Séance du
vendredi 3 décembre 2004 à
17h
55e
législature -
4e
année -
2e
session -
8e
séance
La séance est ouverte à 17h, sous la présidence de Mme Marie-Françoise de Tassigny, présidente.
Assistent à la séance: Mme et MM. Martine Brunschwig Graf, présidente du Conseil d'Etat, Laurent Moutinot, Robert Cramer et Pierre-François Unger, conseillers d'Etat.
Exhortation
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
La présidente. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mme et MM. Micheline Spoerri, Carlo Lamprecht et Charles Beer, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Esther Alder, Bernard Annen, Edouard Cuendet, Anita Cuénod, René Ecuyer, Jean-Michel Gros, Michèle Künzler, Pierre-Louis Portier, Jean Rémy Roulet, Pierre Schifferli et Louis Serex, députés.
La présidente. Mme Anne Pastore Yersin est assermentée. (Applaudissements.)
Déclarations du Conseil d'Etat: Communaux d'Ambilly
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, dans sa séance de ce jour, le comité de pilotage du périmètre d'aménagement coordonné des Communaux d'Ambilly a validé le programme-cadre de ce projet ambitieux et nécessaire pour résoudre la pénurie de logements, étant précisé que les communes de Thônex et de Puplinge ont réservé la position de leurs conseils municipaux respectifs. En conséquence, la procédure de mise à l'enquête publique du projet de loi de modification des limites de zone - création d'une zone de développement 3 - sera ouverte d'ici à fin janvier 2005. Le programme prévoit la construction par phases de 2500 logements sur les Communaux d'Ambilly - actuellement en zone villas, mais non bâtis - et de 800 logements sur les Grands-Prés, le périmètre de Mon-Idée devant encore faire l'objet de vérifications.
Parallèlement à la procédure de déclassement, les études d'aménagement et de circulation se poursuivent afin de parvenir au meilleur projet d'urbanisation possible qui soit, en particulier bien intégré dans la commune de Thônex. Le Conseil d'Etat marque ainsi sa détermination à résorber la pénurie de logements dans le respect des principes affirmés par le plan directeur cantonal et attend de votre Grand Conseil un soutien massif dans cet effort. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Laurent Moutinot. Je dépose à la salle des Pas-Perdus un certain nombre d'exemplaires de ce programme-cadre. Je crains qu'il n'y en ait pas cent, mais il va de soi que nous en tiendrons davantage à votre disposition si vous le souhaitez.
Communications de la présidence
La présidente. Vous avez trouvé sur vos places les horaires de la prochaine session du Grand Conseil. L'ordre du jour de cette dernière vous parviendra la semaine prochaine. Je salue tout spécialement à la tribune notre ancien collègue, M. le conseiller national John Dupraz. (Applaudissements.)
Annonces et dépôts
Mme Morgane Gauthier (Ve). J'annonce, au nom de ses différents auteurs, le retrait de la motion 1569, qui se trouve actuellement à la commission de l'énergie.
La présidente. Merci, Madame la députée. Nous en avons pris note.
Interpellations urgentes écrites
La présidente. Vous avez trouvé sur vos places les interpellations urgentes écrites suivantes:
Interpellation urgente écrite de M. Claude Aubert : Coûts de la santé : une querelle ( IUE 152)
Interpellation urgente écrite de M. Pierre Kunz : Politique salariale de l'Etat, un tabou ? ( IUE 153)
Interpellation urgente écrite de M. Gabriel Barrillier : Construire à Genève, c'est incontournable ( IUE 154)
Interpellation urgente écrite de M. Gabriel Barrillier : CEVA - Ne pas relâcher la pression ( IUE 155)
IUE 152 IUE 153 IUE 154 IUE 155
La présidente. Conformément à l'article 162 de notre règlement, le Conseil d'Etat - respectivement le conseiller d'Etat interpellé - répond par écrit au plus tard lors de la session suivante.
Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons le cours de notre ordre du jour.
Premier débat
La présidente. Le rapporteur est M. Annen, retenu pour des raisons de santé. Nous formons tous nos voeux pour son prompt rétablissement. M. Annen est remplacé par M. Plojoux. Monsieur le rapporteur, avez-vous quelque chose à ajouter au rapport?
M. Patrice Plojoux (L), rapporteur de majorité ad interim. Je n'ai pas grand-chose à ajouter, si ce n'est qu'il s'agit surtout de formaliser une méthode que l'on connaît maintenant relativement bien. Il s'agit de la méthode consistant à avancer le traitement de certains points inscrits à l'ordre du jour. Je tiens à ajouter que seuls des objets n'ayant aucun caractère conflictuel sont inscrits dans les extraits: il s'agit d'objets votés à l'unanimité ou à une large majorité en commission, qui ne sont généralement pas controversés.
Il est, en revanche, apparu nécessaire de préciser un point: si l'on établit un ordre du jour des extraits, il faut, pour respecter le fonctionnement de notre parlement, que cet ordre du jour ne puisse être changé. C'est ce point qui est précisé à l'article 95, alinéa 3.
Voilà ce que je tenais à ajouter, Madame la présidente. J'espère que tout le monde - ou, du moins, une majorité de députés - soutiendra ce projet de loi.
M. Pierre Guérini (S), rapporteur de minorité. Sans nier les qualités de mon voisin, je regrette l'absence de M. Annen. Ce dernier a en effet été le principal contradicteur du rapport de minorité dans le cadre des travaux de la commission. Je lui adresse au passage tous mes voeux de prompt rétablissement.
Ce projet de loi, je dois reconnaître en toute honnêteté qu'il m'avait intéressé au départ parce que, compte tenu de la problématique que constitue l'ordre du jour de notre Grand Conseil, j'avais, dans un premier temps, imaginé qu'il s'agissait d'un moyen de favoriser l'avancement de nos travaux. Dans le cadre des travaux de commission, On s'est malheureusement rendu compte que, loin d'aider à l'avancement des travaux, ce projet ne faisait en réalité que permettre à une catégorie de députés d'assister ou non aux séances plénières. On arrive ainsi de factoà une hiérarchisation des projets de lois et des motions qui nous sont présentés. Or, je pense que cela ne peut être fait.
En deuxième lieu, si ce projet de loi pose une vraie question, il y apporte, comme plusieurs autres projets de lois, une mauvaise réponse. C'est une mauvaise réponse parce que, au lieu de procéder à une révision globale de notre règlement du Grand Conseil, au lieu de traiter de l'ensemble du fonctionnement de notre parlement, on vient avec différents projets de lois qui, pris pour eux-mêmes, peuvent donner l'impression d'être efficaces mais qui, pris dans leur ensemble, démontrent une volonté de la majorité de ce Grand Conseil de supprimer les prérogatives des députés.
D'autre part, virgule... (Rires.)Oui, il y a bien une virgule... D'autre part, avec l'expérience, on est arrivé à plusieurs constats. Premier constat: on a supprimé les débats de préconsultation. Les projets de lois sont donc immédiatement renvoyés en commission sans qu'il soit possible de donner son avis. Or, lorsque le débat de préconsultation existait, ce dernier permettait de mesurer quelle était l'urgence de traiter un point au sein d'une commission. Le second constat renvoie à la suppression des interpellations urgentes écrites... Pardon, des interpellations urgentes orales, ce qui a débouché sur les interpellations urgentes écrites. Là encore, la majorité du Conseil d'Etat nous a fait savoir que ces interpellations urgentes écrites n'étaient pas acceptables, car y répondre prenait trop de temps aux fonctionnaires. A mon sens, l'ensemble de ces documents et de ces projets de lois s'inscrivent dans la même démarche - et je suis d'avis qu'il faut impérativement les refuser.
M. Mark Muller (L). Le groupe libéral soutiendra bien entendu ce projet de loi, puisque l'un des nôtres figure parmi ses instigateurs. Traditionnellement, le groupe libéral a toujours été plutôt réticent à la tenue de séances supplémentaires dans l'après-midi. Et, s'il y a quelque temps nous avons accepté le traitement de certains sujets non conflictuels durant la séance spéciale du vendredi après-midi, c'est précisément parce qu'il s'agissait d'objets non conflictuels permettant à certains d'entre nous de ne pas être aussi assidus que d'habitude à nos séances - en d'autres termes, de sujets devant en principe être adoptés à l'unanimité après un bref débat.
Le projet qui sort de commission est légèrement différent de cet esprit, puisqu'il nous est proposé que ce soit le Bureau qui, après consultation des chefs de groupe, définisse les points qui seront traités en procédure accélérée. Cela constitue une grande différence avec la pratique actuelle puisque, aujourd'hui, il suffit qu'un groupe souhaite le retrait d'un point des extraits pour que ce point en soit effectivement retiré; chaque groupe dispose ainsi d'un droit de veto. Avec le projet qui nous est proposé, nous nous écartons quelque peu de cette pratique: nous nous dirigeons vers une consultation des chefs de groupe - lesquels, en cas de contestation, pourront se prononcer par un vote - et le Bureau tranchera sur la base du vote des chefs de groupe. Ce que je crains, c'est que nous en venions, par ce biais, à voir figurer à l'ordre du jour des extraits - enfin, de ce que nous appelons aujourd'hui «extraits», mais que nous appellerons à l'avenir «procédure accélérée» - des points qui pourraient ne pas être aussi consensuels que cela - ce qui pourrait déboucher sur un certain nombre de problèmes. Si le groupe libéral a un message à transmettre au Bureau du Grand Conseil, c'est donc de se montrer extrêmement attentif à ce que l'on ne traite en procédure accélérée que de sujets non conflictuels ayant fait l'objet d'une unanimité ou d'une quasi-unanimité en commission.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Voyant la liste des orateurs s'allonger, le Bureau vous propose de clore cette dernière. La voici: Mme et MM. Laurence Fehlmann Rielle, André Reymond, Jacques François, Jean Spielmann, Bernard Lescaze, Alain Charbonnier et Christian Bavarel.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Le groupe socialiste n'a jamais été très chaud quant à la procédure des extraits, et l'expérience que nous avons vécue ces derniers mois nous a confortés dans notre conviction qu'il ne s'agissait pas d'une bonne procédure. Par conséquent, nous ne souhaitons pas du tout ancrer cette pratique dans la loi. Il conviendrait plutôt de s'interroger sur la raison des blocages que connaît ce parlement - blocages que nous ne nions pas. Cela fera certainement l'objet de la discussion du projet de loi suivant.
M. le rapporteur de minorité Guérini a mis en évidence le fait que ce projet de loi revenait à établir une hiérarchie entre les projets avec, comme unique critère, un éventuel consensus en commission. Ce critère ne nous semble pas suffisamment valide pour poursuivre dans cette voie. On se retrouve donc avec des ordres du jour encore plus chaotiques qu'auparavant puisque nous nous trouvons soit face à des extraits prétendument consensuels, soit face à des urgences classées selon un ordre de priorité décidé par la majorité - alors que d'autres projets de lois ou d'autres motions figurent à l'ordre du jour depuis des lustres ! Et il n'est pas normal que certains projets attendent deux ans avant d'être traités parce qu'ils ne figurent ni dans les extraits ni dans les urgences !
L'expérience nous a par ailleurs amenés à constater que l'on devait parfois s'autocensurer lorsqu'on se trouvait en procédure d'extraits, car on était censé ne pratiquement pas prendre la parole. Et si l'on avait le malheur de le faire ou de changer la majorité issue de commission, c'était un scandale... On nous a fait savoir qu'il fallait avertir les chefs de groupe du fait que la majorité pouvait éventuellement changer. Cela montre bien le dysfonctionnement et l'absurdité de cette procédure !
Pour tenter de traiter l'ensemble des points inscrits à l'ordre du jour, il vaudrait mieux, comme on l'a fait par le passé, convoquer des séances supplémentaires. Je vous rappelle que, lors de la précédente législature, nous avons réussi à plusieurs reprises - au moins à deux reprises - à terminer l'ordre du jour. C'est donc possible - et l'on voit bien qu'une procédure d'extraits ne contribue pas à éviter des blocages. Cette procédure permet tout simplement à certains députés de ne pas se sentir obligés de venir à la séance du vendredi après-midi. Si c'est le cas, que chacun prenne ses responsabilités, mais il ne faut pas tenter de couper court au débat en prétendant que les extraits ne concernent que des objets consensuels !
Vous l'aurez compris: le groupe socialiste s'oppose à ce projet de loi, qu'il vous recommande de rejeter.
Je souhaite faire une ultime remarque, puisque ce sujet a été abordé dans le rapport de majorité de M. Annen - dont on regrette l'absence.
Une voix. Lui aussi !
Mme Laurence Fehlmann Rielle. Effectivement, il le regrette aussi. Ce rapport fait allusion à plusieurs reprises à l'étude réalisée par le Professeur Sciarini auprès des députés concernant le mode de fonctionnement du Grand Conseil. Si le diagnostic sur les problèmes de blocage et de surcharge est relativement convergent, j'y relève tout de même un biais, et sans remettre en cause la fiabilité de cette étude: il y est question de n'avoir jamais remis en cause les horaires du Grand Conseil. Or si l'on analyse la composition du parlement actuel - ou même celle de la législature précédente - on constate que c'est en grande majorité des hommes qui y siègent. Et ces hommes n'ont pas forcément les mêmes préoccupations que les femmes - en particulier celles qui ont charge de famille avec des enfants en âge scolaire. Là, la question des horaires joue précisément un rôle, cela met aussi en question le fonctionnement du parlement de milice. Je souhaitais relever ce point, car il me semble que les conclusions de cette étude sont entachées d'un certain biais du fait même de la large sous-représentation des femmes dans cette enceinte.
M. André Reymond (UDC). A une époque, le Bureau a effectivement cherché une solution modeste pour résoudre les difficultés de ce Grand Conseil en avançant le traitement de certains points inscrits à l'ordre du jour. Nous n'avions évidemment pas l'envie de transformer complètement ce parlement, car on sait fort bien - et je pense que tous les partis seront d'accord sur ce point - que tout ne fonctionne pas parfaitement et que chaque groupe, majoritaire ou minoritaire, peut bloquer un projet. Et le but de celui-ci était d'apporter une solution modeste consistant à avancer le traitement de certains points inscrits à l'ordre du jour.
On a évoqué le fait qu'actuellement - mais, une fois encore, ce n'est pas notre faute si certains partis ne veulent plus être représentés au Bureau - si un seul chef de groupe ou un seul membre du Bureau n'était pas d'accord pour qu'un objet soit traité en extraits, cet objet ne l'était pas. Tout à l'heure, les représentants de partis de l'opposition ont pris la parole en déclarant que ces extraits, c'était un parlement à deux vitesses. Mais voyez aujourd'hui: bien que nous ne soyons pas en séance d'extraits, il manque tout de même beaucoup de nos collègues... Je ne pense pas que ces absences soient dues au traitement ou non de certains objets en procédure accélérée.
Ce projet de loi nous permettra peut-être de désengorger notre parlement. Ce n'est pas en bloquant toute idée positive susceptible d'être apportée que nous trouverons une solution permettant l'avancement de nos travaux. Comme je l'ai indiqué précédemment, il ne s'agit que d'une solution modeste - et peut-être au point suivant de l'ordre du jour découvrirons-nous d'autres moyens de désengorger ce parlement. Je suis d'accord avec vous quant au fait que ce parlement connaît des dysfonctionnements, mais, si nous ne voulons pas qu'il reste engorgé pendant une année encore, il nous faudra trouver ensemble, peut-être sur le mode du fonctionnement fédéral, un ordre du jour susceptible d'être plus adéquat que ce n'est le cas actuellement.
Au nom du groupe UDC, je vous recommande donc de suivre le rapporteur de majorité et d'accepter ce projet de loi !
M. Jacques François (AdG). Deux éléments concernant ce projet de loi: premièrement, comme l'ont relevé plusieurs intervenants, je ne suis pas sûr que la procédure des extraits soit une bonne chose pour ce parlement. Cela permet bien sûr à un certain nombre de députés de disposer de leur vendredi après-midi pour poursuivre leurs affaires, alors que quelques députés, tâcherons dont je fais partie, lèvent mollement le bras aux ordres de la présidente ou du président qui lit le libellé des projets le plus rapidement possible... Rappelez-vous: M. Pétroz excellait dans cet exercice. Il y aurait beaucoup à dire sur cette manière de procéder et sur ses implications pour ce parlement. Aujourd'hui, par exemple, il n'y a pas eu de séance entre 15h et 17h, car il n'y avait aucun point à mettre aux extraits - et cela, alors qu'il y a 120 points inscrits à l'ordre du jour et qui auraient pu être traités ! Cela montre bien que les députés et les projets ne sont pas considérés de la même façon à 15h et à 17h !
Deuxièmement, s'agissant de la procédure des extraits elle-même, l'intérêt de légiférer me paraît mince. Le fonctionnement actuel de cette procédure est relativement satisfaisant et permet parfois d'accélérer les choses. Or, c'est ce fonctionnement que le projet de loi vient perturber. En effet, la pratique permettant à un seul groupe de s'opposer à l'inscription d'objets aux extraits garantissait, sauf accident, que le débat sur le projet serait court et qu'ainsi ce qui a été voulu par l'instauration des extraits fonctionnerait.
En adoptant une inscription aux extraits à la majorité, comme M. Muller l'a relevé, on risque tout simplement d'aller à l'encontre du but recherché par la procédure des extraits. Le débat sera ouvert par l'un ou l'autre groupe qui n'était pas d'accord avec l'inscription aux extraits, cela durera, et fini les avantages des extraits ! Dernier avantage qui subsistera: le vendredi après-midi libre de certains députés... Je vous signale qu'en commission M. Pétroz nous a lui-même déclaré que le fonctionnement des extraits reposait sur un large consensus et qu'il ne lui serait jamais venu à l'esprit de forcer l'introduction d'un objet aux extraits.
Il est donc tout à fait possible de poursuivre la procédure actuelle sans adopter cette loi. Notons au passage que la «légiférite» aiguë sévit toujours dans ce parlement et continue de l'encombrer... Je vous propose donc de refuser ce projet de loi.
M. Jean Spielmann (AdG). L'orientation prise par ces différents projets de lois ne permettra, à mon sens, pas de trouver de solution. Qu'est-on en train de faire ? Empêcher le débat politique de fond. Ces différentes propositions vont conduire à la multiplication des débats sur la forme, sur la manière dont nous devons discuter. On va interdire aux députés de parler politique en limitant leur temps de parole, en insérant des objets dans les extraits ou en changeant la manière de fixer l'ordre du jour, mais l'on n'empêchera pas ce que j'appellerai la «municipalisation» des débats du Grand Conseil - soit le fait de parler et de reparler de tout, surtout des détails, et non du fond.
On devrait, à mon avis, changer radicalement de méthode en examinant ensemble le fonctionnement de ce parlement et en formulant des propositions cohérentes et concrètes permettant de résoudre les problèmes actuels - car les questions soulevées jusqu'à présent ne l'ont pas permis.
Un député a relevé que l'on procédait à une lecture très rapide des extraits et que l'on accomplissait un gros boulot. Mais je vous rappelle qu'il reste 170 points à l'ordre du jour et que la question fondamentale n'a toujours pas été résolue ! Le débat politique n'a pas gagné en clarté, et l'on continue à débattre d'éléments qui devraient être étudiés en commission ! Et, en interdisant le débat de préconsultation - je prends l'exemple du présent débat - on clôt la discussion après quelques minutes. Dès lors, que se passe-t-il ? Vous êtes obligés de vous inscrire pour avoir une chance de répondre à un député en fonction de l'évolution du débat. On ne devrait pas travailler de la sorte ! On devrait laisser le débat avoir lieu, on devrait permettre aux uns de répondre aux autres sur des questions politiques - et non obliger les députés à s'inscrire simplement parce que l'on clôt la liste des intervenants ! C'est une...
Une voix. Mais c'est humain !
M. Jean Spielmann. Continuez ainsi ! C'est une absurdité, car vous n'empêcherez pas les députés de prendre la parole, même pour peu de temps ! Et l'on évacue complètement le problème du débat politique de fond ! De surcroît, plus vous instaurerez d'interdits et plus vous tenterez de bloquer le débat, plus les députés contourneront ces interdits pour s'exprimer, moins le débat politique sera clair et moins on parviendra à des solutions sur des problèmes majeurs ! Voilà la première observation que je tenais à faire.
Ma seconde observation porte sur une question qui me semble beaucoup plus fondamentale, car elle traite directement de la gestion des affaires publiques: il s'agit de la hiérarchisation des problèmes. Vous voulez hiérarchiser des objets sur la base du résultat d'un vote en commission ou d'un accord commun... Mais le problème n'est pas de savoir qui est d'accord et qui ne l'est pas: le problème est de déterminer l'importance des objets inscrits à l'ordre du jour ! Il fut un temps où le projet de loi avait la priorité sur la motion, la motion sur l'interpellation et l'interpellation sur la pétition. On avait hiérarchisé ces objets et l'on inscrivait à l'ordre du jour les projets de lois d'abord - les nouveaux ainsi que ceux qui leur étaient liés - les motions et les interpellations ensuite, les pétitions enfin. Pourquoi a-t-on mélangé le tout ? Simplement parce que vous avez voulu offrir au Conseil d'Etat la possibilité d'être présent à la carte. Ainsi, au lieu d'être un corps constitué répondant sur des questions politiques de fond, le Conseil d'Etat est devenu une adjonction de sept spécialistes s'occupant de leurs départements respectifs et assistant aux séances du Grand Conseil à la carte, sur la base d'un ordre du jour préparé et préétudié en fonction de chaque département, avec ses petites pétitions, ses interpellations, ses questions écrites et ses projets de lois. Et les grands débats ?! Et les questions importantes ?! Elles viennent ensuite. Ou elles ne viennent que si vous parvenez, par la bande, à présenter des sujets en interpellation urgente. Tout le reste ne passe pas !
Il faut changer de méthode. De nombreux objets peuvent fort bien se contenter d'une procédure écrite. Je pense à certaines pétitions; je pense également à certaines motions; je pense même à certains objets pour lesquels on pourrait fort bien mettre en place une procédure qui permettrait d'accélérer des travaux du Grand Conseil et de traiter des problèmes politiques importants. On devrait renvoyer ces questions en commission pour les revoir et avancer des propositions concrètes permettant à ce parlement de devenir le lieu d'un débat politique, et non plus le lieu de débats spécialisés qui écorchent les projets de lois.
Si je dépose un amendement, on me dira que je ne pourrai m'exprimer que sur l'objet de cet amendement. Cela signifie que, si vous voulez vous exprimer dans cette enceinte, il faudra présenter des amendements. Ces amendements ne devront pas nécessairement être très importants. Par exemple, s'il est prévu qu'un projet de loi entre en vigueur le lendemain de sa promulgation dans sa «Feuille d'avis officielle», vous déposerez un amendement proposant que le projet entre en vigueur une fois que le Conseil d'Etat l'aura décidé ou à une date précise - et vous pourrez ainsi vous exprimer... Mais, politiquement, vous n'avez pas le droit à la parole. Pensez-vous que cela soit juste ?! Est-ce cette direction qu'il faut prendre ?! Ne pensez-vous pas que l'on devrait examiner les choses différemment ?!
Pour ma part, je suis prêt à reprendre l'ensemble du dossier, à discuter de ces questions et à chercher des solutions cohérentes qui permettent au débat politique d'avancer. Je pense que nous faisons fausse route avec ce projet de loi ainsi qu'avec le suivant. Je suis convaincu que des députés au bénéfice d'une certaine expérience savent que l'on doit prendre des mesures bien plus importantes, mais nous permettant de préserver le débat politique.
Si vous voulez continuer avec ces projets de lois, acceptez celui-ci, formalisez la procédure des extraits, faites interdire la parole aux députés pour ne la laisser qu'aux groupes ! Les députés trouveront des moyens dérivés pour pouvoir s'exprimer... Et une fois que vous aurez instauré toutes vos lois, si je veux, en tant qu'élu, prendre la parole, il faudra que je démissionne de mon groupe à 18h30 pour m'exprimer - car le président n'empêchera pas un député qui n'est rattaché à aucun groupe de prendre la parole - et que je le réintègre à 19h ! Est-ce genre de procédure que vous voulez mettre en place ?! C'est ridicule ! On trouvera toujours moyen de prendre la parole lorsqu'il s'agira simplement de vous embêter ! On n'aura, en revanche, plus le temps de faire de la politique ! Et il faut donner la priorité au débat politique ! (Brouhaha.)
C'est pourquoi je propose le renvoi de ces projets de lois en commission pour qu'ils y fassent l'objet d'une discussion sérieuse et que l'on revienne avec des propositions permettant à ce Grand Conseil de retrouver un peu de sa crédibilité ! (Applaudissements.)
M. Bernard Lescaze (R). Si j'ai bien compris l'orateur précédent, ce dernier souhaite le renvoi de ce projet de loi en commission. En répondant à ses arguments, je me prononcerai pour le refus de ce renvoi en commission. De quoi s'agit-il dans ce projet ? Il s'agit de formaliser une procédure que nous avons acceptée à l'essai et qui, finalement, a donné des résultats relativement satisfaisants. Cette procédure avait montré quelques failles, que les auteurs du projet de loi ont résolues en déposant le présent projet que nous vous demandons aujourd'hui d'accepter.
Il est évident que nos débats se prolongent de par la complexité des affaires publiques - de par, aussi, le manque de discipline au sein des groupes. Cette procédure s'efforce de reconnaître l'importance des sujets - et il ne s'agit pas d'une importance hiérarchique, mais du degré de consensualisme présidant à l'adoption de ces projets. La procédure accélérée n'empêche en outre nullement le débat, car il s'agit d'une séance comme une autre, dans laquelle il n'existe aucune hiérarchie ! Sur un projet de loi sur les handicapés voté à l'unanimité, chaque groupe a, par exemple, bien légitimement tenu à s'exprimer. Mais, si sept groupes sont représentés au Grand Conseil, il n'y a pas besoin que les cent députés s'expriment pour tous déclarer qu'ils sont d'accord avec un projet !
Nous ne tenons pas à être un parlement de professionnels, car Genève n'a pas les moyens d'avoir cent députés professionnels. Nous tenons à rester un parlement de milice ! Nous avons tous un certain nombre d'occupations - et il a justement été rappelé sur les bancs socialistes que c'était même le cas des mères de famille. C'est le cas de chacun d'entre nous: nous avons tous des horaires limités, car nous n'avons que vingt-quatre heures dans nos journées. De ce point de vue, nous sommes, les uns et les autres, tous égaux.
Ce que nous voulons avec ce premier projet de loi, c'est faciliter l'avancement d'un certain nombre de projets. L'idée invoquée par le rapporteur de minorité de refaire l'entier de notre règlement est très bonne, mais parfaitement impossible à réaliser. Le projet suivant fait déjà, je viens de les compter, l'objet de six amendements alors qu'il ne porte que sur l'aménagement du temps de parole en séance plénière !
Le présent projet permet à des objets ayant fait l'unanimité en commission ou n'étant pas controversés d'être plus rapidement traités. On me dit: «Il faudrait qu'un nouveau règlement renforce le pouvoir de certaines commissions pour que le travail se fasse en amont». Il s'agit d'une très bonne idée - et le parlement italien procède ainsi, puisque les commissions de ce parlement sont dotées de pouvoirs décisionnaires. Mais, alors même que vous voulez faire davantage confiance aux commissions, tout votre discours relatif à ce projet de loi consiste à refuser d'accorder votre confiance au Bureau et aux chefs de groupe ! J'en suis quelque peu étonné, car le règlement de notre Grand Conseil prévoit que tous les partis soient représentés au Bureau, et si certains partis n'entendent pas se faire représenter au Bureau, c'est leur libre choix. Quant aux chefs de groupe, si un parti - sauf erreur, relativement proche du vôtre, Monsieur Spielmann - n'a, pour des raisons purement intérieures, plus voulu désigner de chef de groupe, c'est bien volontiers que nous avons accepté parmi nous un coordinateur ayant rang et qualité de chef de groupe. En conséquence, tous les partis peuvent faire entendre leur voix. Chacun sait ce qu'est la consultation. Mais, si vous voulez que ce parlement fonctionne, il faut aussi renforcer la confiance en ceux que vous élisez année après année à la tête de ce parlement - soit le président, les vice-présidents et les secrétaires.
Ce projet propose un moyen purement technique de faire avancer nos travaux. Personne n'a à s'inquiéter que des projets faisant l'unanimité ou n'étant pas controversés soient traités lors de ces séances accélérées à côté d'autres projets qui seraient controversés. Nous savons très bien, les uns et les autres, quels sont les projets qui sont controversés - quels sont les projets qui, précisément, ne peuvent simplement passer. Dans ces conditions, il n'y a qu'une solution: cette procédure qui est mise en application depuis quatre ans doit être inscrite dans la loi portant règlement du Grand Conseil de manière à être formalisée. Cette procédure ayant été aménagée, je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à voter ce projet de loi tel quel !
La présidente. Merci, Monsieur le député. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil. Je passe la parole à M. le député Charbonnier, qui devra s'exprimer sur ce renvoi.
M. Alain Charbonnier (S). Tout comme M. Lescaze, je m'exprimerai sur le renvoi en commission. Lorsqu'il y a une maladie, on pose un diagnostic. Comme l'a relevé M. Spielmann, je pense que nous sommes tous d'accord sur l'existence d'un gros problème au sein de ce parlement. Au vu du nombre de points inscrits à l'ordre du jour, il me semble qu'il n'y a pas besoin d'épiloguer sur cette question... Nous avions demandé une étude au Professeur Sciarini sur le profil socioprofessionnel des députés, de manière à nous faire une idée plus précise des personnes siégeant dans cette enceinte. Là-dessus, l'ancien Bureau du Grand Conseil a demandé des points plus détaillés relatifs à d'éventuels projets de lois qui, sauf erreur, avaient déjà été déposés. Le Professeur Sciarini a donc étendu son étude pour nous fournir un diagnostic relativement complet de ce parlement. Et qu'a fait la droite de cette étude en commission ?! Elle en a parlé dix minutes avant de refuser l'entrée en matière sur un projet de loi - je ne sais plus lequel ! Ah, si: il s'agissait du projet de loi relatif à l'horaire des sessions déposé par les Verts. En dix minutes, la commission a quasiment mis cette étude à la poubelle - étude qui, il faut le signaler, a tout de même coûté 40 000 F ! Alors, que l'on vienne maintenant nous donner des leçons sur le fait que l'on s'oppose ici et là à différents projets de lois...
L'explication à cette opposition est la suivante: comme l'a indiqué M. Spielmann, il faudrait tout reprendre plutôt que de saucissonner par différents projets la loi portant règlement du Grand Conseil. Comme l'ont d'ailleurs fait remarquer certains députés de droite en commission, il est exceptionnel qu'un règlement soit porté à titre de loi dans un parlement cantonal ou fédéral. Même aux Chambres fédérales, cela n'est pas le cas: le règlement reste un règlement.
Le projet qui nous est proposé comporte divers oublis, ce qui mérite un renvoi en commission. Je vous rappelle qu'à 14h ou à 15h, nous traitons des points relatifs à la Fondation de valorisation. Avec ce nouveau projet de loi, impossible de les traiter ! Et, à la fin de la séance des extraits, que fait-on d'ordinaire ? On reprend l'ordre du jour et l'on continue. Comme M. Annen l'écrit dans son rapport: «Le corollaire de cette pratique fait que la présence de tous les députés n'est pas fondamentale et laisse quelque latitude de répondre aux obligations professionnelles importantes.» Je laisse la population face à cette déclaration... En général, les gens n'ont déjà pas trop confiance en nous, mais, si notre présence n'est de surcroît pas fondamentale, ils vont bien rigoler... Certains députés estiment qu'il n'est pas important de siéger durant ces après-midi. Il y a toutefois une partie des députés qui viennent. Or, avec ce projet, une fois que l'on aura fini les extraits - dont la procédure de traitement sera la plupart du temps évidemment très rapide, puisqu'il s'agit de points ne rencontrant aucune opposition majeure...
M. Bernard Lescaze. C'est efficace !
M. Alain Charbonnier. Evidemment que c'est efficace, Monsieur Lescaze ! Mais un enfant aurait résolu ce problème de la même façon: on commence par les jeux faciles et l'on garde les jeux difficiles pour la fin... Ou, lorsqu'on n'aime pas quelque chose dans une assiette, on mange ce que l'on aime bien en premier et l'on garde les hors-d'oeuvre pour la fin... Nous avons procédé de la même manière - et l'on vient nous dire que c'est très efficace ?! Laissez-moi rire ! En revanche, on ne peut plus, comme à l'époque, se détendre entre deux points majeurs: on ne fait plus qu'enchaîner des points majeurs. Je pense que l'on perd davantage de temps ainsi.
Pour revenir au déroulement de la séance de l'après-midi, outre le traitement des points relatifs à la Fondation de valorisation, il ne sera plus non plus possible de reprendre l'ordre du jour. Actuellement, si l'on commence une séance à 14 h et que l'on finit les extraits à 15 h, on a loisir de reprendre l'ordre du jour normal. Avec cette procédure, ce ne sera plus le cas. Il convient de réfléchir à toutes ces modifications.
Le travail n'ayant pas été complètement effectué en commission, je soutiens le renvoi en commission proposé par M. Spielmann.
M. Christian Bavarel (Ve). Les Verts ont toujours été très réticents quant à la procédure des extraits. C'est une drôle de méthode que de grouper en premier lieu les débats portant sur des objets «faciles» avant l'affrontement. Cette méthode fait encore monter l'affrontement. Lorsque, au milieu de notre ordre du jour, des débats sur des objets plus consensuels permettaient de reprendre notre respiration, les séances se déroulaient un peu mieux. Là, on sait que l'après-midi est relativement calme et que, le soir, ça va cogner... (Brouhaha.)Le principe que l'on veut mettre en place, c'est une polarisation de plus en plus forte de nos débats. Nous ne sommes plus en train de construire pour Genève: nous sommes en train de nous affronter de manière stérile au lieu de construire pour Genève.
Il semblerait qu'il y ait, dans ce parlement, des députés plus importants que les autres - des députés devant se consacrer à d'autres activités, car investis de hautes responsabilités professionnelles - et des députés de deuxième classe censés entériner les lois sur lesquelles on aurait tous été d'accord. Comme si, quand l'objet est consensuel, les lois étaient peu importantes ! On peut tous s'accorder sur un projet important, mais il serait dommage que des projets comme celui-là soient traités par-dessus la jambe sous prétexte que les députés dits «importants» - terme qui m'amuse un peu... - puissent être absents. On voit très bien quelle est cette conception de la fonction de député qui voudrait qu'une partie de la population ne soit pas représentée dans ce parlement - qu'il s'agisse de femmes, mais aussi d'hommes ayant à charge des enfants en bas âge. Ces temps-ci, on a constaté la présence de quelques nouveaux jeunes pères dans notre parlement. Je leur souhaite de disposer de temps pour être auprès de leurs enfants. De même que l'activité parlementaire est quelque chose d'extrêmement important, cela me semble être quelque chose d'essentiel.
En Suisse, notre système politique a toujours cherché à préserver les minorités. On se rend compte que, dès que l'on essaie de fonctionner autrement, le système est conçu de telle manière qu'il se bloque, qu'il se paralyse - car il s'agit d'un système proportionnel basé sur le principe de démocratie semi-directe, offrant un droit de référendum et un droit d'initiative. Si vous voulez imposer vos idées par la force, le système bloque ! Un tel système nous demande de nous montrer responsables et de travailler ensemble pour construire quelque chose.
Pour ma part, je pense qu'il y a encore un travail à faire sur ce projet de loi. Je vous invite donc à le renvoyer en commission.
M. André Reymond (UDC). Je comprends très bien vos démonstrations, Mesdames et Messieurs les députés. Ces démonstrations sont brillantes: c'est sûr que l'on manque d'efficacité, c'est sûr que rien n'avance. Je ne pense toutefois pas que c'est en renvoyant ce projet de loi en commission que vous mettrez en place un nouveau règlement du Grand Conseil !
Il est vrai que notre ambition n'était pas énorme: il s'agissait de trouver, pas à pas, de modestes solutions pour éviter l'engorgement de ce parlement. Je ne comprends pas que certains députés se plaignent, qu'ils reprochent à d'autres de se moquer de leurs électeurs et de manquer de sérieux en ne siégeant pas dans cette enceinte le vendredi après-midi.
Je l'ai déjà dit tout à l'heure, mais je tiens à le souligner une nouvelle fois: Mesdames et Messieurs de la gauche, c'est vous qui refusez de venir au Bureau ! Or, c'est là que se constitue l'ordre du jour ! Et, comme je l'ai déjà rappelé, vous avez tout loisir de refuser un point en extraits si vous voulez qu'il y ait débat !
Pour avancer dans nos travaux et désengorger notre parlement, je le répète: ayez la sagesse d'accepter ce projet de loi et de ne pas le renvoyer en commission !
M. Patrice Plojoux (L), rapporteur de majorité ad interim. J'aimerais rappeler que ce sont en moyenne 160 objets qui, ces dernières années, ont été annuellement traités par la procédure des extraits. Ce n'est pas négligeable lorsqu'on voit notre ordre du jour. On ne peut donc pas nous prêter toutes les mauvaises intentions que j'ai entendues ici !
Le procédé que l'on propose de mettre en place est, en définitive, relativement simple: après consultation des chefs de groupe - première garantie - c'est le Bureau qui fixe les points qui seront traités en procédure accélérée, pour autant qu'il s'agisse, soit d'objets non controversés, soit d'objets votés à l'unanimité ou à une très large majorité en commission. C'est donc non seulement permettre un avancement un peu plus rapide de nos ordres du jour, mais également respecter le travail effectué par les commissions que de procéder de la sorte.
Je vous propose une nouvelle fois de refuser le renvoi en commission et d'accepter ce projet de loi tel qu'il vous est présenté !
M. Pierre Guérini (S), rapporteur de minorité. Je suis un peu surpris, car je ne m'attendais pas à prendre la parole sur le sujet maintenant. Je pensais que l'on allait se prononcer sur la demande de renvoi en commission et que, si le renvoi était refusé, le débat se poursuivrait et que je m'exprimerais alors sur ce projet de loi.
La présidente. Très bien, Monsieur le rapporteur de minorité. Je mets aux voix la demande de renvoi de ce projet de loi en commission.
Mis aux voix, le renvoi de ce projet de loi à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 43 non contre 34 oui.
La présidente. Monsieur le rapporteur de minorité, je vous redonne donc la parole.
M. Pierre Guérini (S), rapporteur de minorité. On a reproché à l'Alternative de ne pas siéger au Bureau. Mais quel est le problème ? Le problème, c'est que ce parlement est actuellement engagé dans un combat gauche-droite - un dur combat qui se poursuivra l'année prochaine. Le Bureau étant, même si nous y étions représentés, majoritaire à droite, cela ne changerait strictement rien aux pouvoirs qui lui sont conférés concernant la mise à l'ordre du jour ou non des extraits. Si l'on ne siège pas au Bureau, c'est simplement parce qu'on ne nous y écoute pas et que l'on a aucune chance de faire avancer quoi que ce soit dans un tel cadre ! (L'orateur est interpellé par M. Reymond.)
La présidente. Merci de ne pas interpeller le rapporteur de minorité, Monsieur Reymond !
M. Pierre Guérini. La question de l'inscription d'un objet aux extraits vient également de ce qu'il y a un certain délai entre le dépôt d'un projet de loi, d'un projet de motion ou d'un projet résolution et son traitement en commission. C'est ainsi que le projet de loi 9109, déposé le 28 octobre 2003, n'est traité qu'en décembre 2004 - soit plus d'une année après son dépôt. Cela signifie qu'un certain nombre de projets de lois restent en commission durant un temps infini et que l'on devrait les accepter en procédure accélérée. Ce n'est pas possible ! (Un instant s'écoule.)
La présidente. Avez-vous quelque chose à ajouter, Monsieur le rapporteur ?
M. Pierre Guérini. Oui, Madame la présidente. Le fait d'accorder au Bureau la possibilité de laisser ou de retirer un élément découle de mes propos précédents, relatifs au délai entre le traitement d'un objet en commission et son traitement en séance plénière. Toutefois, passablement d'éléments pouvant avoir évolué entre le dépôt d'un projet, le travail en commission et le traitement en plénière, on se trouve parfois obligé de retirer certains projets des extraits. Ce projet de loi donne au Bureau un pouvoir important - et ni les chefs de groupe, ni les minorités ne pourront s'exprimer dans ce cadre-là. Il faut donc le refuser !
M. Patrice Plojoux (L), rapporteur de majorité ad interim. Une précision à l'attention de M. Guérini: ce dernier accorde un pouvoir très important au Bureau et aux chefs de groupe. Et je constate que les objets reportés dans les extraits sont des sujets qui ont été votés à l'unanimité ou à une très large majorité en commission. Et là, Monsieur Guérini, vos groupes sont représentés en commission ! Vous êtes donc à côté du sujet. Je vous propose ainsi de voter ce projet de loi !
Une voix. Bravo !
M. Pierre Guérini (S), rapporteur de minorité. Je souhaite m'exprimer sur le sujet à propos duquel je viens d'être mis en cause. (Brouhaha.)Il faut vivre les commissions ! Lorsque, dans une commission de quinze membres, on vote des projets de lois alors que seuls six commissaires sont présents, je trouve inacceptable que l'on vienne dire ensuite qu'il y a eu consensus en commission ! Ce n'est pas vrai ! On ne peut pas se baser uniquement sur le vote de la commission pour dire qu'il y a eu consensus !
La présidente. La parole n'étant plus demandée, nous procédons au vote de ce projet de loi.
Mise aux voix, la loi 9109 est adoptée en premier débat par 43 oui contre 35 non.
La loi 9014 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 9109 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 43 oui contre 35 non.
Premier débat
La présidente. Monsieur le rapporteur de majorité, avez-vous quelque chose à ajouter à ce rapport ?
M. Patrice Plojoux (L), rapporteur de majorité ad interim. Oui, Madame la présidente. Je regrette une nouvelle fois l'absence de M. Annen - que je remplace au pied levé - car il était le moteur de ce projet de loi. Il est donc fort dommage qu'il ne soit pas là, et, s'il regarde Léman Bleu, je lui souhaite un bon rétablissement !
Je tiens simplement à faire savoir à M. Charbonnier que l'étude du Professeur Sciarini a été entendue, puisque cette étude démontre que plus de 80 % des députés approuvent le principe d'une diminution du temps de parole en séance plénière. Compte tenu du fait que ce qui s'énonce bien évite les redites et les palabres inutiles, nous avons envisagé de limiter ce temps de parole. Il s'agit, en réalité, moins d'une limitation du temps de parole que de l'instauration de règles légèrement différentes, puisque l'on peut dire beaucoup de choses en dix minutes si l'on se montre concis, que l'on évite les redites et que l'on se prépare un tant soit peu.
La réforme essentielle de ce projet consiste à attribuer un temps de parole de dix minutes par groupe - et non plus d'attribuer un temps de parole par député. Aux groupes de s'arranger lors de leurs caucus pour déterminer qui prendra la parole et de quelle manière. Quant aux amendements, le temps de parole est limité à six minutes par groupe et par amendement. Certains sujets pouvant nécessiter un débat politique un peu plus poussé - comme M. Spielmann l'a rappelé tout à l'heure - sa durée pourra, si nécessaire, être prolongée par le Bureau du Grand Conseil sur demande des deux tiers des députés.
Voilà, en gros, ce que ce projet de loi propose. A titre personnel, je vous invite à l'accepter. Reste un amendement concernant l'article 78, mais j'y reviendrai en temps opportun, de manière que les règles de discussion soient les mêmes pour tous.
La présidente. Puisque M. Jacques Eric Richard, rapporteur de première minorité, n'a rien à ajouter à son rapport, je passe la parole à M. Jacques François, rapporteur de deuxième minorité.
M. Jacques François (AdG), rapporteur de deuxième minorité. Ce projet de loi s'inscrit à la suite d'autres modifications du règlement du Grand Conseil proposant de restreindre le temps de parole des députés: suppression du débat de préconsultation, suppression des questions orales, fermeture de la liste des intervenants, procédure des extraits tout à l'heure et, maintenant, diminution drastique du temps de parole des députés en séance plénière ! Alors, vient à l'esprit la question suivante: à quoi sert un parlement pour la majorité actuelle ? A voter ses propres projets, puisqu'elle est majoritaire ! Tout le reste n'est que palabres inutiles...
Mesdames et Messieurs les députés, personne dans ce Grand Conseil ne se réjouit du retard pris dans le traitement des projets. Certaines lois attendent plus d'une année pour être discutées en plénière, et bien évidemment se pose la question de l'amélioration de ce fonctionnement. Le projet de loi proposé présente cependant, à mon sens, deux défauts rédhibitoires. Le premier, c'est son inefficacité annoncée: les effets pervers qu'il contient en germe auront tendance à détériorer la situation actuelle plutôt qu'à l'améliorer. Le second défaut, c'est le risque de dégradation des relations entre majorité et minorité - eh oui, Mesdames et Messieurs, c'est encore possible...
Au départ de ce projet, comme l'a souligné tout à l'heure M. Spielmann, il y a une absence d'analyse. Pourquoi de pareilles lenteurs dans le traitement parlementaire ? Comment se fait-il qu'il ait été possible, il y a quelques années encore, d'épuiser l'ordre du jour ? Quelles sont les raisons politiques qui ont conduit à la situation actuelle ? Et quelle est l'importance, dans cette situation, des relations entre majorité et minorité ? Eh bien, à défaut de diagnostic, les «bons docteurs» majoritaires, armés de leurs grands ciseaux, essaient de couper dans le temps en s'attaquant évidemment aux symptômes - et non à la maladie... L'échec est assuré, avec des conséquences qui peuvent être graves. Pour des projets simples, ne posant pas de problème technique ou juridique et dont les implications sont mineures, le temps de parole alloué permettra un débat suffisant - et le gain de temps réalisé par la nouvelle loi sera totalement insignifiant. En revanche, pour les projets qui posent de réels problèmes politiques et dont les implications sont importantes, la nouvelle loi coupera le débat, empêchera l'échange d'arguments, interdira la défense des positions de chaque parti. Dix minutes par groupe sont notablement insuffisantes, et chacun ici le sait bien ! A ce propos, on peut se demander quel est le but visé: raccourcir ou empêcher le débat ?! Or, Mesdames et Messieurs les députés, les débats tronqués sont précisément les débats qui ne finissent jamais ! L'expression politique nécessaire contournera les procédures que ce projet de loi veut mettre en place. Peut-être même assisterons-nous à de véritables blocages qui empoisonneront ce parlement !
Quant à la possibilité de déroger à la loi sur le temps alloué, elle est illusoire, puisqu'il faut l'accord des deux tiers des députés - et l'on ne voit pas la majorité assurée de son vote offrir à la minorité un temps supplémentaire pour défendre ses choix...
Nous n'améliorerons pas le fonctionnement de notre parlement en coupant la parole des députés pour essayer de traiter les points trop nombreux qui stagnent à l'ordre du jour. Une amélioration est, en revanche, possible si nous répondons aux questions suivantes: pourquoi l'ordre du jour compte-il 150 points ? Et pourquoi les discussions sont-elles si longues ? M. Kunz dit volontiers: «Quand on est majoritaire, on a le pouvoir et on l'exerce». Oui, Mesdames et Messieurs... Mais reste à ne pas trop abuser ! On ne coupera pas la parole par décret aux députés de l'opposition ! Si ce projet de loi est accepté, il ne fera que compliquer les relations au sein de ce parlement sans améliorer en aucune manière son fonctionnement. Ce projet de loi est mauvais ! Il compliquera le travail de notre parlement ! C'est pourquoi l'AdG vous engage à le refuser.
M. Jean Spielmann (AdG). Je suis déjà intervenu tout à l'heure pour dire l'essentiel sur la procédure en cours relative à l'organisation de nos travaux parlementaires. Toutefois, dans le cas particulier, on franchit un pas supplémentaire: ce que fait ce projet de loi, c'est interdire de parole les députés, puisque n'auront plus droit à la parole que les groupes ! Or il arrive très souvent - et vous aurez encore l'occasion de le constater - que les membres d'un même groupe ne soient pas d'accord entre eux, qu'ils aient des opinions différentes sur certains sujets politiques. Et parfois - même très souvent - l'opinion divergente d'un député peut être aussi valable que celle de la majorité de son groupe. Il n'est par conséquent pas inintéressant de lui offrir la possibilité de s'exprimer.
Cette loi change fondamentalement le rôle du député dans cette enceinte, puisqu'elle ne lui donne plus le droit de s'exprimer, sauf s'il quitte son groupe. Je vous rappelle que cette dernière mesure est possible en tout temps - de même qu'un député peut à tout moment réintégrer son groupe. Si l'objectif de ce projet de loi consiste à gagner du temps, je ne suis pas sûr qu'il soit atteint... Il est, en effet, très facile de contourner les dispositions proposées dans ce projet: il suffirait qu'un député quitte son groupe au début d'un débat et le réintègre à la fin ! Il y a là une volonté d'instaurer des dispositions réglementaires qui ne font rien d'autre que de compliquer le fonctionnement parlementaire en interdisant la parole aux députés et d'empêcher le vrai débat politique d'avoir lieu !
Le vrai débat politique exigerait la mise en place d'autres mesures pour permettre à ce parlement de fonctionner. Ces mesures, je les ai évoquées tout à l'heure: augmentation des procédures écrites, changement du mode de traitement d'un certain nombre d'objets, accélération des processus de renvoi au Conseil d'Etat. J'ai également fait remarquer que l'on avait fait du Conseil d'Etat une adjonction de sept spécialistes, et non plus un corps constitué qui s'exprime en tant que tel. Ces derniers temps, j'ai très rarement entendu les conseillers d'Etat s'exprimer au nom du Conseil d'Etat: c'est en tant que spécialistes d'un département qu'ils s'expriment. Et l'ordre du jour du Grand Conseil est ainsi conçu qu'il est saucissonné en fonction des conseillers d'Etat - lesquels sont les seuls professionnels du monde politique genevois; ce sont eux qui dictent le saucissonnage de l'ordre du jour de notre parlement: on prépare l'ordre du jour à la carte, en leur faveur, puisque les dossiers sont organisés en fonction des départements. Depuis la mise en place de ce dispositif, on ne traite plus les problèmes dans leur globalité, mais on en est arrivé à une spécialisation et, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, on accorde la même importance à un projet de loi et à une interpellation. Ce n'est plus l'importance d'un sujet qui dicte sa mise à l'ordre du jour !
Votre projet de loi renforce encore cette décision, puisque le fait de donner la parole au Conseil d'Etat à la fin d'un débat - chose qui était devenue une habitude contraire au règlement - est désormais couché sur le papier: le Conseil d'Etat jouit d'une priorité différente de ce qu'il en est actuellement. Non seulement il n'a pas les mêmes droits que le Grand Conseil - lequel est élu pour débattre des questions politiques - mais il peut prendre la parole à la fin du débat - et personne ne pourra évidemment lui répondre, puisque l'on clôt la liste des orateurs ! Le Conseil d'Etat pourra dire ce qu'il veut sans que vous puissiez lui répliquer, sauf si vous trouvez des artifices de procédure - et il y en a forcément - vous permettant de vous exprimer à nouveau, par exemple en intervenant sur d'autres objets.
Dans un débat qui devrait tendre à une organisation simple de ce parlement, vous êtes en train de prendre des mesures administratives pour empêcher les députés de s'exprimer - ce qui aura un effet exactement contraire ! Je fais ici le pari que, si vous acceptez ces projets de lois, la mise en place de ces dispositions engendrera des problèmes encore plus graves. Vous serez alors bien obligés de changer le mode de fonctionnement de ce parlement si - comme je le souhaite et comme cela me semble utile - vous désirez qu'il reste un parlement de milice et que les députés continuent d'exercer une occupation à côté de leur mandat parlementaire. Je considère que, pour parler valablement de politique, il faut avoir ses racines dans la vie pratique quotidienne. Pour cela, il faut redonner la place au politique dans le débat ! Pour cela, il faut hiérarchiser les dossiers et le temps de parole en fonction de l'importance des sujets !
Il existe des solutions, déjà pratiquées dans d'autres parlements ! Où le Bureau décide du temps de parole accordé en fonction de l'importance du sujet à l'ordre du jour, et non en fonction du moment où il est traité, ce qui évite de mélanger tous les projets. Or voici ce qu'énonce ce projet: il accorde le même droit de parole pour une pétition, pour un projet de loi, pour une motion, pour un rapport divers et pour tout autre projet pouvant faire l'objet d'un débat - et Dieu sait s'il y en a ! Pour ma part, je pense qu'il faut donner la priorité au débat politique, organiser le temps de parole en fonction de l'importance des sujets à l'ordre du jour et permettre aux députés qui le souhaitent de s'exprimer. Les mesures administratives que vous proposez produisent exactement le contraire. Je le déplore ! Mais je pense qu'il n'est pas trop tard pour renvoyer ce dossier en commission, de manière à le reprendre et à trouver ensemble des solutions. Je sais qu'il y a dans cette enceinte certaines personnes qui connaissent bien le fonctionnement du parlement et qui sont prêtes à travailler pour trouver des solutions plus efficaces permettant au débat politique d'avoir véritablement lieu.
Tout à l'heure, vous avez décidé de voter le projet de loi relatif aux extraits. Ce n'est pas encore très grave, car on arrive par ce biais à trouver des solutions sur des projets limités. Mais les députés qui ne veulent plus des extraits pourraient aussi décider que, pour que les projets ne figurent plus dans les extraits, il ne faut plus voter de projet de loi en commission... Est-ce cela que vous voulez ?! Vous voulez que l'opposition ne vote plus les projets en commission de façon à utiliser toutes les possibilités de débattre ?! Vous voterez les projets tout seuls, il y aura une forte opposition et plus d'extraits ! On peut multiplier les exemples de l'absurdité des règles que vous êtes en train d'instaurer pour démontrer que ce parlement doit prendre une tout autre voie: la voie du consensus, la voie...
La présidente. Monsieur le député, il vous faudra bientôt conclure !
M. Jean Spielmann. ... d'un débat politique qui permette à ce parlement de s'exprimer ! C'est dans ce sens que je vous propose le renvoi en commission.
La présidente. Nous sommes donc saisis d'une demande de renvoi en commission. Je donne la parole à M. le député Kunz à ce propos.
M. Pierre Kunz (R). Mesdames et Messieurs les députés - et en particulier Monsieur Spielmann - je vais vous dire pourquoi, malgré les dispositions consensuelles de M. Spielmann, les radicaux sont totalement opposés au renvoi de ce projet de loi en commission. Marguerite Yourcenar a noté que toutes les institutions politiques sont bonnes lorsque ceux qui les pratiquent sont bons, honnêtes, compétents et efficaces ! (Commentaires.)Or ! Or, nous le savons bien - car nous sommes tous très humbles et très réalistes - que nous, députés, ne sommes pas toujours très bons, nous ne sommes pas non plus toujours d'une grande honnêteté intellectuelle...
Une voix. Surtout toi !
M. Pierre Kunz. ... et ne sommes pas toujours totalement compétents, pas plus que nous sommes souvent efficaces ! En témoigne, en particulier, le constat général fait par le Professeur Sciarini, qui a été cité à plusieurs reprises, et qui se résume à ceci: les travaux du Grand Conseil genevois sont d'une lenteur inégalée en Suisse ! D'où la nécessité de réformer le Grand Conseil et la loi qui l'institutionnalise et en règle le fonctionnement; d'où la nécessité d'adapter ce fonctionnement aux conditions qui prévalent aujourd'hui. Et c'est à cela - et uniquement à cela - que vise le projet de loi 9165 - un projet de loi, il faut le rappeler, Monsieur François, qui vaut tant pour la majorité que pour l'opposition, et qui n'est donc aucunement discriminatoire !
Mesdames et Messieurs les députés, il faut le reconnaître: nous sommes tous trop bavards ! C'est simplement pour cela que nos débats sont trop longs - n'en déplaise à M. Spielmann, qui continue à nier les évidences et prétend plusieurs fois par année régler les problèmes globaux du Grand Conseil, mais sans jamais nous dire comment... Nos débats sont trop longs parce que nous refaisons en plénière, à grands renforts d'amendements et de discours improvisés, les débats de commission ! D'où la nécessité de nous limiter dans nos envolées lyriques; d'où la nécessité de limiter notre temps de parole à dix minutes par groupe en plénière.
Il est vrai que cela impliquera un sérieux renforcement de la préparation des séances plénières par les groupes; cela impliquera que chacun de nous prépare davantage ses interventions, qu'il improvise moins et, surtout, qu'il en reste au sujet traité. Si nous sommes à la hauteur de nos responsabilités à l'égard des gens qui nous ont élus, c'est un effort que nous pouvons nous offrir. Car, contrairement à ce que certains prétendent, un parlement n'est pas principalement fait pour débattre, mais bien pour décider - et le plus vite possible. Quant à la minorité, contrairement à ce que les mêmes prétendent, elle n'est pas là pour parler, mais elle est là pour critiquer...
M. Jean Spielmann. Pour obéir !
M. Pierre Kunz. Elle est là pour critiquer la majorité. Elle est là pour la critiquer, mais non pour l'empêcher de décider et d'agir ! Voilà pourquoi il convient, non de renvoyer ce projet de loi en commission, mais de le voter !
La présidente. Je rappelle que nous avons été saisis d'une demande de renvoi en commission. Le groupe radical s'est exprimé. La parole est maintenant à Mme la députée Fehlmann Rielle pour le groupe socialiste. (Protestations.)Nous sommes en procédure de renvoi, Mesdames et Messieurs les députés !
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). J'observe avec une certaine ironie que nous sommes saisis de plusieurs amendements... L'un de ces amendements, qui porte de surcroît sur un point n'ayant pas été discuté en commission, émane du rapporteur de majorité; un deuxième amendement émane de M. Lescaze; et deux autres amendements émanent - entre autres - des bancs socialistes. Ces amendements montrent qu'il pourrait être judicieux de renvoyer ce projet de loi en commission car, même si nous y avons travaillé avec un certain soin, le débat n'est manifestement pas clos. Nous pourrions ainsi avancer en commission des propositions plus judicieuses que celles contenues dans ce projet de loi.
Je souhaite simplement rappeler que, comme cela a été mentionné à plusieurs reprises dans le rapport de minorité, nous sommes une nouvelle fois saisis d'un projet de loi qui porte sur un point très précis du fonctionnement du Grand Conseil. C'est ainsi que le parlement tenu par la majorité actuelle fonctionne: nous sommes saisis d'une série de projets de lois qui, la plupart du temps, enfoncent des portes ouvertes. Une diarrhée de motions ont, par exemple, été déposées un peu sur tout et n'importe quoi, que ce soit dans le domaine de l'aménagement du territoire ou des droits politiques. Il me semble que c'est là qu'il faut s'interroger sur le blocage et sur le manque d'efficacité de notre parlement. Cette fâcheuse pratique qui consiste à vouloir séparer les divers projets de lois au lieu de procéder à une réforme plus globale de certaines lois - lesquelles le mériteraient peut-être - ne contribue pas à davantage de transparence. Et les citoyens et les citoyennes qui tentent de comprendre ces projets de lois dans leur globalité ou qui suivent les débats sur Léman Bleu sont certainement quelque peu empruntés pour comprendre s'ils n'ont pas suivi l'ensemble des débats en commission... La majorité devrait donc s'interroger sur cette pratique devenue constante qui consiste à saucissonner tous les projets de lois.
Vous l'aurez compris et vous l'aurez lu dans le rapport de minorité: nous sommes très défavorables à ce projet de loi. C'est pourquoi nous souhaitons que ce projet de loi soit renvoyé en commission.
La présidente. Merci, Madame la députée. Je rappelle encore que nous sommes en procédure de renvoi en commission. Le parti socialiste s'étant exprimé, je donne la parole à M. le député Rossiaud, pour les Verts.
M. Jean Rossiaud (Ve). Ce projet de loi sur la limitation du temps de parole est le cinquième ou sixième projet de loi qui vise à accélérer les travaux de notre parlement. Peut-être part-il d'une bonne intention mais, après examen en commission, nous sommes convaincus qu'il est à la fois inutile et contre-productif. C'est la loi dans son entier qu'il faudrait réviser. C'est pourquoi nous pensons qu'il faut renvoyer ce projet de loi - comme tous les autres - en commission.
Je m'explique: le rapporteur de majorité déclare que, sur cette question, il aurait pu espérer une dépolitisation du sujet. Limiter le temps de parole ne serait alors qu'un problème technique. Au parlement - l'endroit où l'on parle pour parlementer - le temps de parole ne serait pas une question politique ?! A notre sens, la longueur des débats n'est pas la cause principale de l'inefficacité de ce parlement, et cette longueur n'est pas imputable à des problèmes techniques. Non, ce sont des raisons éthiques et politiques qui provoquent l'enlisement du débat !
L'éthique de la parole parlementaire, c'est de connaître ses dossiers, c'est de préparer ses interventions, c'est de donner équitablement la parole au sein des membres du groupe en fonction des sujets que l'on connaît et sur lesquels on a travaillé; l'éthique de la parole parlementaire, c'est également d'entrer dans le débat politique en laissant de côté les attaques et les mises en cause personnelles - lesquelles engendrent de nouvelles réponses et de nouvelles remises en cause. En fin de compte, cependant, le problème n'est pas d'ordre éthique. Il ne s'agit pas d'un problème de comportement des députés: il s'agit d'un vrai problème politique. Le problème politique face auquel on se trouve, c'est que la droite de ce parlement se place dans l'opposition par rapport à son propre gouvernement - et l'on verra lors du débat sur le budget que je ne suis pas loin de dire la vérité.
De plus, le paradoxe est que ce projet de loi dit «technique» est techniquement très mauvais. Je ne prendrai qu'un exemple: l'article 74 énonce que nous ne disposerons plus d'un temps de parole par député, mais d'un temps de parole par groupe; pour un député qui n'appartiendrait pas à un groupe, le président octroie un temps de parole «équitable». C'est là une drôle de conception de la démocratie... Pour un groupe qui ne connaîtrait pas un équilibre dans la distribution de la parole, mais au sein duquel certaines personnes monopoliseraient la parole, quel choix resterait-il aux députés minoritaires dans leur propre groupe ? Ces députés ne pourraient plus représenter les citoyens qui les auraient élus ? Non, ce type de mesure ne peut qu'envenimer le débat !
Le parlement est inefficace. Certes, nous le savons tous. Mais c'est la loi portant règlement du Grand Conseil...
La présidente. Monsieur le député, je vous prie de vous exprimer sur le renvoi en commission !
M. Jean Rossiaud. Je conclus sur le renvoi en commission, Madame la présidente ! C'est la loi portant règlement du Grand Conseil dans son ensemble qu'il faut reprendre pour redonner à ce parlement sa dimension politique d'écoute et de dialogue. C'est pour cela que nous demandons le réexamen de ce projet de loi en commission ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est donnée à Mme Salika Wenger, pour l'Alliance de gauche.
Mme Salika Wenger (AdG). Il me paraît important de rappeler à chacun ici que les députés sont personnellement élus et qu'ils sont personnellement responsables devant l'électorat qui les a choisis. En transformant le parlement en une chambre d'enregistrement, je pense que nous commettons une erreur - et une erreur grave. Il me semble - et j'imagine là que chacun sera d'accord - qu'il existe dans chaque groupe diverses manières d'envisager un même projet de loi.
Empêcher la diversité de parole au sein de chaque groupe me paraît être une manière d'appauvrir un débat qui ne vole guère haut ces derniers temps... Quant à dire du parlement qu'il dysfonctionne, je trouve cette assertion extrêmement grave. Comment peut-on affirmer que le parlement dysfonctionne ?! Comme on l'a relevé tout à l'heure, nous votons un certain nombre de lois, nous accomplissons un travail important et, même si nous le faisons de manière incomplète, le renvoi en commission de ce projet de loi serait peut-être l'occasion de montrer que nous sommes capables de pallier nos propres erreurs en retravaillant sur un mauvais projet de loi - projet non seulement mauvais en termes de travail, mais également mauvais pour la démocratie. Renvoyons ce projet de loi en commission pour prouver que notre parlement est capable de fonctionner et que nous sommes capables de faire autre chose que nous disputer !
Il me semble par ailleurs que, dans tout ce qui s'est dit ce soir et de manière récurrente, un certain nombre de députés connaissent des problèmes de pouvoir. Je ne sais pas s'ils s'amusaient à marcher au pas de l'oie dans leur jardin, mais j'aimerais leur rappeler que, plus que de pouvoir, nous avons des devoirs à l'égard des personnes qui nous ont élus: le devoir de nous entendre, le devoir de discuter et - peut-être - le devoir de nous convaincre les uns les autres. Ce n'est en tout cas pas en limitant le temps de parole que nous pourrons le faire ! Je vous conseille donc le renvoi en commission de ce projet de loi !
M. René Koechlin (L). Je suis très reconnaissant à tous mes préopinants de s'être exprimés aussi longuement, démontrant ainsi que notre parlement ne fonctionne décidément pas ! Le renvoi en commission, Mesdames et Messieurs, c'est oui ou non - et terminé ! Pour ma part, je dirai: «Non, ne renvoyons pas ce projet de loi en commission» ! J'ai fait preuve de brièveté et, contrairement à tous mes préopinants, je ne vous ai pas fait perdre de temps ! (Applaudissements.)
La présidente. Pour l'UDC, je donne la parole à M. André Reymond.
M. André Reymond (UDC). Oui, Madame la présidente... (Chahut.)... mais ce ne sera certainement pas pour défendre le renvoi en commission ! De nombreux partis de l'opposition s'offusquent des mesures proposées par ce projet de loi - soit un temps de parole de dix minutes par groupe pour chaque projet de loi et de six minutes pour chaque amendement. Je tiens cependant à vous rappeler que nous, qui sommes le plus petit groupe au Grand Conseil, avons, grâce à ce projet de loi, autant de chance de nous exprimer que le grand groupe que forment les libéraux ! J'estime qu'il est tout à fait normal de respecter les minorités au sein de ce parlement.
Maintenant, il est vrai que savoir dire beaucoup de choses en peu de temps, ce n'est pas la même chose que de savoir dire peu de choses en beaucoup de temps. Comme un représentant des Verts - avec lequel je suis entièrement d'accord - l'a souligné, un temps de parole réduit nous permettra peut-être de nous concentrer uniquement sur le sujet qui nous occupe plutôt que d'interpeller nos collègues et de parler de débat politique. C'est pourquoi, au nom du groupe UDC et pour être bref, je vous encourage à accepter.... (L'orateur est interpellé par Mme Wenger.)Oui, Madame Wenger ! (Brouhaha. La présidente sonne la cloche.)Mais je tiens à vous signaler... (Nouvelle interpellation de Mme Wenger.)
La présidente. Madame la députée Wenger, s'il vous plaît !
M. André Reymond. Madame la présidente, si je puis m'adresser à vous...
La présidente. Mais sans problème, Monsieur le député !
M. André Reymond. Eh bien, j'aimerais simplement rappeler que ce parlement est victime d'inefficacité et que c'est dans les commissions que nous devons travailler - commissions au sein desquelles chacun peut s'exprimer librement... (L'orateur est une nouvelle fois interpellé par Mme Wenger.)Madame Wenger, permettez-moi de terminer mon intervention en m'adressant à la Mme la présidente !
Pour être bref, le groupe UDC vous recommande d'accepter ce projet de loi.
La présidente. La parole est à M. Glatz, pour le PDC.
M. Philippe Glatz (PDC). J'annoncerai simplement que le PDC s'oppose au renvoi en commission de ce projet de loi. Mon intervention sera très brève.
M. Rossiaud, qui semble oublier qu'il est aussi membre d'un parti gouvernemental, a déclaré qu'il ne s'agissait pas d'un problème technique, mais d'un problème politique. Il s'agit effectivement d'un problème politique lorsqu'on paralyse l'activité de ce parlement ! Je ne vous donnerai qu'un seul exemple: cela fait plus de huit mois que les projets du département de l'action sociale et de la santé n'ont pu être étudiés ! Parmi ceux-ci, certains ont été déposés par vous-mêmes, Messieurs de la gauche...
Des voix. Et Mesdames !
M. Philippe Glatz. Je pense notamment à un projet qui s'intitule: «Pour clarifier et accélérer les conditions et les procédures de construction des nouveaux EMS». Vous souhaitez travailler sur certains sujets, mais voilà huit mois que, faute de temps, jamais les projets de lois relatifs au DASS n'ont pu être discutés devant cette assemblée ! Il est inadmissible que nous continuions à bavarder de la sorte ! Nous devrions plutôt agir !
En conséquence, le PDC vous recommande de vous opposer fermement à ce renvoi en commission !
La présidente. Merci, Monsieur le député. Nous nous prononçons sur le renvoi de ce projet de loi en commission.
Mis aux voix, le renvoi de ce projet de loi à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 40 non contre 36 oui.
La présidente. Le débat se poursuit, mais je vais clore la liste des intervenants. Sont encore inscrits: Mme et MM. les députés Souhail Mouhanna, Bernard Lescaze, Jacques Pagan, Alain Charbonnier, Jean Spielmann, Alberto Velasco, René Koechlin, Antonio Hodgers, Pierre Guérini, Laurence Fehlmann Rielle, Jean Rossiaud et Jacques François.
M. Souhail Mouhanna (AdG). Si le problème ne concernait que ce projet de loi, peut-être aurait-on pu trouver que ce n'était finalement pas si grave que cela, car on aurait pu imaginer des moyens d'intervenir et de débattre en dépit de cette tentative de bâillonner l'opposition. Le problème est malheureusement beaucoup plus grave: on se trouve face à une majorité qui s'est donné comme mission - ou à laquelle on a donné comme mission - le démantèlement de l'Etat social.
Des voix. Ah !
M. Souhail Mouhanna. Oui, Mesdames et Messieurs les députés, vous êtes là pour faire la guerre à l'Etat social ! Vous vous en prenez aux chômeurs, vous vous en prenez aux handicapés, vous vous en prenez aux travailleurs, vous vous en prenez aux bénéficiaires de l'aide sociale, vous vous en prenez à la grande majorité de la population, mais vous ne voulez pas que cela se sache ! Vous voulez pouvoir accomplir vos méfaits à l'abri du regard des citoyens ! Mais vous oubliez que le parlement est fait pour débattre et, précisément, pour permettre aux citoyennes et aux citoyens de se faire une opinion ! Et vous voulez empêcher la population de se faire une opinion. Voilà ce que vous cherchez avec vos divers projets de lois que nous examinerons dans quelque temps !
Vous voulez empêcher les manifestations, vous vous en prenez aux droits des travailleurs, vous vous en prenez aux droits syndicaux, etc., je pourrais faire une liste extrêmement longue. Lorsqu'on assemble tous ces éléments du puzzle, on voit se dégager une image: c'est le visage hideux d'une dérive fascisante ! Et je pèse mes mots ! (Protestations.)Je pèse mes mots ! Mais vous oubliez que Genève est une République et qu'elle saura vous remettre à votre place ! Ce sera fait l'année prochaine ! Et je vous rassure: la majorité de gauche remettra les choses en place et vous redonnera la parole car, elle, est respectueuse des valeurs de la République ! (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Bernard Lescaze (R). Ce projet de loi s'efforce simplement d'aménager le temps de parole en séance plénière. Or, au lieu d'un débat qui n'est, il est vrai, pas purement technique mais aussi politique, on voit couler des flots d'éloquence sur la lutte sociale contre ce fléau qu'est le chômage... Nous voulons bien discuter de ce sujet au moment où nous traitons de la loi sur le chômage - traitement qui a d'ailleurs pris six heures de débat en séance plénière dans ce Grand Conseil... - mais nous discutons aujourd'hui de l'aménagement du temps de parole !
Les mesures proposées sont extrêmement réduites. Elles consistent notamment à donner de l'importance aux groupes et, sur ce point, je dois malheureusement m'élever en faux contre les propos tenus par Mme Wenger: les députés ne sont pas élus personnellement, mais ils sont élus au scrutin de liste proportionnel - ce qui signifie qu'ils doivent d'abord appartenir à un groupe. Ils ne peuvent, par la suite, pas recevoir d'instructions impératives, mais, au départ, ils sont rattachés à un groupe. Si la loi électorale avait voulu que les députés soient élus personnellement, elle aurait accepté le scrutin majoritaire, et vous auriez un parlement où les opinions des uns et des autres ne seraient, précisément, pas aussi équitablement représentées qu'aujourd'hui ! Le scrutin de liste proportionnel est, je crois, une conquête de la démocratie - et je m'étonne que ce soit sur les bancs de la gauche qu'on le conteste.
Le fait que l'on soit d'abord les représentants de groupes politiques implique qu'il est juste et légitime de compter le temps de parole total par groupe. Alors, on peut discuter de savoir si ce temps de parole doit être limité à dix ou à quinze minutes, mais il me semble que lorsqu'on dit quelque chose correctement, on le dit en général assez rapidement. Lors de la plupart de nos débats - j'ai regardé tout à l'heure - pratiquement aucun député ne dépasse les dix minutes. Lorsque des groupes veulent faire obstruction - lorsqu'ils font ce qu'en Amérique on appelle du filibusting, c'est-à-dire que chacun se met à parler durant le temps maximum de parole qui lui est imparti et parfois même au-delà - il est temps de trouver des règles permettant de limiter le temps de parole. Il ne s'agit pas, contrairement à ce qu'a pu dire un député de l'Alliance de gauche, de donner plus d'espace au débat politique: il s'agit de lui donner de la vigueur au lieu de le diluer dans des flots logorrhéiques. Voilà l'esprit de ce projet de loi !
Je présenterai ultérieurement mes amendements - lesquels, rassurez-vous, Mesdames et Messieurs les députés, sont purement techniques. Mes amendements visent notamment, dans l'intérêt des débats de notre parlement, à rétablir des dispositions qui figurent déjà dans notre loi portant règlement du Grand Conseil et qui en ont peut-être été écartées un peu trop rapidement. (Applaudissements.)
M. Jacques Pagan (UDC). Chers collègues, l'UDC soutient ce projet de loi. Il s'agit d'un projet essentiellement formel devant permettre à chacun de s'exprimer de telle sorte que nos travaux puissent avancer et que nos délibérations se fassent dans un temps normal. Je crois, et nous l'avons toujours dit, que, s'il y a une pareille surcharge, nous le devons d'abord à notre propre activité. C'est normal, puisque nous sommes parlementaires ! Mais peut-être devrions-nous parfois sérier les problèmes et nous attaquer aux sujets essentiels plutôt que de viser l'accessoire - car c'est ainsi que l'on perd du temps. Comme cela peut arriver à chacun d'entre nous lorsqu'il élabore un texte, ce dernier n'est peut-être pas nécessairement bien réfléchi ni bien documenté, l'exposé des motifs est parfois trop sommaire, et l'on perd énormément de temps en commission pour tenter de comprendre la volonté des auteurs du texte ou encore pour procéder à des auditions. Tous ces facteurs ralentissent le traitement ordinaire des dossiers que nous devons examiner. Si les projets étaient bien préparés et si le travail de commission était mené correctement et de manière approfondie, tout le monde étant au courant de la position des uns et des autres, il s'agirait, dans le fond, en séance plénière, de dire: «j'admets telle position» ou «je refuse telle position», mais il n'y aurait pas lieu d'ouvrir un débat interminable.
Monsieur Spielmann, vous avez tenu des propos extrêmement sensés, dont je vous félicite, mais c'était dans l'hypothèse ou il n'y aurait pas ces étapes préalables: rédaction satisfaisante du projet, puis discussion et étude approfondie en commission. Peut-être avez-vous à l'esprit l'idée que les projets traités en plénière sont découverts pour la première fois et que chacun peut faire valoir son point de vue. Dans ces conditions, il est clair que le temps de parole prévu par ce projet de loi est notoirement insuffisant. Je pense cependant qu'il faut en revenir à cette simple constatation: nous sommes responsables du volume d'affaires dont ce Grand Conseil est saisi. Peut-être devrait-il également y avoir, en dehors de cette enceinte, une collaboration entre les différents groupes. Cela nous permettrait de dire: «Tel problème nous paraissant important, on vous suggère d'en faire un sujet à l 'ordre du jour de notre prochaine session de notre Grand Conseil». Pourquoi pas ? Il y a un travail de prévention à mener avant de saisir formellement le Grand Conseil de textes malheureusement multiples.
On peut regretter ce projet de loi, mais ce dernier est nécessaire pour permettre, dans un temps normal, le traitement des objets dont est saisi ce Grand Conseil. Il ne tient qu'à nous de mieux sérier les problèmes, de travailler mieux et de manière plus efficace. Nous sommes malheureusement contraints d'instaurer les dispositions contenues dans ce projet de loi, car les dérapages incontrôlés sont fréquents.
Je me permettrai de conclure en citant cette parole de Clemenceau: «La vraie démocratie consiste à se discipliner soi-même afin de ne pas être discipliné par les autres». C'est exactement cela !
La présidente. Si au moins Clemenceau était entendu... Je passe la parole à M. le député Charbonnier.
M. Alain Charbonnier (S). Je suis effaré par les propos que j'entends ici ! Il me semble que les députés n'ont lu ni l'étude du Professeur Sciarini ni les statistiques du Service du Grand Conseil, car tant cette étude que ces statistiques mettent en évidence l'augmentation, année après année, du nombre d'objets traités dans ce parlement. Ce n'est pas que l'on travaille mal ou qu'il y ait des blocages, mais il y a de plus en plus d'objets à traiter ! Et votre méthode consiste presque à supprimer le temps de parole, puisque l'on passe d'une liberté quasi totale - trois fois sept minutes, soit vingt-et-une minutes par député, avec possibilité de reprendre la parole en deuxième et troisième débat - à une restriction de dix minutes par groupe !
M. Lescaze a fait l'apogée de la proportionnelle - et l'on est tout à fait d'accord avec lui. Mais que dire de ce projet de loi qui accorde dix minutes par groupe sans se soucier le moins du monde de la proportionnelle ?! Imaginons, comme M. Muller l'a fait il y a deux semaines, que l'on prenne une boule de cristal et que l'on déclare: «Nous, l'Alternative, serons majoritaires l'année prochaine». On pourrait se trouver dans une situation où les trois groupes de la majorité disposeraient de trente minutes de parole - trois fois dix minutes - et la minorité de quarante minutes - quatre fois dix minutes. Bravo pour la leçon de démocratie... En matière de proportionnelle, ce projet échoue complètement !
Quant aux obstructions, dire qu'un groupe peut actuellement obstruer le parlement mais que tout sera résolu avec ce projet miracle... Je vous rappelle que ce projet propose six minutes par groupe pour chaque amendement. Faites-nous confiance: le jour où l'on voudra - vous, nous ou n'importe quel groupe - bloquer le parlement, on sera capable de déposer une dizaine ou une vingtaine d'amendements ! Il s'agit d'une mesure complètement stupide si tel est le but visé.
Je vous invite par ailleurs à vous montrer attentifs à un point. Tout à l'heure, M. Spielmann a demandé le renvoi de ce projet en commission, et je serais presque tenté de faire la même demande, car il y a un point que vous avez complètement omis en commission. (L'orateur est interpellé par M. Kunz.)Ecoutez bien, Monsieur Kunz ! Ecoutez bien, car vous faites partie de cette commission ! Je suis étonné que vous, qui êtes si intelligent, n'ayez pas noté cette omission... L'article 79, qui traite de la motion d'ordre, a été abrogé. Vous avez donc supprimé la motion d'ordre dans votre projet de loi, et cela sans aucune explication. Je vous en félicite...
M. Jean Spielmann (AdG). Beaucoup de propos ont été tenus, mais à mon sens relativement peu sur le projet de loi lui-même. J'ai bien compris que vous vouliez réduire à dix minutes par groupe le temps de parole. Mais êtes-vous sûrs qu'il s'agisse vraiment du problème principal ?! Ne pensez-vous pas qu'il faille différencier le traitement d'une motion, d'une pétition ou d'un projet de loi ?! Trouvez-vous normal que la hiérarchisation et le temps de parole soient déterminés par objet à l'ordre du jour ?! Je me permets une petite parenthèse: lorsque j'ai présidé ce Grand Conseil, j'ai rendu mon tablier en liquidant l'ordre du jour - et ce alors que l'on ne renvoyait pas automatiquement les objets en commission, puisque le débat de préconsultation existait encore, de même que les interpellations urgentes. Certains procédés - par exemple, le regroupement des points traitant d'un même objet - permettent d'accélérer le rythme de nos débats.
Je vous pose par ailleurs la question suivante: ne serait-il pas plus intelligent de réserver un traitement différent aux motions ? Je me permets de vous rappeler ce qui s'est passé lorsque, dans le précédent règlement, vous avez limité le temps de parole pour les projets de lois: les députés ont déposé des motions, des interpellations et des pétitions sur des objets analogues, de manière à pouvoir s'exprimer. Et, aujourd'hui, vous procédez à une stratification en accordant un temps de parole par objet, mais sans hiérarchiser les problèmes. C'est, à mon avis, une erreur ! Si vous voulez vraiment que ce parlement fonctionne bien, pourquoi ne pas se dire: «Il faudrait procéder à une limitation différenciée du temps de parole selon qu'il s'agit du traitement d'un projet de loi, d'une motion ou d'une pétition». Que l'on dépose une pétition sur le Bureau du Grand Conseil ou qu'on la renvoie au Conseil d'Etat, vous m'expliquerez d'ailleurs un jour quelle est la différence, mais une pétition - même si elle mérite également un débat politique - n'a pas la même valeur qu'un projet de loi. On pourrait donc définir un mode de traitement différencié de ces différents objets.
Vous n'avez pas fait ce travail: vous n'avez fait que poser un problème de fond en tentant d'y apporter une solution qui sera de toute façon contournée - puisque l'on assistera à des débats sur d'autres objets. C'est une erreur, et les vraies propositions n'ont pas été faites. Pourquoi maintenir le tour de préconsultation alors que l'on sait très bien que, s'il permet certes de gagner du temps, lorsqu'un projet de loi est déposé, il mérite d'être étudié et de donner lieu à un rapport ?! Pourquoi ne pas permettre la rédaction de rapports plus succincts sur des projets inintéressants ou dont personne ne veut ?! Pourquoi inscrire automatiquement tout projet à l'ordre du jour et ouvrir un débat de dix minutes sur toutes les préconsultations alors que, dans la plupart des parlements, la préconsultation n'a pas lieu en plénière, mais en commission ?! La commission rédige alors un rapport, et l'on discute en plénière de mesures concrètes - et non de propositions parfois mal élaborées. Voilà des propositions concrètes ! Pourquoi, comme cela se fait dans presque tous les parlements, ne pas envoyer les motions - qui, je vous le rappelle, sont des demandes adressées Conseil d'Etat - directement au Conseil d'Etat de manière que ce dernier rédige un rapport et que l'on débatte ici des solutions et des propositions qui sont faites ?! Actuellement, on renvoie la motion en commission, d'où elle revient cinq ans plus tard pour être renvoyée au Conseil d'Etat; cinq ans plus tard, elle revient en séance plénière, et l'on a ainsi, dix ou douze ans après son dépôt, la réponse écrite à une motion sur des documents qui ne veulent plus rien dire mais qui encombrent l'ordre du jour de notre Grand Conseil ! Pourquoi ne pas décider qu'une motion est directement envoyée au Conseil d'Etat et que le débat a lieu sur la réponse donnée par ce dernier ?! Pourquoi ne pas modifier un certain nombre d'éléments organisationnels du parlement ?!
Je vous préviens: les propositions que vous faites ici ne permettront pas de limiter le temps de parole des députés qui voudront se montrer bavards ! Pour chaque objet présenté, je pourrais déposer une interpellation - puisque vous n'avez pas changé la règle de l'interpellation - et m'exprimer durant sept minutes sur chacun de ces sujets, y compris sur les projets de lois que vous avez déposés. C'est vrai qu'il faut du temps - environ une année et demie - pour qu'une interpellation soit inscrite à l'ordre du jour - même lorsqu'elle est urgente - mais je peux déposer une interpellation. Je dépose donc mon interpellation, et l'on peut ensuite répliquer, dupliquer et faire une nouvelle réplique. Cela permet un débat très long et fort intéressant... On peut multiplier les interpellations !
Vous n'avez pas cerné les vrais problèmes ! Vous vous en prenez uniquement au temps de parole, en la limitant non plus par député, mais par groupe. Ce procédé existe bien sûr dans un certain nombre de parlements - et de manière intéressante, puisque l'on octroie, pour le débat d'entrée en matière, à chaque groupe un temps de parole proportionnel à sa présence au sein du parlement, puis l'on traite différemment les propositions individuelles, amendements ou lois. On permet ainsi aux élus de s'exprimer, mais le débat politique a lieu lors du débat d'entrée en matière, durant lequel les groupes se prononcent - car il est important de savoir ce que pensent les groupes d'un projet de loi. Mais alors, pourquoi laisser la même règle pour les pétitions ?! Trouvez-vous intéressant d'accorder dix minutes à chaque groupe pour se prononcer sur une pétition ?! Trouvez-vous cela utile ?! Ne devrait-on pas moduler le temps de parole en fonction de l'objet - et non d'une manière générale, comme vous le faites ? Je pourrais multiplier les exemples pour toutes les propositions qui figurent dans ce projet de loi.
Je vous assure qu'il y a beaucoup mieux à faire ! Il y a beaucoup mieux à faire, mais malheureusement... (L'orateur est interpellé par M. Kunz.)Vous avez, Monsieur Kunz, bien marqué votre volonté la dernière fois ! (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Vous voulez utiliser le parlement et le Bureau du Grand Conseil comme le lieu du pouvoir. Ceux qui seront en minorité ne feront dès lors que parler - et ce n'est pas cette loi qui empêchera la minorité de s'exprimer. Au contraire, elle va accélérer et augmenter cette prise de parole, car plus vous nous interdirez de prendre la parole, plus nous chercherons des moyens de contourner cette interdiction ! Je fais le pari que ce projet de loi ne résoudra rien du tout ! Vous feriez bien mieux de le renvoyer en commission, d'examiner les projets de manière hiérarchique, de réserver un traitement différent à l'entrée en matière sur un projet de loi, sur une pétition ou sur une motion et d'accélérer les procédures écrites de manière à permettre aux députés d'obtenir des réponses plus rapidement que douze ans après le dépôt d'un texte - comme c'est actuellement le cas. Voilà ce qui paralyse le parlement - mais, cela, vous ne l'avez pas compris ! Vous voulez nous empêcher de parler, mais je ne vous dirai qu'une chose: vous n'y parviendrez pas, car il y a toujours suffisamment d'astuces dans le règlement pour s'exprimer et pour perturber le débat ! Si tel est l'objet de votre projet, eh bien, je peux vous dire que c'est raté ! Je croyais que l'on avait autre chose à faire dans ce parlement - par exemple, faire de la politique. Vous n'y contribuez malheureusement pas ! (Applaudissements.)
M. Alberto Velasco (S). J'ai apprécié l'intervention de M. Lescaze... Ce dernier a déclaré que c'était à cause des longues interventions de l'opposition que ce parlement était obstrué et que vous, la majorité, n'arriviez pas à faire passer vos objets. Alors, quelle solution proposez-vous, Monsieur Lescaze ? Vous nous proposez de limiter le droit d'expression des députés. Oui, vous limitez leur droit d'expression alors que chaque député devrait normalement avoir le droit de s'exprimer dans cette assemblée lors d'une plénière pour dire s'il est d'accord ou non avec l'objet exposé !
Je tiens tout de même à relever un point: lors de la législature précédente, nous avons à plusieurs reprises liquidé tout notre ordre du jour. Alors, de deux choses l'une: soit les députés de l'Alternative majoritaire savaient travailler de manière efficace, soit les députés de l'opposition étaient incapables... C'est l'un ou l'autre ! Pour ma part, je pense plutôt que vous étiez une opposition guère capable. Parce que si, à l'heure actuelle, nous - l'opposition - parvenons à faire obstruction à certaines lois...
Une voix. Il l'a dit !
M. Alberto Velasco. Mais oui, nous faisons obstruction ! C'est le rôle de l'opposition, Monsieur ! (Protestations.)Le rôle de l'opposition, c'est de faire obstruction à des lois qui nous semblent scélérates ! (Protestations. Remarques.)Et le budget qui nous est proposé cette année me paraît scélérat ! (Protestations.)Nous faisons donc opposition, et nous débattrons ! Nous avons débattu durant trente-six heures la dernière fois, parce que nous ne voulions pas que le budget présenté passe. C'est notre droit !
Puisque vous êtes moins efficaces que nous dans la parole, vous vous dites: «Eh bien, puisque l'on n'arrive pas à arrêter l'opposition, limitons le droit d'expression !». Bravo... C'est ainsi que vous pratiquez, c'est la conception que vous avez de la démocratie. Mais, Messieurs, la politique, c'est le droit de débattre, mais c'est aussi l'art de débattre ! Si vous lisez Marguerite Yourcenar, vous le verrez: la politique, c'est l'art de débattre. Vous voulez précisément limiter l'art de débattre ! Par ailleurs, nous votons des lois dans cette enceinte. Les lois étant contraignantes... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Vous savez fort bien, en tant que libéral que vous êtes Monsieur Kunz, que les lois sont fort contraignantes. Il est donc naturel de notre part de débattre de ces lois. Nous avons, à plus d'une reprise dans ce parlement... ( Chahut.) ... corrigé des lois. Nous avons corrigé des erreurs qui se trouvaient dans des lois précisément parce que nous avons pu débattre ! Parce que des députés de l'opposition ont repris le débat et ont pu vous démontrer l'existence d'incongruités dans ces lois ! (Brouhaha.)
Mesdames et Messieurs les députés, vous êtes en train de pervertir nos débats et d'ajouter un aspect médiocre à ce parlement ! (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)M. Pagan a relevé tout à l'heure que les députés devraient se préparer aux débats... Mais la majeure partie des députés ne lisent pas les rapports ! Ils lisent rarement les lois et, bien souvent, ils apprennent le contenu des rapports et des lois ici, dans cette enceinte, à travers le débat ! J'ai moi-même parfois pris connaissance du contenu d'un rapport ou d'une loi en assistant au débat. Or, qu'êtes-vous en train de faire ? Vous êtes en train de limiter le débat ! Vous êtes en train de limiter l'information aux députés ! (Brouhaha. Remarques.)
Je regrette que l'alternative que vous avez trouvée pour tenter de faire avancer les travaux parlementaires consiste à limiter le droit d'expression des députés. Cependant, comme mes collègues vous l'ont fait savoir, nous espérons...
Une voix. Tu vas perdre ton temps, Alberto !
M. Alberto Velasco. ... bientôt détenir la majorité, et l'une des premières mesures que nous prendrons consistera à rétablir la démocratie dans ce parlement ! (Rires. Exclamations.)
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je constate que vous n'écoutez plus du tout les orateurs ! Je le déplore.
M. René Koechlin (L). J'entends des affirmations péremptoires - notamment de la part de l'un des rapporteurs de minorité - selon lesquelles ce projet de loi aurait pour effet des blocages, des obstructions - l'«empoisonnement des débats», ai-je entendu - l'empoisonnement du parlement, et j'en passe. Selon ces affirmations, ce projet de loi n'apporterait donc aucune amélioration. Or, Mesdames et Messieurs, force est de constater que notre parlement est malade. Malade ! Huit heures trente ! Il a consacré huit heures trente à un sujet d'un ordre du jour qui en comportait cent septante-cinq ! Huit heures trente sur les douze heures dont il disposait lors de la session du mois d'octobre ! Et vous trouvez cela tout à fait naturel ! Mais oui, après tout, pourquoi ne pas consacrer huit heures trente à un sujet inscrit à l'ordre du jour, alors que ce dernier en comportait cent septante-cinq ! Bravo ! C'est du jamais vu, Mesdames et Messieurs ! Et vous osez encore prétendre que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ?! Ah, j'aime cela !
Vous voulez que je vous dise ce qui ne va pas ? C'est que, dans ce parlement, on confond de plus en plus la politique avec la polémique ! On ne cesse de polémiser ! M. Spielmann parlait tout à l'heure du vrai débat politique. Merci, Monsieur Spielmann, car je partage votre point de vue et j'aime le vrai - le vrai ! - débat politique ! Mais quel est-il ? En tout cas, il n'a rien à voir avec la polémique ! Il n'a rien de commun avec ce qui consiste uniquement à constamment contredire, invectiver et avancer des propositions purement provocatrices ! Le vrai débat politique débouche sur des mesures concrètes; il implique des tentatives consensuelles et constructives; il implique une consultation permanente et l'écoute de l'autre. Tout cela n'existe plus - ou est malheureusement devenu beaucoup trop rare !
M. Velasco évoquait tout à l'heure l'art de débattre. Parlons-en: notre Grand Conseil a perdu la maîtrise de cet art ! Je le regrette infiniment. Il est grand temps qu'il retourne à l'école et qu'il apprenne comment s'y prendre ! Or, ce projet de loi, j'aimerais le rappeler, ne propose rien d'autre qu'une pratique s'inspirant de celle en vigueur aux Chambres fédérales. Le temps de parole aux Chambres fédérales est limité, et il l'est par groupe représenté dans chacune de ces Chambres. Et c'est l'un des auteurs...
Une voix. En proportion !
M. René Koechlin. D'accord, il y a peut-être des nuances, mais c'est l'un des auteurs de ce projet de loi qui vous le dit ! Or, on s'accorde tous à admettre que l'on ne pratique pas moins bien la démocratie aux Chambres fédérales que dans ce canton ! Je remercie M. Pagan... qui n'est plus là... Ah, si ! Il est là ! Je le remercie d'avoir cité Clemenceau, qui demande à ce que l'on apprenne à se discipliner - se discipliner ! Eh bien oui, nous ne sommes pas capables de nous discipliner lors de nos débats en séance plénière - pour toutes sortes de motifs sur lesquels je ne m'étendrai pas ! Mais il s'agit là d'un constat.
Alors, que tente ce projet de loi ? Il tente, précisément, de nous inciter, modestement, à nous discipliner. Ce n'est rien d'autre ! Lorsque nous aurons réussi cet apprentissage, qui consiste à limiter nous-mêmes nos temps de parole, peut-être pourra-t-on soit abolir, soit amender, soit modifier ce projet de loi. Mais, pour le moment, il sera bien utile.
C'est la raison pour laquelle je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à le voter dans la joie et dans la bonne humeur !
M. Antonio Hodgers (Ve). Mesdames et Messieurs de la droite, lorsque vous êtes revenus majoritaires dans ce parlement, vous avez d'emblée osé le débat sur son règlement en déclarant: «On parle trop.» Vous avez voté la suppression des interpellations urgentes orales; vous avez diminué le temps de parole par député de dix à sept minutes; vous avez supprimé le débat de préconsultation et continué avec la procédure des extraits. Et quel est le résultat ? Ce parlement n'a jamais été aussi lent ! Et pourquoi toutes vos mesures ont-elles été vouées à l'échec ? Parce qu'avec ce genre de projet de loi, avec ce genre de réformette du règlement, vous ne vous attaquez pas aux causes: vous vous attaquez aux symptômes !
Et, les causes, quelle sont-elles ? Il s'agit - et je rends là hommage à notre ancien président du Grand Conseil - de la polarisation. En citant notre collègue Aubert, Pascal Pétroz avait déclaré: «Dans ce parlement, on ne débat plus, on s'affronte». C'est vrai. Mais qui a introduit cette logique guerrière dans ce parlement ?! Quel parti a, depuis le début de la législature, systématiquement voté contre le budget déposé par un gouvernement de sa majorité ?! Quel parti a, lors de la séance inaugurale de cette législature, commencé par demander la non-acceptation de l'élection de Maria Roth-Bernasconi parce qu'elle travaillait au département des finances ?! Quel parti a voulu prendre un siège au groupe des Verts en commission ?! Quel parti a fait le forcing pour obtenir toutes les présidences de la législature ?! Ce parti, c'est le parti majoritaire de la droite: c'est le parti libéral. (Commentaires.)Ce parti est la principale cause des retards dans notre parlement, et il est malheureusement suivi par ses cousins de l'Entente et de l'UDC. Là, nous trouvons la principale raison des blocages de ce parlement.
L'ancienne législature - que l'on avait pronostiqué être beaucoup plus difficile parce qu'avec un gouvernement de droite et un parlement de gauche - a très souvent vu ses ordres du jour épuisés à la fin des séances; tout d'abord sous la présidence de M. Koechlin - brillamment élu à la présidence du Grand Conseil par la majorité de gauche - mais également par celle de M. Spielmann. Pourquoi ? Parce que, sous l'ancienne législature, la majorité respectait la minorité. Et lorsque nous avons voulu traiter des problèmes du règlement du Grand Conseil, qu'avons-nous fait ? Nous avons mis en place un groupe de travail composé d'un membre par groupe parlementaire. Ce groupe de travail a mené à des réformes qui n'ont pas résolu tous les problèmes, mais qui ont permis d'améliorer les travaux de notre parlement. Ce travail consensuel porte ses fruits.
Vous avez choisi la voie de la polarisation, vous avez voulu assumer seuls l'entièreté des responsabilités dans ce parlement: vous allez devoir, seuls, en assumer les conséquences ! (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
La présidente. Monsieur Guérini... (Les applaudissements se poursuivent.)Monsieur le député Guérini...
M. Pierre Guérini (S). Excusez-moi, Madame la présidente ! Le bruit de ce parlement, qui nous empêche déjà de nous exprimer, nous empêche de surcroît de vous entendre, Madame la présidente !
M. Kunz a parlé d'honnêteté intellectuelle. Un excellent contre-exemple est celui du calcul qui nous a été fourni avec l'exposé des motifs du PL 9165. Il s'agit d'un calcul théorique. Les mathématiciens et statisticiens de ce parlement apprécieront la démagogie de cette démonstration, puisqu'on y indique que la prise en considération est théoriquement de trois fois sept minutes par député, pour le deuxième et pour le troisième débat également. Pour un projet de cinq articles comportant trois amendements par article, si une dizaine de députés interviennent, on arrive à un total de 6 510 minutes - soit 108 heures... Donnez-moi, Mesdames ou Messieurs, un seul exemple d'un débat qui a duré 108 heures ! Ce mode de calcul est inacceptable ! (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)
On a également évoqué l'augmentation du nombre de points à l'ordre du jour. Les objets votés en commission font cependant l'objet d'un rapport et, dans nombre de séances de commission, on rappelle que les rapports ne sont pas rédigés ou qu'ils le sont avec retard... (Brouhaha. La présidente agite la cloche.)Et, disciplinés...
La présidente. Monsieur Guérini, je vous propose d'attendre deux minutes que le silence revienne afin que vous soyez entendu !
M. Pierre Guérini. Merci, Madame la présidente, je suis à votre disposition. Je reprends: disciplinés, les députés se mettent à faire leurs rapports. Et quel est le résultat ? Comme l'a relevé M. Charbonnier, ces objets sont simplement inscrits à l'ordre du jour - ce qui provoque l'amplification de ce dernier.
M. Koechlin parle de débat politique. Mais c'est bien là le problème - et il a entièrement raison ! La droite propose une politique inacceptable au seul bénéfice des riches et des nantis. Alors qu'il est politiquement normal que nous nous élevions contre cette vision de la société, vous nous coupez la parole de manière à être tranquilles; ainsi, personne ne vous contredira... On a vu ce que cela a donné de vouloir faire taire l'opposition en 1932 ! (Protestations.)Cela, jamais nous ne l'accepterons ! Vous ne parviendrez pas à nous faire taire ! Je l'ai déjà dit: le seul but de tous ces projets de lois, c'est de faire taire l'opposition - en l'occurrence l'Alternative. Cela, non !
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Il me semble que nous sommes arrivés à saturation des arguments dans ce débat, c'est pourquoi je n'allongerai pas la discussion. Je me contenterai de formuler une remarque un peu provocatrice: on pourrait engager les partis à inscrire davantage de femmes sur leurs listes et les citoyens et citoyennes à voter davantage pour des femmes. Peut-être les débats du parlement seraient-ils ainsi écourtés, puisque les femmes sont plus concises ! (Applaudissements.)
La présidente. Merci, Madame la députée. Je donne la parole est à M. Pétroz. (Un instant s'écoule.)
Une voix. Appuie sur le bouton !
M. Pascal Pétroz (PDC). Je constate que le micro est un peu rouillé... Il n'a pas été utilisé depuis longtemps, pendant un ou deux ans, puisque je me suis automuselé lorsque j'étais premier vice-président du Grand Conseil... (Commentaires. Chahut.)D'accord, un an et demi ! Mais maintenant, tout fonctionne - et c'est tant mieux !
Cela a déjà été dit tout à l'heure: notre ordre du jour souffre d'une surcharge endémique. Il faut agir - et il n'y a pas 36 000 possibilités. Première possibilité: les groupes politiques pratiquent l'autodiscipline. Or, ils ne font pas, puisque ce qui peut fort bien être dit par un député dans cette enceinte est en règle générale répété par une dizaine de députés lorsqu'il s'agit de grands groupes, par cinq députés lorsqu'il s'agit de plus petits groupes... Au PDC, nous avons une règle relativement simple: nous désignons un représentant qui s'exprime pour le compte du groupe - c'est, par exemple, moi qui le fais dans cette affaire. Ainsi, nous ne monopolisons pas le temps de parole. Première possibilité, donc l'autodiscipline - mais cette possibilité ne s'est pas avérée franchement efficace, puisque notre ordre du jour est encombré.
Il reste une seconde possibilité, elle consiste à modifier le règlement du Grand Conseil de manière à fixer un certain nombre de règles plus contraignantes limitant le temps de parole des députés. C'est malheureusement regrettable, et je pense que même les députés qui voteront ce projet de loi ce soir ne le feront pas de gaieté de coeur.
Pour ma part, j'aurais préféré que la responsabilité et l'autodiscipline de chacun prévalent plutôt que de modifier le temps de parole dans le cadre du règlement du Grand Conseil. Enfin, c'est toujours ainsi dans la vie: il y a des abus et, parce qu'il y a des abus, on prend un certain nombre de mesures destinées à les sanctionner. Et ne me dites pas, Mesdames et Messieurs les députés, que ce projet de loi ne permet plus à personne de s'exprimer ! Ce projet offre de très larges possibilités d'expression, puisque chaque groupe politique peut prendre la parole durant dix minutes à l'occasion de chaque débat. Ce n'est pas rien ! Si vous faites le calcul, vous constaterez que cela nous laisse amplement le temps de ferrailler sur tous les projets de lois souhaitables ! Par ailleurs, vous avez pu constater que ce projet de loi octroyait à chaque groupe six minutes par amendement. Il s'agit d'un bon projet, car il offre aux députés un temps suffisant pour s'exprimer, tout en permettant d'éviter les abus que nous avons constatés par le passé.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Le Bureau vous propose de donner la parole à M. Rossiaud, puis de reprendre le débat à 20h45 en donnant en premier lieu la parole aux rapporteurs avant de passer au vote. (Protestations.)
M. Jean Rossiaud (Ve). Je serai extrêmement bref, car mon collègue Antonio Hodgers a exposé l'essentiel de la pensée des Verts. (Brouhaha.)Une seule phrase pour vous annoncer que nous proposons de retravailler entièrement cette loi, car ce qui fait perdre du temps, c'est le saucissonnage des projets de lois ! Ce qui fait perdre du temps, c'est de bombarder la commission des droits politiques et le parlement de «mesurettes» prétendument techniques qui concernent le débat politique dans son entier ! Ce projet de loi n'arrange rien, au contraire ! Il est inutile et contre-productif !
La présidente. Nous allons procéder au vote... Monsieur le rapporteur François, souhaitez-vous ajouter quelque chose ? (Réponse négative de M. François.)Nous allons donc nous prononcer sur la prise en considération de ce projet de loi. (Remarques.)Avant le repas ! (Protestations.)
Des voix. Des députés ont déjà quitté la salle !
La présidente. Certains députés sont déjà partis ? (Brouhaha.)Je laisse à chacun le temps de s'installer à nouveau. (M. Guérini demande la parole.)Oui, Monsieur Guérini, que souhaitez-vous ajouter ?
M. Pierre Guérini (S). Je suis navré, mais lorsqu'on nous dit... (L'orateur est interpellé par M. Froidevaux.)Mais taisez-vous, Monsieur Froidevaux ! Ce n'est pas vous qui avez la parole, c'est moi ! (Manifestation dans la salle.)Venez vous plaindre que l'on perd du temps dans ce parlement... Vous en êtes aussi la cause !
Madame la présidente, vous avez déclaré que vous procéderiez au vote après le repas. Nombre de députés sont partis... (Brouhaha.)... puisque vous avez indiqué... (Protestations.)Cela, le Mémorial l'indiquera ! (Protestations.)Vous avez déclaré que vous donneriez la parole à M. Rossiaud, que l'on irait manger et que l'on voterait après le repas... Alors, je veux bien que l'on change les règles du jeu au milieu du débat, mais, là, ce n'est pas jouable, car certains députés sont déjà partis ! (Manifestation dans la salle.)
La présidente. Monsieur le député, il s'est écoulé deux minutes entre le moment où j'ai annoncé la pause et le changement de décision. Et à ma connaissance, personne n'a quitté la salle ! Nous allons donc voter sur la prise en considération de ce projet de loi.
Mise aux voix, la loi 9165 est adoptée en premier débat par 46 oui contre 36 non.
Fin du débat: Session 02 (décembre 2004) - Séance 09 du 03.12.2004
La présidente. Je vous rappelle, Mesdames et Messieurs les députés, que deux manifestations vous attendent. Vous êtes invités à l'apéritif-repas organisé sous la tente de l'Escalade. Par ailleurs, la fête du Père Fouettard se déroule à La Treille. Et nous nous retrouvons à 20h45. Bon appétit !
La séance est levée à 19h10.