Séance du vendredi 7 octobre 2005 à 14h
55e législature - 4e année - 12e session - 70e séance

M 1444-B
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Ville de Genève : Tunnel du Mont-Blanc : contre une réouverture irresponsable au trafic des poids lourds

Débat

Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, rappelons-nous: en 1999, trente-neuf personnes périssaient dans un incendie provoqué par un camion dans le tunnel du Mont-Blanc ! Depuis, la sécurité dans ce tunnel n'est toujours pas assurée... En effet, les voies de circulation ne mesurent que 7 mètres de large, au lieu des 9 mètres exigés par les normes européennes. Les galeries de secours sont beaucoup trop étroites: 1,40 mètre, alors que celles du tunnel du Gothard en font 4.

Mais il faut aussi tenir compte d'une autre forme d'insécurité: je veux parler de celle liée à la santé des habitants de la vallée de Chamonix. N'oublions pas que 2000 camions par vingt-quatre heures transitent par le tunnel du Mont-Blanc ! Jour et nuit ! La pollution atmosphérique qui émane de cet effroyable transit a un impact considérable sur la santé des habitants.

Et là, je ne peux m'empêcher de citer quelques chiffres fournis par l'OMS: 17 600 personnes meurent chaque année à cause de la pollution atmosphérique liée à la circulation routière !

A cela, il faut ajouter 18 700 hospitalisations; 20 400 bronchites chroniques; 250 000 bronchites chez les moins de 15 ans... Voilà de quoi réfléchir !

Devant ces problèmes liés au trafic poids lourds, que dire si ce n'est notre désarroi face à l'incapacité du Conseil d'Etat à faire entendre la voix de la raison auprès des autorités française et italienne !

Il est évident que le Conseil d'Etat doit impérativement prôner l'exemple de la Suisse, qui a su traverser les Alpes et transférer une grande partie du trafic routier sur les rails.

Du côté suisse, nous avons aussi la possibilité d'agir localement face aux problèmes liés au transport routier. Nous devons sensibiliser la population aux problèmes d'énergie et de rejet de CO2 dans l'atmosphère et lui expliquer toute l'importance de consommer des produits locaux pour éviter tout transport inutile. Acheter des tomates genevoises plutôt que hollandaises, boire du jus de pommes plutôt que du jus d'oranges de Floride: voilà des moyens simples et efficaces pour lutter contre les aberrations d'une consommation dévoreuse d'énergie et génératrice de pollution ! (Brouhaha.)

Pour l'anecdote, les pains précuits «Délifrance» vendus à Genève sont transportés par la route depuis les Pays-Bas... Voilà bien une des aberrations dont je parle !

Les Verts encouragent le Conseil d'Etat à défendre énergiquement le transfert modal et à agir pour la sauvegarde des Alpes au sein du conseil d'administration des sociétés concessionnaires italienne et française. Nous proposons aussi que le Conseil d'Etat informe régulièrement le Grand Conseil des actions entreprises au sein dudit conseil d'administration, comme il l'a déjà fait le 22 décembre 2004.

M. Christian Brunier (S). Je suis tombé sur une déclaration de l'un des pompiers qui est intervenu lors de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc... Il disait: «Faire preuve de respect pour les victimes, ce n'est pas seulement déposer des gerbes, c'est aussi tout faire pour assurer une sécurité optimale.»

Le Conseil d'Etat nous dit dans son rapport qu'il entend maintenir sa présence au sein des conseils d'administration des sociétés concessionnaires pour s'assurer que les prescriptions en matière de sécurité soient respectées. J'étais donc rassuré... J'étais convaincu que le Conseil d'Etat agissait dans ce sens. Mais le Conseil d'Etat nous dit aussi, je cite: «...que, dans ce dossier, l'action du Conseil d'Etat est fortement limitée du fait qu'il s'agit d'un ouvrage situé hors du territoire national, dont les sociétés concessionnaires dépendent fortement de leurs ministères respectifs...»

Nous devons donc nous demander s'il est utile de siéger dans ces conseils d'administration, s'il est utile d'être complices de ce qui se fait dans ce tunnel... Je vous rappelle que les normes de sécurité ne sont actuellement toujours pas conformes. En effet, la galerie d'évacuation indépendante qui devait être construite au lendemain de la catastrophe - c'était le temps des belles promesses - est en fait une gaine d'aération étroite qui a été transformée en galerie d'évacuation, ce qui n'est pas acceptable !

Cela a aussi été évoqué: le tunnel a été construit en 1950. Il a été conçu pour le passage de voitures: ses voies font 7 mètres de large seulement... Il n'est pas du tout conçu pour le passage de poids lourds, qui sont de plus en plus nombreux et qui sont de plus en plus grands ! Je vous le rappelle, 780 000 camions passent encore chaque année dans ce tunnel, ce qui fait courir des risques très importants.

Je vous le rappelle aussi, au lendemain de la catastrophe, des promesses nous ont été faites: on parlait de circulation alternée, de la construction d'un deuxième tube... Aujourd'hui, on constate que rien n'a été fait ! Et l'influence de Genève sur la sécurité, on peut le dire, est quasi nulle... Paradoxalement, en restant dans le conseil d'administration de ces sociétés, nous cautionnons ce qui se fait, ce qui nous rend fortement responsables. Et nous ne pouvons pas accepter que les normes de sécurité soient aussi peu respectées. Les seules améliorations qui ont été apportées concernent la circulation des voitures et pas du tout des poids lourds.

Nous pourrions penser qu'il est utile de rester au sein de ces conseils notamment pour des questions environnementales, mais, sur ce point aussi, le constat est redoutable, les normes européennes en la matière ne sont toujours pas respectées aujourd'hui ! Le Grand Conseil ici présent demandait, quasiment unanimement, que les camions empruntant ce tunnel respectent au moins les normes de l'Union européenne... Tel n'est pas le cas, à ce jour ! De nombreux camions, en provenance notamment des pays de l'Est de l'Europe, ne respectent pas les normes minimales de l'Union européenne !

Autre point: le ferroutage. Nous avions beaucoup d'espoir qu'il y ait un transfert des camions sur le ferroutage... A l'heure actuelle, les projets sont pratiquement inexistants ! Entre autres à cause des Italiens... Nous le savons très bien, la plupart des politiques italiens - de la gauche jusqu'à la droite - qui ont des participations à des conseils d'administration des autoroutes n'ont aucune volonté sérieuse de faire du ferroutage en Italie...

Dernière chose: des mesures de protection contre le bruit devaient être prises, ainsi que pour l'air, dans un univers tout à fait exceptionnel, soit l'espace du Mont-Blanc. Il faut bien constater qu'au niveau de la protection contre le bruit et contre la pollution la situation est toujours plus que médiocre.

C'est pourquoi je demande au Conseil d'Etat de bien réfléchir quant à sa participation... Pouvons-nous continuer à accepter de siéger dans un conseil d'administration qui ne prend aucune mesure de protection environnementale et qui prend des mesures de sécurité dérisoires par rapport aux risques encourus ? Je ne voudrais pas être à la place du Conseil d'Etat en cas de nouvelle catastrophe, car les promesses faites au lendemain de la catastrophe par le conseil d'administration des sociétés, par le gouvernement italien et par le gouvernement français, n'ont pas été tenues ! C'est un scandale ! Je crois que le mot est faible.

M. Gilbert Catelain (UDC). Je ne reviendrai pas sur le débat pour savoir si ce Grand Conseil est habilité à traiter de politique étrangère ou pas... Mais, comme nous sommes représentés dans le conseil d'administration de ces sociétés, nous pouvons comprendre qu'il le fasse.

Cela étant, la société dans laquelle nous vivons comporte des risques. Etant donné le nombre de poids lourds qui transitent dans ce tunnel, la catastrophe future est programmée, elle aura lieu, la question est de savoir à quelle date - et nous la cautionnons d'une manière ou d'une autre - malheureusement, c'est comme cela ! Pourtant, les accidents qui surviennent dans un tunnel - il y en a eu dans le tunnel du Gothard récemment - peuvent être maîtrisés. On ne peut qu'espérer que les mesures qui ont été prises permettront d'éviter le carnage d'il y a quelques années.

Je pense que cette motion... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)... à elle seule, ne va pas résoudre le problème de la sécurité et du transport poids lourds... Nous le savons, le tunnel du Fréjus a été fermé suite à un accident et le trafic a été reporté sur le tunnel du Mont-Blanc, seule possibilité de report, la Suisse, dans le cadre de sa souveraineté, ayant refusé un report sur le tunnel du Grand-Saint-Bernard ou sur celui du Gothard. Nous avons encore la chance en Suisse d'avoir une certaine souveraineté en matière de transport et de pouvoir limiter le flux de véhicules qui transitent à travers les Alpes. Nous devons en être conscients et, à la fois, en être fiers.

Toujours concernant cette motion, une invite aurait pu être ajoutée pour renforcer le contrôle des chauffeurs de poids lourds. Je citerai un seul exemple: cette année, contrairement aux autres années, des compagnies de transports européennes emploient des chauffeurs des pays de l'Est de l'Europe dont certains n'ont tout simplement pas de permis de conduire ou sont en possession de permis falsifiés ! C'est une nouvelle tendance que nous avons pu constater à la frontière helvétique: les contrôles, pour les raisons que vous savez, ne sont pas forcément effectués au sein de l'Espace Schengen. Vous pourrez alors vous soucier du futur règlement qui est actuellement en consultation au sein des pays membres de l'Espace Schengen, qui préconise que les contrôles dans les zones frontalières ne soient pas plus denses que ceux qui sont effectués à l'intérieur du pays. A l'avenir, donc, les contrôles effectués sur les compagnies de transports seront restreints, ce qui augmentera considérablement les risques d'accident - indépendamment de l'autorisation ou non de circuler dans le tunnel du Mont-Blanc. Et nous devons jouer de notre souveraineté sans mettre en difficulté le Conseil d'Etat vis-à-vis de l'Etat français.

Finalement, la seule solution qui nous reste, me semble-t-il, c'est de nous retirer du conseil d'administration de ces sociétés, puisque - nous le voyons bien - nous n'avons pas la volonté d'agir et que notre pouvoir sur le conseil d'administration de ces sociétés est relativement faible.

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, le Bureau vous propose de clore la liste. Sont encore inscrits: M. Pierre Weiss, M. Christian Brunier et M. le conseiller d'Etat.

M. Pierre Weiss (L). Sur certains ponts de San Francisco des accidents de voitures se produisent, et notre Conseil d'Etat n'est pas représenté dans l'administration des routes de Californie... Et donc, il est plus difficile pour certains de faire une motion pour les accidents survenus en Californie...

En revanche, au tunnel du Mont-Blanc, notre Conseil d'Etat est représenté et, en l'occurrence, le département rapporteur - celui de l'aménagement - relève l'avantage qui existe - non seulement pour notre canton, mais également pour les personnes, dont des Genevois qui traversent le tunnel du Mont-Blanc pour aller goûter les délices de la cuisine italienne ou d'autres délices capouans, par ailleurs - à agir efficacement dans le sens d'une sécurité optimale au tunnel du Mont-Blanc !

Alors, de deux choses l'une: soit l'on considère que l'action du Conseil d'Etat - en l'occurrence du magistrat responsable issu de vos propres rangs, Monsieur Brunier - est inefficace, et, à ce moment-là, autant le dire clairement et se retirer de ce conseil d'administration, soit, au contraire, il faut faire confiance à l'action du Conseil d'Etat.

Et les libéraux, en cette matière, ont une confiance totale dans l'action menée par M. Moutinot ! (Exclamations.)

M. Christian Brunier (S). Je voudrais tout de même réagir aux propos de l'UDC. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Premièrement, vous faites preuve d'un grand fatalisme en disant que, de toute façon, une autre catastrophe est inéluctable, que le risque zéro n'existe pas... On peut se montrer fataliste quand il n'y a pas de solutions, mais, en l'occurrence, il y en a ! On les connaît: il faut sortir de la logique du profit économique pour adopter une logique de sécurité et environnementale. Il faut aussi entreprendre un vrai travail pour passer au ferroutage: c'est l'avenir ! A l'heure actuelle, les camions circulent du sud de l'Europe au nord de l'Europe sans discontinuer. La politique de déplacement est complètement aberrante, d'un point de vue écologique et également d'un point de vue économique: c'est là qu'il faut résister et faire en sorte que les choses changent ! Et il semble possible d'insuffler une autre politique dans ce domaine.

Je n'ai pas dit que le gouvernement ne faisait pas son travail et manquait de volonté... Nous savons bien que les autorités genevoises, aussi bien à travers la Ville de Genève qu'à travers l'Etat de Genève, oeuvrent pour la sécurité et l'environnement ! Néanmoins, le bilan n'est pas très lourd en ce qui concerne le tunnel du Mont-Blanc et on ne peut que constater que le pouvoir d'influence du gouvernement est relativement faible au sein du conseil d'administration de ces sociétés. A partir de là se pose la question de la responsabilité... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Peut-on siéger dans un conseil d'administration quand on a une influence quasiment nulle, tout en portant une très grande responsabilité en cautionnant le manque de sécurité et le manque de mesures environnementales ?

C'est la question qu'il faut se poser, Monsieur Weiss, et ce n'est pas par défiance vis-à-vis du gouvernement !

M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Vous avez eu l'occasion à plusieurs reprises d'aborder la question de la sécurité dans le tunnel du Mont-Blanc. Vous l'avez fait fort bien en déposant un certain nombre de textes qui ont été travaillés par votre commission des affaires communales, régionales et internationales. La motion que nous traitons remonte à l'époque où les communes étaient en droit d'en déposer. Celle-ci a été déposée par la Ville de Genève, elle demande que l'Etat veuille bien intervenir dans le sens de la sécurité, d'un trafic modéré, d'une protection de l'environnement. Et vous nous avez renvoyé cette motion.

Notre action est dans la droite ligne de cette motion, puisque toutes les interventions de l'Etat de Genève au sein du conseil d'administration des deux sociétés - la française et l'italienne - vont dans le sens de la politique fédérale tendant à transférer le trafic transalpin sur le rail. Toutes nos interventions en matière de sécurité sont allées dans le sens du respect des normes européennes, italiennes ou françaises, selon les cas ! Nous avons donc très rigoureusement exécuté le mandat que vous nous avez confié, déjà par des actes antérieurs à celui-ci.

Vous demandez une fois de plus si notre présence au sein de ce conseil se justifie. A mon sens, c'est le cas ! Et l'argument selon lequel nous porterions une responsabilité me paraît quelque peu, Monsieur le député Brunier, jésuitique ! Vous partez du principe qu'il vaut mieux ne pas faire partie de ce conseil sous prétexte qu'il prend de mauvaises décisions; pour ma part, je préfère continuer à en faire partie, ne serait-ce que pour influencer certaines décisions de toutes nos forces, même si, je vous l'accorde, les résultats ne sont pas toujours spectaculaires. Quoi qu'il en soit, nous ne nous lavons pas les mains de cette affaire et nous nous battons pour améliorer la situation. Et puis, tout de même, les résultats obtenus globalement ne sont pas aussi catastrophiques que vous l'indiquez, même si je partage tout à fait votre analyse selon laquelle ils sont insuffisants à ce jour.

Dernier argument qui plaide en faveur de notre maintien au sein de ces conseils, c'est que nous sommes embarqués dans une affaire de politique régionale, de politique européenne. Il serait donc tout de même saugrenu que nous laissions nos voisins français et italiens dans une situation difficile - parce qu'il n'y a pas de solution miracle pour creuser un autre tube demain matin - que nous les laissions tout seuls et que, parallèlement, nous les critiquions en disant qu'ils ne font pas les choses comme ils le devraient. A mon avis, je vous le répète, nous devons rester dans ces conseils, tout en sachant les limites de notre action.

C'est la position que vous nous aviez demandé d'adopter dans les objets précédents à ce sujet: de faire preuve de la plus grande fermeté et d'agir autant que nous le pouvions. Du reste, une partie de ces interventions sont plus du fait de la Confédération que du canton. Nous jouons notre rôle: nous pouvons nous exprimer en tant qu'actionnaires, mais, dès lors que le problème relève de politique européenne des transports, il tombe sous le sens que c'est le Conseil fédéral qui doit intervenir pour avoir une certaine portée. Et nous savions bien que les choses devaient se passer ainsi.

Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, ce que je me devais de préciser. Je remercie tous ceux qui ont rappelé que la problématique de la sécurité des transports, en particulier dans les tunnels, et la problématique des atteintes à l'environnement qui lui sont liées ne sont, et de loin, pas résolues aujourd'hui. Nous devons continuer à nous atteler à cette tâche avec toute l'énergie nécessaire.

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.