de surveillance des offices des poursuites et des faillites. Il est effectivement édifiant, s'agissant des retards, du manque de diligence dans le traitement des procédures de poursuites, à savoir l'édification des commandements de payer, des réquisitions de continuer les poursuites, etc.
Malheureusement, et malgré les mesures cosmétiques prises par ce parlement il y a quelques années, je dois dire que rien n'a changé... Rien n'a changé ! Je crois pouvoir être bien placé pour le dire, puisque, comme vous le savez peut-être, j'ai été sanctionné pour avoir laissé échappé un mot: pour avoir traité les fonctionnaires des office des poursuites et des faillites de «ronds de cuir»... Comme je viens de le dire, la situation en est toujours au même stade !
Je travaille avec tous les offices et poursuites de toute la Suisse, eh bien, aucun de ces offices - je dis bien «aucun», que ce soit à Schaffhouse, en Valais, à Zurich, à Lausanne, et même ailleurs en Suisse romande - ne notifie avec plus d'une semaine de retard ! Or, à Genève, et c'est systématique: une dernière décision de la commission de surveillance, que je viens de recevoir le 27 février, le confirme - l'office des poursuites notifie les actes de poursuites quand il veut, quand bien même il reçoit des mises en demeure régulières pour agir avec diligence et malgré les plaintes des avocats et mandataires, qui aboutissent à la sanction des préposés, qui ne donnent aucune suite aux nombreuses réquisitions de poursuites.
Malheureusement, je le répète, la situation en est quasiment au même stade qu'il y a trois ans. Un débat parlementaire très intéressant a en effet eu lieu, car on se demandait ce qu'il fallait faire pour trouver une solution aux maux récurrents qui affectent l'office des poursuites et l'office des faillites de Genève - l'office des poursuites n'est en effet pas le seul en cause... A cette occasion, j'avais été entendu, non pas en tant que député mais comme simple avocat, par la commission de contrôle de gestion qui avait envoyé deux députés, Jacques Béné et la regrettée Alexandra Gobet, qui ont pu voir dans mon étude environ deux cents dossiers - dont les clients m'avaient, bien entendu, libéré du secret professionnel - et je dois dire qu'ils se sont littéralement liquéfiés en les voyant.
Eh bien, il faut savoir, Mesdames et Messieurs les députés, que ce problème est toujours d'actualité ! En tant qu'avocat, je dépose plainte à peu près tous les trois jours contre l'office des poursuites, car, systématiquement, celui-ci ne donne pas suite aux réquisitions dont je vous parlais précédemment.
Aujourd'hui, le problème ne se situe ni au niveau juridique ni au niveau parlementaire: il s'agit d'un problème de compétence, comme l'a d'ailleurs souligné avec force la commission de surveillance de l'office des poursuites. Il faut engager des personnes compétentes, motivées, qui aient envie d'effectuer le travail qui leur est confié.
Or, c'est tout le contraire qui se passe aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés ! On a l'impression d'un laxisme permanent dans ces offices... J'ai d'ailleurs entendu des juges de la commission dire que les membres des offices des poursuites et faillites tombent systématiquement malades, quand on leur demande de remédier aux carences des offices, et ce malgré les décisions qui les sanctionnent ! C'est notoire ! Les juges de la commission de surveillance et même des préposés vous le diront: il est absolument impossible aujourd'hui de travailler avec l'office des poursuites et l'office des faillites !
Du reste, on constate un retard absolument incommensurable dans le traitement des faillites ! Et, même s'il n'y avait plus de nouvelles réquisitions ou de demandes de ventes aujourd'hui, il faudrait encore des années pour combler le retard ! Il n'est pas possible de travailler dans ces conditions, Mesdames et Messieurs les députés !
J'exhorte le Conseil d'Etat et, surtout, le département des institutions à trouver une solution, notamment changer le personnel des offices des poursuites et faillites et trouver des personnes plus motivées, qui ont envie de faire le travail avec compétence et conscience professionnelle qui devraient accompagner toute tâche.
Il faut se rendre compte que, dans le travail lamentable qui est effectué aujourd'hui, tout le monde est perdant ! L'Etat est perdant, car il paie effectivement des personnes qui sont très souvent malades, et les créanciers, à qui l'on doit de l'argent, attendent malheureusement des années - deux ou trois ans - pour obtenir le paiement des créances qui leur sont dues. Et, concernant la liquidation des faillites, c'est exactement la même chose: les créanciers perdent tout par manque de diligence.
La dernière décision rendue par la commission de surveillance est personnelle - j'avais demandé à l'office des poursuites de procéder à une saisie au mois d'octobre; j'ai écrit trois lettres à l'office des poursuites en disant qu'il y avait urgence pour des questions de péremption... Devant l'inaction totale de l'office, la commission a sanctionné à nouveau l'office - la décision a été prise le 24 février 2006 - pour ses carences, son manque de diligence, en soulignant que la loi est très précise, que les membres des offices des poursuites ont des délais pour agir et qu'ils ne peuvent pas régler ce type de procédures quand bon leur semble. Ce qu'ils font présentement et depuis fort longtemps, en tout cas depuis que je suis avocat, c'est-à-dire à peu près vingt-cinq ans !
Je pense qu'il n'y a malheureusement qu'en prenant des mesures énergiques - il faut secouer ce cocotier - qu'on évitera que les choses tournent mal ! En effet, à cause de ce laxisme et par effet boule de neige, des créanciers tombent en faillite, car ils ne retrouvent pas leurs créances. Même les débiteurs sont perdants, car, parfois, on saisit leurs biens avec un an, voire deux ans, de retard, alors qu'entre-temps ils sont tombés en faillite et ont rencontré eux-mêmes de gros problèmes personnels.
M. Pierre Kunz (R). Je ne voudrais pas, Mesdames et Messieurs les députés, que vous ayez - et le Conseil d'Etat non plus - le sentiment que ce qui a été dit par notre collègue de l'UDC ne correspond pas à une réalité constatée par plusieurs d'entre nous ici. J'aimerais juste confirmer que, s'il y a dans cette République un service qui est un exemple totalement négatif de l'image de la fonction publique, c'est bien les offices des poursuites et faillites !
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, on a entendu des choses bizarres dans ce débat... Je ne peux pas laisser dire que la fonction publique des offices des poursuites et faillites soit coupable ! Elle fait son travail, elle le fait bien et elle est motivée ! (Commentaire.) Oui c'est vrai, c'est la réalité !
Premièrement, le nombre de collaborateurs est insuffisant. Je veux bien accepter les critiques que vous formulez aujourd'hui, mais il faudra que vous en acceptiez les conséquences si une dotation supplémentaire en personnel vous est demandée. Deuxièmement, les offices des poursuites et faillites fonctionnent avec un nombre d'emplois auxiliaires, temporaires ou autres, trop élevé, plus élevé que dans n'importe quel autre service. Pour quelle raison ? Parce que, précisément, face à l'augmentation du travail - des milliers et des dizaines de milliers d'actes de poursuites - on a recouru à la solution des emplois temporaires, ce qui n'a jamais été, vous le savez bien, le meilleur moyen pour faire en sorte qu'un service soit efficace !
C'est pour cela qu'au début de cette intervention, j'entends exprimer à nouveau ma confiance aux deux préposés, aux collaborateurs des offices des poursuites et faillites, mais j'admets avec vous - Monsieur le député Wasmer et Monsieur le député Kunz - que le fonctionnement actuel ne correspond pas aux exigences légales. Nous en sommes parfaitement conscients ! Cela dit, avant de le reprocher aux offices des poursuites et faillites, faut-il encore leur donner les moyens d'accomplir leur mission.
Dans les problèmes évoqués, il y a celui du nombre et de la formation d'une partie du personnel, mais il y a aussi celui de l'organisation générale... Je ne suis pas sûr, Mesdames et Messieurs les députés, que la structure que nous avons votée il y a quelques années soit la plus opérante sur tous les points !
Il y a également - et bien entendu - la masse de travail qui augmente de manière inquiétante. A cet égard, un certain nombre de mesures préventives sont à l'étude, notamment de regrouper, dans les cas où l'Etat est créancier, plusieurs actes de poursuites sur la tête d'un même débiteur. Cela évitera qu'une personne qui - hypothèse regrettable - aurait quelques contraventions, des prestations et des impôts à payer, fasse l'objet de toute une série de poursuites, ce qui entraîne évidemment à chaque fois tout le processus des poursuites. Cela permettra de limiter la quantité de travail et cela simplifiera à la fois la tâche du créancier et celle du débiteur pour qui ce sera plus facile de gérer une seule poursuite que d'être submergé pas plusieurs. Un certain nombre de mesures sont donc prises à ce niveau, tout simplement pour réduire le nombre des poursuites.
D'autre part, vous le savez, nous constatons un phénomène inquiétant: l'endettement de la jeunesse. Sur ce point aussi, certainement en collaboration avec le département de l'instruction publique, nous allons essayer de lutter contre ce phénomène en s'attaquant aux causes de l'engorgement des offices des poursuites et faillites.
En ce qui concerne les aspects structurels, je ne suis pas en mesure de vous dire aujourd'hui quelles propositions je serai amené à vous faire. Mais vous avez pu observer que la «Task Force Faillites» a permis, en se concentrant sur un point qui était particulièrement grave il y a quelques années, d'arriver à de bons résultats. Cette «Task Force» a fini son travail, et nous allons refaire l'exercice sur ce qui constitue aujourd'hui le point noir le plus important de l'activité des offices, c'est-à-dire le retard dans le service des ventes. Nous allons donc concentrer nos efforts sur ce service, car c'est celui qui rencontre le plus de difficultés.
Pour ce qui est d'une amélioration générale souhaitable et nécessaire, j'y souscris ! Cela ne sera pas facile, cela nécessite des moyens, mais cela exige aussi, Mesdames et Messieurs les député - si vous me permettez l'expression - que vous ne «tiriez pas à vue» sur ceux qui aujourd'hui, dans des conditions extrêmement difficiles, font face à une masse de travail croissante !
Vous avez dit, Monsieur le député Wasmer, que ces personnes notifiaient à leur guise... Non, ce n'est pas vrai ! Parce qu'elles reçoivent plus de réquisitions de poursuites qu'elles ne peuvent en traiter, ce qui entraîne immanquablement un retard. Ce retard est inadmissible, mais il n'est pas correct de l'imputer aux personnes qui n'ont tout simplement pas les moyens matériels d'y faire face !
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, il est pris acte de ce rapport... (Le président est interpellé par Mme Sylvia Leuenberger.) Madame Leuenberger, vous avez la parole.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Ce rapport devait être renvoyé à la commission de contrôle de gestion, parce qu'après nous avons les auditions de la commission de surveillance et nous devons faire un rapport sur ce rapport !
Le président. Madame la députée, je prends acte de cette demande, que je vais mettre aux voix. Normalement, soit on prend acte des rapports, soit on les renvoie, mais cela fait l'objet d'une décision, non ?
Mme Sylvia Leuenberger. Il s'agit d'un rapport d'activités de la commission de surveillance ! L'année dernière, le rapport a été renvoyé à la commission de contrôle de gestion. Nous auditionnons les juges en charge de cette commission, puis le Conseil d'Etat, et, ensuite, nous faisons un rapport ! Il ne s'agit pas d'un rapport du Conseil d'Etat ni du Grand Conseil. Et, je le répète, l'année dernière, nous avons fait comme cela !
Le président. Selon ma compréhension du règlement du Grand Conseil, si un rapport ne donne pas lieu à un renvoi exprès, il en est nécessairement pris acte... Mais, puisque vous me le demandez formellement - j'interprète ainsi votre démarche, Madame la députée - je soumets votre proposition aux suffrages de cette assemblée, soit le renvoi de ce rapport à la commission de contrôle de gestion.
Mis aux voix, le renvoi du rapport divers 625 à la commission de contrôle de gestion est adopté par 61 oui (unanimité des votants).