Séance du
jeudi 19 mai 2005 à
17h
55e
législature -
4e
année -
8e
session -
43e
séance
PL 8401-A
Premier débat
M. Jean Rémy Roulet (L), rapporteur de majorité. Je voudrais juste rappeler aux députés qui ne siégeaient pas dans cet hémicycle en 1997 - ou en 1924... (Rires.)- que la problématique des forfaits fiscaux a déjà été traitée.
Pour reprendre les propos de Mme Stéphanie Ruegsegger, l'Alliance de gauche avait déposé un projet de loi en 1997 dont vous pouvez lire l'exposé des motifs dans l'actuel projet de loi qui nous est proposé ce soir. Je ne crois pas que la moindre des virgules a été changée...
Nous pouvons reconnaître a l'Alliance de gauche une qualité: la persévérance. Mais elle montre aussi une certaine incohérence, parce que, si le projet de loi qu'elle propose était voté, les recettes fiscales de notre République se verraient amputées d'environ 60 ou 70 millions. Le paradoxe est le suivant: l'Alliance de gauche propose de supprimer des recettes fiscales pour l'Etat qu'elle chérit et, dans un autre registre, lorsque Mme Calmy-Rey propose à notre Grand Conseil une baisse d'impôt pour améliorer le sort des familles, la même l'Alliance de gauche soutient cette baisse d'impôt. C'est tout à fait incohérent, et il me semble utile de le dénoncer.
Par rapport aux autres partis politiques, je m'étonne du vote des Verts... En effet, d'après le rapport, les Verts ont soutenu l'Alliance de gauche en commission pour l'abrogation des forfaits fiscaux. Je vous pose exactement la même question qu'à l'Alliance de gauche: pourquoi vouloir supprimer des recettes fiscales, alors que vous êtes un parti dit «modéré» au sein de l'Alternative et que vous êtes peut-être le seul à proposer des mesures de réforme étatique dignes de ce nom ? Et là, tout à coup, vous retournez votre veste et vous votez allègrement une diminution des recettes ! Il y a quelque chose qui a probablement dû vous échapper...
Les socialistes, quant à eux, ont suivi Mme Calmy-Rey qui, elle aussi, comme sur le sujet précédent, a proposé en commission que l'on maintienne ces forfaits fiscaux. Elle n'a du reste pas grand mérite à l'avoir fait, puisque la loi fédérale autorise, plus qu'elle ne tolère, d'imposer une personne d'après ses dépenses. J'estime, sur ce point également, que le parti socialiste manquerait de clairvoyance s'il soutenait ses alliés traditionnels ce soir.
En matière de forfaits fiscaux, il y a peut-être un fait nouveau par rapport aux débats de 1924 et de 1997, c'est que la population genevoise a plébiscité la suppression des droits de succession... Vous allez me demander quel lien cela a-t-il avec l'imposition sur les forfaits ? Eh bien, c'est que la majorité de cet hémicycle avait, à l'époque, proposé pour cette votation que les bénéficiaires des forfaits fiscaux continuent d'être imposés sur leur masse successorale. C'est un argument supplémentaire pour maintenir ce mode d'imposition.
En matière de droits de succession, je ne résiste pas à la tentation de redire ce que la presse nous a dévoilé il n'y a pas longtemps, à savoir que la commune de Riex, dans le canton de Vaud, est une commune qui pleure - elle ne rit plus - car l'un de ses plus riches contribuables, si ce n'est le plus riche, a décidé de revenir s'installer dans le canton de Genève suite à la suppression des droits de succession. Par conséquent, vous voyez bien que la théorie libérale, selon laquelle il faut absolument augmenter l'assiette fiscale et rendre notre canton fiscalement attractif, se vérifie pleinement !
Je donnerai encore une information au niveau des forfaits. Ces forfaits sont, bien sûr, une bonne chose pour la République, puisqu'ils attirent des personnalités aisées et qui paient des impôts. Mais, par rapport à l'image qui en est donnée, dans la presse notamment, il ne s'agit pas, en grande majorité, de personnalités connues, sportives, issues du théâtre ou du cinéma, il s'agit le plus souvent de personnes âgées. Il est donc tout à fait logique que ces personnes-là, aisées et étrangères, viennent finir leurs jours sous des cieux cléments et ensoleillés, comme aujourd'hui à Genève.
J'en ai terminé, Madame la présidente, pour ce préambule un peu long. J'interviendrai à nouveau, le cas échéant, si le débat s'envenime ou s'enflamme.
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, je propose de clore la liste des intervenants. Sont inscrits: Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz, M. Jean Spielmann, M. David Hiler, M. Pierre Guérini, Mme Stéphanie Ruegsegger, M. Mark Muller, M. Edouard Cuendet, M. Souhail Mouhanna, M. Pierre Froidevaux et Mme Janine Hagmann... Et encore, bien sûr, M. Jean Rémy Roulet. (Exclamations.)Oui, également M. Christian Grobet ! Puisqu'il était inscrit avant. Et c'est M. Roulet qui interviendra en dernier. La liste est donc close.
Je signale la présence, à la tribune, d'une de nos anciennes collègues, Mme Béatrice Luscher, mère de M. le député Christian Luscher. (Applaudissements.)
Madame la rapporteure de minorité, je vous donne la parole.
Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG), rapporteuse de minorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, lors du débat précédent sur le même sujet, Mme Ruegsegger a fortement attaqué l'attitude de l'Alliance de gauche à la commission fiscale, en disant qu'elle aurait bien aimé entendre ses arguments... Je vous renvoie au projet de loi que la majorité vient de rejeter: nous aurions également bien aimé connaître les arguments de la majorité par rapport à ce refus !
Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais aussi bien pour le sujet qui nous occupe maintenant, concernant le projet de loi 8401, que pour le précédent, la discussion en commission fiscale n'a pas duré dix minutes... Il n'y a même pas eu de discussion: ces projets de lois ont purement et simplement été shootés par la majorité - sans discussion !
Et il est difficile ce soir de développer des arguments, même de minorité, à propos de ce projet de loi, dans la mesure où la majorité n'a pas apporté, non plus, d'arguments lors des travaux de la commission, elle s'est contentée de dire que cette mesure était contraire au droit fédéral et que, par conséquent, il fallait refuser ce projet sans en débattre. Donc, je trouve donc tout à fait déplacé, Madame Ruegsegger, que vous vous permettiez de dire que vous aimeriez bien entendre nos arguments alors, que vous avez refusé de débattre de ce projet en commission !
Je vous rappelle que le projet de loi de l'Alliance de gauche a été déposé sous l'ancienne législature. Etant donné que nous étions en pleins travaux de révision de la LIPP, nous avons été d'accord de geler provisoirement ce projet afin qu'il soit traité en tant que tel. Ce qui est plutôt gênant, c'est qu'au moment de son traitement en commission, il n'y ait pas eu de débat...
En outre, ce projet de loi doit être traité en plénière depuis plus d'une année, et il l'est seulement maintenant en raison de la lenteur de nos travaux. Aussi, l'accusation formulée par M. Kunz, selon laquelle nous aurions déposé ce projet de loi par opportunisme, en vue des élections, est tout à fait déplacée ! Même si l'actualité de ce projet de loi peut sembler aujourd'hui un peu décalée.
Néanmoins, comme l'a dit M. Hiler tout à l'heure, ces deux débats doivent avoir lieu, car les sujets sont importants. Et même si ce projet de loi sur les forfaits fiscaux n'est pas compatible avec le droit fédéral, le débat doit avoir lieu en commission, ne serait-ce que pour aborder la problématique de la concurrence fiscale en Europe.
Il peut sembler qu'aujourd'hui n'est pas le moment opportun de traiter ce projet de loi, mais nous pensons que le sujet doit absolument être débattu. Je vous propose donc de le traiter comme il le mérite.
M. David Hiler (Ve). Je vais essayer d'expliquer à M. Roulet pourquoi ces deux questions sont fondamentalement différentes pour nous...
Dans le cas précédent, il s'agit essentiellement d'efficacité: trouver un système fiscal qui permettre de générer des rentrées tout en préservant l'emploi. J'en profite pour signaler que le capital d'une entreprise n'est pas la masse sous gestion d'une société financière. Et il ne faut pas oublier que les principaux contribuables de ce canton, en termes de personnes morales, sont aussi les principaux employeurs de ce canton. Dans le cas où ces entreprises feraient des pertes pendant quelques années - ce qui peut arriver - je trouverais tout de même ennuyeux qu'on aggrave ces pertes - parce que le capital fixe, qui est l'outil de production, est imposé - au risque de les voir fermer leurs portes. C'est ce que je voulais répondre au passage à M. Spielmann... C'est donc une question de «mécanique fiscale», Monsieur Roulet, dont le but est de préserver un certain nombre d'intérêts qui recoupent l'intérêt général. En l'occurrence, je crains qu'il ne s'agisse d'autre chose ! Pour nous, il ne s'agit pas d'efficacité - je serais même prêt à accepter d'en perde avec cette mesure - il s'agit d'un principe: pourquoi, diable, des personnes aisées - et même très aisées - devraient, parce qu'elle viennent d'un autre pays, bénéficier d'un barème fiscal plus avantageux que celui appliqué à tous les citoyens de ce canton ! L'équité devant l'impôt est un principe républicain. On peut appeler cela comme l'on veut, mais le régime des forfaits fiscaux nous paraît contraire à l'équité, à la limite de la corruption légale. Ce système ne nous plaît pas, et nous sommes prêts, il est vrai, pour ne pas le mettre en oeuvre, à renoncer à 10 ou 20 millions de rentrées fiscales. Avec une réserve: c'est que l'Etat ayant donné sa parole à un certain nombre de personnes, une telle loi ne pourrait s'appliquer que pour de nouveaux forfaits, ceux en vigueur jusqu'à l'échéance devant rester valables. Sur le fond, cette manière de faire est sans doute économiquement positive - peut-être ? - mais elle sape les principes mêmes qui organisent la société telle que nous la souhaitons: aussi bien le principe de l'équité que le principe de solidarité !
Et c'est pour cette raison - il ne s'agit pas d'intendance cette fois, mais de principe - que, sans hésiter, nous voterons ce projet de loi visant à abolir le régime des forfaits fiscaux. (Applaudissements.)
M. Pierre Guérini (S). Outre ce que vient de dire M. David Hiler, ce projet de loi a au moins le mérite de poser un certain nombre de bonnes questions.
La première a trait à la constitutionnalité de ce projet de loi. L'Entente dit que c'est conforme à l'article 14 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct... L'argument est facile, puisque l'article 6 de la LHID est un copier/coller de la loi fédérale ! Quoi qu'il en soit nous ne parlons pas d'impôts fédéraux mais d'impôts cantonaux ! Et si la loi fédérale prévoit l'imposition sur la dépense, elle n'est pas obligatoire au niveau cantonal ! En ce sens, ce projet de loi est tout à fait acceptable.
La deuxième question qu'il pose est celle de la moralité, car on accepte à Genève des contribuables, qui, dans leur majorité, ne prennent adresse en Suisse que pour fuir la législation de leur pays de départ en matière d'imposition, privant ainsi les Etats concernés de rentrées fiscales indispensables à leur fonctionnement. C'est donc aussi un problème d'éthique à cet égard.
Enfin, je rappellerai que la fiscalité ne vient qu'en quatrième position dans l'évaluation des motifs pour lesquels les personnes s'installent dans un pays ou dans un autre, les premiers étant: l'habitat, la sécurité, les transports.
Il est exact que les rentrées fiscales issues des successions de ces contribuables ne sont pas négligeables, mais elles ne compenseraient certainement pas les rentrées fiscales «normales», entre guillemets, qui seraient perçues de leur vivant. Les montants actuels perçus n'étant pas négligeables, je pense qu'il faut continuer d'étudier cette problématique, et, comme la commission fiscale est en train de revoir la LIPP, il serait possible de reprendre cette problématique à cette occasion.
Je demande par conséquent de renvoyer ce projet de loi en commission fiscale pour un approfondissement de la question de l'imposition sur la dépense.
Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Je serai brève. Tout d'abord, je souhaite remercier M. Jean Rémy Roulet pour son excellent rapport, très complet, précis et de grande qualité. Il a d'ailleurs également été brillant dans son intervention de tout à l'heure... Donc, merci beaucoup !
Il a été souligné dans le rapport que les forfaits fiscaux touchent 650 personnes et rapportent environ 60 millions à l'Etat de Genève. Je tiens à vous rappeler ce que représente cette somme: 60 millions, c'est à peu près - légèrement moins, mais à peu près - la somme attribuée chaque année au logement social. C'est également celle attribuée en faveur de la jeunesse, y compris les crèches, dans notre canton. Et c'est enfin et également la somme attribuée à l'aide aux personnes handicapées adultes.
Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, faites vos choix ! Accepter ce projet de loi et supprimer les forfaits fiscaux, c'est faire le choix de biffer l'une de ces lignes budgétaires !
Je vous invite donc à refuser ce projet de loi.
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je vous rappelle qu'une proposition de renvoi à la commission fiscale a été faite. Je vous demande donc de vous exprimer à ce sujet. Monsieur Muller, je vous donne la parole.
M. Mark Muller (L). Merci, Madame la présidente. Le groupe libéral se prononcera défavorablement à l'égard de cette demande de renvoi en commission, et je vais vous expliquer pour quelles raisons.
Comme le projet de loi précédent, ce deuxième projet de loi de l'Alliance de gauche vise à augmenter la fiscalité d'un certain nombre de contribuables. Tout à l'heure, cela concernait les entreprises, et cette fois il s'agit d'une catégorie de contribuables, certes moins importants à nos yeux - dans la mesure où ce ne sont pas des électeurs - mais extrêmement importants en termes de recettes fiscales. Ces projets ont, à notre avis, un point commun tout à fait clair: la réduction des recettes fiscales du canton !
S'agissant de l'impôt sur les entreprises, nous avons également évoqué l'argument de l'emploi ainsi que celui des recettes fiscales. Dans le cas de l'imposition des personnes imposées selon la dépense, il est tout à fait clair à nos yeux que, si ces personnes étaient imposées de façon ordinaire, c'est-à-dire en fonction de leur revenu et en fonction de leur fortune - il en résulterait une perte sèche de recettes fiscales. En effet, il ne faut pas oublier que ces personnes sont par définition extrêmement mobiles et qu'elles peuvent décider d'aller s'établir dans un autre canton ou dans un autre pays, dans la mesure où elles n'ont pas d'activité économique. Je dois dire que je suis toujours très étonné de voir les partis de gauche militer pour des projets de lois qui réduisent les recettes fiscales de notre canton... Cette proposition illustre extrêmement bien l'adage que nous aimons rappeler: «Trop d'impôt tue l'impôt !».
Le deuxième élément est purement juridique, et je ne vais pas m'y appesantir. La loi fédérale d'harmonisation indique que les personnes étrangères qui viennent en Suisse et qui n'ont pas d'activité lucrative ont le droit - ont le droit ! - d'être imposés selon la dépense. Et, de mon point de vue, abroger cette possibilité pour l'impôt cantonal genevois, c'est une violation du droit fédéral.
Dernier élément intéressant évoqué par M. Hiler: le principe de l'égalité de traitement. C'est un principe auquel - je pense - nous sommes tous attachés. Mais son interprétation peut diverger: on peut lui faire dire ce qu'on veut !
Mesdames et Messieurs les députés, je vous rappellerai qu'il y a quelques mois - quelques années bientôt: deux ans, sauf erreur - nous avons voté la suppression de l'impôt sur les successions et de l'impôt sur les donations pour un certain nombre de contribuables, mais nous avons fait une exception pour les personnes au forfait. Et nous avons tenu compte de l'inégalité dont nous parlons maintenant dans la mesure où les contribuables imposés sur la dépense le sont toujours sur les successions. En quelque sorte, l'inégalité que vous dénoncez a été compensée. Aujourd'hui, il n'y a en réalité plus d'inégalité.
Pour ces raisons, nous devons refuser le projet de loi qui nous est soumis.
La présidente. Vous refusez donc le renvoi en commission fiscale. Un député par parti peut s'exprimer... Je vous donne la parole, Monsieur Spielmann, sur le renvoi en commission fiscale. (Remarque de M. Jean Spielmann.)Bien, nous procéderons d'abord au vote... Monsieur Froidevaux, je vous donne la parole, sur le renvoi en commission.
M. Pierre Froidevaux (R). Merci, Madame la présidente. Chers collègues, il n'y a aucun intérêt à renvoyer ce projet de loi en commission ! Nous avons en effet abordé ce sujet régulièrement; M. Roulet a évoqué un projet de loi qui a été traité par ce parlement en 1997. Madame Blanchard-Queloz, vous dites que nous n'en avons pas parlé... C'est parce que vous êtes une jeune députée ! A l'époque, Bernard Clerc avait aussi déposé une motion que nous avions traitée en commission et dont - je dois le dire - je ne sais pas ce qu'il est advenu... Quoi qu'il en soit cette motion concernait la problématique des forfaits fiscaux. Et nous avions longuement discuté à cette occasion, avec la conseillère d'Etat d'alors, Micheline Calmy-Rey, pour savoir quelles idées prévalaient dans ce projet de loi.
Je reconnais que la sensibilité de M. David Hiler à cet égard est importante. On a parfois l'impression que des citoyens bénéficient d'avantages que nous aimerions aussi avoir, et je comprends l'exaspération de David Hiler, qui a même utilisé le terme de «corruption légale». J'aimerais toutefois signaler que les forfaits fiscaux ne sont pas propres à la Suisse. Il est possible de bénéficier de tels forfaits dans d'autres pays, et, si nous n'arrivons pas à attirer ces personnes chez nous, qui dépensent beaucoup et qui font un effort de solidarité, il en résultera un déficit social que personne, même lorsque la majorité est à gauche, n'est d'accord de soutenir. Alors, les beaux principes que vous avez exprimés, Monsieur David Hiler, ne résistent pas à l'épreuve de la réalité ! Nous devons en tenir compte et ne pas entrer en matière sur le renvoi en commission ni sur le projet de loi.
Je rappelle aussi que bénéficier d'un forfait fiscal ne signifie pas qu'on échappe à l'impôt. Chaque pays émet ses propres règles fiscales, et celles qui sont les mieux admises aujourd'hui sont celles qui s'appliquent aux revenus, c'est-à-dire la capacité de chacun de s'enrichir, mais cela ne veut pas dire qu'il faut capter l'enrichissement: il faut demander un effort de solidarité aux personnes qui en ont le plus les moyens.
C'est dans cet esprit-là, chers collègues, que je vous recommande de refuser le renvoi en commission et de refuser ce projet de loi.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Je passe maintenant la parole à M. Grobet sur le renvoi en commission... Il n'est pas là. Je la donne donc la parole à M. Roulet, rapporteur de majorité, sur le renvoi en commission... Il renonce. Bien ! Dans ce cas, c'est au tour de Mme Brunschwig Graf de s'exprimer.
Mme Martine Brunschwig Graf, présidente du Conseil d'Etat. Merci, Madame la présidente. Je ferai sur ce sujet les mêmes remarques que pour le précédent projet de loi s'agissant du renvoi en commission, parce que le sujet a été largement exploré. Le renvoi en commission donnerait un seul signal négatif: il maintiendrait un suspense fort désagréable par rapport à la sécurité du droit.
Mais, puisque j'ai la parole, j'aimerais tout de même vous dire une chose qui m'a beaucoup interpellée. Je sais que certains d'entre vous projettent de modifier le droit sur les successions: il ne vous aura quand même pas échappé que les personnes taxées au forfait sont aussi astreintes au droit de succession, y compris en ligne directe et pour le conjoint ! Cela avait été décidé en commission. C'est un élément d'équité qui permettait précisément de tenir compte de la situation particulière des personnes qui s'installent chez nous et qui génèrent, en quelque sorte, un retour fiscal. Et, si vous me permettez de le dire discrètement, je vous dirai qu'il se fait !
Vous devez avoir conscience qu'en votant ce projet et en supprimant les forfaits fiscaux vous diminuez les recettes de 60 millions - qui ne reviendront pas intégralement à l'impôt ordinaire, loin s'en faut - et que vous vous privez des gains des impôts sur les successions. Et je tiens à vous dire qu'ils ne sont pas négligeables !
Mis aux voix, le renvoi de ce projet de loi à la commission fiscale est rejeté par 49 non contre 34 oui.
M. Jean Spielmann (AdG). Mesdames et Messieurs les députés, dans son introduction, le rapporteur dit que nous avons repris le même projet de loi qu'en 1997 et le même exposé des motifs... Evidemment ! S'il avait pris la peine de lire les débats de l'époque, suite au projet de loi que j'avais déposé avec M. Grobet, il aurait pu voir que, suite au refus d'entrer en matière sur ce projet et de ne même pas accepter d'en discuter, nous avions annoncé que nous le déposerions à nouveau. Alors, évidemment, ce projet est le même que le précédent: nous l'avions annoncé ! C'est ce que nous avons fait: promesse faite, promesse tenue !
J'en viens au fond du problème. Il est bien sûr choquant - et je pèse mes mots - d'accepter que les gens d'une même collectivité soient traités différemment. La plupart des citoyens genevois paient leurs impôts jusqu'au dernier sous, la loi leur impose de remplir assidûment leur déclaration d'impôt, et, dans le même temps, on autorise certaines personnes à bénéficier de forfaits fiscaux et, par conséquent, de ne pas être soumises à la loi fiscale !
Qui sont ces personnes ? La dernière fois, lorsque nous sommes intervenus en 1997, on nous a dit que ces forfaits pouvaient être accordés aux personnes dont les dépenses avouées dépassaient 100 000 F par année. Aujourd'hui, on nous dit qu'ils sont accordés aux personnes dont les dépenses avouées dépassent 500 à 600 000 F par année...
Cela pose un autre problème de moralité. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)C'est vrai, de nombreuses personnes - et ce ne sont pas celles qui font la une des journaux dont je parle - viennent de pays dans lesquels la situation économique et la situation politique sont extraordinairement difficiles, où la plupart des gens n'arrivent même pas à se nourrir, car ils ont des salaires de misère. Et ces personnes viennent chez nous, après avoir mis à l'abri des millions et des millions de francs, finir paisiblement leur vie en Suisse, en sécurité, sans avoir à rendre des comptes à la population qu'elles ont très souvent grugée ! Privilégier de telles personnes, parce que cela nous permet de récolter 55 millions de francs par an, me pose un problème de fond, sans parler de l'iniquité devant la loi dont j'ai parlé tout à l'heure !
En effet, quelle image de Genève et de la Suisse donnons-nous dans le monde en acceptant des personnes, sans même leur demander de remplir une déclaration d'impôt, sans rien leur demander sur leur passé, qui viennent finir leur vie en paix ? On a entendu des députés radicaux dire qu'elles s'installaient chez nous par solidarité envers la population genevoise, car elles paient un forfait... Mais on se moque du monde ! Elles donnent cet argent parce qu'elles s'installent en Suisse, qui est un refuge pour les capitaux et qui leur octroie des privilèges fiscaux alors que, la plupart du temps, elles ne le méritent pas ! Je ne mets bien sûr pas tout le monde dans le même panier, mais je pense à certaines personnalités que je ne voudrais pas citer ici et dont j'ai honte qu'on leur accorde de tels forfaits fiscaux !
Autre problème de fond. Les pays de la Communauté européenne et l'ensemble des pays civilisés doivent se mettre d'accord pour éviter que les personnes fuient leur pays après en avoir pillé les biens, pour aller vivre à l'abri dans des lieux comme Genève, Monaco ou ailleurs ! Et, Mesdames et Messieurs les députés, vous perpétuez cette image dans le monde en refusant d'entrer en matière sur une telle proposition de loi !
La dernière fois, nous avions dit que nous déposions ce projet de loi parce que nous considérions qu'il y avait des anomalies au niveau des forfaits fiscaux. Cela ne veut pas dire que l'ensemble des forfaits octroyés par le Conseil d'Etat - qui en a la compétence et peut agir par dérogation - ne sont pas justifiés et qu'il faut les supprimer ! Mais nous voulions simplement obtenir un certain nombre de garanties, mettre des filtres en place, pour empêcher cette inégalité devant la loi.
On nous dit que 500 ou 600 personnes profitent actuellement de ces forfaits. Que pensent les Genevois, ceux qui ont de la peine à payer leurs impôts, des privilèges que l'on donne à ces personnes, que l'on incite à venir s'installer chez nous en leur octroyant un forfait sans leur demander quels sont leurs revenus ? C'est inacceptable !
Dernier élément qui a été évoqué tout à l'heure dans la discussion: j'ai entendu un député libéral dire: «Trop d'impôt, tue l'impôt !»... Ce sont les vieilles rengaines ! Alors, je vous renvoie l'argument qui était le vôtre lorsque vous aviez proposé de baisser les impôts. Et je ne reviens pas sur les propositions que vous aviez faites au niveau fédéral - une initiative pour supprimer l'impôt fédéral direct - alors que des millions de francs ont été dépensés pour cette campagne... Le jour où cette initiative est arrivée devant les Chambres fédérales, vous l'avez «courageusement» retirée. Vous avez profité d'une occasion d'être élus sur des promesses que vous ne tenez pas !
Vous dites qu'en baissant les impôts on relance l'économie, on réduit le chômage, on favorise le développement et que toute la collectivité va en profiter... Mais quelle est la situation économique de ce canton depuis que vous avez repris la majorité politique et depuis que vous avez pratiqué les baisses fiscales ? Nous avons une dette que nous aggravons comme aucun autre canton ne le fait, aucun pays ! Plus de 500 millions d'augmentation de la dette en une seule année ! Combien sur toute la législature ? Quel est le bilan que vous allez présenter avec vos baisses d'impôts et vos propositions ? Comment vivent les gens ? Quel est le taux de chômage ? Quelles difficultés rencontrent les personnes qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts ?
Et vous, avec votre arrogance habituelle, vous venez nous dire qu'il faut continuer à octroyer des forfaits fiscaux aux personnes qui veulent s'installer en Suisse, s'y réfugier avec leur fortune... Vous ne vous occupez pas de ce qu'ils gagnent, vous ne voulez pas le savoir ! (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Mais vous traquez le citoyen genevois qui, lui, paiera jusqu'au dernier centime ! Nous n'acceptons pas cette inégalité ! (Applaudissements.)
M. Edouard Cuendet (L). J'aimerais corriger une erreur, qui se trouve dans l'exposé des motifs et que M. Spielmann vient de répéter: à savoir présenter l'Union européenne comme un modèle de vertu dont la Suisse devrait s'inspirer...
Je rappelle que 500 ou 600 forfaits fiscaux sont octroyés à Genève. A Londres, ce ne sont pas moins de 60 000 personnes qui bénéficient d'un système comparable au nôtre ! (Exclamations.)C'est également le cas en Belgique... Plus de 3500 Français viennent de s'installer au village frontière de Tourcoing ! Je tiens cette information d'une édition du Figaro de février 2005. C'est ainsi très actuel. Il faut donc arrêter de dire que Genève est un mauvais exemple en matière fiscale ! Et les autres lieux que je viens de citer se feront un plaisir d'accueillir les personnes qui bénéficient de forfaits fiscaux si Genève venait à les chasser !
Par ailleurs, nous avons parlé des 60 ou 70 000 millions d'impôts que ces personnes génèrent bon an mal an par le biais des forfaits... Nous avons parlé des impôts de succession, mais nous oublions de dire que les personnes qui bénéficient de forfaits fiscaux sont de gros consommateurs et de gros clients ! Elles font fonctionner de nombreuses entreprises de la construction à Genève en rénovant des villas; elles sont des clients très importants de la place financière et, par conséquent, elles génèrent de très nombreux emplois. En outre, elles payent la TVA.
Ce serait donc une erreur monumentale de vouloir les chasser.
M. Souhail Mouhanna (AdG). On a reproché tout à l'heure à l'Alliance de gauche sa ténacité et sa constance dans sa volonté de chercher les moyens financiers, permettant à l'Etat social de fonctionner à Genève, là où ils se trouvent... J'affirme à cet égard que nous sommes constants dans cette volonté. Et il n'est pas question pour nous que notre acharnement à défendre la justice sociale, la justice fiscale, soit en dessous de l'acharnement de la droite à défendre les intérêts des plus riches, des privilégiés, au détriment de la population !
On nous a également fait remarquer que nous avions déposé plusieurs projets de lois et que nous nous étions contentés de les photocopier... Dans l'histoire de ce pays et de ce canton, il s'avère que beaucoup de propositions - par exemple, le droit de vote des femmes, l'AVS - ont été refusées plusieurs fois avant d'être finalement acceptées par le peuple ! (L'orateur est interpellé.)Oui, le congé maternité ! Et il y en a bien d'autres... Regardez, par exemple, ce qui s'est passé à Genève. Les baisses d'impôts ont été refusées pendant longtemps, et puis l'initiative 113 a été acceptée. Par contre, vous avez subi une défaite cuisante lors du vote sur le paquet fiscal fédéral... Vous vous vantez de résultats de vote sur certaines lois fiscales, mais, bizarrement, vous ne vous rappelez pas de certains d'entre eux. Vous aviez engagé des sommes faramineuses dans cette campagne, prétendant que beaucoup de gens à Genève allaient bénéficier d'une baisse de leurs impôts. Vous avez vu le résultat: vous avez été très sévèrement battus ! Aussi nombreux que vous soyez dans ce Grand Conseil, vous taisez cet épisode qui est extrêmement important.
Et puis, je vous rappelle votre acharnement à défendre les privilégiés. Combien de fois le peuple genevois a refusé les modifications que vous vouliez apporter à la LDTR ? Mais vous revenez toujours à la charge ! Combien de fois a-t-il fallu que le peuple vous remette à votre place ? Cela, vous l'oubliez, vous n'en parlez pas !
Nous sommes beaucoup plus en droit que vous de revenir à la charge, parce que la situation de l'immense majorité de la population continue à s'aggraver, et elle devient insupportable pour une partie d'entre elle. Et, pendant ce temps, on apprend par la presse que certaines personnes que vous défendez se remplissent les poches: des millions et des millions ! Les «capitaines de l'industrie» comme les appellent certains collègues de l'UDC, des capitaines qui font souvent sombrer le navire et qui partent avec la caisse ! (Exclamations.)
Mesdames et Messieurs les députés, regardons les choses de près en matière de forfaits fiscaux ! Si les personnes qui bénéficient de ce ces forfaits n'ont pas les moyens de payer davantage et si leurs revenus correspondent au forfait qu'elles paient, elles n'ont pas à craindre d'avoir à remplir, comme tout le monde, une déclaration fiscale. Dans le cas contraire, cela veut tout simplement dire qu'elles devraient payer beaucoup plus que le forfait qui leur a été consenti, si elles étaient contribuables comme tout le monde à Genève. Par conséquent, vous faites un cadeau énorme à des personnes qui ont de l'argent, alors que beaucoup de citoyens de notre canton souffrent des mesures que vous prenez systématiquement. Je pense, par exemple, aux décisions que vous avez prises par rapport aux handicapés, aux bénéficiaires de l'aide sociale, aux jeunes, notamment s'agissant des assurances maladie, etc. !
Vous continuez à mener une politique de démantèlement social, et, bien sûr, vous allez essayer de faire le maximum d'ici les prochaines élections, mais attendez-vous à recevoir une gifle de la part de la population ! Vous dites que celle-ci a plébiscité - plébiscité ! - certaines baisses d'impôts... Comme je l'ai dit tout à l'heure, vous oubliez qu'elle vous a remis à votre place sur le paquet fiscal - l'initiative 113 !
Je ne doute pas qu'à un moment ou à un autre, grâce à notre ténacité, à notre acharnement, à la prise de conscience de la population, nous finirons par faire en sorte qu'il y ait davantage de justice sociale et fiscale à Genève.
Mme Janine Hagmann (L). Soyons réalistes ! L'impôt équitable existe-t-il ? Chacun a sa propre conception de l'impôt équitable, et je pense qu'au moment où son bordereau d'impôt arrive dans sa boîte aux lettres chacun trouve que le montant dû au fisc est toujours très élevé. Savez-vous d'où vient le mot «fisc» ? De fiscus,qui veut dire le panier... Il faut bien que chacun mette sa part dans le panier !
A Genève, une personne sur quatre ne paie pas d'impôt et 5% de la population contribuer à verser 50% des rentrées fiscales. Les forfaits fiscaux représentent une bonne partie des rentrées fiscales !
Si je prends la parole ce soir sur ce sujet, alors que mes collègues ont donné beaucoup d'explications précises, c'est parce que j'ai eu la chance d'être maire d'une commune de la rive gauche qui comptait dans sa population des personnes bénéficiant de forfaits fiscaux. Vous ne vous rendez pas compte, Mesdames et Messieurs les députés, des retombées que ces personnes apportent à Genève: elles font des fêtes, elles consomment, elles dépensent, elles sont généreuses ! Vous leur avez donné le droit de vote et, maintenant, vous voulez les chasser avec votre loi. Allez-y: lorsque nous ne les aurons plus pour remplir notre panier, nous verrons bien !
N'oubliez pas que ces personnes sont mobiles de par leurs moyens ! J'ai connu un couple à Vandoeuvres qui est parti pour Londres ! Cela existe ! Les personnes de plus de 65 ans qui n'ont plus d'enfants à l'école et qui ne sont donc pas attachées à un lieu en particulier, changent de résidence si elles ne bénéficient pas d'un avantage fiscal. Et cet avantage est discuté, il doit être admis par les deux parties. Un forfait fiscal est calculé: il n'est pas le même pour tout le monde ! Et ne croyez pas qu'il n'est pas important ! Le forfait fiscal est, entre autres, déterminé par le loyer des personnes qui ont des maisons d'un certain standing, loyer qui est multiplié par cinq. Tous ces éléments entrent en jeu.
En ce qui me concerne, je prétends que notre intérêt est de garder ces personnes chez nous, parce qu'autrement notre panier - fiscus -va se vider de plus !
M. Christian Grobet (AdG). Je ne suis pas étonné des arguments qui sont invoqués par la droite pour s'opposer à ce projet de loi, je les trouve affligeants...
Si nous proposons ce projet de loi - et nous y tenons - c'est parce que la situation est profondément choquante, à savoir qu'il y a des personnes qui viennent à Genève, d'abord pour fuir le régime fiscal de leur pays et bénéficier d'une situation de faveur qu'aucun de nos concitoyens ne peut obtenir ! C'est un régime totalement privilégié, qui constitue une violation flagrante du principe fondamental de l'égalité devant l'impôt.
En Suisse - je crois pouvoir le dire - une très grande majorité de citoyennes et de citoyens payent correctement leurs impôts. Cette tradition n'a pas toujours cours dans certains pays où l'on considère qu'il est normal d'éluder l'impôt... (L'orateur est interpellé.)Ce n'est pas un sport, mais c'est une pratique courante ! Il n'y a pas besoin d'aller très loin, et je ne citerai pas les noms de ces pays. Et puis, d'autres pays, à l'entrée du Moyen-Orient, ne connaissent tout simplement pas l'impôt sur le revenu, et ils n'arrivent évidemment pas à comprendre qu'il faut payer des impôts à Genève. (L'orateur est interpellé.)Le Liban, par exemple ! Je donne cet exemple, mais il y en a d'autres !
Chez nous, l'impôt est une chose admise, fondamentale. Du reste, la plupart des cantons suisses rendent public le montant du revenu imposable, parce qu'il est d'usage de payer normalement ses impôts.
Mais là, que fait-on ? On permet aux plus riches, aux gens qui ont le plus de moyens, d'éluder le fisc et de violer le principe de l'égalité devant l'impôt ! Nous, dans cette salle, nous payons tous normalement nos impôts, mais vous estimez normal que des personnes qui se trouvent dans une situation particulièrement privilégiée puissent bénéficier de forfaits fiscaux et payer des sommes dérisoires par rapport à ce qu'elles devraient payer.
Vous dites, Madame Hagmann, qu'un quart de la population ne paie pas d'impôt... Je vous connais bien, Madame, mais je me permets tout de même de vous dire que je préfèrerais payer plus d'impôts que je n'en paie aujourd'hui que de me trouver dans une situation où j'en serais exempté ! Je peux vous assurer que les 25% des personnes qui ne payent pas d'impôt aimeraient bien avoir des revenus suffisants pour en payer ! Il faut malheureusement constater les méfaits de notre société à deux vitesses: de plus en plus de personnes restent sur le bas-côté de la route. J'insiste: cette partie de la population délaissée ne fait qu'augmenter, et, à votre place, Madame, je ne me vanterais pas trop du fait que 25% de la population ne payent pas d'impôt à Genève, parce que cela démontre la dégradation sociale intolérable de notre canton ! (Exclamations.)Mais les statistiques le montrent, Mesdames et Messieurs ! Le nombre des millionnaires ne fait qu'augmenter ! (Brouhaha.)
Que croyez-vous que les gens - même des gens qui gagnent bien leur vie - (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) ...pensent du fait que des personnes ont des revenus de plusieurs millions par année ? Sans parler des personnes qu'on appelle des «sportifs» qui réussissent à toucher des dizaines de millions par année ! La population est choquée à la pensée qu'un grand coureur automobile vienne se réfugier en Suisse et ne paie pas d'impôts. C'est ceux qui ont le plus de moyens de payer des impôts qui réussissent à trouver des solutions pour ne pas en payer: je trouve cela absolument choquant !
Quelqu'un a parlé tout à l'heure des personnes âgées... Il est possible que des personnes âgées, comme les retraités des organisations internationales, bénéficient de forfaits fiscaux. Mais je ne vois pas pourquoi ils ne payeraient pas les mêmes impôts que nous: leur retraite est tout à fait suffisante pour payer les impôts comme tout le monde ! La réalité, c'est que l'on veut attirer des gens qui veulent éluder le fisc dans leur propre pays - dont, prétendument, les régimes fiscaux sont plus contraignants que les nôtres - mais ils ne veulent quand même pas accepter notre fiscalité, bien qu'elle soit plus favorable que celle de leur pays d'origine. Il y a là quelque chose d'amoral !
C'est possible, Madame Ruegsegger, que ces forfaits rapportent 60 millions, mais l'Etat doit tout de même avoir une certaine éthique et avoir le courage, par moralité, de refuser de récolter de l'argent de cette manière ! C'est aussi le raisonnement de nos banques suisses qui continuent à blanchir de l'argent ! (Exclamations.)C'est une réalité ! Il est inutile de vous exclamer: notre réputation à l'étranger est déplorable dans ce domaine ! (Exclamations.)Je ne donnerai qu'un seul exemple: malgré les lois, les promesses du Conseil fédéral, deux ou trois banques ont pu recevoir 1,2 milliard de francs d'un président déchu du Nigéria ! Vous trouvez cela normal ?! Et, finalement, les banques en question n'ont quasiment pas eu d'amende dans cette affaire...
Eh bien, les gens en ont assez, et vous verrez que nous finirons par le payer cher ! Vous citez des exemples de personnes qui s'établissent à Tourcoing, à Londres ou ailleurs... Mais vous verrez que l'Union européenne acceptera de moins en moins ces régimes fiscaux spéciaux qui perdurent comme à Monaco. Et j'espère que nous ne serons pas mis au pilori au même titre que des pseudo états comme Monaco !
J'en viens à l'argument de la loi fédérale...
La présidente. Il faudra terminer, Monsieur le député !
M. Christian Grobet. Je finis par cette phrase ! ... la loi d'harmonisation. Le forfait fiscal est effectivement prévu dans la loi fédérale, mais rien ne nous oblige - je suis navré de vous le dire, Monsieur Muller - à l'appliquer, et encore moins avec autant de générosité aux personnes particulièrement fortunées qui s'installent à Genève ! On ne constate qu'une seule chose: plus les gens gagnent de l'argent, moins ils veulent payer leurs impôts normalement ! C'est profondément choquant ! (Applaudissements.)
Mme Michèle Künzler (Ve). Pour nous, c'est vraiment une question de principe: au nom de l'équité de traitement, tous les citoyens doivent être intégrés dans le régime fiscal !
J'aimerais simplement revenir sur des chiffres. C'est vrai, l'immense majorité des personnes au forfait est imposée sur une dépense d'environ 200 000 F, et elles ne payent que 30 à 40 000 F d'impôts par année. C'est exactement la moitié, voire le quart de ce que vous pourriez payer ! Est-ce juste ? Non, les impôts doivent être équitables pour tous !
On peut accepter des exceptions pour la première année, comme cela est prévu par le droit fédéral, mais celui-ci stipule que, si cette possibilité existe, elle ne doit pas être en dessous du barème ordinaire ! Et je trouve choquant et humiliant que vous «ciriez les bottes» des gens riches juste pour avoir un peu d'argent ! J'aimerais que l'on fasse autrement ! (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Je ne crois pas qu'il soit très glorieux pour le parlement d'agir de la sorte ! (Applaudissements.)
La présidente. Monsieur Cuendet ? Rapidement, uniquement par rapport aux banques ! Allez-y, Monsieur Cuendet !
M. Edouard Cuendet (L). Merci, Madame la présidente. M. Grobet a mis... (Exclamations.)M. Grobet a insulté les banques... (Brouhaha intense. La présidente agite la cloche. M. Grobet interpelle la présidente.)
La présidente. Monsieur Grobet, vous aurez remarqué que j'ai toujours donné la parole du côté de cette enceinte... (Protestations. Exclamations.) Monsieur Cuendet, vous avez la parole. (Exclamations.)
M. Edouard Cuendet. Merci, Madame la présidente. (Brouhaha intense.)Je regrette simplement que M. Grobet ait attaqué avec force la place financière, l'accusant de blanchiment d'argent, d'infractions pénales... (Le brouhaha persiste.)Ce faisant, il insulte plus de 20 000 personnes qui travaillent dans le secteur de la finance à Genève. Elles sauront apprécier ces attaques insupportables ! (Applaudissements.)
La présidente. Monsieur le rapporteur de majorité, je vous donne la parole. (Un instant s'écoule.)Veuillez vous exprimer, Monsieur Roulet !
M. Jean Rémy Roulet (L), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Pour la salubrité des débats publics, je préfère céder la parole à Mme la conseillère d'Etat. (Exclamations.)
Mme Martine Brunschwig Graf, présidente du Conseil d'Etat. Je me suis déjà exprimée tout à l'heure au sujet des forfaits fiscaux. Je voudrais simplement dire clairement à Mme la députée Künzler la chose suivante: le débat de ce soir ne porte pas sur le fait de savoir si l'on est imposé ou non au barème ordinaire, il porte sur l'assiette fiscale prise en compte. En l'occurrence, l'imposition est basée sur la dépense au lieu de l'être sur le revenu. L'imposition sur la dépense est calculée dans des conditions tout à fait particulières, mais - je vous le rappelle - le règlement prévoit que cette dépense ne peut être inférieure à 300 000 F. Je tiens à dire que la pratique actuelle montre que ce chiffre est largement dépassé et que les forfaits consentis le sont pour des montants beaucoup plus élevés.
Je tiens encore à relever ceci: vous pouvez trouver à redire à la loi, à l'assiette fiscale prise en considération, mais vous ne pouvez pas affirmer que ces personnes bénéficient d'un barème d'impôt différent ou que la loi n'est pas appliquée de la même façon. Je le répète, la taxation est calculée sur une assiette fiscale différente: on peut le contester, mais on ne peut pas prétendre que la loi ordinaire est appliquée selon un régime différent. Ce n'est pas vrai ! Nous devons appliquer la loi à toutes les personnes qui sont chez nous.
Dernière chose. Monsieur le député, vous avez laissé entendre que ces personnes n'étaient pas irréprochables... J'ignore, Monsieur le député, s'il y a des cas indéfendables. Pour ma part, je demande que les forfaits fiscaux soient vérifiés régulièrement, qu'ils soient toujours adaptés à la réalité et de faire en sorte, s'ils ne le sont pas, de les actualiser.
Enfin - je l'ai évoqué tout à l'heure - je ne vous ai pas entendu réagir avec force lorsque l'impôt sur les successions a été voté dans cette salle... Une différence a précisément était faite, puisqu'il a été décidé que les personnes bénéficiant de forfaits fiscaux devaient continuer de s'acquitter l'impôt sur les successions. (Applaudissements.)
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets maintenant la prise en considération de ce projet de loi... (Une députée demande l'appel nominal.)Etes-vous suivie, Madame la députée ? (Appuyé.)Il en sera fait ainsi.
Mis aux voix à l'appel nominal, ce projet est rejeté en premier débat par 46 non et 35 oui.