Séance du
jeudi 15 décembre 2005 à
20h35
56e
législature -
1re
année -
3e
session -
11e
séance
PL 9081-A
Premier débat
M. Olivier Jornot (L), rapporteur de majorité ad interim. Ce projet de loi et le projet de loi qui fait l'objet du point suivant de l'ordre du jour ont été déposés en même temps par quelques députés de l'Alliance de gauche en septembre 2003. Ils ont tous deux pour objectif de remettre en cause la loi qui avait été précédemment votée par le Grand Conseil et qui supprimait les droits de succession entre conjoints et entre descendants en ligne directe.
Ces deux projets de lois - vous me permettrez, Monsieur le président, d'émettre quelques considérations qui valent pour les deux - présentent deux particularités qui les rendent tout à fait singuliers. La première de ces particularités, c'est que ces deux projets de lois n'ont pas été déposés, que ce soit sous forme de projet en tant que tel ou sous forme d'amendement, pendant les deux ans qu'ont durés les travaux de la commission qui étudiait le projet de loi sur la suppression des droits de succession entre conjoints et en ligne directe.
La deuxième particularité, c'est qu'ils ont été déposés entre le vote de la loi par le Grand Conseil qui est intervenue le 26 juin 2003 - loi supprimant ces droits de succession - et le vote populaire qui est intervenu en vertu du référendum obligatoire le 8 février 2004. Vous vous souviendrez peut-être qu'à cette occasion, le peuple avait accepté par 74,57% la suppression des droits de succession, tous les arrondissements sans exception approuvant la modification. Le peuple ayant parlé, la cause aurait dû être entendue; curieusement, les auteurs des projets de lois ne les ont pas retirés, raison pour laquelle il faut aujourd'hui statuer.
Je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à garder deux éléments en mémoire. Le premier élément, c'est qu'entrer en matière sur ces projets de lois reviendrait à réintroduire un nouvel impôt sur les successions entre conjoints et en ligne directe, puisque la suppression de cet impôt est désormais entrée en vigueur. Le second élément, c'est que cela reviendrait à bafouer la volonté populaire.
Permettez-moi de faire une allusion aux débats qui ont eu lieu devant ce même Grand Conseil à propos de l'IN 120, celle qui prévoit de sacraliser la législation sur le logement lorsqu'elle provient d'une initiative populaire. Ce Grand Conseil avait décidé d'opposer un contreprojet à cette initiative au nom du respect de la volonté populaire. Il est pour le moins curieux que les auteurs de ces projets de lois, qui soutiennent ces démarches en faveur de la volonté populaire, n'aient pas appliqué le même critère à leurs projets et ne les aient pas retirés.
Je vous invite à suivre les conclusions du rapport de majorité et à refuser la prise en considération de ce projet de loi.
Mme Mariane Grobet-Wellner (S), rapporteuse de minorité ad interim. Si je suis à cette table aujourd'hui, ce n'est pas parce que nous socialistes avons déposé ce projet de loi avec nos collègues de l'Alliance de gauche mais parce qu'aussi bien les socialistes que les Verts ont souhaité entrer en matière à l'égard de ce projet.
Les socialistes regrettent la façon dont cette proposition émanant des députés de l'Alliance de gauche a été traitée par la majorité de droite de la commission fiscale et constatent le désastre sur le plan des recettes de l'Etat, notamment consécutifs... (L'oratrice est interpellée.) Oui, ça vous gêne... notamment consécutifs... (L'oratrice est à nouveau interpellée.) ...un peu de sérieux, s'il vous plaît. Ecoutez-moi attentivement. Ils constatent le désastre sur le plan des recettes de l'Etat, notamment consécutifs à la diminution de l'impôt cantonal de 12%, suggérée et prétendue indolore par la droite qui, convaincant ainsi une majorité de la population à l'accepter, la déclarait même source de recettes supplémentaires dues à la ruée à Genève de nouveaux contribuables très aisés financièrement. Nous ne pouvons aujourd'hui que constater qu'il n'est rien de tout cela. Au contraire, depuis son introduction, cette baisse a privé l'Etat de près de deux milliards de recettes et plongé le canton dans des difficultés énormes pour faire face à ses obligations à l'égard des citoyens de Genève. En conséquence, nous avons dû assister à l'augmentation galopante de la dette correspondant grosso modo à la perte de recettes de deux milliards.
C'est précisément dans ce contexte et avec un souci de rétablissement des finances du canton que nos collègues de l'Alliance de gauche ont fait cette proposition. Dès lors prétendre, comme le fait le rapporteur de majorité, que l'Alliance de gauche ne présente pas de motifs à vouloir revenir sur une votation populaire est non seulement faux mais frise la mauvaise foi manifeste. (Manifestation dans la salle.)
Les socialistes ainsi que les Verts, tout en ayant des réserves sur les pourcentages et les paliers proposés, ont souhaité que ce projet soit étudié en commission. La droite, forte de sa majorité, n'a pas voulu entrer en matière ni même examiner ce projet. En résumé, vu l'état des finances de notre canton, les socialistes souhaitent pouvoir examiner ce projet et notamment obtenir une estimation chiffrée du résultat de différentes variantes.
Nous vous demandons donc de bien vouloir renvoyer ce projet de loi à la commission fiscale pour qu'une étude sérieuse soit menée.
Mme Janine Hagmann (L). Lors de leurs grandes envolées dans cette enceinte, les membres de l'AdG nous ont toujours habitués à apparaître comme les défenseurs des droits populaires, des droits démocratiques. Cette fois, ce qui explique d'ailleurs peut-être leur départ de cet hémicycle, c'est vraiment du mépris qui apparaît. Bafouer ainsi une votation populaire, trois mois à peine après son adoption, c'est se moquer de nos institutions. Mais peut-être que l'AdG a imaginé que 75% des votants en faveur de la suppression des droits de succession étaient tous affiliés au parti libéral ! Le jour où l'on apprend que Soleure baisse sa fiscalité, qu'Obwald fait du cannibalisme fiscal, que Zoug augmente encore son attractivité, ce serait un comble d'entrer en matière sur ce projet de loi qui pousserait encore des contribuables très intéressants à nous quitter.
Il est évident que le groupe libéral vous recommande de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi.
Mme Michèle Künzler (Ve). Ce projet de loi est, c'est vrai, bien tardif. Par ailleurs, nous avons regretté en commission d'être les seuls à proposer un rapport de minorité sur la question des successions. Nous nous abstiendrons sur ce projet de loi puisque nous pensons qu'il est important qu'il y ait un impôt sur les successions mais pas entre conjoints. Nous avons voulu valoriser une transmission plus rapide entre les générations, en favorisant l'exonération des donations.
Le peuple a voté, et je ne conteste pas cela, mais je pense que c'est une erreur dans la mesure où la valorisation de la transmission rapide entre les générations n'est pas faite. Nous avons voté quelque chose qui tient de l'ancien régime et il est étonnant que les libéraux favorisent cette exonération, car cela revient à valoriser l'accaparement, et en tout cas pas le mérite. C'est ce que nous avons voulu dénoncer: c'est dans les successions que nous pourrions avoir une fiscalité beaucoup plus lourde - parce que c'est ça, le vrai libéralisme - et en tout cas pas de favoriser toujours les mêmes, créant ainsi une élite qui se perpétue de génération en génération sans donner une place ni aux nouveaux ni au mérite. Votre vision des choses est un peu étonnante.
Pour nous, ce qui était également étonnant dans la manière de traiter les droits de succession et les donations, c'est qu'on n'a absolument pas révisé la loi. Pourtant cela fait plus de deux ans que la magistrate qui était en charge aurait pu entamer cette procédure, parce que la loi actuelle est une sorte de gruyère tailladé de partout. Le corps de la loi sur les droits de succession et les donations est complètement déstructuré. Il faut donc réviser cette loi et procéder à la fusion préconisée par le rapporteur de majorité. Il est dommage qu'on ait abrogé les droits de succession. On aurait pu mieux faire, malheureusement, cela ouvre sans doute la porte aux droits de succession fédéraux. Nous verrons bien ce qui se passera à ce moment-là.
Nous nous abstiendrons de voter, car nous pensons qu'il n'est pas mauvais qu'il y ait des droits de succession.
M. Roger Deneys (S). Pour revenir sur les propos du rapporteur de majorité ad interim, j'aimerais insister sur le fait qu'il n'y a pas d'opposition majeure au fait de déposer un projet de loi qui soit en contradiction avec une votation populaire antérieure. Cela fait partie du jeu législatif. Un autre référendum aurait pu abroger cette loi si elle avait été acceptée, ce n'est pas un véritable problème en soi. Maintenant, vous n'appréciez peut-être pas le calendrier.
Il faut quand même bien se souvenir que si, philosophiquement, on peut être pour la suppression des droits de succession, il faut aussi tenir compte de la réalité économique du canton, et notamment de sa réalité fiscale. Dans la situation actuelle, y compris avec la baisse d'impôts que vous avez appelée de vos voeux et qui a été acceptée par le peuple, vous avez nettement accentué les difficultés de ce canton. Dans ce sens-là, il me semble particulièrement responsable de trouver des nouvelles recettes, également d'un point de vue fiscal, et de reconsidérer des engagements qui ont été pris la tête dans le sac, de façon particulièrement inconsidérée.
D'ailleurs, vous vous plaisez à dire que le peuple a toujours raison; le jour où les libéraux proposeront une initiative qui s'appelle «moins 50%» ou alors «Tous millionnaires !», on peut être certains que le peuple l'acceptera mais ce sera assez difficile à réaliser, parce que les promesses n'engagent que ceux qui y croient. C'est comme la diminution d'impôts: personne n'en voit le résultat au niveau individuel, simplement tout le monde prévoit la baisse de qualité des prestations de l'Etat et tout le monde voit l'augmentation de la dette, au quotidien.
Je vous invite donc à accepter le renvoi de ce projet de loi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9081 à la commission fiscale est rejeté par 56 non contre 18 oui.
M. Alberto Velasco (S). Mesdames et Messieurs les députés libéraux, vous devriez changer de nom car c'est le retour au Moyen-Age. Les libéraux, éclairés à l'époque, voyant la bourgeoisie parasitaire qui, sans avoir versé une seule goutte de sueur ou avoir pensé un minimum, recevait des acquis et des outils de production, inventèrent justement le droit de succession conçu pour favoriser le capitalisme... (Manifestation dans la salle.) Oui, Mesdames et Messieurs, le capitalisme éclairé. Et voilà que ces mêmes libéraux, aujourd'hui rétrogrades et archaïques, nous proposent d'éliminer quelque chose que leurs ancêtres bien éclairés nous avaient... comment dire...
Une voix. ... légué.
M. Alberto Velasco. Merci, cher collègue: que leurs ancêtres nous avaient légué. Voilà la classe de libéraux que nous avons aujourd'hui. Monsieur le président, je suis sûr que vous êtes quelqu'un de plus éclairé que ceux-ci, vous connaissant. (Rires. Commentaires.) Mais, Monsieur Weiss, vous êtes vraiment à la limite du supportable, parce que vous qui constamment, à la commission des finances, nous abreuvez de vos paroles de libéral, à propos de l'entreprise et de la concurrence, vous devriez vous opposer à cela. Trouvez-vous normal que, par exemple, quelqu'un reçoive une industrie en pleine croissance à laquelle il n'a même pas participé ? Trouvez-vous normal que cette personne reçoive un tel outil de travail, sans avoir participé à son élaboration, Monsieur Weiss ?
Vous faites les pitres, vous les libéraux, mais c'est dommage, car c'est un sujet qui touche les citoyens genevois. En réalité, non seulement vous mettez en question les recettes de caisse de l'Etat mais vous mettez également en question quelque chose de fondamental: la transmission des outils de production entre générations. C'est cela que ce projet de loi remet en question et c'est en cela qu'il est rétrograde. Par conséquent, nous voterons évidemment contre ce projet de loi. Mais je suis étonné, parce qu'aujourd'hui, avec la composition de ce Grand Conseil, n'importe quelle imbécillité, n'importe quelle attaque magistrale peut passer.
Le président. Merci, Monsieur le député. Après cette déclaration d'amour de M. Velasco aux libéraux, je donne la parole à M. Gilbert Catelain.
M. Gilbert Catelain (UDC). Je voudrais inviter mes collègues à refuser ce projet de loi pour une raison simple: nous ne sommes pas dans un esprit de socialisation totale de la société. Nous ne sommes pas pour une politique qui vise à détruire l'outil de travail, parce que le plus gros problème que les PME rencontrent est de permettre de transmettre l'outil de travail. Or toute fiscalisation de l'outil de travail met en péril la pérennité des entreprises. Par ailleurs, je crois que le bon peuple suisse nous a montré ce week-end, en votation populaire à Obwald, qu'il fallait faire preuve d'une certaine concurrence fiscale et qu'il ne fallait surtout pas pénaliser les citoyens de ce canton, car ils pourraient trouver un intérêt fiscal sous d'autres cieux plus cléments. Cela se ferait évidemment au détriment du canton de Genève et pas de certains cantons, qui ont très bien compris l'intérêt qu'ils pourraient tirer d'une fiscalité attractive, notamment pour le canton d'Obwald au niveau de l'imposition des entreprises, à un taux de 6 ou 7%. On en est ici encore loin.
Nous avons encore beaucoup d'efforts à faire pour que Genève devienne plus attractive, que les gens aient l'envie d'investir et de créer. Nous devons surtout inviter la population genevoise à prendre des risques, à faire preuve de créativité et non pas faire planer au-dessus d'elle le spectre de l'épée de Damoclès de la fiscalité qui, chaque fois qu'elle aura gagné un franc, imposera qu'elle en restitue 40 centimes voire plus. L'optique prise par l'Entente et l'UDC en matière de fiscalité est la seule voie à suivre. Il n'y en a malheureusement pas d'autre.
Ce projet de loi ne mérite que le classement vertical. Je crois que ce sera fait dans quelques minutes, et je vous en remercie.
Mme Michèle Ducret (R). Je voudrais quand même vous rappeler que cette votation sur les droits de succession a été emportée par 75% des voix, dans tous les arrondissements électoraux de Genève. Ce sont aussi vos électeurs qui ont accepté la suppression des droits de succession pour les héritiers en ligne directe et les conjoints. Je trouve que c'est un peu bafouer leur volonté que de revenir sur cela moins d'un an plus tard et de vouloir rediscuter des droits de succession.
Le peuple a été clair et s'il revotait aujourd'hui, il voterait exactement de la même manière. Par conséquent je pense qu'il ne faut réserver à ce projet que le sort que la commission lui a réservé. (Applaudissements.)
M. Roger Deneys (S). J'aimerais juste répondre à ce dernier argument qui consiste à dire que, parce que ce vote a eu lieu il y a une année, on ne peut pas revenir dessus.
Vous semblez ignorer - comme on l'a dit - que les finances du canton vont particulièrement mal... (Remarques. Brouhaha.) Une réalité à l'année x n'est pas la même à l'année x + 1, + 2 ou + 3. En conséquence, on peut prendre des mesures pour essayer de changer le paradigme dans lequel on vit. Ce n'est pas ce que vous êtes en train de faire. Vous dites en effet: «C'est comme ça et, d'ailleurs, les autres cantons accordent des rabais fiscaux supplémentaires.» C'est franchement le fait d'une attitude complètement suicidaire. Ce qui va se passer avec la Suisse c'est que, comme Nidwald a baissé ses impôts, vous allez proposer de les baisser également à Genève. Résultat des courses, Nidwald va les baisser encore plus. Mais Nidwald n'est pas un canton frontalier et n'a pas d'hôpital cantonal. Par conséquent, c'est la République et canton de Genève qui se retrouvera dans une situation toujours plus difficile et, en plus, comme vous le savez peut-être, parce que vous lisez sûrement les journaux, avec des conséquences au niveau européen, puisque l'Union européenne s'inquiète beaucoup de cette politique des rabais fiscaux en Suisse, dont je pense que nous paierons les frais, à terme.
J'aimerais aussi rappeler à Mme Ducret que les socialistes étaient pour le renvoi en commission afin d'étudier une entrée en matière sur ce projet de loi et pour, éventuellement, réintroduire un impôt sur les droits de succession dans la conjoncture actuelle en tout cas. Ce n'est pas forcément pour dire que nous voulons revenir à la situation antérieure à la votation populaire; mais cela mérite, compte tenu des finances publiques, d'entrer en matière sur ce projet de loi. Nous vous invitons donc à l'accepter.
Le président. Je mets aux voix la prise en considération de ce projet de loi. Le vote est lancé. (Le président est interpellé.) L'appel nominal est demandé ? C'est trop tard.
Mis aux voix, le projet de loi 9081 est rejeté en premier débat par 47 non contre 15 oui et 17 abstentions.