Séance du
vendredi 19 novembre 2004 à
17h15
55e
législature -
4e
année -
1re
session -
4e
séance
P 1211-A
Débat
M. Michel Halpérin (L), rapporteur. Tout arrive ! Je pense que vous devez trimbaler ce lourd rapport dans vos serviettes depuis douze ou treize séances de ce Conseil: le moment est venu de vous en débarrasser...
Si je prends la parole aujourd'hui, c'est pour exprimer trois considérations particulières. La première c'est que la commission des Droits de l'Homme ayant attaché la plus grande importance aux débats qu'elle a entretenus autour de la pétition 1211 et malgré le consensus unanime de la commission sur la réponse à lui donner, nous n'avons pas souhaité que ce rapport soit traité dans les extraits. Nous avons en effet considéré qu'il était important que ce Conseil s'y intéresse de manière concrète, parce qu'il doit servir, selon les membres de la commission des Droits de l'Homme, de corpus de référence, notamment au Conseil d'Etat lorsqu'il devra appliquer un certain nombre de textes concernant les droits de l'Homme et, singulièrement, la liberté religieuse.
La deuxième considération qui m'amène à reprendre la parole à ce stade est que ce rapport - vous l'avez certainement tous lu et vous l'aurez probablement constaté - comporte dans les annexes - je ne sais pourquoi - la copie d'un procès-verbal de la commission judiciaire du mois de septembre 1999. C'est une erreur. Je ne sais pas qui l'a commise, mais quel qu'en soit l'auteur, je vous prie de l'en excuser.
Troisième et dernière considération: rappel très bref des circonstances autour de ce texte. La pétition que nous devions examiner visait trois textes légaux: l'article 176 de la constitution genevoise concernant les congrégations, la loi en découlant qui s'appelle «la loi sur les corporations religieuses» du 3 février 1872 et la loi sur le culte extérieur du 28 août 1875.
Dans le cadre des auditions auxquelles nous avons procédé, notamment celle du professeur Auer, nous avons constaté que de l'avis des juristes ces trois textes étaient inconstitutionnels, car ils violaient la liberté religieuse. Nous nous sommes donc demandé quelles suites il fallait leur donner, étant précisé que ces suites pouvaient prendre plusieurs formes.
La première était de prendre acte de cette inconstitutionnalité et d'en tirer les conséquences, soit en adoptant de nouveaux textes, soit en demandant tout simplement qu'ils ne soient plus appliqués du tout - pour autant qu'ils l'aient été - soit, encore, de contester cette inconstitutionnalité. Toutefois, des questions d'opportunité politique se sont très vite posées, notamment dans le cadre des auditions de personnalités éminentes du monde des confessions. Nous avons en effet été assez surpris de constater que les représentants des Eglises protestante et catholiques exprimaient le voeu que nous évitions un débat susceptible de raviver des cicatrises et des blessures anciennes. De sorte que leur position générale peut se résumer ainsi: «Il ne faut pas réveiller le chat qui dort, et, surtout, il faut préserver la paix confessionnelle. Les lois en question sont discriminatoires, mais, nous, Eglises susceptibles d'être victimes de ces discriminations, voire auteurs de ces discriminations, nous vous demandons de considérer que la paix confessionnelle vaut mieux que le rétablissement de l'Etat de droit.» C'est donc un message intéressant sur l'opportunité politique, d'une part, et, d'autre part, sur l'application stricte du droit.
J'ajoute que si deux de ces textes - les deux premiers concernant les corporations religieuses - sont clairement anticonstitutionnels - c'est l'avis de la commission dans son ensemble - notre conclusion, pour les raisons d'opportunité et de paix confessionnelle envisagée, a été qu'il n'était pas pour autant urgent de les revoir, d'autant qu'ils ne sont pas appliqués. Depuis qu'ils ont été adoptés aucune congrégation religieuse n'a en effet demandé l'autorisation de notre Grand Conseil pour s'installer à Genève...
En revanche, la dernière loi, celle qui concerne le culte dit «extérieur», c'est-à-dire, en réalité, les pratiques cultuelles sur la voie publique, a eu l'honneur d'être déjà traitée par le Tribunal fédéral à l'occasion d'un souhait d'une paroisse de faire une procession pour les Rameaux, il y a une vingtaine d'années. Le Conseil d'Etat avait refusé l'autorisation demandée par la paroisse concernée, mais le Tribunal fédéral, saisi d'un recours, avait trouvé ce refus inconstitutionnel. L'argument du Tribunal fédéral à l'époque était que la situation était très tendue au moment du vote de ces lois - nous étions en plein Kulturkampf- et qu'il n'en était plus de même aujourd'hui. De sorte que, la paix revenue, il n'était plus nécessaire d'appliquer ces textes comme on l'avait fait dans le passé.
Or, la commission n'a pas pu s'empêcher de remarquer que ce qui était vrai sur les apaisements en 1984 ne l'était, hélas, plus autant en 2003 ou en 2004... Aujourd'hui, une telle situation sur la voie publique peut poser des problèmes qui ne seraient venus à l'esprit de personne il y a vingt ans ou il y a encore dix ans. La commission est donc arrivée à la conclusion, à l'unanimité, qu'il était important de considérer que cette loi sur le culte extérieur reste valable et constitutionnelle aujourd'hui en dépit du fait qu'elle porte une indiscutable atteinte à la liberté religieuse, parce que celle-ci n'est pas plus absolue que n'importe quelle autre liberté. Et l'importance de préserver la paix confessionnelle et la qualité des rapports entre citoyens sur la voie publique doit primer sur toute autre considération, selon la commission des Droits de l'Homme.
Cette dernière, soucieuse avant tout d'éviter qu'à l'occasion de manifestations à caractère religieux la voie publique ne redevienne, à un moment particulièrement difficile, le lieu d'antagonismes au lieu d'être celui où la laïcité et la paix confessionnelle trouvent toute leur signification dans la République de Genève - c'est-à-dire un lieu où les citoyens se rencontrent sans acception religieuse, sans échanger de points de vue en fonction de leurs obédiences, mais en tant que citoyens laïcs et, en quelque sorte, «déconfessionnalisés» - a voulu que cet espace laïc public le demeure et qu'il ne soit pas progressivement confisqué par les affirmations religieuses dont nous craignons qu'à un moment ou à un autre elles ne deviennent expression de fanatisme, dont nous savons que la tendance contemporaine est hélas trop répandue.
C'est la raison pour laquelle j'ai pris la liberté de citer - et j'en terminerai par là - un passage de Voltaire qui me paraît important, parce qu'il dicte la conception de la commission des Droits de l'Homme sur ce débat sur la laïcité. Voltaire écrivait ceci: «Lorsqu'une foi de fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes. La religion loin d'être pour elles un aliment salutaire se tourne en poison dans les cerveaux infestés.» (Rires.)Et Voltaire ajoutait avec la pertinence que nous lui connaissons: «Ce sont d'ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques et qui mettent le poignard entre leurs mains.»
Mesdames et Messieurs les députés, si ce débat est important aux yeux de la commission des Droits de l'Homme, c'est parce que nous voulons que la paix confessionnelle et la tolérance continuent à régner à Genève. La liberté religieuse a fait des progrès depuis la fin du XIXe siècle, et nous nous en réjouissons. Nous pensons qu'elle en fera encore et qu'il y a d'assez nombreuses occasions de le manifester. Mais nous pensons qu'il est important que le Conseil d'Etat sache qu'il a le soutien de notre parlement pour préserver la qualité des relations citoyennes dans la rue genevoise. (Applaudissements.)
M. Antonio Hodgers (Ve). Le débat au sein du groupe des Verts sur cette question a été assez long et approfondi. Il a conduit notre groupe à revoir sa position sur cette pétition.
Nous sommes, bien sûr, d'accord sur l'objectif - sur lequel, d'ailleurs, M. Halpérin vient de conclure: il faut garantir la paix confessionnelle dans notre République. Mais il peut y avoir des divergences sur les moyens qu'on se donne... Tout d'abord, il est pour le moins étrange de conclure, en tant qu'organe législatif, qu'une loi est anticonstitutionnelle et, même, contraire aux droits de l'homme, mais qu'il faut la maintenir dans nos textes. Une gymnastique a été faite par la commission sur ce dossier - M. Halpérin l'a très bien expliqué - que j'ai du reste suivi dans un premier temps, mais, aujourd'hui, si l'on prend un peu de recul sur cette question, la conclusion paraît pour le moins étrange.
Pour garantir cette paix confessionnelle faut-il ne pas réveiller le chat qui dort ? Ne sommes-nous pas en train de mettre un couvercle sur une marmite qui bout ? Nous devons nous demander s'il faut mener le débat sur le religieux... Nous pensons que oui. Et, dans ce cas, il faut débattre de ces lois historiques qui datent du Kulturkampfet qui n'ont plus lieu d'être dans notre appareil législatif aujourd'hui.
Or, la conclusion de la commission revient à dire qu'il ne doit pas y avoir de débat sur la religion. C'est l'avis de notre parlement. Eh bien, en ce qui me concerne, je pense que le message donné n'est pas sain ! En effet, les préoccupations sur les minorités religieuses sont aujourd'hui importantes. Je crois que le Conseil d'Etat, à travers sa démarche sur les cimetières confessionnels, marque le pas et, à mon avis, le parlement devra le suivre et se demander quelle est la place de la religion dans notre société aujourd'hui, au XXIe siècle. Ces lois qui datent du XIXe siècle ne sont plus adéquates; elles ne répondent plus à la problématique. Refuser d'en débattre, ce n'est pas ne pas réveiller le chat qui dort; ce n'est pas le laisser dormir... C'est mettre un couvercle sur une marmite qui commence à bouillir; c'est se voiler la face, et je pense que ce n'est pas la bonne attitude à adopter !
M. Pierre Kunz (R). Notre collègue, Michel Halpérin, nous disait que la paix confessionnelle et les relations harmonieuses entre les citoyens doivent primer sur une interprétation littérale de la loi... Et il disait aussi que les espaces publics ne doivent pas être confisqués par les activités privées du culte.
Les radicaux sont absolument convaincus par ces paroles sages. Ils regrettent simplement que certains les aient oubliées ou, plutôt, ne les aient pas imaginées suffisamment tôt s'agissant de la problématique des cimetières...
Monsieur Hodgers, mener le débat sur le religieux: oui ! Mais sans remettre en question les principes fondamentaux de la laïcité !
M. Christian Grobet (AdG). Je n'ai pas grand-chose à ajouter, puisque je souscris totalement aux propos tenus par notre collègue M. Kunz...
Nous avons la chance à Genève, d'une part, de ne pas être soumis, comme c'est le cas dans certains endroits, même dans notre pays, par des ukases religieux et, d'autre part, d'avoir connu la paix confessionnelle à Genève, d'une manière que je qualifierai de «remarquable» par rapport à d'autres endroits, précisément parce que le principe de la laïcité a été strictement respecté dans notre République.
Aujourd'hui, certaines personnes remettent en cause le principe de la laïcité, avec toutes les conséquences que cela implique... Non seulement j'estime qu'il faut maintenir les lois, mais, comme l'a fort bien dit notre rapporteur, M. Halpérin, il faut les appliquer avec intelligence ! Il me semble qu'ouvrir le débat aujourd'hui pour abroger ces lois ne pourrait que causer des disputes, des querelles, ou raviver celles du passé, ce qu'il faut éviter.
J'ajoute, s'agissant de la compatibilité de l'article 176 de la constitution et de la loi sur les congrégations religieuses, qu'il est vrai - et vous l'avez bien indiqué dans votre rapport, Monsieur Halpérin - qu'il s'agit d'une restriction à certaines libertés. Maintenant, pour ce qui est des restrictions qui peuvent être apportées à certaines libertés, je pense que ce sont des questions qui donnent lieu à interprétation. Je ne veux pas contredire l'interprétation que vous donnez, mais, personnellement, je pense que ces dispositions restent compatibles avec le droit supérieur, pour autant, bien entendu, qu'elles soient appliquées en respectant les règles de la proportionnalité.
Par voie de conséquence, j'estime qu'il n'y a pas de violation de la Convention européenne des Droits de l'Homme si l'on applique les principes de la proportionnalité et qu'il n'est donc pas nécessaire d'annuler ces dispositions constitutionnelles et légales. Cela évitera en outre d'avoir des débats qui risquent s'envenimer dans notre République, alors que, comme je l'ai dit tout à l'heure et comme l'ont dit certains préopinants, c'est précisément grâce à cette législation que les querelles religieuses que l'on connaît à certains autres endroits ont été évitées.
M. Antoine Droin (S). La commission des Droits de l'Homme s'est penchée sur cette question durant de nombreuses séances. Nous avons effectivement réfléchi très longuement, notamment sur ce que vient d'évoquer M. Hodgers par rapport à la position des Verts.
Nous avons auditionné de nombreuses personnes mais aussi les pétitionnaires - en dernier, je tiens à le rappeler, car ce n'est pas forcément l'usage; en général, ils sont auditionnés en premier. Et, si nous avons procédé ainsi, c'est justement pour ne pas nous faire influencer par les avis des uns ou des autres, qu'ils soient personnels ou représentatifs d'une communauté ou d'une autre. Nous sommes arrivés, après ces nombreuses auditions, à la conclusion - nous avons souvent utilisé cette expression - qu'il ne fallait pas réveiller le chat qui dort... C'est ce qui a prédominé dans le débat. Mes préopinants viennent de le relever très justement, et je pense effectivement que les forces de l'habitude permettent une autorégulation par rapport à certaines dérives qui pourraient survenir.
Et, même si les mots ne sont plus forcément adéquats, même si certaines lois mériteraient peut-être d'être modifiées, je pense qu'il faudra bien choisir le moment opportun pour le faire. Je ne suis donc, et de loin, pas du tout persuadé qu'il faille réveiller le chat qui dort pour le moment, en modifiant des lois ou en les supprimant. L'humanité traverse en effet une période difficile: les tensions interreligieuses sont très fortes et ne font qu'augmenter. Ce n'est donc pas du tout le moment de réactiver un débat sur ce sujet: cela ne ferait que mettre de l'huile sur le feu et engendrer des conflits. Cela ne me semble donc pas opportun dans notre République.
Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Je serai très brève. Le parti démocrate-chrétien vous invite à prendre acte de ce rapport.
Il faut tout de même relever la qualité des travaux, le sérieux, le respect qui ont prévalu durant l'étude de cette pétition. Il me semble en effet très important de souligner, aussi souvent que possible, lorsque nous savons garder raison, en prenant en compte l'aspect profondément respectueux de ce qui fonctionne bien et en ne nous laissant pas aller à des passions qui ne peuvent qu'engendrer des oppositions.
Je pense que nous pouvons en effet nous réjouir que ce travail ait été voté à l'unanimité, soit de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
M. Olivier Vaucher (L). Je voudrais tout d'abord dire que nous nous rallions aux propos de certains de nos préopinants. Nous remercions M. le député Grobet de ses paroles, ainsi que M. Droin, et, bien sûr, le rapporteur, sur la nécessité absolue de maintenir aujourd'hui la paix religieuse acquise âprement il y a un siècle ou deux. C'est en effet une des forces de Genève.
M. Hodgers dit qu'il ne faut pas mettre de couvercle sur une marmite qui bout... Qu'il n'oublie pas quelles sont les personnes à l'origine de cette pétition - il le sait du reste aussi bien que moi ! Il serait justement navrant de suivre cette pétition, car son but est certainement - comme de nombreuses autres interventions des pétitionnaires - de faire bouillir la marmite à Genève ! Alors, soyons raisonnables: laissons dormir le chat qui dort, et suivons l'avis et la conclusion du rapporteur, M. Halpérin !
M. Michel Halpérin (L). Quelques mots, si vous me le permettez, pour répondre à certaines inquiétudes et apporter quelques précisions...
Je préciserai d'abord que le débat sur les religions, contrairement à ce que j'ai cru comprendre en écoutant M. Hodgers, a déjà eu lieu. En effet, si les milieux cléricaux genevois nous ont demandé de ne pas réveiller le chat qui dort - ils n'étaient pas les seuls: des historiens aussi - la commission a tout de même décidé d'entrer en matière, de réfléchir et de vous faire un rapport en vous disant ce qu'elle pensait de la liberté religieuse aujourd'hui et des trois normes dont il était question. Nous n'avons donc pas mis le couvercle sur la marmite...
En revanche, au terme de notre réflexion et avec le produit de cette réflexion, nous vous disons trois choses.
Nous vous disons que la loi constitutionnelle ancienne est inconstitutionnelle mais elle n'a jamais été appliquée, et nous ne trouvons pas utile d'ouvrir un débat populaire pour abroger une disposition constitutionnelle appliquée.
Nous vous disons que la loi qui en dépend - et l'avis de chacun est réservé, mais la commission des Droits de l'Homme est d'accord à l'unanimité - la loi sur les corporations religieuses est également inconstitutionnelle. Nous n'avons pas besoin d'un vote populaire pour la modifier, mais nous voulons, si cette modification devait intervenir - ce n'est pas indispensable, puisqu'elle n'est pas appliquée - que le Grand Conseil soit saisi simultanément d'un projet de loi qui marque les limites d'une intervention du Conseil d'Etat pour maintenir l'ordre dans ces matières religieuses.
Nous vous disons, au sujet de la troisième loi, que nous l'avons examinée et, contrairement à l'avis des juristes de la Couronne, et, avec tout le respect qui lui est dû, à l'avis même du Tribunal fédéral, que cette loi n'est pas anticonstitutionnelle, parce que les droits de l'homme prévoient la liberté religieuse, y compris dans le domaine public, mais pas au prix du désordre public.
Voilà la première partie de ce que je voulais clarifier.
La deuxième, c'est que le concept de laïcité, dont nous avons beaucoup parlé au cours de nos travaux, a considérablement évolué. Si à la fin du XIXe siècle le concept de laïcité était simplement la primauté du laïc sur le religieux et la neutralité de l'Etat, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle chacun s'accorde à considérer que l'Etat a un devoir impérieux - et le Tribunal fédéral a eu l'occasion de le souligner sur différents sujets - de permettre que l'exercice du culte libre ait lieu pour chacun dans le respect de ses convictions. Nous sommes donc passés d'un principe d'abstention à un principe d'action, et, dans ce sens-là, il y a eu une évolution qui se traduit notamment par certaines obligations assumées dans certains cantons, qu'il s'agisse de lieux de culte, de lieux d'ensevelissement, etc.
Il y a une évolution, et il fallait en prendre acte. C'est fait !
La troisième remarque que je voulais faire est la suivante. Les travaux du Kulturkampf, comme les a appelés M. Hodgers tout à l'heure - et c'est leur nom officiel - sont très remarquables. Et c'est la raison pour laquelle, je le rappelle à l'attention de ceux qui ne l'auraient pas vu, je les ai mis en annexe de mon rapport. Je trouve que cela vaut la peine de relire le texte de ce que nos prédécesseurs ont fait dans cette enceinte il y a cent vingt-cinq et respectivement cent cinquante ans. Non seulement c'est d'une très bonne tenue intellectuelle, mais c'est d'une tenue littéraire qui, j'en suis sûr, nous inspirera tous à l'avenir...
Je voudrais tout de même faire une dernière remarque à propos de vos travaux: je pense Mesdames et Messieurs, que nous avons tous eu une conscience extrêmement aiguë de la gravité des temps. J'ai appris tout à l'heure qu'une jeune femme de dix-huit ans a été lapidée hier soir à Marseille. Et je pense que nous ne pouvons pas perdre de vue que les temps ne sont plus ce qu'ils étaient. C'est le message de la commission. C'est pourquoi le principe de la laïcité et du savoir-vivre entre citoyens doit primer sur les considérations communautaires. (Applaudissements.)
M. Robert Cramer, président du Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat doit tout d'abord remercier la commission des Droits de l'Homme et son rapporteur, pour le travail approfondi qui a été fait autour de cet objet et qui a trouvé son prolongement dans vos réflexions au sein du Grand Conseil.
C'est bien sûr avec intérêt que nous avons pris connaissance de votre rapport, de ses conclusions, et, finalement, on peut se dire que l'esprit qui inspirait le législateur à la fin du XIXe siècle n'est pas tellement différent de celui qui inspire aujourd'hui les réflexions du Tribunal fédéral. Dans les deux cas, il s'agit de garantir l'exercice de la liberté d'expression. A la fin du XIXe siècle, il s'agissait de la garantir face à ce que les religions pouvaient avoir d'invasif, d'extrêmement présent, dans la vie des citoyens. Aujourd'hui, il s'agit de garantir la liberté des cultes et la liberté d'exprimer ses convictions religieuses dans une société qui est de plus en plus éloignée de ce type de préoccupations.
Il n'en demeure pas moins, comme l'a relevé à très juste titre votre commission, que le domaine public est un espace commun à tous, c'est-à-dire athées, agnostiques et croyants de toutes religions. Mais cet espace commun est un espace non confessionnel, et il doit le demeurer. Genève doit se féliciter d'avoir tout au long de son histoire voulu veiller à cela.
Si je le dis - j'ai eu tout à l'heure sur ce point un échange avec mon collègue Pierre-François Unger - c'est que, au fond, c'est la liberté qui est en cause avant tout. Et cette liberté, les autorités publiques se doivent de la garantir à chaque citoyen. La liberté est la condition de base: quand on est libre, on peut et on se doit d'être tolérant. Et c'est dans ce cadre-là que les réflexions, tout à fait fondées, qui ont été faites sur l'application du principe de la proportionnalité, sur le fait que l'Etat doit veiller à ce que chacun puisse exprimer ses convictions, doivent trouver leur place. Mais, avant tout, nous nous devons d'être les garants de la liberté de chacun et, donc, de faire en sorte que cet espace public, qui est le bien de tous, ne soit pas accaparé par certains.
Je vous remercie pour ce rapport, dont il convient effectivement de prendre acte.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.