Séance du
jeudi 10 juin 2004 à
20h
55e
législature -
3e
année -
9e
session -
46e
séance
PL 8916-A
Premier débat
M. Robert Iselin (UDC), rapporteur de majorité. Je tiens simplement à dire, pour apporter une petite note pittoresque là au milieu, que j'ai eu le plaisir de faire les côtes de la Galice à la voile; elles sont superbes et les gens forts sympathiques.
Pourtant, je pense, comme dans le cas précédent, que ce n'est pas à l'Etat de Genève, même pour une petite somme, de manifester la sympathie que nous éprouvons tous pour des populations qui ne sont pas si éloignées de nous. Ce n'est pas à l'Etat de manifester de la sympathie en donnant de maigres 100 000 francs. D'ailleurs, les... «récipiendaires» ont eux-mêmes indiqué qu'ils ne tenaient pas à ce don.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité. La date de dépôt du rapport est le 2 décembre 2003; le projet a été déposé bien avant. Nous avons donc mis presque une année pour pouvoir décider d'une subvention concernant une catastrophe survenue il y a bien des mois. C'est dire la célérité de ce Grand Conseil pour des affaires qui, à l'époque, étaient d'importance... Il aurait fallu voter ce crédit sur le siège, aujourd'hui ce rapport vient comme grêle après vendanges...
A l'époque, il aurait fallu que l'Etat de Genève fasse un geste en faveur de la communauté galicienne qui a, de longue date, participé à l'économie de ce canton - c'est une communauté importante, et ce pays qu'est la Galice nous est quand même, historiquement et culturellement, assez proche. Il donc est regrettable que nous n'ayons pas voté ces 100 000 francs à l'époque.
Il y a d'ailleurs eu un autre cas, vous le savez, Monsieur Iselin, c'était la commune de Gondo - que je connais très bien - qui a été victime d'une catastrophe. J'avais alors salué le projet de loi de l'UDC, dans le sens où nous aurions pu également faire un geste. Il est vrai que ce ne sont pas des gestes qui règlent toutes les conséquences d'une catastrophe, mais ils vont droit au coeur de ces petites populations. Gondo était une petite bourgade et peut-être avait-elle besoin, de même que les Galiciens, de la solidarité de Genève. Aussi je regrette, Monsieur Iselin, que l'on n'ait pas voté avec célérité - avec célérité, j'insiste - la subvention pour la commune de Gondo... Je le regrette beaucoup, il aurait fallu le faire au Grand Conseil, sur le siège.
Et aujourd'hui, le problème dont il est question - je suis tout à fait d'accord avec vous, Monsieur - n'est pas d'une grande acuité. Pourtant, il est regrettable que ce Grand Conseil ait de telles attitudes.
M. Antoine Droin (S). J'aimerais répondre à M. Iselin en rappelant que le caractère international de Genève me semble être un argument ô combien important par rapport à la solidarité dont on doit faire preuve envers les peuples touchés par des catastrophes. Il n'y a pas que Gondo - puisque c'était un de vos arguments en commission - il y a aussi d'autres problématiques. Malheureusement - malheureusement ! - d'autres catastrophes ont lieu dans le monde, et on n'a pas pour autant à mettre en opposition celles qui surviennent en Espagne, au Mali, au Kamtchatka inférieur ou à Gondo... Nous devons être solidaires de toutes les catastrophes du monde entier.
Mme Loly Bolay (S). Monsieur le rapporteur de majorité, je suis d'accord avec vous sur un seul point: les côtes de Galice sont superbes, magnifiques. J'y suis née, il y a 53 ans... (Commentaires.)Seulement, les côtes de Galice ont été souillées, Monsieur le rapporteur de majorité, par le pétrole du Prestige ! Et ces 1500 kilomètres de côtes sont à jamais souillées parce que le pétrole du Prestige continue à les souiller encore !
J'aimerais tout simplement rappeler le contexte dans lequel certains d'entre nous ont déposé ce projet de loi: il s'agissait d'un signe de solidarité, surtout envers les Galiciens. Mesdames et Messieurs les députés, ces Galiciens sont venus ici depuis 30 à 40 ans, ils ont construit nos routes et nos écoles, ils ont réalisé un travail admirable... Et la diaspora galicienne qui vit à Genève est peut-être la plus importante de Galice. C'est peut-être aussi la première fois que le canton de Genève - ville internationale ! - aurait pu démontrer par ce projet de loi qu'il était prêt à accomplir un acte de solidarité.
Vous dites dans votre rapport de majorité, Monsieur Iselin, que la somme que nous avons prévue est modeste. C'était voulu ! Tout simplement parce que nous étions soucieux des finances du canton de Genève, mais que nous voulions tout de même montrer, par cette modeste somme justement, un élan de solidarité.
J'aimerais aussi rappeler l'implication de Genève dans le désastre du Prestige: la Banque cantonale de Genève tout comme la Banque cantonale vaudoise ont financé la cargaison du Prestige ! C'est important, car ce bateau à simple coque était considéré comme non affrétable par les compagnies BP et Total Fina Elf...
Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi aurait dû être voté sur le siège, au moment où nous l'avons déposé - cette affaire-là s'est passée il y a près de deux ans - et vous n'avez pas eu cette délicatesse, vous n'avez pas eu cet élan de solidarité envers les Espagnols, envers le peuple de Galice. Je le regrette, là vous avez vraiment loupé une occasion de démontrer votre envergure et votre grand coeur. Je le regrette. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Rendez-vous compte que votre âge figurera au Mémorial...
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). J'approuve entièrement les arguments de Mme Bolay, mais les miens seront plus larges encore.
Verser 100 000 francs à une association qui a oeuvré pour assainir les côtes espagnoles suite au naufrage du pétrolier Le Prestige ne relève pas de l'émotionnel, Monsieur le rapporteur de majorité ! Cela relève de notre responsabilité. Que contenait ce cargo ? Du pétrole ! Et du pétrole, nous en consommons tous et beaucoup.
Le fait que des cargos qui ne répondent plus aux normes de sécurité naviguent encore relève d'une politique menée par des gens qui cherchent à tout prix à obtenir les prix les plus bas au niveau énergétique et qui, par là, entraînent des catastrophes.
Donc, ces dernières n'ont rien d'aléatoire, et, même si ce n'est pas directement, nous sommes tous concernés au premier plan. Si vous voulez faire des économies, il faut commencer par cesser de gaspiller l'énergie et développer les énergies renouvelables, ce qui éviterait ce genre de catastrophes. Il faut accepter des mesures en amont ! Qui coûtent peut-être plus cher dans un premier temps, mais qui, à long terme, sont beaucoup plus rentables. Elles permettront en effet d'éviter ce genre de catastrophes naturelles et financières.
C'est pourquoi les Verts voteront ce projet de loi.
M. Patrick Schmied (PDC). Ce projet de loi part évidemment d'un sentiment bien compréhensible : l'émotion suscitée par la catastrophe.
Il se trouve que, pour des raisons professionnelles, je me trouve assez souvent en Espagne - pas seulement pour y faire de la voile, comme le député Iselin. Je vous avoue franchement que je n'ai pas même osé raconter à mes collègues espagnols que la République et canton de Genève, du haut de sa prétention, allait accorder une aumône de 100 000 francs au grand Etat espagnol, qui est aujourd'hui un des pays majeurs de l'Europe. L'économie de ce pays peut nous faire envie et fonctionne extrêmement bien, et notre petite République prétend lui faire l'aumône de 100 000 francs...
Je vous enjoins de refuser ce projet de loi, que je trouve à la limite du décent.
M. André Reymond (UDC). Effectivement, la Genève internationale a un rôle important à jouer dans le monde dans lequel nous vivons, et c'est sûr que je comprends la générosité dont certains d'entre nous aimeraient faire preuve. Moi aussi, j'aimerais être généreux, non seulement pour l'Espagne et la France dans ce cas précis, mais, comme quelqu'un l'a dit, pour des pays - et ils sont nombreux - victimes de catastrophes et en faveur desquels nous devrions également faire un geste humanitaire.
Alors, 100 000 francs, ce n'est peut-être pas beaucoup, c'est peut-être de la provocation pour certains, mais c'est un geste - je pense que dans la situation où nous nous trouvons financièrement, c'est déjà quelque chose. Quand il s'agit de ses 100 000 francs à soi, c'est beaucoup; et 100 000 francs de l'Etat, ce n'est pas grand chose, c'est vrai ! Mais cela nous concerne tous. Et si nous voulons respecter notre engagement politique afin réaliser des économies - même si la France et l'Espagne ont été touchées par notre geste - je crois qu'il est de notre devoir de dire que nous ne pouvons pas accepter ce projet de loi.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité. J'aimerais dire à M. Schmied qu'il ne faut pas prendre ce projet de loi pour une aumône - l'aumône est vraiment détestable, la charité est détestable dans ce cas-là. C'est, au contraire, un acte de solidarité ! Parce qu'il y a un certain nombre d'organisations, ONG ou autres, qui travaillent pour essayer d'améliorer l'état de ces côtes, ce sont de petites organisations - parfois des bénévoles - et ce montant de 100 000 francs représente un geste assez important pour elles.
Alors, peut-être que c'est effectivement une somme dérisoire pour le gouvernement espagnol, mais il ne s'agit pas de donner cette dernière au gouvernement ! Et l'on pourrait très bien imaginer que ce montant soit le bienvenu pour une ONG qui se consacre au nettoyage des côtes galiciennes et qui remédie à la destruction environnementale. Mois après mois, des bénévoles travaillent: des collégiens, des étudiants, des milliers de gens sont allés là-bas bénévolement; des personnes ont mis leur maison à disposition pour pouvoir loger ces bénévoles - et le gouvernement espagnol n'a pas pu loger tous ces gens, financièrement parlant, même s'il est riche... (L'orateur est interpellé.)Non, Monsieur ! Puisque Mme Bolay a dû mettre sa maison à disposition, voyez-vous !
Alors, je trouve qu'on ne doit pas parler d'aumône aujourd'hui: on parle d'un geste de solidarité, qui se traduit effectivement par de la monnaie - sonnante et trébuchante - monnaie qui pourra très bien être versée à une ONG qui accomplit concrètement une mission sur place.
Je vous encourage donc à accepter ce projet de loi, non seulement pour redorer le blason de notre République, mais par solidarité avec bien des pêcheurs qui, à l'époque, se sont retrouvés sans travail chez eux et sont venus chez nous pour aider à bâtir - en partie - de nombreux logements. Ce qui mérite que l'on vote ce projet de loi.
M. Robert Iselin (UDC), rapporteur. J'aimerais en premier lieu dire à mon collègue Velasco à quel point j'apprécie l'amitié avec laquelle il a présenté ses remarques - cette amitié date bientôt de deux ans et demi, à l'époque où nous nous sommes rencontrés pour les premières fois dans ce Grand Conseil.
Ensuite, étant donné le faible non dissimulé que j'ai pour le beau sexe, j'ai été un peu peiné d'entendre les accusations de deux députées de ce Grand Conseil à mon encontre. Je ne répondrai pas - j'ai été élevé dans une tradition où la réserve est érigée en principe qu'on ne peut pas casser - je ne répondrai pas à ces accusations, car je pourrais dire que, dans le silence - comme beaucoup de mes coreligionnaires - et dans le secret, ceux-là font beaucoup pour les autres.
Troisièmement, j'ajoute pour M. Droin, qui s'est tu à la commission des finances, que je trouve son attitude inadmissible. Inadmissible ! Parce que, lorsque j'ai annoncé que mon collègue Catelain renonçait à sa demande concernant les remontrances qui lui ont été adressées par la commission des finances, M. Droin n'a pas bougé. Alors, je trouve que ses remarques sont inadmissibles ! (Exclamations.)
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je pense que ce débat devrait maintenant se terminer. J'aimerais vous rappeler que, tous dans cette enceinte, nous nous sommes sentis solidaires et même révoltés par ce qui s'est passé. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs eu l'occasion de l'exprimer au moment des événements. A ce moment-là, il a pris contact... (Brouhaha.)Monsieur le président, puis-je vous demander d'actionner votre merveilleuse sonnette ?
Le président. Je l'ai déjà fait plusieurs fois, ce n'est pas très efficace... Laissons rentrer tout ce monde, cela devrait aller ! (Le président agite la cloche.)
Mme Martine Brunschwig Graf. Le Conseil d'Etat s'est donc adressé au Consulat d'Espagne et au Consulat de France dès la catastrophe connue. Il a offert ses services, ces derniers peuvent être particulièrement précieux dans le domaine de la dépollution et dans d'autres assistances de nature civile. A ce moment-là, les deux consulats nous ont fait savoir qu'ils étaient très reconnaissants de la démarche, mais que, pour l'heure, ils ne souhaitaient pas d'appui complémentaire.
Par ailleurs, j'ai eu l'occasion d'adresser à Mme la députée Bolay, suite à son interpellation quant à la responsabilité de la Banque cantonale, une longue lettre que m'avait laissée répondre ma prédécesseure - courrier dans lequel j'expliquais qu'en termes objectifs on ne pouvait pas reprocher à la banque cantonale sa décision, mais qu'en revanche la banque cantonale s'engageait, dans le futur et en bonne gouvernance, à être encore plus attentive à la façon de gérer ses affaires.
Enfin, j'aimerais vous rendre attentifs à un autre élément: ce projet de loi est totalement illégal, il ne peut être appliqué. Bien sûr, il fait référence aux comptes 2003 dont nous avons bouclé l'exercice, même si vous ne les avez pas votés, et il est hors de question de le rouvrir, quoi qu'en pense l'inspection cantonale des finances. En l'occurrence, il ne serait pas possible d'appliquer ce projet de loi et il ne serait pas non plus possible, s'agissant cette fois du compte de fonctionnement, de prendre en charge cette dépense pour 2004 - et en tout cas pas sous le régime des douzièmes - ni même ensuite, compte tenu du budget que vous avez adopté en commission des finances. Ce projet de loi ne peut donc être pris en compte.
Dès lors, je n'ai qu'une recommandation: il serait regrettable que, pour cette région, ce débat finisse par une discussion entre minorité et majorité, avec un refus qui n'aurait d'autre objectif, finalement, que de procéder à une forme de démonstration politique - mais qui, dans la réalité, est une mauvaise façon de répondre à une préoccupation que vous avez tous émise. Pour ma part, je regretterais beaucoup que ce qui reste à l'esprit des personnes habitant en Galice, mais aussi de celles vivant ici et venant de Galice, soit le refus du parlement - alors que ce refus est raisonnable maintenant. Parce qu'aujourd'hui cela serait véritablement ressenti comme une gifle, quelle que soit votre décision. C'est pourquoi, raisonnablement, je suggère aux auteurs de cette démonstration de proposer le rejet de ce projet de loi - après avoir reconnu que le débat en valait la peine et qu'il a permis de prendre conscience des nuisances entraînées par cette catastrophe.
Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Nous allons nous prononcer, par vote électronique, sur l'entrée en matière de ce projet de loi. Le vote est lancé.
Mis aux voix, ce projet est rejeté en premier débat par 46 non contre 41 oui et 1 abstention.