Séance du vendredi 2 septembre 2005 à 10h
55e législature - 4e année - 10e session - 61e séance

M 1578
Proposition de motion de Mmes et MM. Laurence Fehlmann Rielle, Stéphanie Nussbaumer, Jean Rossiaud, François Thion, Jocelyne Haller, Christian Brunier, Jeannine De Haller, Thierry Charollais, Christian Grobet, Françoise Schenk-Gottret, Sami Kanaan, Anne Mahrer, Michèle Künzler, Salika Wenger, Ariane Wisard-Blum, Rémy Pagani, Jacqueline Pla, Alain Charbonnier, Sylvia Leuenberger "Halte aux enfants-soldats !"

Débat

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Je vous rappellerai que cette motion avait pour objectif de s'élever contre l'ordonnance fédérale sur les tirs hors service, qui a pour but d'abaisser l'âge de participation des enfants à des tirs au fusil d'assaut à dix ans au lieu de treize.

Il est vrai que cette motion a été déposée il y a déjà une année et demie. A l'époque, le conseiller national Ueli Leuenberger avait déposé une motion demandant au Conseil fédéral de revenir sur cette décision. Cette motion a été rejetée en mars 2004. C'est pour cela que la première invite de la motion actuelle est malheureusement obsolète. Par contre, la motion comprend d'autres invites qui concernent le niveau cantonal puisqu'elles s'adressent au gouvernement en lui demandant de prendre des mesures pour dissuader les sociétés de tir de proposer ce genre d'activités à des enfants.

Il nous paraît en effet choquant de permettre à des enfants, dès l'âge de dix ans, de tirer au fusil d'assaut, voire de les y inciter. Nous pensons qu'il y a une large palette d'activités proposées à des enfants, qui peuvent également permettre de développer des compétences telles que l'habileté, la maîtrise de soi ou la concentration. Il n'est donc pas nécessaire d'inciter des enfants à faire du tir au fusil d'assaut.

Je rappelle aussi que, dans un nombre croissant de pays, on dénonce le phénomène des enfants-soldats. Nous trouvons parfaitement inadéquat dans ce contexte de promouvoir ce genre d'activité pour des enfants si jeunes.

C'est pourquoi je vous propose de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat pour que l'on puisse traiter les quatre invites qui concernent le niveau cantonal.

Mme Jocelyne Haller (AdG). Je confirme ce que vient de dire Mme Fehlmann Rielle concernant la prise en compte des trois dernières invites. J'aimerais simplement ajouter qu'il y a beaucoup à dire sur l'objet de cette proposition de motion; je me cantonnerai à n'évoquer qu'une image: imaginez un enfant de dix ans, le vôtre peut-être, un fusil d'assaut à la main, et réfléchissez à ce qu'évoque cette image !

Est-ce le message que vous voulez donner aux enfants? Voulez-vous qu'ils s'associent à ces autres enfants-soldats, amputés de leur enfance, «instrumentalisés» dans de sales guerres - pour autant que certaines guerres ne le soient pas !

L'usage des armes de guerre ne doit en aucun cas être banalisé et faire partie du quotidien des enfants sous prétexte, comme le rappelle cette proposition de motion, d'acquérir précision, concentration et maîtrise de soi. Il y a tout de même des moyens moins belliqueux et moins connotés de parvenir au même résultat. Il est des glissements, des tolérances, qui ne sont pas concevables.

«Enfants et armes de guerre» forme une association d'idées contre-nature contre laquelle l'Alliance de gauche vous invite à vous élever. C'est pourquoi elle vous engage, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

M. Jean Rossiaud (Ve). Les considérants de la motion 1578 - qui a été déposée par le parti socialiste, les Verts et l'Alliance de gauche dans ses différentes tendances - sont assez clairs. On offre la possibilité à des enfants de dix ans de participer à des concours de tir au fusil d'assaut.

On parle d'enfants de dix ans et on parle de fusils d'assaut, c'est-à-dire, d'armes de guerre. Une arme de guerre. Quel signal veut-on donner aux enfants, aux adolescents et à leur famille ? Qu'il faut en tout temps être prêt à se défendre ? Et à se défendre avec des armes ? Avec des armes de guerre, des fusils-mitrailleurs, par exemple ? Et contre quel envahisseur, contre quel ennemi intérieur ? Quel message veut-on donner aux personnes sujettes au sentiment d'insécurité, aux personnes âgées, par exemple? Que le citoyen-soldat, en l'occurrence, l'enfant-soldat, est prêt à les défendre, ou alors que c'est l'insécurité maximale, la lutte de tous contre tous, le far-west généralisé, qui seront demain notre quotidien ? Quel message veut-on donner aux militants des Droits de l'Homme et aux défenseurs du droit international, aux militants pour une éducation à la paix dans tous les pays en guerre, et ici à Genève en particulier, parmi les organisations internationales et les ONG ? Que former des enfants au maniement des armes et à la préparation à la guerre est une politique respectable ?

Quand je me suis engagé au CICR, à la fin des années 1980, plusieurs de mes connaissances de l'époque disaient que le CICR était le service après-vente de Bührle, le marchand d'armes. Ils n'avaient tort qu'en partie, parce qu'une politique humanitaire n'est moralement défendable que si elle repose sur une politique de promotion de la paix, de promotion de la non-violence et de prévention des conflits.

La République et canton de Genève, en raison notamment de sa spécificité internationale, doit, par son Conseil d'Etat - et c'est pour cela que nous demandons le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat - mais aussi par son Grand Conseil, se démarquer fondamentalement de la politique fédérale en la matière et refuser que cette réglementation soit appliquée sur son territoire. Plus que cela, le Conseil d'Etat doit publiquement s'opposer à la politique fédérale en la matière. Arrêtons de jouer avec le feu, ne formons pas les enfants aux armes; formons-les au respect mutuel, au dialogue et à la non-violence ! Tel doit être, à mon avis, notre morale collective.

La présidente. Le Bureau vous propose de clore la liste. Sont encore inscrits: MM. Claude Aubert, François Thion, Patrick Schmied, Robert Iselin et la présidente du Conseil d'Etat, Mme Martine Brunschwig Graf.

M. Claude Aubert (L). Voir des enfants-soldats tout comme voir des enfants apprendre à tuer est bien évidemment une ignominie. Malheureusement, je ne pourrai toutefois pas soutenir cette motion, parce qu'elle contient, à l'insu de celles et ceux qui l'ont signée, bien sûr, une mystification extrêmement dangereuse.

Prenez le point 3 des considérants, où il est indiqué: «Considérant qu'il importe d'élever les enfants dans un esprit de paix et de tolérance afin de les préparer à prendre pleinement leur place dans la société». Imaginons un instant un enfant qui a appris la paix et la tolérance; voyez-le prendre ses responsabilités dans la société ! De toutes parts, on nous dit que la société est violente, qu'il y a des conflits, et on aimerait que l'enfant intègre l'idée qu'il devrait être hors de la gestion de la violence.

Avez-vous déjà vu, dans un jeu de Game Boy ,un petit Adrien ou une petite Camille prendre des fleurs pour les mettre dans un vase à l'intention de maman? Eh bien, ce jeu ne se vendrait jamais. Que voit-on ? On voit que l'on alimente l'imaginaire des enfants avec des jeux d'une violence absolument considérable. On joue sur leur imaginaire.

Il est évident que les enfants doivent apprendre la tolérance et l'esprit de paix. Mais si un enfant arrive au jardin d'enfants et que, le premier jour, il y a déjà un conflit, cet enfant se dira: «Je ne comprends pas, on m'a dit que le monde était gentil». Ensuite, il arrive à l'école primaire et dans les préaux, il y a les premières bagarres. L'enfant se dira alors: «Le monde devrait être gentil. A la limite, ce monde ne m'intéresse pas». Ensuite, il fréquente le cycle d'orientation et le collège pour, enfin, s'insérer dans la vie réelle. En arrivant dans la vie réelle, si vous n'avez pas appris qu'il y a des conflits, si vous n'avez pas appris qu'il y a des tensions, tout simplement: soit vous êtes complètement hors circuit, soit vous déprimez, soit vous refusez d'être dans ce monde.

Par conséquent, si la violence fait partie de notre nature, notre objectif est d'aider les enfants, les adolescents et les grandes personnes à acquérir une maîtrise de leur violence. On ne doit pas leur dire que le monde «il est beau, il est gentil»; il faut leur dire que le monde est plein de conflits, plein de tensions et que l'on doit apprendre à gérer sa violence.

Par conséquent, en leur faisant manier une arme à dix, onze ou douze ans, on joue beaucoup moins sur l'imaginaire des enfants que ne le font les Game Boy que vous tous avez offerts à vos enfants ou à vos petits-enfants. Quand on travaille avec la réalité des armes, on fait bien plus de prévention qu'en mystifiant des enfants en leur faisant croire que le monde est géré par la paix et la tolérance.

Une voix. Bravo !

La présidente. La liste est close. Madame Haller et Monsieur Rossiaud, je ne peux malheureusement pas prendre en compte votre inscription.

M. François Thion (S). Mon cher collègue Aubert, voilà quelqu'un qui s'amuse avec des armes, comme vous le souhaitez ! (Il montre une photographie.)Ils sont 300 000 enfants dans le monde... (Chahut.)...qui utilisent des armes.

Mme Janine Berberat. Mauvaise foi !

M. François Thion. Ce sont des enfants parfois en dessous de l'âge de dix ans.

Dans cette motion, le troisième considérant rappelle tout d'abord que la Suisse fait partie des Nations Unies et qu'en mai 2000 l'Assemblée générale de l'ONU a adopté un protocole additionnel sur la Convention des droits de l'enfant, appelant les gouvernements à empêcher la participation aux conflits armés de tout soldat de moins de dix-huit ans.

Quand on dénonce à l'ONU, dont la Suisse fait partie, le fait que des enfants soient utilisés dans des armées régulières ou dans des armées rebelles pour faire la guerre; quand on connaît le nombre d'enfants utilisés dans des guerres au Liberia, en Côte d'Ivoire, en Sierra Leone - des enfants qui, très souvent, ont dû quitter leur famille, des enfants parfois orphelins et qui viennent, la plupart du temps, des catégories les plus pauvres de la population; quand on dénonce tous ces faits, comme l'a fait Amnesty International, on ne peut pas ensuite tolérer qu'en Suisse et à Genève, ville internationale, des enfants de dix ans puissent manipuler des armes.

Vraiment, je ne comprends pas ce que M. Aubert a essayé de nous dire tout à l'heure. Je vous demande donc de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

M. Patrick Schmied (PDC). Les gentils initiants de cette motion ne se sont pas rendu compte, je crois, à quel point son titre est une véritable insulte aux vrais enfants-soldats qui existent dans le monde, dont M. Thion nous a montré une touchante photo. Je ne sais pas si vous êtes déjà allés dans un de nos stands de tir - peut-être pas - mais quand vous comparez la réalité des enfants-soldats avec la réalité de nos stands de tir, c'est un rapprochement proprement scandaleux !

Une voix. Bravo !

M. Patrick Schmied. M. Aubert a très bien parlé de la partie éducative, je ne vais pas répéter ce qu'il a dit, même si j'y adhère tout à fait.

J'aimerais par contre vous demander, une fois que l'on aura balayé cette petite motion qui vous a fait plaisir, que vous nous rejoigniez pour interdire les jeux vidéo que tous nos enfants utilisent et dans lesquels il s'agit vraiment de violence, de violence virtuelle. Les enfants ne se rendent pas compte de la dangerosité d'une arme à feu. Alors, vous nous rejoindrez... (Commentaires. Chahut.)...pour nous attaquer au vrai problème et nous reparlerons d'une motion ou d'un projet de loi.

M. Robert Iselin (UDC). Je crois que M. Aubert a déjà dit l'essentiel, mais je voudrais ajouter ceci: c'est très bien d'avoir de bons sentiments, mais il faut aussi être préparé à la dureté de l'existence.

Aucun d'entre vous n'a connu la situation dans laquelle nous nous sommes trouvés en 1940. Je peux vous dire qu'à ce moment-là, on ne discutait pas beaucoup. La question n'était pas de faire de nos enfants ou plutôt, des enfants de l'époque, dont je faisais partie, des bandits qui iraient assassiner d'autres Européens. La question était de préparer les enfants à défendre, s'il le fallait, le pays par les armes.

Je voudrais conseiller à tous ceux d'entre vous qui sont assis sur les bancs de la gauche d'aller une fois à Zurich pour voir ce que l'on appelle le Knabeschüsse, c'est le concours de tir des enfants zurichois. Je peux vous dire qu'il n'y en a pas un seul qui est éduqué à tirer sur son prochain pour l'amusement de tirer sur son prochain. Par contre, ils sont préparés à défendre la Suisse... (Commentaires.)...et, ce que beaucoup d'entre vous ne réalisent pas, cela pourrait être nécessaire plus vite qu'on ne le croit, étant donné la méchanceté humaine.

Mme Martine Brunschwig Graf, présidente du Conseil d'Etat. Je recommanderai pour ma part le rejet de cette motion. Je peux me permettre de le faire, parce que j'ai de quoi vous donner quelques assurances sur la réalité des choses dans ce canton et notamment sur les pratiques des sociétés de tir.

Je rejoins ceux qui, dans ce parlement, ont regretté que l'on ait fait un amalgame entre les sociétés de tir, les buts qu'elles poursuivent et les enfants-soldats. Je crois que nous pouvons tous nous associer à l'idée que les enfants n'ont pas pour vocation d'être des soldats et qu'ils doivent être protégés de cela. C'est dommage que vous ayez fait cet amalgame.

Pour tout le reste, je peux déjà dire ceci: premièrement, même quand l'ordonnance fixait l'âge minimum à treize ans, à Genève, les sociétés de tir n'ont jamais remis de fusil d'assaut qu'à des jeunes tireurs âgés de seize ans au moins, ceci dans un objectif clairement défini: l'exercice du tir en tant que tir sportif, et non pas pour un entraînement de type militaire. Les fusils d'assaut ne sont d'ailleurs pas conservés par les tireurs de moins de dix-huit ans, mais par les sociétés de tir. Cela signifie que, quelle que soit l'ordonnance fédérale, la doctrine de ce canton a toujours été la même: les sociétés de tir ne remettent pas de fusil d'assaut à des jeunes de moins de seize ans pour l'exercice du tir et ils ne le conservent bien entendu pas en propriété.

Deuxièmement, jusqu'à seize ans, aucun service de l'Etat ne transmet de fichier concernant des enfants qui iraient vers les sociétés de tir. Votre motion est donc moins exigeante que la pratique genevoise ne l'est, puisque tout ceci est déjà entièrement réglementé. Par ailleurs, votre motion est ambiguë, puisqu'elle nous invite à refuser toute subvention aux clubs ou associations qui proposeraient des activités de tir à des enfants. Or, votre motion ne précise pas l'âge des enfants concernés. Le terme désigne donc toutes les personnes n'ayant pas atteint la majorité, ce qui veut dire qu'aujourd'hui, si je devais suivre la motion telle qu'elle est formulée, l'indemnisation prévue dans certains cas ne devrait pas avoir lieu. Je rappelle que les indemnisations sont liées à des exercices tout à fait précis.

J'aimerais dire ici deux choses. Je le dis aussi pour l'administration militaire, qui le sait, et pour les sociétés de tir. Pour y avoir été, pour les avoir suivis dans leurs activités, je peux dire qu'aujourd'hui je préfère nettement des jeunes tireurs - je ne parle pas d'enfants de dix ans - qui apprennent, dans l'exercice du tir, ce qu'est une arme, quels sont ses dangers; qui apprennent à se maîtriser, qui apprennent que l'exercice du tir demande non seulement de la précision, mais aussi des égards, et savent qu'ils sont dans le cadre d'un exercice sportif et non dans un exercice d'attaque, à des jeunes qui ne sont pas dans des sociétés de tir et qui ont un rapport aux armes d'une toute autre nature. Leur violence ne s'exprime pas avec des fusils d'assaut et des pistolets, mais avec d'autres instruments dits contondants, des couteaux, ou des fusils et pistolets factices. Les jeunes expriment, en termes de violence, tout autre chose que ce que l'on apprend dans une société de tir.

C'est pour cela que je regrette le ton de la motion. Je comprends et je partage, et je suis sûre que tout le parlement partage l'idée que vous avez défendue ici, concernant les enfants-soldats. Mais en faisant ce que vous faites, en envoyant ce message, vous le videz quelque peu de son sens. Je vous le dis très clairement: je suis contente de savoir que, dans ce canton, nous avons des sociétés de tir responsables. Je pense que ce débat montre qu'elles vont continuer à l'être et je suis certaine que dans le futur, au vu de ce que je connais, elles le feront.

C'est le message que je veux donner ici en vous demandant de rejeter la motion. Ne sentez en aucune manière un rejet par rapport à la révolte contre les enfants-soldats, mais sentez au contraire le souci que, derrière cela, on oublie de se préoccuper des vrais problèmes évoqués plus tôt: les jeux vidéo et la relation à l'arme qui n'est absolument pas traitée en dehors de sociétés de tir, problèmes qui causent, à long terme, des dégâts beaucoup plus importants.

Mme Françoise Schenk-Gottret (S). Je demande l'appel nominal.

La présidente. Etes-vous soutenue? (Réactions de l'assistance.)Vous l'êtes. Il en sera donc fait ainsi.

Mise aux voix à l'appel nominal, cette proposition de motion est rejetée par 38 non contre 33 oui.

Appel nominal