Séance du
jeudi 28 octobre 2004 à
17h
55e
législature -
3e
année -
12e
session -
75e
séance
GR 391-A
M. Antoine Droin (S), rapporteur. Nous avons un cas un peu compliqué à traiter. J'espère donc être clair et précis, en étant le plus succinct possible malgré tout.
Mme. S.-O. est originaire d'Argovie, née le 9 mars 1979, sans profession au moment de son arrestation. Elle est actuellement en détention à la prison de La Tuilière. Elle a été condamnée le 27 janvier 2000 pour une infraction grave à l'article 19 de la loi sur les stupéfiants. Mme. S.-O. demande la grâce de la peine, mais il s'agira de la grâce du solde, puisqu'elle est actuellement en prison.
En février 1998, Mme. S-O. participe à un trafic de cocaïne depuis la Jamaïque, d'où elle aurait ramené entre 500 grammes et un kilo de cocaïne. En fait, cette opération échoue.
Entre mai et juin 1998, elle effectue un deuxième voyage, avec 900 grammes de cocaïne qu'elle parvient à ramener à bon port.
En mars 1999, Mme. S.-O. est arrêtée pour son premier trafic de drogue et placée en détention préventive pour un mois. C'est là qu'elle avoue s'être livrée à un deuxième trafic, lequel a réussi. Son aveu permettant le démantèlement du réseau, elle est rapidement libérée de sa détention provisoire, le 29 avril 1999.
Le 27 janvier 2001, Mme. S.O. se présente spontanément au tribunal en vue de son jugement. Par la suite, elle interjette en cassation et au Tribunal fédéral des recours contre le jugement qui lui a été signifié, mais ses recours ont été rejetés.
Depuis 1998, comme elle n'est toujours pas incarcérée malgré sa condamnation et le rejet de ses recours, elle trouve du travail, suit à nouveau une formation à l'Université, passe une maturité commerciale et se marie.
En janvier 2001, Mme S.O. dépose un recours en grâce auprès du Grand Conseil, lequel ne traite le dossier qu'au mois de juin 2001. A cette époque déjà, il est relevé que le temps écoulé entre les faits et l'application de la mesure est considérable, or il est également souligné que l'infraction est grave. La commission de grâce requiert alors un sursis. Mais comme ce n'est pas de la compétence du Grand-Conseil, la commission demande de surseoir à la décision de grâce pour une durée de deux ans, ce que le Grand Conseil accepte.
En septembre 2003, la commission de grâce reprend le dossier et, dans sa majorité, propose au Grand Conseil le rejet de la grâce qui avait sollicitée en 2001. Après un bref débat, le Grand Conseil décide de renvoyer le dossier en commission pour un examen plus approfondi.
En octobre 2003, le dossier revient auprès de notre Grand Conseil. Après quelques renseignements recueillis auprès de l'administration zurichoise, où Mme. S.-O. séjournait, on apprend qu'elle n'a pas commis d'autre délit et que tout se passe le mieux possible pour elle. Mais la commission, dans son ensemble, propose au Grand Conseil de rejeter la grâce, et ceci pour deux raisons: premièrement, Mme. S.-O. ne s'est pas inquiétée depuis plus de deux ans de l'état de sa requête en grâce auprès du Grand Conseil; deuxièmement, Mme. S.-O. n'est pas retrouvable par les services sociaux de Zürich - elle aurait donc disparu de la circulation. En fait, lors de tous ces aléas, personne ne demande à Mme. S.-O. d'aviser qui que ce soit de ses déménagements. Elle a bien quitté Genève pour s'installer en Suisse allemande, mais elle a toujours déclaré où elle se trouvait à l'Office de la population - elle était donc facilement retrouvable. Et si un service social ne la trouve pas, cela ne veut pas dire qu'elle a disparu de la circulation!
De plus, j'aimerais simplement signaler qu'en octobre 2003 plus de cinq ans sont écoulés depuis les faits qui lui sont reprochés - et cela fait deux ans et demi qu'elle a été condamnée. En plus de cela, une chose étrange est à relever: ayant pris sa décision, le Grand Conseil a envoyé un courrier pour signifier à Mme. S.-O. que sa demande de grâce était rejetée, mais elle n'a jamais reçu ce courrier: en mars 2004, Mme. S.-O. et son avocat n'ont toujours pas de nouvelles du rejet de la grâce daté d'octobre 2003.
En juin 2004, l'avocat de Mme. S.-O. dépose à nouveau un recours en grâce. Nous nous trouvons donc six ans après les faits reprochés. Elle a repris une vie honnête depuis sa libération de préventive. Je l'ai dit tout à l'heure, Mme. S.-O. est pleine de volonté de s'en sortir, comme le mentionnent d'ailleurs plusieurs témoignages et diverses pétitions qui ont recueilli de nombreuses signatures. Par ailleurs, Mme S.-O. a obtenu juridiquement la garde de deux neveux - un neveu et une nièce - enfants de sa soeur emprisonnée en Angleterre. Mme. S.-O. est en train de divorcer pour pouvoir se remarier et elle recherche du travail.
Donc, le Grand Conseil était prêt à lui accorder la grâce en 2001 déjà, en attendant que l'exemple de sa bonne conduite le justifie. Elle a aujourd'hui largement mérité cette grâce, tant par le fait que de nombreuses années ont passé que par la démonstration de notre Conseil de son immense capacité à jouer à l'arroseur arrosé...
Premièrement, surseoir de deux ans en 2001 semble un peu démesuré vis-à-vis de la peine qui était également de deux ans; deuxièmement, refuser la grâce après cette échéance de deux ans, sous prétexte que Mme. S.-O. n'est pas trouvable - ce qui en l'état n'était pas du ressort du Grand Conseil - est «particulièrement particulier», si je puis m'exprimer ainsi; troisièmement, laisser administrativement Mme. S.-O. sans aucune nouvelle est un manque de civisme de la part de notre institution, ainsi qu'un manque d'humanité. Enfin, relevons qu'à ce jour Mme. S.-O. a purgé huit mois de prison.
Au vu de tous ces arguments, la commission, dans sa grande majorité, vous recommande d'accepter la grâce, permettant ainsi au Grand Conseil d'être en quelque sorte «condamné», et la condamnée d'être graciée - ce qui ne serait que justice...
M. Christian Luscher (L). Bien que sensible aux arguments développés par le rapporteur, je dois avouer ne pas décemment pouvoir voter pour accorder la grâce à quelqu'un qui a trafiqué de la cocaïne sur des quantités jugées extrêmement importantes - et dont vous nous avez rappelé tout à l'heure qu'il s'agissait, sauf erreur, de 1,8 à 1,9 kilo de cocaïne. J'aimerais rappeler ici qu'en matière de quantité, pour la cocaïne, la circonstance aggravante est acquise à partir de 18 grammes, et nous parlons ici d'une quantité qui porte sur un kilo et demi, voire 1,8 kilo.
Je relève également que cette personne a été condamnée par la Cour d'assises. A priori, cela signifie que le Procureur général voulait requérir dans cette affaire une peine supérieure à cinq ans. Car, en matière de stupéfiants, il faut savoir que la compétence du Tribunal de police est donnée dans les affaires pour lesquelles le Procureur général ne veut pas requérir une peine supérieure à cinq ans.
On peut en déduire fort logiquement que, sur la base du dossier et sur la base des quantités - qui sont astronomiques, puisqu'il s'agit de cocaïne - le Procureur général avait l'intention de requérir une peine largement supérieure à cinq ans.
Les éléments que vous nous décrivez aujourd'hui, à savoir des aveux spontanés sur des trafics pour lesquels Mme. S.-O. n'a pas été arrêtée - enfin, elle l'a quand même été pour l'un d'entre eux - et son souhait de pouvoir laver sa conscience sont tout à son honneur, mais ces éléments-là ont déjà été largement pris en compte dans la peine. Car obtenir une condamnation de deux ans pour un trafic qui porte sur une quantité aussi énorme, c'est un succès judiciaire pratiquement jamais vu! Et très honnêtement, je ne pense pas que l'on puisse accorder la grâce pour des quantités pareilles. Je ne comprendrais pas très bien le message qui serait ainsi délivré par notre Grand Conseil à la population ainsi qu'aux trafiquants de drogue.
Je relève enfin que le Grand Conseil a d'ores et déjà rejeté cette grâce, et qu'il n'est pas l'autorité de recours de ses propres décisions. Là aussi, le message me semble malsain, parce que cela pourrait signifier que toute personne dont la grâce est rejetée peut revenir une deuxième fois, puis une troisième fois, et plaider simplement l'écoulement du temps, en disant: «Dans le fond, c'est vrai, l'année passée vous avez rejeté ma grâce... mais maintenant, un an s'est écoulé. et je vous demande donc de reconsidérer cette décision !» Il s'agit là plutôt d'un argument subsidiaire.
L'argument principal, à mes yeux, est que l'on ne peut pas faire passer un message signifiant que quelqu'un peut être gracié par ce Grand Conseil, alors qu'il a déjà obtenu des circonstances particulièrement favorables devant la Cour d'assises - grâce à ses aveux - et encouru une peine de deux ans, ce qui est déjà en soi quasiment miraculeux !
C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande, à titre personnel, de rejeter cette demande de grâce.
M. Antoine Droin (S), rapporteur. J'entends bien ce qui vient d'être dit, mais j'aimerais simplement mettre en exergue quatre faits que j'ai déjà signalés. Le premier, c'est que, sur la première demande de grâce, le Grand Conseil a sursis à la décision pour la reporter de deux ans, ce qui est équivalent à la peine infligée. C'est quand même une façon de dire: «Ce n'est pas un rejet. Si vous faites preuve d'une bonne conduite pendant ces deux ans, on est prêt à étudier plus en profondeur votre demande». Cela correspond donc à une espèce d'entrée en matière. On a toujours relevé que la faute commise était grave - le trafic de drogue est quelque chose d'important - mais il faut aussi prendre en compte les autres composantes de ce dossier.
Le deuxième fait est que pendant toute cette période Mme S.-O. a réalisé des efforts considérables pour se réinsérer: elle avait la garde de ses neveu et nièce, ce qui est quelque chose d'important puisqu'elle doit maintenant assumer une charge familiale; elle a effectué sa formation professionnelle et a trouvé du travail; elle s'est mariée. Mme S.-O. a donc réintégré la société sans plus commettre de délits, et je pense qu'il faut également prendre cela en considération.
Le troisième argument est qu'aujourd'hui elle a quand même purgé huit mois de prison - puisqu'elle est actuellement incarcérée, je le rappelle, depuis le mois de mars. Et si l'on pouvait maintenant la gracier du solde de sa peine, elle en aurait quand même purgé une partie.
Le quatrième argument est qu'un certain nombre de mois et d'années se sont écoulés depuis les faits - nous sommes en 2004, cela représente donc huit ans - et je pense qu'il est grand temps de gracier cette dame.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Nous nous prononçons par vote électronique.
Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce du solde de la peine) est rejeté par 33 non contre 26 oui et 4 abstentions.